L’indivisibilité juridique dans les ensembles contractuels : l’article 1186 du Code civil, un coup d’épée dans l’eau

Publié le 27/03/2024
Contrat
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La codification civile suppose de dominer le sens du compromis. L’article 1186 du Code civil semblait répondre à cette exigence qui, en matière de caducité dans les ensembles contractuels, ménageait les approches objective et subjective de l’indivisibilité des contrats « nécessaire[s] à la réalisation d’une même opération ». Mais l’ambiguïté du texte faisait plutôt craindre qu’il ne soit insuffisant à mettre un terme aux incertitudes de la jurisprudence en la matière. L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 10 janvier 2024 confirme ainsi que le sort à réserver aux contrats formant une seule opération économique en cas de disparition de l’un d’eux reste entre les mains des juges.

1. On peut apprécier les textes de loi ouverts, qui confient leur destin aux interprètes. Un auteur a pu écrire qu’ils étaient « comme des réserves d’inspirations » et constituaient, à ce titre, les dispositions « les plus fondamentales du Code [civil] »1. Si l’éloge concerne sans conteste les articles permettant d’emprunter plusieurs voies, évitant ainsi le risque de fossilisation de la loi, on doute qu’il doive être étendu à ceux dont la rédaction conduit à leur inutilité.

2. C’est le sort que l’on pouvait craindre pour l’article 1186 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Pourtant, l’adoption d’un texte sur la caducité comblait, opportunément, une lacune importante du Code, en y introduisant une notion cardinale du droit des contrats. Néanmoins, cet article laisse aux juges une telle marge d’appréciation des conditions de mise en œuvre de la caducité qu’il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir qu’il ne permettrait pas de mettre fin à une jurisprudence jusque-là fluctuante, voire divisée. L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 10 janvier 2024 a confirmé cet augure.

3. L’affaire concernait l’hypothèse très classique car très fréquente d’un groupe de contrats, conclus au titre d’une location financière. En l’espèce, une société, Leasecom, achète un copieur auprès de la société SMRJ pour le louer à une association. Celle-ci conclut par ailleurs le même jour un contrat de maintenance avec la venderesse, mise deux ans plus tard en liquidation judiciaire. À la suite de dysfonctionnements du bien loué, l’association résilie unilatéralement ce contrat et, « se prévalant de l’interdépendance des contrats », notifie à la société Leasecom la caducité de la location financière. Cette dernière réplique en assignant l’association en résiliation de ce contrat et paiement des loyers et d’une indemnité, tel que prévu à l’article 6 de la convention.

4. Comme son cousin, le crédit-bail, le contrat de location financière est un habitué de la jurisprudence. Il faut dire qu’au rôle considérable que tous deux jouent dans le financement de l’activité économique s’ajoute l’importance des questions juridiques qu’ils soulèvent. Hypothèses typiques d’ensembles contractuels, ils ont été ainsi, plus que d’autres, l’occasion de s’interroger sur les conséquences à tirer de la disparition d’un contrat sur les autres. C’est à ce titre qu’ils ont fait l’objet d’arrêts célèbres, rendus en formation solennelle2.

5. En l’absence de texte, on connaît l’alternative cardinale à laquelle la Cour de cassation a dû faire face en matière d’indivisibilité des contrats. La mise en œuvre de cette notion, adoptée pour éviter le cloisonnement juridique des conventions participant à une même opération qu’imposait la cause objective, n’allait pas sans difficulté en effet : l’indivisibilité devait-elle être déduite de la seule unité économique formée par les différents contrats ou devait-elle être fondée sur la volonté des parties ? En d’autres termes, était-elle objective ou subjective, avec, à la clef, le caractère plus ou moins automatique de sa conséquence, à savoir, depuis les arrêts de chambre mixte du 17 mai 2013, la caducité des autres contrats, entraînés dans sa chute par celui qui était résilié ?

