Héritier ab intestat, donation rapportable et assurance-vie

Publié le 18/05/2017

Est censuré l’arrêt d’appel qui décide que les petits-enfants de la défunte doivent le rapport de la prime du contrat d’assurance-vie à la succession de cette dernière alors qu’ils n’ont pas la qualité d’hériter ab intestat.

Cass. 1re civ., 8 mars 2017, no 16-10384, PB

1. Parmi les cinq codes napoléoniens1, le Code civil est une œuvre complète qui, dans son livre relatif aux successions, a repris notamment le principe immémorial selon lequel l’égalité est l’âme des partages2. Selon la formule consacrée en la matière et très bien résumée par François Sauvage : « (…) le rapport a pour finalité de faire régner l’égalité entre les cohéritiers et de reconstituer pour ce faire une masse successorale indemne, la dette de rapport du donataire se mesure à l’aune de la valeur du bien tel qu’il lui a été donné et par conséquent comme s’il était demeuré dans le même état du jour de la donation jusqu’au jour du partage de la succession du donateur »3. Au-delà des modalités du rapport successoral, l’arrêt rapporté démontre, si besoin était, à quel point le droit des successions pose l’éternelle question de la liquidation partage du patrimoine successoral.

2. Au cas d’espèce, le de cujus décède en laissant comme héritiers légaux ses deux enfants4. Auparavant, le de cujus avait souscrit une assurance sur la vie en désignant comme bénéficiaires l’un de ses petits-fils. Son fils a assigné devant le tribunal de première instance de Papeete son frère et ses neveux en partage de la succession. Les juges du fond ont estimé que les petits-enfants du de cujus devaient rapporter à la succession la prime versée sur le contrat d’assurance sur la vie. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article 843 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-228 du 23 juin 2006, et de l’article L. 132-13 du Code des assurances. Pour la haute instance, le rapport des donations n’est dû que par les héritiers ab intestat venant à la succession du donateur (I), ou en vertu de la représentation successorale (II).

I – L’exigence du rapport des donations dû par l’héritier ab intestat venant à la succession du donateur

3. La solution adoptée par la Cour de cassation renvoie à la qualité d’hériter ab intestat (A), qui est tenu au rapport des donations afin d’assurer l’égalité entre les copartageants (B).

A – L’héritier ab intestat successible

4. Dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-228 du 23 juin 2006, l’article 843 du Code civil disposait : « Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport. Les legs faits à un héritier sont réputés faits par préciput et hors part, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant »5. De tradition, les héritiers appelés et acceptant la succession du de cujus sont tenus en principe au rapport des donations6. Il est de jurisprudence constante que la qualité d’héritier réservataire est indifférente à l’obligation au rapport7. Cette dernière question a été résolue par un arrêt de la Cour de cassation : « Attendu que, pour rejeter la demande de rapport des sommes versées au titre des primes manifestement excessives des six contrats d’assurance sur la vie, l’arrêt énonce que M. X et Mme X ne sont pas des héritiers réservataires de leur tante, qu’ils ne sont donc pas tenus au rapport d’une éventuelle donation et qu’en application des articles 843 et 863 du Code civil et de l’article L. 132-13 du Code des assurances, les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s’appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, même exagérées, en l’absence d’héritiers réservataires ; Qu’en statuant ainsi, alors que la qualité de réservataire est indifférente à l’obligation de rapport pesant sur tout héritier, la cour d’appel, ajoutant une condition à la loi, a violé les textes susvisés ; Par ces motifs : casse et annule »8.

5. Dans l’arrêt rapporté, la défunte avait souscrit un contrat d’assurance sur la vie en désignant comme bénéficiaires ses petits-enfants. En effet, la défunte laisse à son décès deux enfants et deux petits-enfants. Conformément à l’article 734 du Code civil qui dispose qu’ « en l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit : 1° Les enfants et leurs descendants ; 2° Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ; 3° Les ascendants autres que les père et mère ; 4° Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers. Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants ». Certes, tous les héritiers sont des héritiers de 1er ordre. Pour autant, l’enfant de la défunte est au 1er degré tandis que les petits-enfants sont au 2nd degré9. Pour justifier la censure prononcée, la première chambre civile a jugé qu’il ressort de l’article 843 du Code civil que le débiteur du rapport de la donation est un héritier ab intestat appelé à la succession de la défunte.

