L’adultère, cause de révocation d’une donation entre époux

Publié le 16/02/2018

Selon un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 octobre 2017, qui rejette le pourvoi, en estimant que la cour d’appel a décidé à bon droit que l’adultère qui présente le caractère d’injure grave au sens de l’article 955 du Code civil entraîne la révocation de la donation entre époux au dernier vivant.

Cass. 1re civ., 25 oct. 2017, no 16-21136, F–PB

1. Voici une décision qui doit faire réfléchir les époux aux comportements volages et injurieux ! En l’espèce1, Didier X s’est donné la mort le 7 août 2011 tant et si bien que MM. Charles et Thomas X (les consorts X), enfants du défunt issus d’un précédent mariage, ont assigné Mme Y, épouse de leur père, en révocation de la donation entre époux au dernier vivant que ce dernier lui avait consentie le 20 juin 2002. Les juges du fond déclarent recevable l’action en révocation introduite par les consorts X, en vertu de l’article 957 du Code civil et admettent que les relations adultères entretenues par la donataire caractérisent la gravité de l’injure justifiant la révocation de la donation entre époux au dernier vivant. L’épouse se pourvoit en cassation considérant d’une part, que la prescription de l’action en révocation d’une donation pour ingratitude est acquise à l’expiration d’un délai d’un an à compter du fait reproché au gratifié ou de sa connaissance par le donateur ; qu’en affirmant que l’action n’était pas prescrite au motif que l’adultère étant un fait d’ingratitude prolongé, le point de départ du délai de prescription du délai était le moment où ce fait avait cessé, cependant que le fait d’adultère revêt un caractère instantané, la cour d’appel a violé l’article 957 du Code civil et d’autre part, que seul l’adultère qui présente le caractère d’injure grave au sens de l’article 955 du Code civil, peut entraîner la révocation de la donation ; qu’en se bornant à relever l’existence d’un adultère, sans caractériser en quoi, au regard des relations existantes entre M. et Mme X, cet adultère présentait le caractère d’injure grave, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 955 du Code civil. La Cour de cassation rejette le pourvoi en reconnaissant que l’adultère constitue une cause de révocation de la donation entre époux au dernier vivant (I) et que l’action en révocation de la donation n’est pas prescrite (II).

I – L’adultère constitue une cause de révocation de la donation entre époux au dernier vivant

2. Pour la haute juridiction, les relations adultères entretenues par la donataire caractérisent la gravité de l’injure (A) justifiant ainsi la révocation de la donation entre époux au dernier vivant (B).

A – L’adultère assimilé à une injure grave

3. Selon l’article 955 du Code civil : « La donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude que dans les cas suivants : 1° Si le donataire a attenté à la vie du donateur ; 2° S’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; 3° S’il lui refuse des aliments ». Les causes d’ingratitude visées par l’article 955 du Code civil sont limitativement énumérées par la loi2. Il semble alors qu’il faille comprendre qu’en l’espèce, c’est bien le deuxième cas d’ingratitude qui est visé, « sévices, délits ou injures graves », envers le donateur, donnant aux juges du fond la plus grande marge d’appréciation des faits. On peut remarquer, dans un certain nombre de cas, que la cause d’ingratitude de « sévices, délits ou injures graves » envers le donateur, est selon le professeur Michel Grimaldi une catégorie de révocation pour « cause indéterminée »3. Il est acquis que les injures sont les atteintes portées volontairement à l’honneur et à la réputation du donateur par des paroles ou des actes4. Il s’agit d’une question de fait appréciée souverainement par les juges du fond.