6. À cette question, la réponse apportée par la haute juridiction a varié. Particulièrement favorable à l’indivisibilité objective à compter de la fin des années 19903, elle a renoué par la suite avec la recherche de la volonté des parties qui, seule, pouvait fonder l’interdépendance des contrats4. Cette approche subjective a continué néanmoins de connaître une exception notable, en matière de location financière justement. Pour cet ensemble contractuel, la Cour de cassation juge en effet que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance »5.

7. C’est cette solution que reprend l’arrêt du 10 janvier 2024, ce qui serait sans surprise s’il n’avait été rendu au visa de l’article 1186 du Code civil. La Cour de cassation inscrit en effet sa jurisprudence dans le cadre du nouveau texte qui, pourtant, n’a pas souhaité consacrer l’approche strictement objective de l’indivisibilité. Ainsi, dans cette décision, loin de passer la solution prétorienne au crible de la loi nouvelle, la haute juridiction, à l’inverse, soumet l’interprétation de celle-ci au respect de celle-là. Le texte se trouve alors désactivé tant par la présomption irréfragable de volonté que la haute juridiction reprend (I) que par la présomption irréfragable de connaissance de l’opération qu’elle adopte (II).

I – L’article 1186, alinéa 2, désactivé par la présomption irréfragable de volonté

8. Dans l’arrêt sous commentaire, la Cour de cassation reprend donc tout d’abord, expressis verbis, la solution qu’elle avait adoptée dans ses deux arrêts de chambre mixte du 17 mai 2013, malgré les fortes critiques qu’elle avait suscitées6. Mais, désormais, elle la fonde sur l’article 1186 du Code civil (A) ce qui n’est pas sans conséquences (B).

A – Une solution prétendument fondée sur la loi

9. La solution prétorienne est désormais légale. Le visa en témoigne à lui seul mais, plus significatif encore, est le choix d’une motivation en la forme classique et non enrichie. Certes, la question ici en jeu ne relève pas des hypothèses où celle-ci est préconisée, mais ne pouvait-elle pas conduire à ces arrêts « retenant une solution qui présente un intérêt (…) pour l’unité de la jurisprudence »7 ? La cassation ici intervenue démontre, en effet, que les juges du fond ne suivaient pas tous la solution adoptée par les arrêts de chambre mixte de 2013. Celle-ci aurait alors sans doute mérité d’être précisément justifiée. Si elle ne l’a pas été, c’est alors vraisemblablement pour une autre raison8.

10. Quoi qu’il en soit, la solution retenue par l’arrêt du 10 janvier 2024 est présentée, de manière traditionnelle, comme découlant logiquement et nécessairement du texte de loi visé dont les termes sont même repris in extenso (n° 5). Il eût été alors illogique de rappeler la jurisprudence précédente qui en était à l’origine, comme cela aurait été le cas dans une motivation enrichie9. La chambre commerciale, à l’évidence, a souhaité affirmer que, désormais, l’indivisibilité automatique des contrats « qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière » est fondée sur la loi, en d’autres termes, que cette règle a perdu tout caractère prétorien.

11. La lecture du chapeau énoncé au n° 6 témoigne pourtant que ce n’est pas la loi qui commande la solution mais, à l’inverse, la jurisprudence qui insuffle son sens à la loi.

La haute juridiction déduit en effet directement de l’interdépendance des contrats inclus dans une opération de location financière que les conditions de l’article 1186 du Code civil sont réunies. Ainsi est-il écrit que, parce que les contrats sont « interdépendants, il en résulte que l’exécution de chacun de ces contrats est une condition déterminante du consentement des parties, de sorte que, lorsque l’un d’eux disparaît, les autres contrats sont caducs (…) »10.