B – L’héritier ab intestat successible tenu au rapport des donations

6. Il est désormais acquis que les donations entre vifs sont présumées rapportables10. Sauf volonté contraire, le donataire qui n’est pas héritier n’est pas débiteur du rapport, pas plus d’ailleurs que le légataire11. C’est en ce sens que la Cour de cassation a censuré les juges du fond motifs pris : « Vu l’article 843 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 ; Attendu que l’arrêt condamne M. et Mme Y à rapporter la somme de 20 885,51 € à la succession ; Qu’en statuant ainsi, alors que le rapport des libéralités à la succession n’est dû que par les héritiers ab intestat et que M. et Mme Y n’avaient que la qualité de légataires à titre universel, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »12.

7. Par l’arrêt de cassation rapporté, la haute juridiction a censuré les juges du fond au visa notamment de l’article L. 132-13 du Code des assurances qui dispose que : « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ». En l’occurrence, les consorts Z, demandeurs au pourvoi soutenaient en vain « (..) que le tribunal a ordonné le rapport de cette prime d’assurance-vie, en application des dispositions de l’article L. 132-13 du Code des assurances, en retenant qu’elle était manifestement exagérée au regard des facultés de Georgette X ». Mme Crédeville et M. de Gouttes écrivent à ce propos que « l’article L. 132-13 du Code des assurances exclut du domaine du rapport et de la réduction le capital, qui, n’ayant jamais fait partie du patrimoine du stipulant, ne constituant pas une valeur successorale, ne saurait entrer en ligne de compte pour le calcul de la réserve ; toutefois le montant des primes est sorti du patrimoine du contractant et si les sommes versées comme primes ont manifestement été excessives en raison des facultés de l’assuré il y aura lieu à rapport et à réduction »13. À la lecture de l’arrêt annoté, il semble bien qu’un régime particulier soit aujourd’hui établi en matière de rapport du contrat d’assurance-vie. Tout d’abord, en cas de prime manifestement exagérée le rapport est dû à la succession du souscripteur. Ensuite, s’agissant du capital ou de la rente, la requalification du contrat en donation indirecte le rend éligible au rapport14. Malgré l’intérêt du recours au contrat d’assurance-vie, les arguments restent souvent insuffisants pour éviter le rapport à la succession du souscripteur hormis le particularisme de la théorie de la représentation.

II – Le jeu du rapport des donations dans le cas de la représentation successorale

8. Suivant la théorie de la représentation successorale, la haute juridiction rappelle ici que le rapport des libéralités n’est dû que par les héritiers ab intestat, qualité que n’ont pas les petits-enfants du de cujus, hormis l’hypothèse où ils viennent en représentation successorale (A) ou cette dernière est écartée à défaut d’avoir été stipulée dans le contrat d’assurance-vie (B).

A – La fiction-représentation successorale

9. Il ne fait aucun doute que la représentation successorale est une représentation de la personne et non de la volonté15 ce qui la différencie des actes juridiques16. La représentation successorale est prévue à l’article 751 du Code civil qui énonce que « la représentation est une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté ». Paul Toutée, dans sa thèse doctorale concernant la représentation successorale dit peut-être l’essentiel : « c’est la représentation-fiction d’autrefois, celle qui fait remonter d’un ou plusieurs degrés certains héritiers pour leur permettre de venir à la succession »17. Le régime juridique de la représentation successorale a été modifié successivement par la loi n° 2001-1136 du 3 décembre 2001 et la loi n° 2006-728 du 23 juin 200618.

10. Pour autant, le motif d’équité qui caractérise la représentation successorale engendre parfois des effets inattendus et controversés au niveau du rapport des donations. Paul Toutée avait déjà relevé : « Que le représentant ait ou non hérité du représenté, il est toujours tenu, lorsqu’il vient le représenter dans une autre succession, de rapporter les libéralités à lui faites par le défunt (art. 848). Il peut donc être tenu d’un double rapport : 1° rapport des donations à lui faites ; 2° rapport des donations faites au représentée »19.

