La place de l’habilitation familiale au sein du droit des majeurs protégés (un an après l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille)
L’ordonnance n° 2015-1288, du 15 octobre 2015, a créé un nouvel instrument juridique l’« habilitation familiale » afin de protéger une personne majeure hors d’état de manifester sa volonté. Cette mesure place au cœur de la protection, l’entourage familial du majeur vulnérable, venant ainsi « cristalliser » et donner une assise juridique à une situation de fait déjà fréquente. Cependant, il est important d’en mesurer les limites, les dangers et d’en percevoir les avantages.
L’ordonnance n° 2015-1288, du 15 octobre 2015, portant simplification et modernisation du droit de la famille a ajouté une section 6 au chapitre des mesures de protection juridique des majeurs intitulée : « De l’habilitation familiale ». Les articles 494-1 à 494-12 du Code civil sont applicables depuis le 1er janvier 2016.
Un an après l’entrée en vigueur de cette nouvelle mesure, les tribunaux d’instance parisiens constatent une augmentation linéaire du nombre de demandes de placement sous habilitation familiale alors que plusieurs tribunaux d’instance de province n’en ont encore jamais prononcé1. Ainsi, l’idée selon laquelle cette nouvelle mesure allait restaurer le principe de préférence familiale et inverser la tendance qui est de confier les charges curatélaire et tutélaire aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs est en très lente voie de confirmation.
Cette nouvelle mesure de protection juridique des majeurs qu’est l’habilitation familiale permet à un « proche » de représenter une personne « hors d’état de manifester sa volonté », ou de passer des actes en son nom.
En instaurant ce nouveau régime, le législateur a souhaité renforcer les mécanismes de solidarités familiales car les « proches » doivent entretenir des liens étroits et stables avec le majeur.
Ce dispositif tend à permettre aux familles qui sont en mesure de pourvoir seules aux intérêts de leur proche vulnérable, d’assurer cette protection sans se soumettre au formalisme des mesures de protection judiciaires. L’objectif recherché est de donner effet aux accords intervenus au sein d’une famille pour assurer la préservation des intérêts de l’un de ses membres.
Ce mécanisme a, théoriquement, vocation à remplacer le prononcé d’une tutelle et se distingue du mandat de protection future car la mise en place de la mesure n’est pas à l’initiative du majeur vulnérable.
Ainsi, lorsque le juge des tutelles habilite un ou plusieurs proches de la personne hors d’état de manifester sa volonté à la représenter ou à passer des actes en son nom, il prononce, depuis un an, une mesure de protection des majeurs en partie judiciarisée (I). Cependant, cet encadrement judiciaire peut être considéré comme laxiste et par conséquent susceptible d’entraîner des difficultés pratiques qui peuvent amener le professionnel du droit à conseiller la mise en place d’une mesure alternative, raison pour laquelle le prononcé est encore peu fréquent (II).
I – La judiciarisation de la mesure
Là où la sauvegarde de justice assure une protection juridique temporaire, la curatelle assiste ou contrôle de façon continue, la tutelle représente de manière ininterrompue, l’habilitation familiale est à la carte. Au même titre que les trois autres mesures de protection et contrairement au mandat de protection future, une décision du juge des tutelles est requise pour sa mise en place (A). Il faudra donc en étudier les effets (B).
A – L’intervention du juge des tutelles
Le juge des tutelles intervient lors : de la prise de décision de l’habilitation, de la détermination du domaine de l’habilitation familiale, de l’établissement de la liste des actes que la personne habilitée a le pouvoir d’accomplir et de la détermination de la durée de la mesure.
Placer un majeur sous le régime de l’habilitation familiale nécessite le respect de plusieurs conditions tenant au majeur, à la ou les personnes habilitées et à leur entourage familial. À ce titre, le majeur doit être hors d’état de manifester sa volonté en raison d’une altération de ses facultés mentales ou corporelles2. Ainsi, cela caractérise le principe de nécessité. Il faut immédiatement relever que malgré son incapacité à manifester sa volonté, le majeur pourra être entendu ou appelé par le juge des tutelles3. Les personnes susceptibles d’être habilitées sont limitativement énumérées. Il s’agit des ascendants, descendants, frères, sœurs, conjoints, partenaires ou concubins sous réserve que la communauté de vie n’ait pas cessé4. Elles sont également à l’origine de la mise en place de ladite mesure. Enfin, le juge des tutelles doit s’assurer de « l’adhésion, ou à défaut, de l’absence d’opposition légitime à la mesure d’habilitation et au choix de la personne habilitée des proches mentionnés »5. En d’autres termes, l’habilitation familiale est la seule mesure de protection pour les majeurs qui nécessite l’accord de son entourage. Par conséquent, en cas d’opposition familiale, il faudra mettre en œuvre le principe de subsidiarité afin de proposer une mesure alternative de protection. L’habilitation familiale doit intervenir après les règles du droit commun de la représentation6 et après le mandat de protection future mais avant la sauvegarde de justice, la curatelle ou la tutelle.