Or, telle n’est pas la signification que le législateur a souhaité donner au texte. Selon l’article 1186, l’unité économique formée par certains contrats conduit à leur indivisibilité juridique s’il est établi que « l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie (…) ». En d’autres termes, l’existence « d’une même opération » ne suffit pas à entraîner la caducité des autres contrats de l’ensemble, à la suite de la disparition de l’un d’entre eux. C’est néanmoins exactement l’inverse que la Cour de cassation fait dire au texte dans cet arrêt, en décidant que, en matière de location financière, unité économique et unité juridique ne font qu’une, la seconde étant le corollaire de la première. Plus encore, alors que le texte n’instaure ainsi aucune présomption de volonté des parties à rendre l’ensemble contractuel indivisible, non seulement la haute juridiction retient bel et bien une telle présomption mais elle la revêt d’un caractère irréfragable.

12. Là aussi, il ne s’agit que de la reprise de la solution déjà adoptée en 2013 : « Dans les contrats formant une opération incluant une location financière, sont réputées non écrites les clauses inconciliables avec cette interdépendance » (n° 7). Toute clause expresse de divisibilité sera alors irrémédiablement écartée. En cette occurrence, l’indivisibilité est impérative alors même que l’article 1186, lui, ne l’est pas. Aucun rôle n’est accordé à la volonté des parties, au mépris des principes cardinaux du droit des contrats que sont la liberté contractuelle (C. civ., art. 1102) et la force obligation des conventions (C. civ., art. 1103). Au mépris également de ce qu’est un contrat, à savoir un instrument de répartition et de gestion des risques.

13. En l’espèce, on apprend ainsi par la cour d’appel (n° 8) que les articles 5 et 6 du contrat de location financière prévoyaient que l’association locataire faisait sienne la question de la maintenance du matériel. Certes, ces stipulations pouvaient éventuellement paraître contestables au regard du droit du bail11 mais devaient-elles être pour autant effacées du contrat sans appel alors qu’elles participent de l’équilibre économique de l’opération12 ? Qui se charge de certaines obligations doit en assumer les risques et s’assurer en conséquence ; le contractant concerné peut, en contrepartie, obtenir une baisse du prix convenu. Or, la solution ici confortée par l’arrêt du 10 janvier 2024 fait fi de ces aspects pourtant essentiels de l’équilibre d’une opération économique. S’interroger sur les raisons d’une telle position conduit à en évoquer les conséquences.

B – Les conséquences de la solution

14. Une des explications de cette jurisprudence tient au déséquilibre structurel des relations entre bailleur et locataire dans le cadre d’une location financière. Corollairement, ce type de contrat est en pratique un contrat d’adhésion. Le locataire n’ayant aucune prise sur la détermination de son contenu, évincer les clauses qui en contredisent « l’économie générale »13 paraît plus qu’opportun, nécessaire.

Au-delà des interrogations sur la portée de cette jurisprudence qu’une telle justification faisait naître – mis à part la location financière, quels autres ensembles contractuels pouvaient être concernés14 – elle permettait de comprendre pourquoi la Cour de cassation instrumentalisait l’indivisibilité contractuelle, via son objectivation absolue : le droit commun des contrats, dont relève la location financière, n’offrait en effet aucun autre moyen de protéger le locataire contre les éventuels abus de position de force du bailleur.

15. Tel n’est plus le cas néanmoins depuis l’adoption de l’article 1171 du Code civil qui prévoit désormais que, « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Ce texte permettant de lutter contre les clauses léonines en dehors même des relations consuméristes, on pouvait penser qu’il ne serait plus nécessaire à la Cour de cassation de recourir à une solution exceptionnelle, aux fondements et à la portée incertains.

Ce n’est à l’évidence pas l’avis de la chambre commerciale car même si, en l’espèce, l’article 1171 n’a pas été invoqué, elle aurait pu implicitement convenir, en abandonnant la jurisprudence antérieure, que la possibilité d’y avoir recours rendait inutile le maintien de la solution spécifique à l’indivisibilité des contrats s’inscrivant dans une location financière. Tel n’a pas été le cas. Pour quelle raison ?

