Gestation pour autrui et reconnaissance du parent d’intention : encore un pas à franchir…

Publié le 16/08/2017

Quatre arrêts de la Cour de cassation rendus le 5 juillet 2017 viennent clarifier la situation des couples qui recourent à une convention de mère porteuse à l’étranger. Pour que les parents d’intention puissent être reconnus en France, il faudra procéder en deux étapes. D’abord, il faudra solliciter la transcription de l’acte de naissance en France dans la limite de la mention du parent biologique. Ensuite, et à condition que les conditions requises soient remplies, le conjoint pourra solliciter l’adoption de l’enfant.

Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, no 15-28597

Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, no 16-16455

L’infertilité est un problème qui a toujours existé. Et le recours à une mère de substitution est une solution très ancienne. On la mentionne dans l’Ancien Testament. Ainsi, dans la Genèse, chapitre 16, il est dit que Saraï, l’épouse d’Abram, ne pouvant enfanter, donna Agar, sa servante égyptienne, pour femme à son mari. Toutefois, lorsqu’elle fut enceinte, la servante méprisa la maîtresse qui la maltraita jusqu’à ce qu’elle s’enfuie. Certes après avoir rencontré l’ange éternel, Agar reviendra et accouchera d’Ismaël. Mais l’histoire incite à réfléchir sur les questions d’éthiques que pose la gestation pour autrui. Celles-ci concernent spécialement les droits de la mère de substitution quant au risque de marchandisation du corps humain et d’atteinte à la dignité humaine. Se pose aussi le problème du respect du lien qui s’établit entre la mère et l’enfant pendant la grossesse. Quoi qu’on en pense, il devient urgent de clarifier les choses car le contentieux n’est pas près de se tarir, au contraire ! La loi du 17 mai 2013 qui a ouvert le mariage aux couples de même sexe et légalisé l’adoption conjointe par un couple homosexuel conduit à alimenter le contentieux car les couples d’homosexuels qui veulent « enfanter » n’ont pas d’autre choix que de recourir aux techniques de procréation médicalement assistée ou à la gestation pour autrui, d’où une incitation au tourisme procréatif1.

Toujours est-il que dans le monde, et en Europe, les réponses varient2. Ainsi, en France, depuis la loi du 29 juillet 19943, l’article 16-7 du Code civil dispose que « toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». D’autres États européens se placent également dans cette logique prohibitive. C’est le cas notamment de l’Allemagne, de l’Italie, du Portugal ou de l’Autriche.

Parallèlement, plusieurs États, tels l’Irlande, la Hongrie, le Danemark ou les Pays-Bas tolèrent la GPA tandis que le Royaume-Uni l’a légalisée en 1985, de même que la Grèce par deux lois en 2002 et 2005. Toutefois, il ne s’agit dans tous les cas que d’une gestation pour autrui altruiste. Seule la Roumanie autorise la GPA rémunérée. Ce petit tour d’horizon à l’échelle de l’Union européenne montre à quel point il est difficile de trancher unanimement la question de la réception de la GPA en droit. D’un autre côté, il est difficile d’ignorer que dans des pays où la GPA est autorisée, tels l’Inde ou l’Ukraine, les mères porteuses sont souvent dans un état de détresse financière et, par certains côtés, il est indéniable que la gestation pour autrui peut alors être comparée à de l’esclavage ou de la traite4.

Quoi qu’il en soit, dès 1991, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a condamné la convention par laquelle une femme s’engage, « fût-ce à titre gratuit », à concevoir et à porter un enfant pour le remettre à sa naissance à des parents d’intention, car elle constitue un détournement de l’institution de l’adoption et contrevient « tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’état des personnes »5.

Mais le débat a été relancé il y a quelques années, surtout après la loi du 17 mai 20136 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. En effet, le texte a permis par l’adoption, l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et deux personnes de même sexe, sans restriction relative au mode de procréation. Or, inévitablement, deux hommes qui souhaitent avoir ensemble un enfant vont recourir à une mère de substitution.