Cette nouvelle mesure de protection juridique des majeurs respecte donc le principe de nécessité et son corollaire, le principe de subsidiarité, ce qui explique certainement le nombre de mise en place de l’habilitation familiale par le juge des tutelles.
Par l’intermédiaire du principe de proportionnalité, l’habilitation familiale est une mesure de protection sur mesure : l’étendue de la protection varie au gré des situations. Le principe est la mise en place d’une habilitation familiale spéciale, c’est-à-dire limitée à un ou plusieurs actes patrimoniaux et/ou personnels. L’exception est l’habilitation familiale générale qui porte sur l’intégralité des actes patrimoniaux et/ou personnels. Cette dernière n’est prononcée que sous réserve de sa conformité aux intérêts de la personne physique à protéger. Cette souplesse caractérise l’un des attraits de la mesure qu’il faut souligner auprès des majeurs souhaitant anticiper leur future incapacité.
Force est de constater qu’il existe une modification du référentiel permettant la délimitation du champ d’application de la mesure. En effet, là où la sauvegarde, la curatelle et la tutelle axent l’étendue et les modalités de la mission du représentant sur la distinction : acte conservatoire, acte d’administration et acte de disposition ; l’habilitation familiale gravite en orbite autour des actes patrimoniaux et personnels.
La ou les personnes physiques habilitées sont tenues par la décision du juge des tutelles qui fixe limitativement et précisément leur mission en fonction des intérêts du majeur à protéger. Il s’agit d’une mesure graduelle de protection. Ainsi, le majeur n’a plus le droit de conclure seul un acte juridique entrant dans le domaine patrimonial confié à la ou les personnes habilitées. C’est l’application de la technique de représentation exclusive, matériellement caractérisée par une mention en marge sur l’acte de naissance de la personne protégée, dans le cas d’habilitation familiale générale.
Nonobstant une apparente flexibilité, l’habilitation familiale est strictement encadrée dans le temps. Calquée sur la tutelle, elle est limitée à 10 ans, renouvelable, dans la même limite de 10 ans, pouvant être portée à une durée maximale de 20 ans exclusivement dans l’hypothèse où l’altération des facultés personnelles du majeur est irrémédiable et insusceptible d’amélioration. Les modalités de renouvellement sont plus strictes qu’en matière tutélaire car un certificat médical circonstancié est exigé7. À tout moment, le juge des tutelles peut modifier l’étendue de la mesure. Enfin, l’habilitation prend fin dans cinq cas distincts prévus par l’article 494-11 du Code civil. Il faut regretter que le législateur n’ait pas pris la peine de préciser la durée de l’habilitation familiale spéciale. Il est donc fortement recommandé de préconiser une telle demande de fixation de la durée lors de la procédure de mise en place de ladite mesure.
B – Les effets de cette judiciarisation
Quand bien même une partie de la doctrine semble affirmer qu’il existe un doute concernant l’application des deux premières sections du chapitre II du titre XI du livre 1er du Code civil, eu égard au silence de l’ordonnance, nous considérons que cette incertitude ne mérite pas notre approbation8. En effet, puisque le juge des tutelles intervient à différentes étapes de l’habilitation familiale, il s’agit d’une mesure judiciaire qui par conséquent est nécessairement soumise au régime primaire de la matière9. La protection du logement est maintenue, ce qui se confirme en pratique depuis un an. Les effets de la judiciarisation de l’habilitation sont donc cohérents avec les mesures de protection juridiques des majeurs telles que prévues par le Code civil.
La judiciarisation d’une mesure de protection impacte également la qualification du statut personnel du majeur protégé. Lorsqu’un majeur a conclu un mandat de protection future et que ce mécanisme contractuel est mis en place, ledit majeur ne perd pas sa capacité juridique10. Cela n’est pas le cas en présence des deux mesures d’incapacité que sont la curatelle11 et la tutelle. L’habilitation familiale entraîne une incapacité temporaire, pour la durée de la mesure, et partielle, car limitée aux actes compris dans l’habilitation. Il est donc possible d’affirmer que l’incapacité est totale en cas d’habilitation familiale générale portant tant sur l’intégralité des actes patrimoniaux que personnels.
