De la distinction entre l’absence d’autorisation préalable du curateur au mariage du majeur en curatelle et le défaut de consentement

Publié le 17/11/2017

La première chambre civile de la Cour de cassation en rejetant le pourvoi en date du 20 avril 2017 estime que l’absence d’autorisation préalable du curateur au mariage du majeur en curatelle ne correspond pas à un défaut de consentement, au sens de l’article 146 du Code civil, mais à un défaut d’autorisation, au sens de l’article 182 du même code.

Cass. 1re civ., 20 avr. 2017, no 16-15632, FS-PBI

1. Même s’il est possible de donner une traduction littérale du régime juridique de la curatelle, cela ne dispense pas pour autant de revenir sur la délicate question de l’absence d’autorisation préalable du curateur au mariage à l’étranger du majeur en curatelle. En l’espèce1, le curatélaire M. X, de nationalité française, et Mme Ahmed Y, de nationalité algérienne, se sont unis le 17 janvier 2013 à Hussein Dey (Algérie), sans avoir obtenu de l’officier de l’état civil consulaire français à Alger le certificat de capacité à mariage qu’ils avaient sollicité trois jours auparavant. Conformément à l’article 171-4 du Code civil, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes a formé opposition à la célébration du mariage. En défense, le 26 juin 2014, M. X, assisté de Mme Z, sa curatrice, a assigné le procureur de la République aux fins d’en obtenir la mainlevée. Ces derniers arguaient que le défaut d’autorisation préalable du curateur au mariage de la personne sous curatelle n’équivaut pas à un défaut de consentement de celle-ci au mariage, de sorte qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 146, 171-4 et 460, alinéa 1er, du Code civil. Cet arrêt illustre parfaitement les diverses techniques auxquelles la Cour de cassation a recourt pour former sa jurisprudence obiter dictum notamment en formant un attendu finement ciselé qui précise que : « si l’absence d’autorisation préalable du curateur au mariage du majeur en curatelle ne correspond pas à un défaut de consentement, au sens de l’article 146 du Code civil, mais à un défaut d’autorisation, au sens de l’article 182 du même code, sanctionné par la nullité relative et de nature à être couvert par l’approbation du curateur, en revanche, le défaut de consentement de l’époux lui-même est un motif de nullité absolue, lequel ouvre au ministère public une action en annulation du mariage, sur le fondement de l’article 146 du Code civil, et la voie de l’opposition prévue à l’article 171-4, lorsque la célébration est envisagée à l’étranger et que des indices sérieux laissent présumer une cause d’annulation ».

2. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 juin 2012 de la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 460, alinéa 1er, du Code civil et qui a déclaré conforme à la Constitution cette disposition qui soumet le mariage d’un majeur sous curatelle à autorisation du curateur et, à défaut, du juge des tutelles2. Il apparaît donc que pour la haute juridiction l’absence d’autorisation du curateur n’équivaut pas à un défaut de consentement (I) dont l’inobservation entraîne des sanctions de nature différente (II).

I – Mariage d’un majeur sous curatelle

3. Pour les magistrats de la Cour de cassation le défaut de consentement du curatélaire (A) ouvre au ministère public une action en annulation du mariage, sur le fondement de l’article 146 du Code civil, et la voie de l’opposition prévue à l’article 171-4, lorsque la célébration est envisagée à l’étranger et que des indices sérieux laissent présumer une cause d’annulation (B).

A – Absence d’autorisation du curateur et défaut de consentement

4. De manière globale, la question de l’autorisation des personnes habilitées à consentir au mariage des incapables n’est pas clairement déterminée par la loi. Le mariage d’une personne en curatelle n’est permis qu’avec l’autorisation du curateur ou, à défaut, celle du juge dit la loi. Françoise Dekeuwer-Défossez explique que « la Cour de cassation analyse le défaut d’autorisation préalable du curateur ou d’autorisation supplétive du juge des tutelles comme un défaut de consentement, au sens de l’article 146 du Code civil, lequel doit être préalable à la célébration du mariage »3. Dans l’arrêt rapporté, la haute juridiction précise clairement que « si l’absence d’autorisation préalable du curateur au mariage du majeur en curatelle ne correspond pas à un défaut de consentement, au sens de l’article 146 du Code civil, mais à un défaut d’autorisation, au sens de l’article 182 du même code, sanctionné par la nullité relative et de nature à être couvert par l’approbation du curateur, en revanche, le défaut de consentement de l’époux lui-même est un motif de nullité absolue, lequel ouvre au ministère public une action en annulation du mariage, sur le fondement de l’article 146 du Code civil, et la voie de l’opposition prévue à l’article 171-4, lorsque la célébration est envisagée à l’étranger et que des indices sérieux laissent présumer une cause d’annulation »4.