Dès lors, nombreux sont ceux qui chaque année passent les frontières pour se rendre dans un pays permissif afin d’y conclure une convention de gestation pour autrui. Or, c’est une chose d’obtenir à l’étranger ce que l’on ne peut faire en France, c’en est une autre que d’y faire reconnaître cette situation créée à l’étranger.

On se souvient qu’en 20157, la Cour de cassation avait admis que l’acte de naissance étranger d’un enfant issu d’une GPA puisse être transcrit sur les registres de l’état civil français pour peu qu’il reflète la réalité et mentionne le père et la mère biologiques.

Mais la question de la reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard du parent social ne s’était pas posée.

Les arrêts du 5 juillet 2017 clarifient ce point.

Dans trois des affaires soumises à la Cour de cassation, un couple avait eu recours à une mère porteuse, respectivement en Californie, en Russie et en Inde. Dans les deux premiers cas, les couples avaient sollicité la transcription en France, de l’acte de naissance établi par les autorités étrangères, lequel avait la particularité de mentionner le nom du père biologique et celui de son épouse qui n’était que la mère d’intention. Mais le procureur de la République s’y était opposé au motif du recours à une GPA interdite et frappée de nullité en France. Quant au couple qui avait mené son projet d’enfant en Inde, il avait obtenu un acte de naissance du consulat français à Bombay, lequel avait fait l’objet d’un recours en annulation par le procureur de la République.

En réalité, la question qui se posait à la Cour de cassation dans chacun de ces cas n’est pas tant celle de la reconnaissance de la filiation du père que celle de la reconnaissance de la filiation à l’égard de la mère d’intention. La réponse de la Cour de cassation était relativement prévisible. En se fondant sur l’article 47 du Code civil relatif à la reconnaissance des actes d’état civil étrangers, la cour précise que la filiation maternelle n’est pas conforme à la réalité et que partant, l’acte étranger ne doit être que partiellement transcrit, à l’égard du père biologique. Elle ajoute que ce faisant, le droit de l’enfant au respect de sa vie privée et familiale n’est pas remis en cause.

Dans une quatrième affaire, un homme avait conclu une convention de gestation pour autrui avec une mère de substitution aux États-Unis. L’acte de naissance dressé outre-Atlantique mentionnait le nom du père qui avait fourni ses propres gamètes et celui de la mère porteuse qui était aussi génitrice. De retour en France, le père avait épousé son compagnon et ce dernier avait fait une demande d’adoption simple. Mais cette demande a été rejetée par les juges du fond au motif que le père avait eu recours à une GPA, nulle d’une nullité d’ordre public. Or la Cour de cassation censure les juges du fond car « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

La lecture combinée de ces différentes espèces semble fixer le sort du parent d’intention. Celui-ci n’est pas reconnu dans l’acte de naissance de l’enfant (I) mais, il peut, par la suite, établir un lien de filiation à son égard par le biais de l’adoption (II).

I – L’absence de reconnaissance du parent d’intention

À vrai dire, l’approche de la question de la filiation du parent d’intention pourrait se concevoir de deux façons différentes. On pourrait raisonner en termes de conflits de lois ou en termes de reconnaissance.

Le pourvoi n° 16-16901 invitait la Cour de cassation à emprunter cette voie en invoquant la violation des articles 3 et 311-14 du Code civil. Le premier de ces textes est fondateur des règles de conflit de lois, quant au second, il désigne la loi nationale de la mère à la naissance de l’enfant pour régir sa filiation. Nul doute qu’en l’espèce, si l’on avait appliqué la loi étrangère de la mère biologique, celle-ci permettait de mentionner dans l’acte de naissance la mère sociale. Toutefois, on peut douter du succès d’un tel raisonnement. En effet, le juge ne serait-il pas alors amené à exclure l’application de la loi étrangère au nom de l’ordre public international français ? En outre, ne pourrait-il pas également considérer que l’article 16-7 du Code civil est une loi d’application immédiate, quelle que soit la loi normalement applicable8 ?

Mais surtout il n’est pas question d’établir la filiation de l’enfant. Il s’agit juste de reconnaître un acte dressé par une autorité publique étrangère.