Par ailleurs, cette mesure, en partie judiciarisée, permet de protéger le majeur contre l’insécurité juridique qui vient à nouveau d’être mis en exergue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 4 janvier 201712. Enfin, cela deviendra entièrement effectif lorsque le mandat de protection future sera inscrit sur un registre spécial qui devrait très prochainement être défini par décret.
En conclusion, il apparaît que l’habilitation judiciaire est un mécanisme hybride de protection des majeurs vulnérables qui se situe à la frontière entre la tutelle et le mandat de protection future. La judiciarisation de l’institution est donc partielle, ce qui est susceptible de faire l’objet de vives critiques entraînant la préconisation de la mise en place d’une mesure alternative.
II – La mise en place de mesures alternatives
C’est certainement une mesure de protection qui ne peut pas être préconisée dans toutes les situations car, nous le verrons, l’habilitation familiale peut être dangereuse et aller à l’encontre de la volonté du majeur à protéger (A). Lorsque sa préconisation pourra être envisagée, il sera important de préciser au majeur qu’il existe tout de même des risques en raison d’un contrôle très limité contre lesquels il est possible de se prémunir en partie et lui proposer d’envisager une mesure alternative telle que le mandat de protection future (B).
A – Les raisons – une judiciarisation limitée
La principale raison pour laquelle une autre mesure de protection pourrait être préconisée est relative à l’absence de contrôle des modalités de mise en œuvre de la mesure de l’habilitation familiale. Alors même que les pouvoirs du « proche » habilité sont plus importants que ceux du tuteur dans le cadre d’une tutelle, aucun contrôle, contre-pouvoir ou modalité de révision ne sont réellement envisagés13.
En effet, la ou les personnes habilitées14 peuvent accomplir tous les actes de disposition (vente d’un immeuble, ouverture et clôture de compte bancaire15) sans aucun contrôle pendant dix ans et vingt ans en cas de renouvellement, à l’exception des conflits d’intérêts ou des actes de dispositions à titre gratuit qui nécessitent l’autorisation du juge des tutelles16. Contrairement à la ou les personnes habilitées, le tuteur est soumis à certaines procédures de contrôle17.
La personne habilitée est entièrement « maître à bord », il n’existe pas de contrôle des comptes, aucune surveillance. Contrairement à la tutelle et à la curatelle renforcée, aucun compte de gestion n’est à rendre.
Force est de constater qu’il y a une absence totale de contre-pouvoir, ce qui pourrait donc aisément donner lieu à des abus de faiblesse ou de dépendance18. C’est en partie l’une des raisons de la lente mise en place de la mesure. Le seul élément qui pourrait s’apparenter à un encadrement des pouvoirs de la ou des personnes habilitées est la sanction des actes passés irrégulièrement prévue à l’article 494-9 du Code civil. La judiciarisation de la mesure n’est que partielle car il existe une déjudiciarisation totale concernant l’encadrement et le contrôle des pouvoirs de la ou des personnes habilitées. L’habilitation familiale abandonne entièrement à la sphère familiale la représentation et la préservation des intérêts du majeur vulnérable sous la seule allégation d’une confiance familiale et d’un respect sans faille des uns et des autres. Malheureusement, le législateur a été candide en refusant de soumettre l’habilité à un quelconque contrôle.
Il faut maintenant espérer que la ou les personnes habilitées respectent le principe de probité et que cette nouvelle mesure ne vienne pas confirmer l’intégration du nouveau vice de consentement dans le Code civil qu’est l’abus de dépendance19. Seul l’avenir nous permettra de nous prononcer sur cet élément pratique.
Le législateur a souhaité renforcer la solidarité familiale et diminuer les réticences de l’entourage à l’égard de la tutelle ou de la curatelle. Cette absence d’encadrement des pouvoirs de la ou des personnes habilitées doit entraîner une grande méfiance à l’égard de l’habilitation familiale générale. Seule l’habilitation familiale spéciale pourrait, en pratique, s’avérer intéressante et protectrice des intérêts patrimoniaux et personnels du majeur protégé. Enfin, il existe un intérêt économique au choix de cette nouvelle mesure : les juges des tutelles y ont recours à la place de la nomination d’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
B – La pertinence d’une mesure alternative – le mandat de protection future
En présence d’un proche de confiance ou en l’absence de conflit intrafamilial, il pourrait être utile de mettre en place cette mesure afin d’éviter les lourdes procédures des mesures alternatives de représentation des majeurs protégés. Cependant, si tel n’est pas le cas et qu’un doute existe, il est important de recommander au majeur de conclure un mandat de protection future car il s’agit du seul moyen pour lui de voir sa volonté respectée et ses intérêts protégés. En effet, cela a également été récemment confirmé par la Cour de cassation. Le 4 février dernier, la première chambre civile a affirmé que l’autonomie de la volonté d’un majeur exprimée dans un mandat de protection future était supérieure à toutes mesures alternatives de protection.
