Habilitation familiale générale et tutelle : mode d’emploi pour changer le fondement de la mesure de protection juridique en l’absence de passerelle

Publié le 25/04/2018

Selon l’arrêt de cassation du 20 décembre 2017, aucune disposition légale n’autorise le juge des tutelles, saisi d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire (procédure commune à la sauvegarde de justice, à la curatelle et à la tutelle), à ouvrir une mesure d’habilitation familiale. Précisément, la prohibition de la saisine d’office et l’effet dévolutif de l’appel fondent, ensemble, l’interdiction pour une cour d’appel d’ouvrir une habilitation familiale dont la demande d’ouverture a été présentée pour la première fois en appel. L’analyse de la Cour de cassation est rigoureuse et contraste avec la jurisprudence des juges d’instance. Ainsi saisi pour statuer sur les difficultés d’un mauvais exercice de l’habilitation familiale, un juge des tutelles a été conduit à mettre fin à cette mesure de protection et, dans la même décision, à ouvrir une tutelle pour assurer la continuité de la protection juridique. La confrontation de ces deux décisions, d’inégale valeur, nous porte à rechercher les conditions dans lesquelles la mesure de protection juridique peut changer de fondement, en attendant que le pouvoir réglementaire ne dresse les indispensables passerelles entre les deux procédures que l’ordonnance du 15 octobre 2015 et le décret du 23 février 2016 ont refusé.

Cass. 1re civ., 20 déc. 2017, no 16-27507, FS–PBI

TI Caen, jugement juge des tutelles, 10 oct. 2017, no 17/A/00663

1. L’habilitation familiale, entre tradition et modernité. – Près de 2 ans après son entrée en vigueur, la pratique de l’habilitation familiale commence à faire parler d’elle et à montrer les limites de la simplicité du dispositif1. Non pas créée à partir du néant ou d’une institution étrangère, l’habilitation familiale est un organisme juridiquement modifié ou, pour filer une autre métaphore, un manteau d’Arlequin découpé dans le tissu de la tutelle, de la sauvegarde de justice et du mandat de protection future. Les pièces originales issues de la loi du 5 mars 2007 ont été refaçonnées et assemblées par l’ordonnance du 15 octobre 2015 pour concevoir un grand et un petit costume de représentation. Générale, la grande habilitation familiale emprunte à la tutelle ses conditions d’ouverture (saisine du juge des tutelles, certificat médical circonstancié), ses modalités de publicité (émargement de l’acte de naissance) et ses techniques juridiques (représentation, incapacité d’exercice). La personne habilitée dispose ainsi d’un pouvoir général de représentation dont le périmètre (C. civ., art. 494-6) est aussi étendu que celui d’un mandataire, partie au mandat notarié de protection future (C. civ., art. 490). En clair, la personne habilitée a plus de pouvoir qu’un tuteur puisqu’elle peut conclure seule tous les actes de disposition, à l’exception des actes à titre gratuit, des actes de disposition du logement et des actes consentis sous l’empire d’une opposition d’intérêts2. Moins ambitieuse est l’habilitation familiale simple ou spéciale que le juge peut modeler à sa guise en réduisant le pouvoir de représentation à un acte juridique ou à une série d’actes qu’il désigne de manière limitative. Cette petite habilitation familiale est calquée sur le modèle du mandat spécial ouvert dans le cadre d’une sauvegarde de justice (C. civ., art. 437). La personne habilitée n’est pourtant soumise à aucun délai pour accomplir les actes visés par le jugement d’habilitation familiale (C. civ., art. 494-6). Précisons que l’habilitation familiale restreinte est soumise à la même procédure d’ouverture que l’habilitation familiale générale : saisine du juge des tutelles par une requête accompagnée d’un certificat médical circonstancié. Générales ou restreintes, toutes les habilitations familiales sont pour la personne habilitée des mesures incapacitantes. L’étendue de cette incapacité d’exercice est limitée et proportionnée aux pouvoirs de représentation de la personne habilitée. L’incapacité d’exercice qui protège la personne vulnérable est sanctionnée par la nullité relative3. Là est la profonde différence avec le mandat de protection future qui laisse à la personne protégée sa pleine capacité juridique, à l’exception de la faculté de révoquer ad nutum le mandataire4.

2. Les affres de l’autonomie procédurale de l’habilitation familiale. – La singularité de l’habilitation familiale s’est mutée en autonomie, sous l’effet du décret n° 2016-185 du 23 février 2016 qui a cloisonné la procédure unique des mesures de protection juridique (commune à la sauvegarde de justice, à la curatelle et à la tutelle) et la procédure spécifique de l’habilitation familiale5. Sous l’angle du droit substantiel, l’habilitation familiale ne vient donc pas couronner la trilogie classique (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle). Elle déroge à tout esprit de hiérarchie6 parce que la décision du juge des tutelles doit reposer sur un consensus familial, une condition de fond originale et supplémentaire à l’ouverture des autres mesures de protection juridique. Sous l’angle du droit processuel, l’habilitation familiale suit une procédure parallèle qui constitue un itinéraire de délestage de la tutelle familiale ou du mandat spécial (sauvegarde de justice).

Pourtant, en pratique, les juges des tutelles sont confrontés au besoin de choisir entre la tutelle et l’habilitation familiale générale mais ils ne peuvent pas exercer ce choix s’ils ne sont pas saisis de deux demandes concurrentes. En effet, « aucune disposition légale n’autorise le juge des tutelles, saisi d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire, à ouvrir une mesure d’habilitation familiale ». Ce motif de pur droit ciselé par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 décembre 2017, est inspiré par la prohibition de la saisine d’office du juge des tutelles en vigueur depuis le 1er janvier 2009. Le premier arrêt rendu par la Cour de cassation en matière d’habilitation familiale a suscité des appréciations mitigées7. D’un côté, la rigueur de la Cour de cassation a été saluée par les praticiens qui réclamaient un signe fort pour entourer de précautions l’ouverture de l’habilitation familiale8. De l’autre côté, l’orthodoxie avec laquelle la Cour de cassation a respecté les textes a pu sembler contraire « à l’esprit de la justice du XXIe siècle [et] au souci d’adaptation aux circonstances qui inspire le droit moderne des majeurs protégés »9. Aussi ne faut-il pas si rapidement condamner tout « effort d’imagination »10 dans l’élaboration de passerelles entre l’habilitation familiale et les autres mesures de protection juridique…