4. Il est traditionnel de considérer que l’adultère de l’un des époux peut justifier une révocation pour injure grave5. C’est ainsi que la Cour de cassation dans un arrêt ancien avait déjà estimé : « (…) d’abord, que la cour d’appel a considéré qu’était recevable l’action en révocation de la donation formée par Mme P et MM. Bernard et Didier C, sans qu’il ait été besoin d’examiner si cette action était ou non la continuation de l’instance en séparation de corps introduite par leur mère ; qu’ainsi le premier grief manque par le fait qui lui sert de base ; qu’ensuite, c’est en vertu de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du second degré qui ont reconnu à l’adultère du mari le caractère d’injures graves au sens de l’article 955 du Code civil, ce que le moyen ne critique pas, ont considéré que ces injures avaient duré jusqu’au décès de la testatrice ; qu’ils en ont justement déduit que jusqu’à cette date Mme C était en possession de son droit d’agir, droit qui avait été transmis à ses héritiers ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches. Par ces motifs : Rejette le pourvoi »6. Il ne faut pourtant pas admettre trop facilement cette peine privée d’ingratitude édictée à l’article 955 du Code civil car, comme le remarque le professeur Alain Sériaux, « (…) les juges se montrent en général réservés (…) »7. C’est ainsi que l’infidélité de la concubine n’est pas considérée comme une injure grave8. En revanche, la jurisprudence révoque la donation en cas d’inconduite de la femme donataire de son mari9.

5. Dans l’arrêt annoté, les juges du fond ont pris soin de relever « qu’en effet, cet adultère est démontré, notamment par les éléments laissés par M. Didier X, avant son suicide, à savoir, le SMS écrit personnellement par le défunt (“je confirme les ragots ma femme est une pute. Merci Marcel mon sois disant ami. Didier”), ainsi que la vidéo sur son ordinateur placé sur une table devant son corps, contenant un message posthume au cours duquel il déclare notamment qu’il sait tout pour Marcel qu’il a entendu ». On peut se demander si cette cause limitative de révocation reste toujours d’actualité, car la doctrine relève à ce propos : « Maintenant que le divorce n’entraîne plus la révocation des donations entre époux des biens présents (C. civ., art. 265 ; L. n° 2004-439, 26 mai 2004, relative au divorce), la révocation pour cause d’ingratitude pourra prendre plus d’importance »10. On se rend donc bien compte que, sous des dénominations assez diverses (inconduite, relations injurieuses, attitude équivoque, etc.), les juges sanctionnent toutes les atteintes possibles au devoir de fidélité11.

B – Conséquences de la révocation de la donation entre époux au dernier vivant

6. La doctrine s’entend aujourd’hui pour considérer que les deux notions d’ingratitude et d’indignité sont bien différentes. Les auteurs expliquent avec pertinence que : « L’article 727 du Code civil évoquant l’indignité successorale qui suit la condamnation de l’héritier ayant tenté de tuer le successible, l’article 955 du même Code, selon lequel la condamnation pour tentative de meurtre sur la personne du donateur peut provoquer la révocation de la donation pour cause d’ingratitude »12. De plus, comme l’écrit fort justement le professeur Jean-Baptiste Donnier : « (…) mais les causes de révocation des donations pour ingratitude, telles qu’elles résultent de l’article 955 du Code civil, ne correspondent pas aux causes d’indignité successorale. L’ingratitude sanctionne des agissements moins graves que l’indignité, tels que le refus d’aliments par exemple. Par ailleurs, et c’est le motif essentiel de la distinction, le domaine de l’indignité est distinct de celui de l’ingratitude, l’indignité successorale étant propre au droit des successions (…) »13. En d’autres termes, alors que l’indignité qui suppose une condamnation, l’ingratitude est caractérisée dès lors que l’intention de tuer le donateur est établie14.

7. On peut ainsi penser qu’en l’espèce, l’épouse sera privée du bénéfice de la donation entre époux prévue à l’article 1094-1 du Code civil mais bénéficiera uniquement d’un quart en pleine propriété et ne pourra choisir l’option prévue par l’article 757 du Code civil car en l’espèce le de cujus est décédé en présence de MM. Charles et Thomas X (les consorts X), enfants du défunt issus d’un précédent mariage. En effet, l’article 757 du Code civil issu de la loi successorale par n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 dispose : « Si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».