À toutes fins utiles, il faut recommander à la personne de l’entourage du majeur qui endossera la qualité de personne habilitée de recueillir l’ensemble des consentements des proches afin d’apporter la preuve exigée par l’article 494-4, alinéa 2, du Code civil de l’absence d’opposition des proches au choix d’une ou plusieurs personnes habilitées. En outre, il lui est également recommandé de se ménager la preuve de la régularité de sa gestion afin de pallier le manque de contrôle.
Pour conclure, il est important que les tiers aient conscience des risques encourus de nullité des actes conclus avec un majeur et que les notaires prennent la mesure de leur responsabilité. En raison de l’absence de publicité de l’habilitation familiale spéciale, tout soupçon d’incapacité de la part d’un tiers vis-à-vis de son cocontractant devrait se concrétiser par une demande auprès du greffe du tribunal d’instance compétent afin de vérifier l’absence de mesure de protection. Il incombe désormais aux notaires de veiller à ce que de potentiels actes litigieux ne soient pas conclus en violation d’une quelconque autorisation du juge des tutelles ou de la ou les personnes habilitées.
Notes de bas de pages
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1.
Entre 10 et 20 depuis le début de l’existence de cette mesure pour le tribunal d’instance du 16e arrondissement de Paris et 4 pour le tribunal d’instance du 1er arrondissement de Paris. A contrario, plusieurs tribunaux d’instance du Sud et de l’Ouest français n’ont pas encore prononcé de mesure d’habilitation familiale et ne semblent pas enjoués par l’idée.
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2.
C. civ., art. 494-1 qui procède par renvoi à C. civ., art. 425.
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3.
C. civ., art. 494-4, al. 1er. Il s’agit d’une incohérence interne au texte qu’il convient de regretter.
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4.
C. civ., art. 494-1.
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5.
C. civ., art. 494-4, al. 2.
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6.
Dès lors que la personne à protéger est mariée, l’habilitation familiale n’est pas autorisée, à moins que les règles du régime matrimonial primaire soient insuffisantes (C. civ., art. 217 ; C. civ., art. 219 ; C. civ., art. 1426 ; C. civ., art. 1429).
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7.
C. civ., art. 494-6, al. 7.
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8.
V. en ce sens not., Peterka N., « Les majeurs protégés : les nouveautés », AJ fam. 2016, p. 186 et s. ; Mallet-Bricourt B., « La nouvelle “habilitation familiale”, ou le millefeuille de la représentation des majeurs protégés », RTD civ. 2016, p. 190.
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9.
C. civ., art. 425 à 432.
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10.
Il faut noter que l’inverse est impossible car le majeur placé sous habilitation familiale dispose d’une incapacité spéciale de conclure un mandat de protection future (C. civ., art. 494-8).
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11.
Quand bien même cette incapacité peut être partielle.
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12.
Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, n° 15-28669.
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13.
En cas de difficulté, il existe une possibilité de saisir le juge des tutelles.
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14.
Dans l’hypothèse d’une habilitation familiale générale et non spéciale. Toutefois, il faut noter qu’eu égard au vieillissement de la population, les habilitations spéciales auront un jour vocation à devenir générales.
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15.
C. civ., art. 494-7, procédant par renvoi à C. civ., art. 427.
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16.
C. civ., art. 494-6, al. 2.
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17.
Tel est le cas pour une vente immobilière : le tuteur doit former une requête auprès du juge des tutelles justifiant le bien-fondé de la vente.
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18.
Quand bien même la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 modifie l’article 311-12 du Code pénal qui dispose désormais que : « Ne peut donner lieu à des poursuites pénales le vol commis par une personne :
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19.
1° Au préjudice de son ascendant ou de son descendant ;
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20.
2° Au préjudice de son conjoint, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément.
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21.
Le présent article n’est pas applicable :
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22.
a) Lorsque le vol porte sur des objets ou des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de paiement ;
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23.
b) Lorsque l’auteur des faits est le tuteur, le curateur, le mandataire spécial désigné dans le cadre d’une sauvegarde de justice, la personne habilitée dans le cadre d’une habilitation familiale ou le mandataire exécutant un mandat de protection future de la victime ». Ainsi, le second alinéa a été ajouté afin de supprimer l’immunité pénale des proches protecteurs du majeur. Là où les personnes habilitées ne seront donc plus couvertes par cette immunité.
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24.
C. civ., art. 1143.