3. L’intérêt de la personne protégée et l’esprit de la loi sur les incapacités contractuelles. – Le juge doit rechercher la bonne mesure, celle qui épouse l’état et la situation de la personne protégée conformément aux principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité (C. civ., art. 425 et C. civ., art. 428). Corroborée par des constatations médicales, la vulnérabilité exige une réponse judiciaire si elle se double de l’impossibilité de l’adulte vulnérable à prendre en charge sa personne et ses biens. C’est pour remédier à ce double état de fait que la décision de la juridiction tutélaire crée une incapacité juridique en habilitant un tiers à s’immiscer dans la vie privée de l’adulte vulnérable pour conclure en son nom et pour son compte les contrats nécessaires et gérer ses biens. Plurielle sous un jour technique (assistance, autorisation, représentation), l’incapacité juridique retrouve le singulier sous un angle fonctionnel. C’est l’intérêt de la personne protégée qui demeure la finalité de l’habilitation familiale (C. civ., art. 494-4, al. 2 in fine), comme il l’est pour toute mesure de protection juridique (C. civ., art. 415, al. 3), en dépit de l’exigence originale du consensus familial. Or les besoins peuvent avoir été mal évalués par les requérants et donc avoir été mal appréciés par le juge des tutelles ; ils peuvent aussi évoluer avec le temps, au cours de l’exercice de la mesure. Le juge peut ainsi être sollicité pour changer le fondement de la mesure de protection juridique. En témoigne un jugement du 10 octobre 2017 du tribunal d’instance de Caen qui, dans une même décision, a mis fin à une habilitation familiale générale et a ouvert une tutelle. Par-delà l’espèce, l’absence de passerelle et la prohibition de la saisine d’office rendent déterminant le rôle du procureur de la République lorsque l’habilitation familiale devient dangereuse pour la personne protégée. La confrontation du premier arrêt de la Cour de cassation en matière d’habilitation familiale à ce jugement caennais nous porte à distinguer deux instances : l’ouverture de la mesure (I) et sa révision (II).

I – L’instance d’ouverture de l’habilitation familiale et le changement de fondement de la mesure

4. Première espèce. – Saisi par le ministère public, un juge des tutelles a, par jugement du 26 novembre 2015, ouvert une mesure de tutelle au profit de Mme Juliette X. Il a attribué la charge tutélaire à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs sur le fondement des articles 425, 440 et 450 du Code civil. Mme Catherine X, la fille de la personne en tutelle, a interjeté appel de cette décision et a demandé l’ouverture d’une mesure d’habilitation familiale conformément à l’ordonnance du 15 octobre 2015 qui venait d’entrer en vigueur avec le décret du 23 février 2016 (C. civ., art. 494-12). Déboutée de sa demande, la fille de la personne à protéger a formé un pourvoi en cassation par lequel elle soutient que l’état et la situation de sa mère relèvent de l’habilitation familiale générale en vertu des articles 494-1, 494-2 et 494-6 du Code civil. Elle reproche à l’arrêt d’avoir violé ces trois textes en jugeant que seule la tutelle permet d’organiser une représentation globale et totale de la majeure protégée. La Cour de cassation a jugé l’arrêt légalement justifié mais a substitué, dans les conditions de l’article 1015 du Code de procédure civile, un motif de pur droit : « Attendu qu’aucune disposition légale n’autorise le juge des tutelles, saisi d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire, à ouvrir une mesure d’habilitation familiale ; que, la cour d’appel ayant constaté que le juge des tutelles avait été saisi, par le procureur de la République, d’une requête aux fins d’ouverture d’une tutelle au profit de Mme Juliette X, il en résulte qu’elle ne pouvait ordonner une mesure d’habilitation familiale ».

5. Le rôle du ministère public. – En l’espèce, le juge des tutelles a été saisi par le ministère public. Or, le rôle du parquet civil varie suivant l’objet de la requête initiale. La loi du 5 mars 2007 lui a donné qualité pour saisir le juge d’une demande en ouverture d’une mesure de protection juridique (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle) parce qu’elle a privé le juge des tutelles de la faculté de se saisir d’office. Pour le législateur, c’était le moyen technique de diminuer le nombre des mesures11. La loi du 5 mars 2007 a aussi étendu le cercle des membres de la famille ayant qualité pour saisir le juge (C. civ., art. 430, al. 1er) et interjeter appel de ses décisions. Désigné partie jointe « pour l’ouverture ou la modification des mesures judiciaires de protection juridique des majeurs » (CPC, art. 425), le ministère public joue un rôle subsidiaire mais nécessaire dès lors qu’il est devenu, depuis le 1er janvier 2009, le destinataire de tous les signalements des pouvoirs publics et des services d’aide sociale. Le rôle du ministère public paraît insignifiant, en revanche, dans la procédure d’habilitation familiale où la famille occupe le premier plan. Réduite aux ascendants, descendants, frères, sœurs et à l’autre membre du couple partageant une communauté de vie avec la personne à protéger (y compris son conjoint depuis la loi du 18 novembre 2016 : C. civ., art. 494-1), la famille reste essentielle puisque chacun de ses membres peut, par le refus légitime de son adhésion à la mesure (C. civ., art. 494-4, al. 2), empêcher le juge des tutelles d’ouvrir une habilitation familiale. L’adhésion de la famille à cette mesure de protection juridique et au choix de la personne habilitée justifie la dispense impérative d’inventaire et de compte-rendu annuel de gestion. Face à la condition de consensus familial que le juge doit établir avant d’ouvrir la nouvelle mesure de protection, le ministère public ne peut donc pas être à l’initiative d’une requête en ouverture d’habilitation familiale. Il n’est pas au second plan mais à l’arrière-plan. Pourquoi le Code civil lui a-t-il réservé la possibilité de saisir le juge (C. civ., art. 494-4, al. 1er) ? Les rédacteurs du Code civil ont pris en compte l’hypothèse où la famille n’aurait pas les moyens de prendre en charge le coût de 160 € du certificat médical circonstancié (CPP, art. R. 217-1). En ce cas, le ministère public prend le relais de la famille et présente au juge des tutelles une requête, à la demande d’un des membres de la famille restreinte de la personne à protéger. Cette hypothèse est éloignée du cas de l’espèce où le juge des tutelles a été saisi par le ministère public dans un contexte familial difficile (carences, conflit, etc.). L’attribution de la charge tutélaire à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs confirme cette hypothèse (C. civ., art. 450). L’arrêt de rejet ne dit pas si la fille de la personne à protéger a été auditionnée par le juge avant l’ouverture de la mesure. En somme, en l’absence d’une requête concurrente tendant à ouvrir une habilitation familiale générale, le juge des tutelles ne pouvait qu’ouvrir une sauvegarde de justice, une curatelle ou une tutelle. Puis le contenu du certificat médical circonstancié l’a conduit à choisir la tutelle, parce que l’intéressée avait besoin d’être représentée de manière continue dans les actes de la vie courante (C. civ., art. 440, al. 3). Le choix du juge des tutelles était ainsi restreint. Il ne pouvait pas ouvrir l’habilitation familiale générale à la place de la tutelle.