5. Au grand dam de la doctrine la cour d’appel de Rennes avait considéré « il découle nécessairement de la règle édictée à l’article 180 du Code civil, que ce texte protège non seulement l’intérêt particulier des cocontractants, mais aussi instaure un ordre public de protection confié au ministère public, qui est habilité spécialement par ce texte au sens des articles 422 et 423 du Code de procédure civile, à contester la validité d’un mariage contracté sans le consentement libre de l’un des époux ; le mariage d’une personne sous curatelle sans le consentement préalable de son curateur ou du juge des tutelles (article 460 du Code civil) correspond à un mariage sans consentement, contracté en contravention aux dispositions de l’article 146 du Code civil qui énonce qu’il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement, qui fonde une nullité absolue et qui peut être attaqué par le ministère public conformément aux dispositions des articles 184 et 190 du Code civil ; le régime de nullité absolue du mariage pour absence de consentement, tel que prévu à l’article 146 du Code civil, diffère du régime des autorisations préalables fixé à l’article 460 du même code ; le ministère public soutient à juste titre que l’autorisation a posteriori effectuée par le nouveau curateur n’a aucune conséquence légale et ne peut régulariser l’irrégularité de la validité du consentement, que l’autorisation doit être antérieure à la célébration du mariage afin que le curateur puisse s’assurer du consentement libre et éclairé du majeur protégé ; en conséquence, le mariage litigieux est dépourvu de validité, faute de consentement valablement exprimé par l’époux, majeur protégé, par application des dispositions des articles 146, 180 et 460, alinéa 1er, du Code civil en l’absence d’autorisation préalable de son curateur »5. L’arrêt annoté vient censurer cette position adoptée par les juges rennais.

B – Conformité de l’opposition du parquet à la constitution

6. Si le parquet est omniprésent à tous les stades de la procédure, de l’ouverture à la fin de la mesure de protection judiciaire6, c’est en matière d’opposition à mariage d’un majeur sous curatelle que depuis la décision n° 2012-260 QPC du 29 juin 2012, le Conseil constitutionnel a validé l’encadrement législatif du mariage d’une personne en curatelle7. En effet, les Sages considèrent que « selon l’article 176 du Code civil, l’acte d’opposition, à peine de nullité, est motivé et reproduit le texte sur lequel elle est fondée ; que l’opposition du ministère public ne cesse de produire effet que sur décision judiciaire ; que les articles 177 et 178 du Code civil prévoient que les futurs époux peuvent en demander la mainlevée au tribunal de grande instance qui se prononce dans les dix jours ; qu’en cas d’appel, la cour d’appel se prononce dans le même délai ; qu’il appartient en tout état de cause au procureur de la République, qui fonde son opposition sur l’article 146 du Code civil en invoquant la simulation, de rapporter la preuve que la célébration n’est envisagée qu’à des fins étrangères à l’union matrimoniale ; que, compte tenu des garanties ainsi instituées, la faculté donnée au procureur de la République par l’article 175-1 du Code civil de s’opposer à des mariages qui seraient célébrés en violation de règles d’ordre public, ne peut être regardée comme portant une atteinte excessive à la liberté du mariage »8.

7. Le droit d’opposition appartenant au ministère public est selon le professeur Jean-Jacques Lemouland un dispositif que « le législateur, soucieux de lutter contre les mariages fictifs, a consacré cette solution (C. civ., art. 175-1), en prévoyant expressément la faculté du ministère public de faire opposition dans les hypothèses où il pourrait demander la nullité du mariage. À cela il convient d’ajouter le cas particulier de l’article 175-2 du Code civil qui ouvre la possibilité d’opposition au procureur de la République, saisi par l’officier de l’état civil lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer que le mariage envisagé est susceptible d’être annulé pour défaut ou vice du consentement »9.

II – Sanction des règles gouvernant le mariage d’un majeur sous curatelle

8. Le régime des nullités gouvernant le mariage d’un majeur sous curatelle exige de revenir sur le fondement de l’action en nullité pour défaut d’autorisation du curateur (A) ainsi qu’en cas d’absence de consentement du curatélaire (B).