D’ailleurs, dans l’arrêt n° 825, du 5 juillet 20179, le procureur de la République reprochait à la cour d’appel d’avoir admis la transcription de la mention de la mère d’intention au motif que si l’on ne reconnaît pas la mère, on ne saurait pouvoir appliquer la présomption de l’article 312 du Code civil selon laquelle le père est le mari de la mère. Or, à cet égard, la Cour de cassation considère qu’il s’agit là d’un motif erroné car l’objet de la transcription d’un acte d’état civil étranger, c’est uniquement de rendre opposable la filiation telle qu’elle a été énoncée dans l’acte étranger et non pas d’établir la filiation, laquelle pourra toujours être contestée ultérieurement.

La Cour de cassation ne s’engage donc pas dans un raisonnement en termes de conflits de lois. Elle se contente de raisonner en termes de reconnaissance.

Un acte d’état civil étranger n’est pas un jugement. Aussi, le contrôle de sa régularité ne doit-il pas être assimilé à un contrôle préalable à l’exequatur d’un jugement10. Il convient cependant de vérifier qu’il ne heurte pas l’ordre public international et qu’il est exempt de fraude11. C’est ce fondement qui jusqu’en 2013/2014 avait été utilisé par la Cour de cassation pour justifier la non-transcription des actes de naissance d’enfants issus d’une GPA12.

Mais depuis les deux arrêts d’assemblée plénière du 3 juillet 2015, la donne a changé. La question de la transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger doit être examinée à la seule lumière de l’article 47 du Code civil qui touche à la force probante de l’acte étranger.

L’article 47 dispose que tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même, établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Cependant de quelle réalité s’agit-il ? Les parents d’intention dans les trois affaires soumises à la Cour de cassation plaidaient pour la réalité juridique, à savoir celle qui existe au jour où l’acte de naissance est dressé dans le pays de naissance de l’enfant conformément aux règles de droit qui y sont applicables. La Cour de cassation affirme au contraire qu’il s’agit de la réalité biologique, ou plus exactement, la réalité de l’accouchement. La mère qui doit être indiquée dans l’acte de naissance est celle qui a accouché. Pour le père, la situation est moins évidente. Dans l’affaire n° 15-28597, la Cour de cassation censure les juges du fond qui avaient refusé la transcription de l’acte de naissance vis-à-vis du père au motif qu’il ne faisait pas état d’une expertise biologique judiciaire. En effet, pour la Cour de cassation, il suffit qu’il n’existe pas d’éléments de preuve contraire. Ici encore, la cour rappelle la ligne de démarcation entre l’établissement de la filiation et la simple transcription d’un acte étranger.

Quoi qu’il en soit, en reconnaissant uniquement au parent biologique le droit de figurer dans l’acte de naissance transcrit en France, la Cour de cassation retient une interprétation stricte de l’article 47 et cela aboutit à une transcription à géométrie variable13. Or cette transcription à géométrie variable n’est pas sans rappeler le concept de révision pourtant condamné par la jurisprudence Munzer14.

D’un autre côté, la Cour de cassation respecte à la lettre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Effectivement, dans ses arrêts Mennesson et Labassée15, rendus contre la France, la CEDH s’est fondée sur l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme pour considérer que le fait de priver un enfant issu d’une GPA à l’étranger du droit de faire transcrire sa filiation dans les actes de l’état civil français s’analyse en une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’Homme estime que le refus de reconnaître la mère d’intention poursuit deux buts légitimes : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ». En fait, il s’agit là de décourager la pratique des GPA, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du Code civil. Et c’est en suivant ce même raisonnement que la Cour de cassation écarte les arguments du pourvoi dans l’arrêt du 5 juillet 201716 qui soutenait une lecture maximaliste de la jurisprudence de la CEDH en arguant de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme à raison du refus de transcription de l’acte de naissance s’agissant de la filiation à l’égard de la mère affective.

De même, la Cour de cassation considère que le refus de transcription à l’égard de la mère d’intention ne crée pas de discrimination injustifiée en raison de la naissance (art. 14) et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi.