6. La présentation concurrente des demandes. – Au fond, le juge des tutelles n’a le choix entre la tutelle et l’habilitation familiale générale, d’une part, ou entre la sauvegarde de justice avec mandat spécial et l’habilitation familiale spéciale, d’autre part, que s’il est saisi, en la forme, de deux requêtes concurrentes. De lege lata, la requête en ouverture d’une mesure de protection judiciaire et la requête en ouverture de l’habilitation familiale doivent être rédigées sur deux documents séparés, même si elles prennent appui sur le même certificat médical circonstancié12. En pratique, les juges des tutelles qui sont saisis par l‘autre membre du couple ou un proche parent de la personne à protéger d’une demande en ouverture d’une mesure de protection juridique informent le requérant qu’il peut lui demander d’ouvrir une habilitation familiale. Si l’audition est de nature à conduire le juge à préférer une habilitation familiale à une tutelle familiale, le magistrat peut inviter le requérant à se désister de sa demande initiale et à le saisir d’une requête en ouverture d’habilitation familiale. Cette pratique est si répandue chez les juges des tutelles qu’elle a conduit la doctrine à souligner que « le défaut officiel de passerelle n’est pas dirimant. Officieusement, en fonction des circonstances, le passage vers l’habilitation familiale s’organise, comme en atteste le développement en chiffres de cette mesure, depuis quelques mois »13. Néanmoins, il serait de meilleure justice, de lege feranda, de créer un dispositif de requête unique où le requérant demande au juge de choisir entre la curatelle ou tutelle familiale et l’habilitation familiale. La différence de conditions auxquelles est subordonnée chacune de ces mesures ne doit pas préjuger de l’objet de la demande du requérant. L’ouverture de l’habilitation familiale doit, au fond, pour être accueillie par préférence à une autre mesure de protection juridique, réunir les conditions propres à l’habilitation familiale. D’une part, les autres membres de la famille doivent soutenir la démarche du requérant, ce qui n’est pas nécessaire pour l’ouverture d’une autre mesure de protection juridique (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle). D’autre part, le certificat médical circonstancié (C. civ., art. 494-3 et C. civ., art. 431) doit indiquer que l’intéressé est « hors d’état de manifester sa volonté » (C. civ., art. 494-1), ce qui suppose une vulnérabilité plus forte14 qu’une simple altération des facultés mentales (C. civ., art. 425). L’habilitation familiale générale ou spéciale doit être réservée aux personnes qui ont besoin d’être représentées, comme les personnes en tutelle. Le choix d’une habilitation familiale spéciale se justifie souvent en pratique parce qu’elle s’adosse à une procuration bancaire consentie par la personne protégée à l’un de ses proches parents avant la dégradation de ses facultés mentales15.

7. L’effet dévolutif de l’appel. – En l’espèce, la cour d’appel de Lyon était saisie de deux demandes concurrentes ; alors pourquoi la Cour de cassation a-t-elle jugé que la cour d’appel « ne pouvait pas ordonner une mesure d’habilitation familiale » ? Laisserait-elle entendre que la demande était irrecevable plutôt que mal fondée ? Présentée en appel, la requête tendant à ouvrir une habilitation familiale s’analyse-t-elle en une demande nouvelle (CPC, art. 564) ? Cette qualification peut être soutenue dès lors que les textes s’efforcent d’enfermer la mesure d’habilitation familiale dans un régime autonome. Pourtant, la demande d’habilitation familiale présentée pour la première fois en appel ne devrait pas être qualifiée de demande nouvelle, compte tenu du droit commun et du droit spécial de la procédure civile. Premier argument : les prétentions ne sont pas nouvelles en cause d’appel si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent (CPC, art. 565). Au visa de ce texte, la Cour de cassation avait déjà admis que l’appelant pouvait demander la curatelle pour prodigalité alors que la requête initiale était fondée sur l’altération des facultés mentales16. La différence de fondement importe donc peu ; la différence de régime des demandes aussi, dès lors que les prétentions tendent au même but. Dans une autre affaire, l’appelant avait demandé la tutelle limitée à la protection de la personne après avoir obtenu du juge des tutelles l’ouverture d’une tutelle complète. En appel, il avait ainsi formé, pour la première fois, une demande de représentation du conjoint sur le fondement de l’article 219 du Code civil17. Le droit commun de la procédure permettait donc à la cour d’appel de juger recevable la demande d’ouverture de l’habilitation familiale parce que cette mesure avait, comme la tutelle ou la curatelle, pour but d’organiser la protection juridique de sa personne et de ses biens. Second argument tiré du droit spécial de la procédure : l’article 1246 du Code de procédure civile permet à la cour d’appel de substituer, même d’office, une décision nouvelle à celle du juge des tutelles. L’intérêt du majeur protégé commande toujours de rechercher la mesure la plus appropriée à sa situation et à son état. Mais la Cour de cassation a déjà exprimé, par avis, la supériorité de l’effet dévolutif de l’appel pour cantonner la faculté de substitution18, rognant ainsi les ailes de la procédure spéciale devant les juridictions tutélaires19. Si convaincante soit-elle, cette double argumentation semble cependant insuffisante à la Cour de cassation. Pour la haute juridiction, la cour d’appel n’a pas plus de pouvoir que le juge des tutelles ; elle ne peut pas ouvrir une habilitation familiale à la place d’une tutelle, si ces prétentions n’ont pas toutes été présentées concurremment en première instance, devant le juge des tutelles. Cette exigence procédurale est excessive ; elle trahit l’esprit de la matière. Une cour d’appel ne devrait pas être privée de la possibilité de réformer un jugement ouvrant une tutelle en lui préférant une habilitation familiale générale, dès lors que les deux demandes poursuivent le même but. Certes, en l’espèce, il est vraisemblable que les conditions de l’habilitation familiale n’étaient pas réunies, au fond, non pas au regard de l’état de santé de la personne à protéger mais au regard de la dévolution de la charge de protection juridique. Les juges du fond ont exclu la protection familiale et attribué la mesure à un mandataire professionnel ; la fille de l’intéressée n’offrait donc pas les garanties suffisantes pour exercer une mesure simplifiée de protection juridique, avec la dispense de dresser inventaire et de rendre compte de la gestion chaque année. Le rejet du pourvoi est donc justifié au fond mais l’arrêt est critiquable parce qu’il a élevé entre la tutelle et l’habilitation familiale une cloison procédurale étanche. En attendant que le gouvernement n’établisse, sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la Justice, les passerelles nécessaires pour organiser la modification du fondement de la mesure de protection juridique, les juges du fond font preuve de créativité.