11. Par le jeu de la représentation, l’article 848 dispose : « Pareillement, le fils venant de son chef à la succession du donateur n’est pas tenu de rapporter le don fait à son père, même quand il aurait accepté la succession de celui-ci ; mais si le fils ne vient que par représentation, il doit rapporter ce qui avait été donné à son père, même dans le cas où il aurait répudié sa succession ».

Plus précisément, l’article 848 in fine signifie qu’en cas de représentation, il faut toujours rapporter les libéralités faites au représenté, dès lors que ce dernier est prédécédé ou même indigne20. En l’espèce, la Cour de cassation indique que le rapport des libéralités n’est dû que par les héritiers ab intestat, qualité que n’ont pas les petits-enfants du de cujus, hormis l’hypothèse où ils viennent en représentation d’un parent prédécédé, renonçant ou indigne.

B – La clause de représentation stipulée dans un contrat d’assurance-vie

12. S’il faut admettre que la représentation ne se présume pas en matière de contrat d’assurance-vie21, on ne peut tout de même pas ignorer que le bénéficiaire qui se prévaut de la représentation doit rapporter la preuve qu’elle a été expressément stipulée dans la clause bénéficiaire. Il en résulte qu’une clause doit être rédigée avec le plus grand soin si le souscripteur souhaite faire bénéficier les héritiers d’un degré subséquent en optant pour la clause bénéficiaire adéquate. Un auteur a justement démontré le rôle de la clause de représentation insérée dans une clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie22. Force est de reconnaître que la difficulté en l’occurrence est de déterminer la désignation du bénéficiaire de premier rang23. L’intérêt de la clause de représentation n’a plus à être démontré tant son absence risque d’être préjudiciable pour certains héritiers. C’est ainsi qu’en l’absence de clause de représentation en cas de prédécès d’un bénéficiaire, la part des autres bénéficiaires de même rang sera accrue24. Une jurisprudence sans équivoque de la Cour de cassation25 estime que « l’attribution à titre gratuit du bénéfice d’une assurance sur la vie à une personne déterminée (…) est présumée faite sous la condition de l’existence du bénéficiaire à l’époque de l’exigibilité du capital ou de la rente garantie, de sorte que, à défaut d’une clause de représentation en cas de décès de l’un des bénéficiaires, la désignation de ce dernier devient caduque par son décès et le capital ou la rente garantie font dès lors partie du patrimoine ou de la succession du contractant »26.

13. Au cas d’espèce, la haute juridiction suit ce raisonnement et censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 843 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-228 du 23 juin 2006. Aussi, il ne saurait trop être recommandé aux souscripteurs d’un contrat d’assurance-vie de s’assurer de l’existence de la clause de représentation en cas de prédécès voire en cas de renonciation du bénéficiaire.27

Clause bénéficiaire classique d’un contrat d’assurance-vie : « Les enfants nés ou à naître de l’assuré par parts égales entre eux, ou en cas de prédécès ou de renonciation de leur part leurs descendants en suivant les règles de la représentation légale »28.

Variante 1 : « Les enfants nés ou à naître de l’assuré par parts égales entre eux, ou en cas de prédécès de leur part leurs descendants en suivant les règles de la représentation légale »29.