De fait, la reconnaissance partielle de la filiation de l’enfant lève nombre d’obstacles administratifs dans sa vie quotidienne. Il se verra automatiquement reconnaître la nationalité française17, il sera enregistré auprès de la sécurité sociale… Mais il ne s’agit là que d’une voie médiane de compromis qui n’est pas totalement satisfaisante. On peut redouter des difficultés tenant à l’exercice de l’autorité parentale, notamment en cas de rupture, le seul parent biologique pourrait décider unilatéralement de rompre tout lien entre l’enfant et son deuxième parent. De même, les droits successoraux de l’enfant vis-à-vis de son parent affectif sont inexistants sauf à prévoir un legs mais le traitement fiscal en sera pénalisant.

Toutefois, le remède est apporté par la Cour qui poursuit en indiquant que l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père.

Malgré tout, on se demande si la solution ainsi consacrée par la Cour de cassation est généralisable à tous les cas de figure.

En effet, la gestation pour autrui recouvre différentes hypothèses notamment lorsque le couple d’intention est hétérosexuel. Parfois, la mère d’intention peut fournir des ovocytes. Auquel cas, il est possible de développer un embryon in vitro avec les gamètes du mari ou du compagnon, puis de l’implanter dans l’utérus de la mère porteuse qui ne joue alors qu’un rôle de gestatrice tandis que les deux parents d’intention transmettent leur patrimoine génétique à l’enfant. Dans une telle hypothèse, l’acte de naissance étranger qui indiquerait le nom des deux parents d’intention serait conforme à la vérité biologique puisque les deux parents d’intention seraient aussi géniteurs. Cela devrait donc militer pour la transcription de l’acte de naissance sur les registres de l’état civil français. Pourtant, la réponse n’est pas si certaine car on opposera sans doute le fait que la mère d’intention n’a pas accouché… Il est clair dans ces conditions que le principe selon lequel la mère est celle qui accouche18 n’est plus adapté aux évolutions de notre société19, et qu’il faudrait redéfinir le concept de maternité.

Parallèlement, un embryon issu de donneurs anonymes peut aussi être transféré dans l’utérus de la mère porteuse et dans cette hypothèse, les deux parents d’intention n’ont aucun lien génétique avec l’enfant. Cette situation est celle qui a donné lieu à l’arrêt Paradiso et Campanelli de la CEDH20. Dans cette affaire, qui concernait l’Italie, la mère porteuse avait accouché d’un bébé qui n’avait aucun lien biologique avec ses parents d’intention, pas plus qu’il n’en avait avec la mère de substitution. Les autorités italiennes avaient refusé d’enregistrer le certificat de naissance établi en Russie car les requérants furent accusés d’altération d’état civil et d’infraction à la loi sur l’adoption, en outre, elles avaient placé l’enfant en famille d’accueil. Or la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné l’Italie pour violation de l’article 8 de la Convention EDH du fait de l’éloignement de l’enfant en foyer d’accueil, tout en affirmant que ce constat de violation n’oblige pas l’État à remettre l’enfant aux requérants en raison des liens affectifs qu’il a pu nouer avec la famille d’accueil. En revanche, elle maintient l’idée que la transcription de l’acte étranger doit être garantie dans la mesure de la réalité biologique21.

Dès lors, des parents d’intention sans lien génétique avec l’enfant ne pourraient pas obtenir la transcription de l’acte de naissance étranger qui les mentionne en tant que père et mère. Peut-être leur reste-t-il la possibilité d’adopter l’enfant.

II – Possibilité d’adoption par le parent d’intention

À vrai dire, dans la mesure où le parent d’intention ne peut pas faire reconnaître en France le lien de filiation établi à l’étranger, il ne lui reste plus qu’à tenter d’établir un lien de filiation en France. Or, s’agissant de la mère d’intention, il lui est impossible de faire une reconnaissance que le ministère public pourra facilement contester puisqu’il lui suffit de démontrer que la mère n’a pas accouché22. Cela veut dire que la reconnaissance ne pourra pas être effectuée par la mère d’intention alors même qu’elle aurait fourni ces ovocytes. Pour les mêmes raisons, la filiation maternelle établie par possession d’état constatée dans un acte notarié pourra être remise en cause23.