II – L’instance de révision et le changement de fondement de la mesure

8. Seconde espèce. – Un homme né le 3 mars 1933 a 2 enfants majeurs. Son fils a déposé le 13 juillet 2016 une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection juridique. Par ordonnance du 24 août 2016, le juge des tutelles a placé l’octogénaire sous sauvegarde de justice et attribué à sa fille un mandat spécial. À la suite de leur audition, le fils et la fille ont ensuite manifesté la demande que leur père bénéficie d’une habilitation familiale générale. Le juge des tutelles a accueilli cette nouvelle demande et a ouvert une habilitation familiale générale pour 10 ans par jugement du 5 avril 2017, attribuant à la fille un pouvoir général de représentation. Mais par courrier du 7 août 2017, le fils a fait état de dysfonctionnements que l’audition judiciaire de la personne habilitée a confirmés. Sur avis confirmatif du procureur de la République en date du 28 septembre 2017, le juge des tutelles a donc décidé de révoquer l’habilitation familiale et d’ouvrir une mesure de tutelle au profit de la même personne protégée. Le jugement du tribunal d’instance de Caen du 10 octobre 2017 marque la volonté du juge des tutelles d’adapter la mesure de protection juridique pour qu’elle reste guidée par son objectif. Après avoir encouragé la famille à choisir la nouvelle mesure de protection juridique20, le juge des tutelles s’est ravisé dès qu’il a eu la preuve que l’habilitation familiale manquait son but. En l’espèce, le jugement comprenait deux objets qui suscitent, l’un et l’autre, un commentaire critique au regard du droit substantiel des majeurs protégés et de la procédure civile. L’analyse de la mainlevée de l’habilitation familiale générale précède l’étude de l’ouverture de la tutelle.

9. La mainlevée de l’habilitation familiale générale. – Ouverte pour 10 ans, l’habilitation familiale générale peut être révisée à tout moment, dès lors que les conditions de son ouverture ne sont plus réunies21. Tel est le cas lorsque la personne habilitée n’exerce pas ses pouvoirs dans l’intérêt exclusif de la personne protégée. En l’espèce, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Caen devait mettre fin à l’habilitation familiale générale dès lors que la personne habilitée avait dépassé, par 2 fois, les limites de son pouvoir de représentation22. En concluant des actes sans requérir l’autorisation du juge des tutelles, elle avait excédé ses pouvoirs et, sans doute aussi, elle les avait détournés de leur but23. Qu’on en juge. D’une part, elle a consenti au nom et pour le compte de son père à donner sa voiture à sa propre fille. La donation ne pouvait pas être analysée comme un présent d’usage au regard de la valeur du véhicule (13 262 €) et du patrimoine de la personne protégée. En dépit du consentement du propriétaire de l’objet donné, la personne habilitée devait requérir l’autorisation du juge, comme le lui ordonne la loi pour tout acte à titre gratuit (C. civ., art. 494-6). D’autre part, la personne habilitée a donné à bail le logement (80 m²) de la personne protégée à sa propre fille et à son gendre, pour un loyer de 500 €, alors que tout acte de disposition du logement de la personne protégée requiert également l’autorisation du juge des tutelles (C. civ., art. 426). Non seulement la personne habilitée a dépassé son pouvoir de représentation en s’abstenant de saisir le juge des tutelles pour autorisation mais elle paraît avoir détourné de son but son pouvoir. En effet, chacun de ces actes était ainsi suspect dès lors que la personne habilitée paraissait être mue par l’intérêt de sa fille au lieu de l’être exclusivement par l’intérêt de la personne protégée. La personne habilitée était donc en opposition d’intérêts. Ainsi fragilisée dans l’exercice de son pouvoir de représentation, cette situation l’obligeait à saisir le juge des tutelles non pas pour se faire remplacer, comme dans le droit commun des mesures de protection juridique (C. civ., art. 455), mais pour obtenir l’autorisation du juge de conclure l’acte s’il réalise aussi l’intérêt de la personne protégée (C. civ., art. 494-9). La personne habilitée a donc abusé de son pouvoir de représentation. L’ordonnance du 15 octobre 2015 a donné au juge des tutelles le pouvoir de changer la personne habilitée, de modifier l’étendue du pouvoir de représentation ou de mettre fin à la mesure. Mais l’article 494-10 du Code civil interdit au juge des tutelles de s’autosaisir. Il doit être saisi par l’un des membres de la famille restreinte (C. civ., art. 494-1) ou par le procureur de la République. Il ne peut relever d’office l’opposition d’intérêts sur le signalement d’un tiers (C. civ., art. 455), comme il pourrait le faire en curatelle ou en tutelle24. En l’espèce, la procédure semble avoir été respectée. Le frère de la personne habilitée avait qualité pour informer le juge des difficultés survenues dans la mise en œuvre du dispositif. Son courrier peut être analysé comme une saisine du juge des tutelles. Enfin, la mainlevée de la mesure semble être fondée sur l’article 494-11 2° qui prévoit que l’habilitation familiale prenne fin « lorsque l’exécution de l’habilitation familiale est de nature à porter atteinte aux intérêts de la personne protégée ». Le jugement caennais suscite donc l’approbation pour la mainlevée de l’habilitation familiale. Peut-on en dire autant de l’ouverture de la tutelle ?