Variante 2 : « Les enfants nés ou à naître de l’assuré par parts égales entre eux, ou en cas de renonciation de leur part leurs descendants en suivant les règles de la représentation légale »30.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Branlard J.-P., « Napoléon Bonaparte, Droit et gastronomie – Les apports et les rapports cachés », Option Qualité, n° 216, 1er mai 2003, Lamy.
  • 2.
    Blanchy N., « Successions : qu’est-ce que le rapport et la réduction ? », http://www.nicolasblanchy.fr/successions-quest-ce-que-le-rapport-et-la-reduction/.
  • 3.
    Sauvage F., « Modification de l’état du bien donné : le rapport à succession de la petite parcelle devenue grande », RJPF 2013/9, p. 36.
  • 4.
    CLG, « Rappel sur la qualité requise pour demander le rapport », Lamy Actualité 22 mars 2017.
  • 5.
    L’article 843 du Code civil issu de la loi n° 2006-228 du 23 juin 2006, dispose : « Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant ».
  • 6.
    Peterka N., « Synthèse – Rapports successoraux », JCl. Civil, n° 9.
  • 7.
    Ibid.
  • 8.
    Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-20017.
  • 9.
    Aulagnier J., Aynès L., Bertrel J.-P. et a., « La représentation », Le Lamy Patrimoine, n° 690-80.
  • 10.
    Peterka N., « Synthèse – Rapports successoraux », op. cit., n° 2.
  • 11.
    Beignier B., Cabrillac R., Lécuyer H. et Desolneux M., « Débiteurs du rapport », Le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, n° 257-7.
  • 12.
    Ibid, Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-16157.
  • 13.
    Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 03-13673 : Bull. civ. ch. mixte, nos 5, 6, 7 et 8 ; BICC n° 613, p. 17, rapport de Mme Crédeville et avis de M. de Gouttes : https://www.courdecassation.fr/.
  • 14.
    Peterka N., « Synthèse – Rapports successoraux », op. cit., n° 5.
  • 15.
    Malaurie P. et Aynès L., Droit des successions et des libéralités, 7e éd., 2016, LGDJ-Lextenso, p. 79, n° 76.
  • 16.
    Leroyer A.-M., Droit des successions, 3e éd., 2014, Dalloz, Cours, p. 57, n° 63.
  • 17.
    Toutée P., La représentation successorale, Thèse Paris, 1919, p. 63.
  • 18.
    Donnier J.-B., « Successions – Des droits des parents en l’absence de conjoint successible – De la représentation (C. civ., art. 751 à 755) », JCl. Civil Code, Fasc. 20, n° 53.
  • 19.
    Toutée P., La représentation successorale, op. cit., p. 70 ; v. également, Donnier J.-B., « Successions », Fasc. 20, op. cit., nos 90 et s.
  • 20.
    Leroyer A.-M., Droit des successions, 3e éd., 2014, Dalloz, Cours, p. 374.
  • 21.
    V. Cass. 2e civ., 13 juin 2013, n° 12-20518 : dans cet arrêt, la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que les juges du fond ont bien caractérisé la clause de représentation.
  • 22.
    Levillain N., « Clause bénéficiaire : les erreurs à ne pas commettre », AJ fam. 2016, p. 418.
  • 23.
    Niel P.-L., « Anticiper les conséquences de la réforme du divorce sur l’assurance-vie », Defrénois 30 août 2007, n° 38633, p. 1129.
  • 24.
    Bigot-Gonçalves M., « La rédaction de la clause bénéficiaire », Dr. & patr. mensuel 2012, n° 218, p. 54.
  • 25.
    Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-20017, op. cit.
  • 26.
    Donnier J.-B., « Successions », Fasc. 20, op. cit., n° 15.
  • 27.
    Bigot-Gonçalves M., « La rédaction de la clause bénéficiaire », op. cit., p. 54.
  • 28.
    Ibid., Leroy M., Assurance-vie et gestion du patrimoine, 2011, Lextenso, « Les intégrales », n° 171, p. 92 ; Iwanesko M. et Cordier V., « L’optimisation de la rédaction des clauses bénéficiaires », JCP N 2010, 1059.
  • 29.
    Ibid., Leroy M., Assurance-vie et gestion du patrimoine, 2011, Lextenso, « Les intégrales », n° 171, p. 92 ; Iwanesko M. et Cordier V., « L’optimisation de la rédaction des clauses bénéficiaires », JCP N 2010, 1059.
  • 30.
    Ibid., Leroy M., Assurance-vie et gestion du patrimoine, 2011, Lextenso, « Les intégrales », n° 171, p. 92 ; Iwanesko M. et Cordier V., « L’optimisation de la rédaction des clauses bénéficiaires », JCP N 2010, 1059.
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