Les mêmes problèmes se retrouvent à l’égard du père d’intention, un simple test d’ADN prouvera qu’il n’est pas le père biologique.

Il ne reste donc plus que la voie de l’adoption, simple ou plénière.

Dans l’une des affaires soumises à la Cour de cassation le 5 juillet 201724, les juges du fond avaient rejeté la demande d’adoption simple du mari du père biologique d’un enfant conçu aux États-Unis grâce à une mère porteuse car, la naissance de l’enfant résultait « d’une violation, (par le père biologique) des dispositions de l’article 16-7 du Code civil, aux termes duquel toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle d’une nullité d’ordre public ». Ce faisant, la cour d’appel avait repris la solution consacrée par un arrêt de l’assemblée plénière du 31 mai 1991 dans lequel la haute juridiction avait affirmé que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention n’était que « l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère, et (…) constituait un détournement de l’institution de l’adoption »25.

Toutefois, entre-temps, la Cour de cassation a rendu deux avis le 22 septembre 201426, relatifs à l’adoption, par une femme, de l’enfant de son épouse qui avait eu recours aux techniques de PMA en Angleterre. Il faut dire que cette situation risque de devenir courante. En effet, depuis la loi du 17 mai 2013, l’article 345-1 du Code civil dispose « l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise :

1° lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint ;

1 bis lorsque l’enfant a fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul conjoint et qu’il n’a de filiation établie qu’à son égard ;

2° lorsque l’autre parent que le conjoint s’est vu retirer totalement l’autorité parentale ;

3° lorsque l’autre parent que le conjoint est décédé et n’a pas laissé d’ascendant au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l’enfant ».

Or l’assimilation des couples mariés hétérosexuels aux couples mariés homosexuels donne à tous le droit d’adopter l’enfant biologique du conjoint (C. civ., art. 345-1, 1°), né d’une précédente ou autre relation. Pour les couples homosexuels, cela implique presque nécessairement que l’enfant sera né à l’issue d’un processus médical ou d’une gestation pour autrui.

La Cour de cassation a donc tiré les conséquences de cette évolution législative et a considéré que « le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

Cependant, outre qu’un avis ne lie pas la juridiction qui l’a rendu27, la formulation était bien précise et ne concernait que l’adoption post PMA. Et l’on pouvait donc sérieusement douter de la généralisation de la solution.

Assurément, les homosexuels ne peuvent recourir ni à la PMA, ni à la GPA. Malgré tout, les deux hypothèses sont différentes. La PMA est permise sous conditions aux couples hétérosexuels tandis que la convention de GPA est frappée d’une nullité absolue. En d’autres termes, si le recours à l’une ou l’autre de ces techniques est répréhensible, le degré de gravité n’est pas le même. D’ailleurs, en réponse à un député qui sollicitait un éclairage à propos des développements récents en matière de tourisme procréatif et d’adoption, le ministre de la Justice a bien distingué l’hypothèse d’une adoption post PMA qu’il convient de tolérer au nom de l’intérêt de l’enfant et la situation post GPA où il faut juste respecter l’équilibre entre l’intérêt de l’enfant et la prohibition d’ordre public fulminé par le Code civil à l’encontre de la GPA, ce qui conduit simplement à délivrer un certificat de nationalité française à l’enfant.

Pourtant, dans l’arrêt du 5 juillet 201628, la Cour de cassation a décidé que « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ». Selon nous, rien ne s’oppose à ce que la solution soit étendue aux couples hétérosexuels.

Toutefois, cette adoption doit répondre aux conditions prévues par les articles 343 à 350 du Code civil, s’agissant de l’adoption plénière, et les articles 360 à 36229, s’agissant de l’adoption simple.

Or l’une des conditions tient au consentement des parents biologiques : lorsque la filiation est établie à l’égard des père et mère, tous deux doivent consentir à l’adoption de leur enfant.