10. L’ouverture de la tutelle. – Pour éviter que la personne âgée se trouve privée de protection juridique après la mainlevée de l’habilitation familiale, le juge des tutelles a décidé d’ouvrir à son profit une mesure de tutelle dans la même décision mettant fin à l’habilitation familiale. Au fond, le juge avait assez d’éléments pour caractériser l’état de besoin de la personne d’être protégée dans les actes de sa vie civile. Le certificat médical circonstancié ayant permis d’ouvrir l’habilitation familiale pouvait, en effet, servir de fondement à l’ouverture de la tutelle. Mais, en l’espèce, le juge des tutelles n’a pas été formellement saisi par le frère, à moins d’interpréter en ce sens son courrier du 7 août 2017. De même, le procureur de la République s’est contenté de donner son avis pour ordonner la mainlevée de l’habilitation familiale et l’ouverture de la tutelle ; mais il n’a pas formellement saisi le juge des tutelles en ce sens. Pour contourner l’obstacle de l’auto-saisine, le juge des tutelles s’est fondé sur une interprétation par analogie des articles 485 et 442, alinéa 3 et 4 du Code civil. Chacune de ces trois références suscite une observation. Tout d’abord, la loi a donné au juge des tutelles un pouvoir de se saisir d’office non pas pour ouvrir une mesure de protection juridique (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle) mais pour la réviser, la modifier ou la renouveler (C. civ., art. 442, al. 4). Cette règle est limitée à la curatelle et à la tutelle ; elle ne s’applique pas à l’habilitation familiale, pas plus qu’au mandat de protection future. En effet, le juge ne peut mettre fin au mandat de protection future que s’il est saisi par tout intéressé (C. civ., art. 484) ; la loi permet donc au juge de substituer une mesure judiciaire de protection au mandat à la condition de respecter « les modalités prévues aux sections I à IV du présent chapitre » (C. civ., art. 485). Par ce renvoi, la loi n’autorise donc pas le juge à se saisir lui-même. La référence à l’article 485 du Code civil n’emporte donc pas la conviction, pas plus que celle de l’article 442, alinéa 4 du Code civil. Le juge des tutelles ne doit pas entrer de lui-même dans le dispositif de l’habilitation familiale, ni à l’ouverture ni au cours de son fonctionnement ; il n’exerce son contrôle que s’il est saisi par un membre de la famille restreinte ou le procureur de la République (C. civ., art. 494-10). Pour autant, le retrait du juge des tutelles peut paraître excessif et contraire à des règles introduites par la loi du 5 mars 2007. C’est ainsi, par contraste, que le tribunal d’instance de Caen a eu raison de viser l’article 442, alinéa 3 du Code civil aux termes duquel « le juge peut, à tout moment, mettre fin à la mesure, la modifier ou lui substituer une autre mesure prévue au présent titre, après avoir recueilli l’avis de la personne chargée de la mesure de protection ». De nombreux auteurs25 ont déjà signalé que le renvoi au « présent titre » permet à la règle de s’appliquer aussi bien à la curatelle, à la tutelle et même à l’habilitation familiale. Ce qui va sans dire irait mieux en le disant. Une passerelle entre la tutelle, la curatelle et l’habilitation familiale semble donc souhaitable, surtout si le juge des tutelles, dans un esprit de sanction, décide de substituer une mesure de tutelle à une habilitation familiale et désigner un mandataire judiciaire à la protection des majeurs pour exercer la mesure. En attendant, le juge des tutelles dispose déjà, sur le fondement de textes généraux (C. civ., art. 416 et C. civ., art. 417), d’un pouvoir général de surveillance qui lui permettrait, en cas de signalement, de convoquer toute personne en charge de la protection d’un adulte qu’il s’agisse d’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs ou d’un membre de la famille de la personne protégée. Il aurait été judicieux que le tribunal d’instance de Caen se fonde sur l’une des dispositions générales communes aux majeurs protégés. Car rien ne permet de soustraire l’habilitation familiale aux articles 416 et 417 du Code civil26. Quel que soit le fondement de la passerelle qui fait le lien procédural entre les trois mesures de protection juridique et l’habilitation familiale, le mieux eût été d’ouvrir la tutelle avant d’ordonner la mainlevée de l’habilitation familiale. Tel est le schéma de l’article 494-11 1° : l’habilitation familiale prend fin par le placement de l’intéressé sous tutelle. L’ouverture de la tutelle pouvait, en l’espèce, être facilement justifiée par le besoin de choisir une mesure de protection juridique qui préserve mieux les intérêts patrimoniaux de l’intéressé. Il reste à inviter les parquets civils à s’investir dans leur rôle de demandeur27. On savait déjà que le ministère public pouvait neutraliser le désistement du requérant en reprenant la main sur la procédure28 ; une telle initiative procédurale est indispensable en cas de substitution de la tutelle à l’habilitation familiale. Toutes ces difficultés pratiques pourraient s’estomper à l’avenir si l’habilitation familiale et les autres mesures judiciaires de protection obéissaient à une procédure unique !