16. Sans doute parce que l’article 1171 du Code civil suppose que le déséquilibre significatif soit apprécié par les juges, au cas par cas. Il ne sera donc pas toujours admis, alors, que l’article 1186, tel qu’interprété par la Cour de cassation en matière de location financière, conduit automatiquement à évincer les clauses qui remettraient en cause l’indivisibilité des contrats, aux dépens du locataire. La protection de ce dernier, systématique et certaine, est alors bien plus efficace. Partant, on gage que, seul l’article 1186 sera invoqué et appliqué, la solution ici confirmée par la Cour de cassation conduisant ainsi également à désactiver l’article 1171 en ce domaine.

17. Le maintien de l’indivisibilité strictement objective des contrats participant à une opération de location financière mènera également très probablement à celui de la jurisprudence qui a neutralisé la condition de l’impossibilité d’exécution, autre hypothèse prévue à l’article 1186, alinéa 2, dans laquelle la caducité peut être prononcée. La chambre commerciale a en effet décidé que l’interdépendance de ces contrats justifiait que « l’anéantissement de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sans que la reconnaissance de la caducité soit conditionnée par le constat de ce que, après l’anéantissement de l’un des contrats, l’exécution des autres serait devenue objectivement impossible »15.

Certes, dans cette affaire, l’article 1186 du Code civil n’était pas applicable ratione temporis mais il était connu des juges. Par ailleurs et surtout, la volonté de protéger le locataire, qui soutient cette solution, conduit à penser qu’elle sera maintenue sous l’empire du texte de loi afin d’assurer l’automaticité de la caducité, comme le permet aussi l’approche purement objective de l’indivisibilité confirmée par l’arrêt commenté16.

18. À l’issue de ces développements, on constate que l’adoption de l’article 1186 du Code civil n’a pas conduit la Cour de cassation à modifier son appréhension de l’indivisibilité contractuelle en matière de location financière. Reste que ce texte instaure une exigence nouvelle – la connaissance par « le contractant contre lequel [la caducité] est invoquée » de « l’existence de l’opération d’ensemble » – sur laquelle l’arrêt du 10 janvier 2024 a dû également se prononcer. On constate alors qu’il lui a réservé le même sort.

II – L’article 1186, alinéa 3, désactivé par la présomption irréfragable de connaissance

19. La question de la connaissance « de l’opération d’ensemble » par le bailleur, inclusivement donc du contrat dont l’inexécution est invoquée au soutien de la caducité de la location financière, se pose car, en cette hypothèse et contrairement au crédit-bail, c’est le locataire qui est le contractant-pivot. On ne peut donc, en principe, présumer que le bailleur ait connu l’existence de contrats qu’il n’a pas conclus.

20. En l’espèce, était au cœur du débat l’indivisibilité du contrat de location financière et celui de maintenance auquel la société Leasecom, bailleresse, était tiers.

La cour d’appel avait refusé de prononcer la caducité du premier au motif que cette société n’avait pas été sollicitée lorsque le second avait été signé. Par conséquent, son inexécution ne pouvait lui être opposée. Le pourvoi contestait ce motif, en mettant en avant certaines circonstances d’espèce qui auraient permis, selon la société locataire, de retenir que la bailleresse avait eu connaissance de « l’existence de l’opération d’ensemble », « au jour où elle s’était engagée » (n° 10) : ainsi le fait que les deux contrats avaient été conclus le même jour17 ; ainsi l’obligation pesant sur la locataire, selon le contrat de location financière, « de souscrire un contrat de maintenance ». On pouvait alors en déduire que la société Leasecom ne pouvait que savoir qu’un tel contrat avait dû être conclu. Pouvait-on aller jusqu’à en inférer qu’elle avait eu connaissance du contrat effectivement conclu, c’était sans doute à discuter.

En tout état de cause, l’analyse des circonstances d’espèce semblait s’imposer pour déterminer si cette condition, posée à l’alinéa 3 de l’article 1186, était effectivement remplie. Dans cette logique, le pourvoi demandait, sur ce point, la cassation de l’arrêt d’appel pour manque de base légale.