Dans l’affaire sous commentaire, l’acte de naissance portait le nom du père et de la mère porteuse. L’adoption par le conjoint du père de l’enfant impliquait donc le consentement de la mère. Or sur ce point, les juges du fond avaient considéré que le consentement de la mère porteuse était dépourvu de toute efficacité. En réalité, la solution s’inspirait d’une jurisprudence stable de la Cour de cassation depuis son arrêt d’assemblée plénière de 19913031. La convention de gestation pour autrui étant nulle, le consentement ultérieur à l’adoption était sans aucune valeur juridique.

On assiste ici à un revirement de la jurisprudence de la cour qui confirme et généralise la solution adoptée dans ses avis de septembre 2014. En fait, le consentement de la mère porteuse s’apprécie strictement au regard des conditions de l’adoption. Ainsi, il convient juste de relever l’existence, la sincérité et l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère biologique.

La solution ainsi consacrée ménage l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être toujours pris en compte pour toute décision le concernant32. Néanmoins, elle n’est pas pleinement satisfaisante. Il y a une certaine abnégation devant le fait accompli qui dérange. En effet, en définissant ainsi la marche à suivre pour mener à terme et obtenir le résultat escompté d’une GPA effectuée à l’étranger : à savoir, pour un couple, d’être reconnu comme parents des enfants, n’y a-t-il pas une invitation faite aux couples en mal d’enfant à se rendre à l’étranger dans des pays où la condition des mères porteuses est parfois déplorable ? On encourage une véritable commercialisation33. Dès lors ne vaudrait-il pas mieux réformer notre droit interne sur la question de la GPA, ou légiférer au niveau international ?

En attendant, on laisse se créer une inégalité vis-à-vis des couples qui n’ont pas 50 000 € en moyenne pour couvrir les frais d’une GPA à l’étranger.

Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de noter qu’au cours des deux dernières années plusieurs propositions de lois ont été faites pour lutter contre le recours à une mère porteuse34 ou bien lutter contre les démarches engagées à l’étranger par des Français pour obtenir une gestation pour autrui35. Jusqu’à présent ces propositions n’ont pas abouti faute de consensus, ce qui reflète assez bien le malaise à propos de la GPA.