A – Nullité relative : défaut d’autorisation du curateur

9. Une très forte discussion doctrinale et jurisprudentielle s’est instaurée à propos de la sanction du défaut d’autorisation du curateur au mariage du majeur en curatelle. L’article 182 du Code civil dispose que « le mariage contracté sans le consentement des père et mère, des ascendants, ou du conseil de famille, dans les cas où ce consentement était nécessaire, ne peut être attaqué que par ceux dont le consentement était requis, ou par celui des deux époux qui avait besoin de ce consentement ». On sait que l’action en nullité contre un mariage prononcé sans le consentement du curateur reste prescrite dans le délai prévu par l’article 183 du Code civil10 qui dispose que « l’action en nullité ne peut plus être intentée ni par les époux, ni par les parents dont le consentement était requis, toutes les fois que le mariage a été approuvé expressément ou tacitement par ceux dont le consentement était nécessaire, ou lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de leur part, depuis qu’ils ont eu connaissance du mariage. Elle ne peut être intentée non plus par l’époux, lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de sa part, depuis qu’il a atteint l’âge compétent pour consentir par lui-même au mariage ». De surcroît, le rapporteur précise que « la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 a porté ce délai d’un à cinq ans. En conséquence, le curateur ne peut plus intenter l’action en nullité du mariage auquel il n’a pas consenti, lorsqu’il s’est écoulé plus de cinq ans sans réclamation de sa part depuis qu’il en a eu connaissance »11.

10. Dans l’arrêt annoté, la Cour de cassation précise clairement que « l’absence d’autorisation préalable du curateur au mariage du majeur en curatelle ne correspond pas à un défaut de consentement, au sens de l’article 146 du Code civil, mais à un défaut d’autorisation, au sens de l’article 182 du même code, sanctionné par la nullité relative et de nature à être couvert par l’approbation du curateur, en revanche, le défaut de consentement de l’époux lui-même est un motif de nullité absolue, lequel ouvre au ministère public une action en annulation du mariage, sur le fondement de l’article 146 du Code civil, et la voie de l’opposition prévue à l’article 171-4, lorsque la célébration est envisagée à l’étranger et que des indices sérieux laissent présumer une cause d’annulation ».

B – Nullité absolue : défaut de consentement du curatélaire

11. La décision annotée interroge de nouveau sur la distinction entre la nullité absolue qui serait toujours d’ordre public de direction, tandis que la nullité relative ne serait jamais prescrite que pour des motifs intéressant un ordre public de protection12. Sans ambages, la Cour de cassation affirme dans l’arrêt annoté que « le défaut de consentement de l’époux lui-même est un motif de nullité absolue, lequel ouvre au ministère public une action en annulation du mariage, sur le fondement de l’article 146 du Code civil, et la voie de l’opposition prévue à l’article 171-4, lorsque la célébration est envisagée à l’étranger et que des indices sérieux laissent présumer une cause d’annulation ». Il reste la délicate question de la valeur de l’autorisation tacite du curateur au mariage du curatélaire, qui serait toutefois opportun de clarifier tant par le législateur que par la jurisprudence13.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C.L.G., « L’autorisation à mariage du curateur ne peut couvrir le défaut de consentement de l’époux sous curatelle », Dr. & patr. hebdo, n° 1099, p. 1 ; Guiomard P., « Mariage du majeur protégé sans autorisation : nullité absolue ou nullité relative ? » Dalloz actualité, 2 mai 2017.
  • 2.
    Verheyde T., « Mariage d'une personne sous curatelle : épilogue – Cass. 1re civ. 5 décembre 2012 », AJ fam. 2013, p. 61 ; Lamarche M. et Lemouland J.-J., Mariage (« 20 conditions de formation du mariage », in Répertoire Droit civil, Dalloz).
  • 3.
    Dekeuwer-Défossez F. et Desolneux M., « Le majeur sous curatelle », Le Lamy Droit des personnes et de la famille, n° 307-71.
  • 4.
    Batteur A., « Opposition à mariage d’un majeur sous curatelle par le ministère public », LEFP mai 2017, n° 110m9, p. 5.
  • 5.
    CA Rennes, 6e ch. A, 12 sept. 2016, n° 15/04331.
  • 6.
    Sévely-Fournié C., « Quel rôle pour le parquet dans la protection juridique des majeurs ? », D. 2009, p. 1221.
  • 7.
    Dekeuwer-Défossez F. et Desolneux M., « Le mariage : contrat ou institution ? », Le Lamy Droit des personnes et de la famille, n° 307-5.
  • 8.
    Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC.
  • 9.
    Lemouland J.-J., « Conditions de forme du mariage. Énumération des titulaires », in Murat P. (dir.), Droit de la famille 2016-2017, chap. 113, 2016, Dalloz action, n° 113.61.
  • 10.
    Blessig É., Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (n° 3462), portant réforme de la protection juridique des majeurs : http://www.assemblee-nationale.fr/1.
  • 11.
    Ibid.
  • 12.
    Posez A. « La théorie des nullités », RTD civ. 2011, p. 647, spéc. n° 68.
  • 13.
    Coste L., « Le droit de l’agence de publicité au bénéfice des protections prévues par le Code de la propriété intellectuelle », Le Lamy Droit des médias et de la communication, n° 609-50.
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