21. Pourtant, la chambre commerciale casse pour violation de la loi, indiquant que, puisque « le contrat [était] inclus dans une opération comportant une location financière, la société Leasecom avait nécessairement connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble » (n° 13)18. On comprend, et du motif de cassation retenu et de l’adverbe utilisé, qu’en tout état de cause, le bailleur sera considéré comme ayant eu connaissance de tous les contrats conclus par le locataire qui s’inscrivent dans l’opération économique de location financière. Là encore, il s’agit d’une présomption irréfragable qu’aucune circonstance d’espèce, par définition, n’est à même de renverser.

22. Cette décision déjoue les pronostics des auteurs19. Elle ne peut, de prime abord, que paraître très surprenante en effet. Pourtant, après avoir refusé d’infléchir sa jurisprudence de 2013, la Cour de cassation ne pouvait pas en décider autrement. Dans le cadre de son interprétation de l’alinéa 2, elle a en effet opéré un glissement terminologique discret mais significatif. Alors que l’article évoque l’hypothèse où « l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement dune partie », la chambre commerciale fait référence au « consentement des deux parties » (n° 6)20. Cette entorse à la lettre du texte n’est pas ici erronée car l’article 1186 déduit le consentement à l’indivisibilité de l’ensemble contractuel, de la partie qui n’a pas conclu le contrat disparu, du simple silence qu’elle a gardée alors même qu’elle connaissait « l’existence de l’opération d’ensemble ». Hypothèse pour le moins libérale de silence circonstancié (C. civ., art. 1120) mais tel est le système mis en place par le texte.

Par conséquent, dans la mesure où la Cour de cassation continue de déduire de la seule existence d’une opération incluant une location financière l’assentiment des deux parties au caractère déterminant de l’exécution de chaque contrat, elle ne pouvait que décider, à la suite, que la connaissance de cette opération d’ensemble par le bailleur découlait de la même circonstance, le consentement de ce dernier étant fondé sur sa connaissance de l’unité économique de l’opération. En d’autres termes, dans le système mis en place à l’article 1186 du Code civil, on ne peut présumer irréfragablement le consentement du bailleur à l’indivisibilité des contrats sans présumer, tout aussi irréfragablement, sa connaissance de l’opération d’ensemble.

Pour conclure (provisoirement) – Quel avenir pour l’article 1186 du Code civil ?

23. Si cet arrêt, décidément très riche, apporte quelques réponses, il ne lève pas, tant s’en faut, toutes les incertitudes.

24. Au titre des premières, est confirmée, sans ambiguïté, la solution, retenue en matière de location financière, d’une indivisibilité objective, donc automatique, et impérative de l’ensemble des contrats qui y participent. L’adoption de l’article 1186 du Code civil n’y a rien changé.

Par ailleurs, l’insistance avec laquelle la Cour de cassation évoque « une opération incluant une location financière » – mentionnée six fois dans l’arrêt et systématiquement dans les « attendus de principe » (n° 6, 7 et 13) – souligne le caractère très exceptionnel de cette solution. On ne peut que l’approuver, pour deux puissantes raisons qui ont partie liée. D’une part, parce que, « dans une économie faite de relations intriquées, on a vite fait de découvrir des « opérations d’ensemble » (al. 3) partout (…) »21. Il convient alors, au nom de l’effet relatif des conventions, autre principe cardinal du droit des contrats ici en cause, de ne pas en déduire systématiquement « que les participants aux divers maillons des chaînes ainsi créées entendent que le contrat auquel ils participent soit anéanti dans le sillage d’un autre contrat du groupe »22. L’indépendance des contrats doit demeurer le principe. D’autre part, parce que, pour cette même raison, il faut reconnaître que la solution confirmée par la chambre commerciale est maintenue contra legem. Aussi libéral que soit le système de présomption adopté par l’article 1186 du Code civil, le législateur n’a pas souhaité, en effet, évincer la volonté des parties comme fondement de la caducité dans un ensemble contractuel. On comprend dès lors que le choix d’une motivation enrichie ait été écarté car il eût été délicat de justifier plus avant l’inapplication d’un texte nouvellement adopté.