Dès lors, que penser d’un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 6 mars 201736 qui avait accueilli une demande de transcription d’un acte de naissance étranger à l’égard des deux parents d’intention sans se préoccuper de leurs liens biologiques avec l’enfant et en insistant sur le principe d’égalité de tous les enfants sans distinction de naissance tel qu’il ressort de l’article 14 de la Convention EDH. Un pourvoi a été formé par le ministère public. Il y a fort à parier que l’arrêt de la Cour de cassation censurera les juges du fond mais d’ici là sa position peut encore évoluer, notamment en prenant davantage en considération l’article 14 de la Convention. Ce sera alors la dernière pierre à l’édifice fragile des droits des enfants nés d’une GPA.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Litaize N., « L’enfant né d’une insémination artificielle réalisée à l’étranger et l’adoption par l’épouse de la mère », LPA 26 déc. 2014, p. 7.
  • 2.
    V. l’étude de législation comparée n° 182, http://www.senat.fr/lc/lc182/lc182_mono.html#toc18.
  • 3.
    L. n° 94-654, 29 juill. 1994, relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal : JO n° 175, 30 juill. 1994, p. 11060.
  • 4.
    Sur cette comparaison, v. le rapport n° 3813 par Valérie Boyer sur la proposition de loi n° 2706 du 8 avril 2015, visant à lutter contre le recours à une mère porteuse.
  • 5.
    Cass. ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20105.
  • 6.
    L. n° 2013-404, 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe : JO n° 0114, 18 mai 2013, p. 8253.
  • 7.
    Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21323 et 15-50002 : LPA 17 juill. 2015, p. 9, Hilger G. ; LPA 6 août 2015, p. 6, Legrand V.
  • 8.
    Pour une proposition en ce sens : Lagarde P., note sous Cass. 1re civ., 17 déc. 2008, n° 07-20468 : Rev. crit. DIP 2008, p. 320.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, nos 16-16901 et 16-50025.
  • 10.
    Bollée S., « L’extension de la méthode de la reconnaissance unilatérale », Rev. crit. DIP 2007, p. 307.
  • 11.
    Mayer P. et Heuzé V., Droit international privé, 11e éd., 2014, LGDJ, nos 471 et s. ; Vignal T., Droit international privé, 2e éd., 2011, Sirey, nos 718 et s., et les réf. citées.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, nos 12-30138 (1re esp./cassation) et 12-18315 (2e esp./rejet) : Defrénois 15 juin 2014, n° 116j7, p. 633, Callé P. ; LPA 1er oct. 2013, p. 7, Legrand V. – Cass. 1re civ., 19 mars 2014, n° 13-50005.
  • 13.
    V. LPA 17 juill. 2015, p. 9, Hilger G., préc.
  • 14.
    Cass. civ., 7 janv. 1964, gds arrêts n° 41 : JDI 1964, p. 302, note Goldman B. ; Rev. crit. DIP 1964, p. 344, Batiffol H.
  • 15.
    CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France ; CEDH, 26 juin 2014, n° 65941/11, Labassée c/ France : D. 2014, p. 1376 ; D. 2014, p. 1773, chron. Fulchiron H. et Bidaud-Garon C. ; D. 2014, p. 1788, obs. Bonfils P. et Gouttenoire A. ; Dr. famille 2014, comm. 128, Neirinck C. ; JCP G 2014, p. 1486, note Gouttenoire A.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, nos 16-16901 et 16-50025.
  • 17.
    C. civ., art. 18.
  • 18.
    C. civ., art. 325 ; C. civ., art. 332.
  • 19.
    En ce sens, de Geouffre de la Pradelle G., note sous CA Paris, 25 oct. 2007, n° 07/01126 : Gaz. Pal. 29 janv. 2008, n° H0876, p. 20.
  • 20.
    CEDH, 27 janv. 2015, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c/ Italie : JCP G 2015, 194, obs. Sudre F.
  • 21.
    Andriantsimbazovina J., « Le refus de transcription d’un certificat de naissance d’un enfant né d’une gestation pour autrui et n’ayant pas de liens génétiques avec les requérants viole l’article 8 de la Convention », Gaz. Pal. 25 avr. 2015, n° 221x9, p. 21.
  • 22.
    C. civ., art. 332, al. 1er.
  • 23.
    C. civ., art. 332.
  • 24.
    Cass. 1re civ., 5 juill. 2016, n° 16-16455.
  • 25.
    Cass. ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20105 : Bull. ass. plén., n° 4 ; Defrénois 15 sept. 1991, n° 35088-67, p. 947, obs. Massip J. ; D. 1991, p. 417, rapport Chartier Y., note Thouvenin G. ; JCP G 1991, II 21752, comm. Bernard J., concl. Dontenwille H., note Terré F. ; RTD civ. 1991, p. 517, obs. Huet-Weiller D.
  • 26.
    Cass., avis, 22 sept. 2014, nos 14-70006 et 14-70007 : LPA 26 déc. 2014, p. 7, note Litaize N.
  • 27.
    COJ, art. L. 441-3.
  • 28.
    Cass. 1re civ., 5 juill. 2016, n° 16-16455.
  • 29.
    Lesquels renvoient partiellement aux conditions de l’adoption plénière.
  • 30.
    Cité supra.
  • 31.
    V. encore Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 01-03927 : Defrénois 30 avr. 2004, n° 37926-5, p. 592, note Massip J.
  • 32.
    CIDE, art. 3, § 1.
  • 33.
    Il suffit de consulter des sites spécialisés sur internet pour voir que le prix de la GPA est une des questions évoquées en priorité.
  • 34.
    Proposition de loi n° 2706 visant à lutter contre le recours à une mère porteuse, présentée à l’Assemblée nationale le 8 avril 2015.
  • 35.
    Proposition de loi n° 63 visant à lutter contre les démarches engagées à l’étranger par des Français pour obtenir une gestation pour autrui, présentée au Sénat le 20 octobre 2016.
  • 36.
    CA Rennes, 6 mars 2007, n° 16/00393. Sur cet arrêt, v. Rein-Lescastereyres I. et Le Cam-Mayou C., « GPA : vers la transcription pour le parent d’intention ? », Gaz. Pal. 5 juill. 2017, n° 298g8, p. 77.
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