11. Conclusion. La réflexion entreprise sur la passerelle entre l’habilitation familiale et la trilogie classique des mesures de protection juridique (sauvegarde de justice, curatelle et tutelle), révèle la complexité de l’état actuel du droit des majeurs protégés. Alors que l’habilitation familiale devait simplifier les pratiques tutélaires dévolues aux familles des personnes vulnérables, l’introduction de cette nouvelle mesure s’est accompagnée d’un empilement normatif qui brille par ses incertitudes. Au lieu d’être pensée de manière autonome à côté de la trilogie classique, l’habilitation familiale aurait dû prendre sa place en son sein par une série de dérogations justifiées par le caractère gratuit de l’exercice familial de la mesure. Là est le déficit de réflexion dont souffre la nouvelle institution29. La distinction de l’acte d’administration et de l’acte de disposition n’est commode en pratique que pour les professionnels ayant reçu une formation juridique. Les familles ont besoin de règles moins abstraites pour savoir si le juge des tutelles doit être saisi pour autorisation, telles que celles qui font la spécificité du mandat de protection future (C. civ., art. 490). En outre, toutes les exigences formelles et administratives en termes d’inventaire et d’obligation de rendre compte doivent être réservées aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs qui exercent leur activité à titre professionnel et onéreux, comme il en est ainsi du document individuel de protection des majeurs30 (dit DIPM). Les familles sont aujourd’hui dispersées par l’espace et le temps sous l’influence de l’urbanisation et de l’allongement de la durée de la vie et, partant, dépourvues du moyen de mettre en œuvre les solidarités d’autrefois. Les juges n’ont pas osé assouplir les devoirs de la personne en charge de la protection juridique d’autrui31, en dépit de l’autorisation donnée par le législateur (C. civ., art. 513) mais fallait-il pour autant supprimer de manière impérative toute obligation d’inventaire et toute obligation de rendre compte pour la personne habilitée ? Ne convenait-il pas de créer des partenariats entre les familles et les professionnels de la protection juridique des majeurs, d’une part, et une incitation contractuelle et fiscale à des mécanismes de transfert des risques de mauvaise gestion, d’autre part ? Il ne faudrait pas que l’arrêt du 20 décembre 2017 soit analysé comme une invitation à conforter, par une passerelle, cette construction hasardeuse32. D’autres passerelles doivent être pensées pour que vive, en définitive, le principe de préférence familiale !