25. Le caractère exceptionnel de la solution entérinée par la chambre commerciale dans son arrêt du 10 janvier 2024 ne peut, néanmoins, dissimuler que demeure, toujours et encore, la lancinante interrogation sur sa portée. C’est avant tout concernant le crédit-bail que la question d’une éventuelle transposition de cette jurisprudence se pose.

Elle a certes, d’ores et déjà, été rejetée par l’arrêt de chambre mixte du 13 avril 2018 qui a précisé que la jurisprudence rendue en matière de location financière n’était « pas transposable au crédit-bail mobilier, accessoire au contrat de vente ». Mais quelle raison justifie ce rejet de toute analogie ? Faisant référence, dans cette même décision, à « la disparition de l’un de ses éléments essentiels », la Cour de cassation semblait, par ailleurs, implicitement inscrire cette solution dans le sillage de l’article 1186, alinéa 1er, du Code civil alors que, dans l’arrêt commenté, la chambre commerciale prend le soin de préciser, dans ses deux visas, que sont appliqués les alinéas 2 et 3 du texte. Mais quelle raison justifie cette différence de fondement ? On espère donc que, lorsque l’occasion lui sera donnée de statuer à nouveau sur cette question en matière de crédit-bail, la Cour de cassation n’aura pas recours à l’imperatoria brevitas, comme dans la décision ici commentée.