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. civ., art. 494-1 à 494-12 ; Ord. n° 2015-1288, 15 oct. 2016, ratifiée par la loi L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
  • 2.
    Noguéro D., « Le périmètre des pouvoirs de la personne habilitée sur les biens du majeur protégé (Actes du Colloque de Caen, 25 mars 2016) », Dr. famille 2016, dossier 43 ; Péterka N., « Le statut de la personne habilitée », Dr. famille 2016, dossier 44. Adde, Noguéro D., « Les pouvoirs de la personne habilitée sur les biens du majeur protégé et les sanctions applicables », LPA 25 nov. 2016, n° 119y8, p. 7 à 21.
  • 3.
    Sur les atouts et les faiblesses de la 5e mesure de protection juridique, v. Raoul-Cormeil G., « L’habilitation familiale : une tutelle adoucie, en la forme et au fond », D. 2015, chron., p. 2335 ; Combret J. et Baillon-Wirtz N., « L’habilitation familiale : une innovation à parfaire », JCP N 2015, 1248 ; Maria I., « L’habilitation familiale, une nouvelle mesure de protection qui doit faire ses preuves », Dr. famille 2016, étude 5 ; Mallet-Bricout B., « La nouvelle habilitation familiale ou le mille-feuille de la représentation des majeurs protégés », RTD civ. 2016, p. 190 ; Mauclair S., « La modernisation du droit de la famille par l’instauration d’un dispositif d’habilitation familiale », RJPF 2016/1, p. 5 ; Noguéro D., « Les conditions de mise en œuvre de l’habilitation familiale », D. 2016, chron., p. 1510 et s., spéc. p. 1518 ; Raoul-Cormeil G., « L’habilitation familiale, entre tradition et modernité », in Batteur A. (dir.), dossier : 113e Congrès des notaires de France, LPA 8 sept. 2017, n° 129k6, p. 72.
  • 4.
    C. civ., art. 483 4°. Le mandant doit saisir le juge des tutelles pour demander la révocation de son mandataire ; réciproquement, celui-ci doit demander au juge d’être déchargé de ses fonctions, lorsque le mandat a pris effet (C. civ., art. 480, al. 3). Sur la comparaison de l’habilitation familiale et du mandat de protection future, v. Bendelac E., « La place de l’habilitation familiale au sein du droit des majeurs protégés (1 an après l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 215-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille) », LPA 19 mai 2017, n° 126a2, p. 6.
  • 5.
    CPC, art. 1260-1 à 1260-12. Sur lesquels, v. Montourcy V., « Habilitation familiale : de l’ordonnance du 15 octobre 2015 au décret du 23 février 2016, ou de Charybde en Scylla », AJ fam. 2016, p. 236 ; Mauger-Vielpeau L., « L’habilitation familiale : la saisine du juge des tutelles », Dr. fam. 2016, dossier 41, p. 18 ; Peterka N., Caron-Déglise A. et Arbellot F., Protection de la personne vulnérable, Dalloz Action, 2017, n° 113-51 et s., spéc. n° 113-72, où les auteurs soulignent l’absence de dossier ouvert par le greffe dans la procédure de l’habilitation familiale et les conséquences en termes de non-respect du principe du contradictoire. Les articles 1260-1 et suivants du Code de procédure civile ne renvoient pas aux articles 1222 à 1224 du même code.
  • 6.
    La hiérarchie des mesures découle du principe de nécessité et de ses corollaires, la proportionnalité et la subsidiarité. En vertu de l’exigence de proportionnalité, le juge des tutelles doit interroger la trilogie (C. civ., art. 440 : sauvegarde de justice, curatelle, tutelle) pour déterminer la mesure appropriée à l’état et au besoin de la personne à protéger. En vertu de l’exigence de subsidiarité des mesures judiciaires de protection juridique, le juge des tutelles doit écarter cette trilogie si un remède plus facile à mettre en œuvre s’impose (C. civ., art. 428). Abusant de l’esprit de simplification, l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 a limité le rayonnement du principe de subsidiarité : seules les « règles du droit commun de la représentation » peuvent l’emporter sur l’habilitation familiale (C. civ., art. 494-2). La prééminence du droit des régimes matrimoniaux (C. civ., art. 217, 219, 1426 et 1429) a été passée sous silence par l’ordonnance, alors qu’elle était prévue par l’avant-projet d’ordonnance. Heureusement, la loi de ratification de l’ordonnance l’a réintroduite à l’article 494-2 du Code civil (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016). En revanche, l’articulation avec les mesures de protection juridique reste absente du Code civil depuis la version définitive de l’ordonnance, alors que l’avant-projet d’ordonnance comportait un article 494-4 du Code civil, selon lequel « la désignation d’une personne habilitée est également possible à l’issue de l’instruction d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection juridique ou lorsque, en application des dispositions de l’article 442, alinéa 3, le juge des tutelles substitue une habilitation familiale à une mesure de curatelle ou de tutelle ».
  • 7.
    Cass. 1re civ., 20 déc. 2017, n° 16-27507 : Bull. civ. I, à paraître ; D. 2018, Jur., p. 223, note Noguéro D. ; Dalloz actualité, 8 janv. 2018, note Péterka N. ; Solution notaire hebdo, 18 janv. 2018, p. 31, note Péterka N. ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, n° 311h9, p. 13, note Montourcy V. ; LEFP févr. 2018, n° 111b7, p. 1, obs. Lemouland J.-J. ; Dr. famille 2018, comm. 73, note Maria I.
  • 8.
    V. spéc. Moutourcy V., note sous Cass. 1re civ., 20 déc. 2017, n° 16-27507 : Gaz. Pal. 6 févr. 2018, n° 311h9, p. 13, où l’auteur reproche à cette institution le manque de contrôle judiciaire, félicitant la prudence des juges des tutelles qui « ne prononcent une habilitation qu’avec parcimonie, étant précisé qu’une telle mesure devrait être exclue en présence d’un patrimoine significatif ». Soulignons que le regard du notaire n’est pas plus optimiste que celui de l’avocat : Chapron A., « Habilitation familiale : entre mythe et réalité », Defrénois 30 août 2017, n° 126x9, p. 899 : « Le mythe d’une mesure de protection reposant sur la confiance naïve et le consensus familial ne peut pas être viable en 2017, nous nous en rendons compte chaque jour dans nos études. La réalité fait que l’État ne peut pas se désengager de sa mission de protection des personnes vulnérables en la déléguant aux membres de la famille, cette “privatisation” des relations risque de déplacer le contentieux et de remplir de nouveau les tribunaux ».
  • 9.
    Lemouland J.-J., note préc. (note 7). Dans le même sens, v. aussi Peterka N., note préc. (note 7) : « L’absence de passerelles entre l’habilitation familiale et la tutelle est contre-productive ».
  • 10.
    Noguéro D., note préc. (note 7), spéc. p. 225.
  • 11.
    Massip J., Tutelle des mineurs et protection juridique des majeurs, 2009, Defrénois, n° 278.
  • 12.
    Les médecins inscrits sur la liste du procureur de la République qui n’ont pas suivi de formation juridique, ignorent l’évolution textuelle et jurisprudentielle du droit des majeurs protégés relative au contenu du certificat médical circonstancié (C. civ., art. 431 ; Cass. 1re civ., 20 avr. 2017, n° 16-17672), aux avis médicaux de mesure de longue durée (C. civ., art. 441, al. 1er et C. civ., art. 442, al. 2 ; Cass. 1re civ., 4 mai 2017, n° 16-17752) ; ils préconisent souvent la curatelle ou la tutelle au lieu de se contenter d’expliquer en quoi la personne à protéger ne peut plus être autonome dans les actes de sa vie personnelle et aurait besoin d’être assistée ou représentée (CPC, art. 1219). Dans cette perspective, le médecin inscrit devrait exprimer un avis pour guider le choix du juge entre la tutelle familiale et l’habilitation familiale.
  • 13.
    Noguéro D., note sous Cass. 1re civ., 20 déc. 2017, n° 16-27507 : D. 2018, Jur., p. 223, spéc. p. 227.
  • 14.