26. Enfin, de celle-ci, sort malheureusement renforcé le sentiment d’insatisfaction que l’article 1186 du Code civil avait pu susciter lors de son adoption : sa rédaction ambiguë, née d’une alliance fragile entre deux objectifs contradictoires, le respect de l’unité économique des opérations d’ensemble et celui de la volonté des parties, a conduit à une loi qui, en définitive, laisse aux juges une marge d’appréciation maximale dans l’application de ses conditions. Face à cette véritable délégation normative, on ne peut que s’attendre à ce que les solutions retenues continuent à être diverses et prises, pour certaines, en opportunité économique ou pour des raisons de politique juridique, plus ou moins assumées. L’arrêt du 10 janvier 2024 en atteste.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. Atias, « Les rapports entre le style du Code civil et sa pérennité ou son évolutivité », RRJ 2004/4, Cahiers de méthodologie juridique, n° 19, p. 2757, spéc. n° 20.
  • 2.
    Cass. ch. mixte, 23 nov. 1990, n° 86-19396 – Cass. ch. mixte, 23 nov. 1990, n° 87-17044 – Cass. ch. mixte, 23 nov. 1990, n° 88-16883 : Bull. ch. mixte, n° 2-3 ; JCP G 1991, II 21642, D. Legeais ; D. 1991, p. 121, C. Larroumet ; RTD civ. 1991, p. 360, P. Rémy. – Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, nos 11-22768 et 11-22927 : Bull. ch. mixte, n° 1 ; JCP G 2013, 673, F. Buy ; JCP G 2013, 674, J.-B. Seube ; D. 2013, p. 1658, D. Mazeaud ; RDC oct. 2013, p. 1331, Y.-M. Laithier ; RTD civ. 2013, p. 597, H. Barbier. – Cass. ch. mixte, 13 avr. 2018, n° 16-21947 : Bull. ch. mixte, n° 1 ; RDC sept. 2018, n° RDC115j1, J.-B. Seube ; JCP G 2018, 543, F. Buy ; D. 2018, p. 1185, H. Barbier ; JCP E 2018, 1344, E. Valette et L. Cann.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, n° 95-15642 : Bull. civ. I, n° 224 ; D. 1998, Somm., p. 110, D. Mazeaud ; Rép. Defrénois 1997, p. 1251, L. Aynès. – Cass. com., 13 févr. 2007, n° 05-17407 : Bull. civ. IV, n° 43. – Cass. 1re civ., 13 mars 2008, n° 06-19339 : Bull. civ. I, n° 72.
  • 4.
    Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-15.796, D – Cass. com., 15 févr. 2011, n° 09-16526, D. – Cass. com., 12 juill. 2011, n° 10-22930, D : D. 2012, Pan., p. 464 ; RDC avr. 2012, p. 531, C. Grimaldi. – Cass. 3e civ., 6 mai 2015, n° 13-26723, D – Cass. 3e civ., 7 juill. 2015, n° 14-21701, D. – Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, n° 14-13658, Bull. civ. I, n° 135 – Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, n° 14-17772 : Bull. civ. I, n° 124.
  • 5.
    Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22768 et Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22927 : Bull. ch. mixte, n° 1. Depuis, la position de la chambre commerciale n’avait pas varié.
  • 6.
    O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, ss art. 1186, p. 403-404.
  • 7.
    Cour de cassation, Motivation enrichie – Guide de rédaction, sept. 2023, n° 12.
  • 8.
    V. infra, n°24.
  • 9.
    Cour de cassation, Motivation enrichie – Guide de rédaction, sept. 2023, n° 19.
  • 10.
    Nous soulignons.
  • 11.
    En droit commun du bail, si l’article 1720, alinéa 2, du Code civil, relatif à l’obligation d’entretien qui pèse sur le bailleur, est supplétif, la liberté contractuelle en la matière trouve sa limite dans le respect de l’obligation de délivrance (C. civ., art. 1719) qui, elle, est impérative.
  • 12.
    Dans le sens de la validité de ce type de clause, Cass. 1re civ., 28 oct. 2010, n° 09-68014 : Bull. civ. I, n° 213 ; D. 2011, p. 566, D. Mazeaud ; D. 2011, p. 628, C. Creton.
  • 13.
    En ce sens, pour un crédit-bail : Cass. com., 15 févr. 2000, n° 97-19793 : Bull. civ. IV, n° 29 ; D. 2000, Somm., p. 364, P. Delebecque ; Rep. Defrénois 2000, p. 1118, D. Mazeaud ; RTD civ. 2000, p. 325, J. Mestre et B. Fages. De même, en matière de location financière : Cass. com., 24 avr. 2007, n° 06-12443, D : RDC avr. 2008, p. 276, D. Mazeaud. – Cass. com., 23 oct. 2007, n° 06-19976, D.
  • 14.
    V. infra, n° 25.
  • 15.
    Cass. com., 20 oct. 2021, n° 19-24796, B : D. 2021, p. 2172, L. Debeaudouin.
  • 16.
    En l’espèce, la cour d’appel s’était également fondée sur « la faculté dont disposait l’association de conclure un nouveau contrat de maintenance » pour dénier à cette dernière la possibilité « d’invoquer une disparition rendant impossible la maintenance au sens de l’article 1186 du Code civil » (n° 8). Ce motif n’ayant pas été directement critiqué par le pourvoi, la Cour de cassation n’en précise pas la pertinence. Il aurait néanmoins très vraisemblablement été écarté, les faits d’espèce étant très similaires à ceux ayant conduit à l’arrêt précité du 20 octobre 2021.
  • 17.
    Approuvant les juges du fond d’avoir retenu cet indice pour fonder l’interdépendance des contrats, Cass. com., 12 juill. 2017, n° 15-27703, B : JCP 2017, 1021, F. Buy ; RTD civ. 2017, p. 846, H. Barbier ; RDC déc. 2017, n° RDC114u5, T. Genicon.
  • 18.
    Nous soulignons.
  • 19.
    O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 403 : « Une chose est certaine : l’alinéa 3 de l’article 1186 permet de tenir à distance la conception purement objective de l’interdépendance contractuelle qui aurait pu résulter du seul alinéa 2 ». Ces auteurs en avaient déduit que « la jurisprudence du 17 mai 2013 (…) semble écartée ».
  • 20.
    Nous soulignons.
  • 21.
    O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, spéc. p. 400.
  • 22.
    O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, spéc. p. 400.
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