    Sur cette comparaison, v. Montourcy V., « Habilitation familiale : de l'ordonnance du 15 octobre 2015 au décret du 23 février 2016, ou de Charybde en Scylla », préc. (note 5) ; Verheyde T., « Capacité ou non du majeur à exprimer sa volonté : des incohérences », AJ fam. 2016, p. 236 ; Peterka N., « Brève réflexion autour de la personne « hors d'état de manifester sa volonté » au sens de l'article 494-1 du Code civil », AJ fam. 2016, p. 237 ; Raoul-Cormeil G., JCl. Civil Code, art. 494-1 à 494-12, 2017, n° 17.
  • 15.
    Pour aller plus loin, v. l’étude de Guérin D., « L’habilitation familiale, le relais des procurations bancaires ? », Dr. famille 2017, étude 5. V. par ex. : TI Le Havre, 20 mai 2016, n° 16/00193. En l’espèce, une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer était contrainte de résider dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Sa fille unique a saisi un juge des tutelles aux fins d’être habilitée à représenter sa mère pour vendre son immeuble d’habitation dans lequel elle ne vivait plus, car la vente de l’immeuble était le seul moyen de financer la résidence en EHPAD. Par jugement, le juge des tutelles a constaté le besoin de la personne hors d’état de manifester sa volonté d’être protégée pour la sauvegarde de ses intérêts. Puis, par habilitation familiale spéciale, le juge a attribué à la requérante un pouvoir de représentation limité à la conclusion de la vente de l’immeuble et à l’encaissement du prix de vente sur le compte de dépôt à vue. La mission a pu être limitée par le juge à ces actes juridiques, tous deux à exécution instantanée, car la fille majeure bénéficiait déjà d’une procuration sur le compte bancaire de sa mère ; elle était donc en mesure de payer les sommes dues, chaque mois, à l’EHPAD.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 25 janv. 2000, n° 98-12366, P : RTD civ. 2000, n° 5, p. 293, obs. Hauser J.
  • 17.
    CA Douai, 2 févr. 2012, n° 11/5594 : Gaz. Pal. 2 août 2012, n° J0503, p. 7, doctr., p. 2133, obs. Raoul-Cormeil G.
  • 18.
    Cass., avis, 13 avr. 2015, n° 15-00004 : D. 2015, Pan., p. 1575, obs. Noguéro D. ; op. cit., Jur., p. 1995 note Raoul-Cormeil G. ; Dr. famille 2015, comm. 130, note Maria I. ; Procédures 2015, comm. 200, note Douchy-Oudot M. ; RTD civ. 2015, n° 6, p. 587, obs. Hauser J. On consultera aussi avec beaucoup d’intérêt le rapport de Mme R. Le Cotty et les conclusions de M. le premier avocat général P. Ingall-Montanier, disponibles sur le site internet de la Cour de cassation. Dans cet avis, la Cour de cassation refuse à la cour d’appel de se prononcer sur une demande de mainlevée lorsque l’appel a été interjeté contre une ordonnance modifiant l’attribution de la charge curatélaire ; la Cour de cassation est également d’avis que le juge des tutelles n’a pas le pouvoir d’ordonner la mainlevée pour une autre raison que celles qui sont posées à l’article 443 du Code civil, ce qui est en rupture avec la jurisprudence pragmatique des juges d’instance.
  • 19.
    Raoul-Cormeil G., « La métamorphose de la procédure tutélaire », in Pétel-Teyssié I. et Puigelier C. (dir.), Quarantième anniversaire du Code de procédure civile (1975-2015), Centre de recherches en théorie générale du droit. – Institut Jean Foyer de droit parlementaire. Avec le parrainage de l’Académie des sciences morales et politiques, 2016, Éd. Panthéon-Assas, p. 329 à 356.
  • 20.
    Lors de l’audition des proches parents de la personne à protéger, les juges des tutelles qui sont saisis d’une demande d’ouverture d’une mesure de protection juridique et constatent que les conditions seraient, au fond, réunies pour ouvrir une habilitation familiale, proposent au requérant de changer le fondement de sa demande : de se désister de sa demande initiale et de le saisir d’une requête en ouverture d’habilitation familiale. Le juge des tutelles ne fait cette proposition au requérant que s’il est certain que toute la famille proche adhère à cette mesure et au choix de la personne habilitée.
  • 21.
    Moisdon-Châtaigner S., « L’extinction et le renouvellement de l’habilitation familiale » (Actes du Colloque de Caen, 25 mars 2016), Dr. famille 2016, dossier 47, spéc. n° 17.
  • 22.
    C. civ., art. 494-9, al. 4 qui sanctionne le dépassement de pouvoir par la nullité relative. Sur ce texte, v. Raoul-Cormeil G., JCl. Civil Code, art. 494-1 à 494-12, 2017, n° 67.
  • 23.
    Sur la distinction du dépassement et du détournement de pouvoir ainsi que ses limites en cas d’opposition d’intérêts, v. Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts : une notion à définir », in Plazy J.-M. et Raoul-Cormeil G. (dir.), Le patrimoine de la personne protégée, 2015, LexisNexis, p. 57 à 83, spéc. n° 15, et les nombreuses références. Adde, Douville T., Les conflits d’intérêts en droit privé, t. 104, 2014, Institut Universitaire Varenne, Thèses.
  • 24.
    Sur le traitement original de l’opposition d’intérêts dans l’habilitation familiale, v. Raoul-Cormeil G., JCl. Civil Code, art. 494-1 à 494-12, n° 48.
  • 25.
    Noguéro D., note préc. (note 7), spéc. p. 225 ; Lemouland J.-J., note préc. (note 7).
  • 26.
    Rappr. Peterka N., Caron-Déglise A et Arbellot F., Protection de la personne vulnérable, Dalloz Action, 2017, n° 115.24 in fine, p. 101 : « Le juge des tutelles peut, d’office ou sur signalement, dessaisir la personne habilitée en cas de manquement caractérisé dans l’exercice de sa mission (C. civ., art. 417) ».
  • 27.
    V. déjà C. Sévely-Fournié, « Quel rôle pour le parquet dans la protection juridique des majeurs ? (De quelques interrogations pratiques sur l’application de la loi réformant la protection juridique des majeurs) », D. 2009, p. 1221 ; Lesigne G., « Le rôle du parquet dans la protection des majeurs vulnérables », AJ fam. 2014, p. 170.
  • 28.
    CA Douai, 6 avr. 2012, n° 12/00346 : RTD civ. 2012, p. 508, obs. Hauser J. – Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-10758 : AJ fam. 2014, p. 314, obs. Pecqueur E. et Moutourcy V.
  • 29.
    Rappr. Hauser J., « L’habilitation familiale : examen critique d’une nouvelle mesure de protection juridique. Rapport de synthèse du Colloque de Caen, 25 mars 2016) », Dr. famille 2016, dossier 48, spéc. n° 25 : « L’ajout effectué par l’ordonnance [du 15 octobre 2015], souffre de la méthodologie moderne en matière de légistique. Ajouter des morceaux de droit dans des ensembles qui ont leur cohérence, créer des nouveautés alors qu’on a déjà des moyens qui pourraient être améliorés, faire des textes dont la philosophie est incertaine ce qui rend la pratique dubitative et la jurisprudence hésitante, manifester une confiance excessive dans la privatisation de pans entiers du droit des personnes. La conclusion majoritaire [des auteurs] a été que ces textes avaient à faire leur preuve mais les destinataires de la norme ne sont pas que des cobayes sur lesquels on essaie des textes. Il y avait certainement mieux à faire que de réserver finalement la protection de l’État aux patrimoines importants en laissant les autres se protéger “en famille” ».
  • 30.
    V. nota. : CASF, art. L. 471-8 (L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, art. 32). Adde, CASF, art. D. 471-8 (D. n° 2016-1898, 27 déc. 2016, art. 2).
  • 31.
    Cass. 1re civ., 7 oct. 2015, n° 14-23955 : AJ fam. 2016, p. 58, obs. Verheyde T. ; D. 2016, p. 1536, obs. Lemouland J.-J. ; RJPF 2015-12/17, obs. Eudier J. ; RTD civ. 2015, p. 854, obs. Hauser J.
  • 32.
    Rappr. Peterka N., note préc. (note 7) : « L’absence de passerelles avec les mesures de protection judiciaire fait de l’habilitation familiale une mesure inaboutie. Ses imperfections, tant procédurales que substantielles, montrent combien l’objectif de simplification du droit et d’allègement des procédures, pourtant recherché par la loi du 16 février 2015, est loin d’être atteint ».
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