II – La mise en œuvre de l’action en révocation de la donation entre époux au dernier vivant

8. Pour les hauts magistrats, les relations extraconjugales entretenues par la donataire avaient perduré jusqu’au décès, le 7 août 2011, du donateur qui n’en avait pas eu connaissance plus d’un an avant sa disparition, tant et si bien que les juges du fond en ont exactement déduit que l’action en révocation de la donation, introduite par acte du 26 juillet 2012, n’était pas prescrite (A). Nul doute que si les faits invoqués à la donataire constituent une infraction pénale, le point de départ sera différent (B).

A – Le délai de prescription de l’action en révocation

9. L’action révocatoire est enfermée dans un délai prévu à l’article 957 du Code civil qui dispose que : « La demande en révocation pour cause d’ingratitude devra être formée dans l’année, à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur. Cette révocation ne pourra être demandée par le donateur contre les héritiers du donataire, ni par les héritiers du donateur contre le donataire, à moins que, dans ce dernier cas, l’action n’ait été intentée par le donateur, ou qu’il ne soit décédé dans l’année du délit. » En l’espèce, la Cour de cassation a constaté que les relations extraconjugales entretenues par Mme Y avaient perduré jusqu’au décès, le 7 août 2011, de Didier X, qui n’en avait pas eu connaissance plus d’un an avant sa disparition, tant et si bien que la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en révocation de la donation, introduite par acte du 26 juillet 2012, n’était pas prescrite.

10. Il est acquis pour la Cour de cassation que le délai prévu à l’article 957 du Code civil est un délai préfix depuis un arrêt rendu le 18 décembre 2013, qui affirme : « Attendu qu’après avoir souverainement fixé au 31 octobre 2005 la date à laquelle les faits reprochés à Mme Coralie X étaient connus de Mme Marie-Yvonne X, les juges du fond, devant lesquels cette dernière n’a pas allégué la mise en mouvement de l’action publique à la suite de la plainte qu’elle avait déposée, en ont exactement déduit qu’elle n’était plus recevable à solliciter le 21 décembre 2006 la révocation de la donation pour cause d’ingratitude, le délai d’un an fixé par l’article 957 du Code civil pour former cette demande étant un délai préfix non susceptible d’interruption ni de prolongation ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Par ces motifs : Rejette le pourvoi »15.

11. Dans l’opinion traditionnelle, on enseigne qu’en aucune façon, le législateur n’indique comme condition que les actes doivent être nécessairement postérieurs à la libéralité16. De plus, on avance l’idée que ce bref délai préfix d’un an à compter de la commission des faits, se justifie par l’idée qu’au-delà de cette durée, on présume de manière irréfragable que le donateur a pardonné au gratifié17. En l’espèce, l’épouse soutenait en vain que la prescription de l’action en révocation d’une donation pour ingratitude est acquise à l’expiration d’un délai d’un an à compter du fait reproché au gratifié ou de sa connaissance par le donateur ; qu’en affirmant que l’action n’était pas prescrite au motif que l’adultère étant un fait d’ingratitude prolongé, le point de départ du délai de prescription du délai était le moment où ce fait avait cessé, cependant que le fait d’adultère revêt un caractère instantané, la cour d’appel a violé l’article 957 du Code civil.

B – Le délai de prescription en matière pénale

12. On admet généralement que le point de départ peut être différent lorsque la cause d’ingratitude constitue une infraction pénale18. Ainsi la Cour de cassation estime : « Attendu que ce texte, qui fixe le point de départ du délai d’exercice de l’action en révocation pour cause d’ingratitude au jour du délit civil imputé au gratifié ou au jour où ce délit aura pu être connu du disposant, n’exclut pas que, lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu’au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié ; Attendu que l’arrêt attaqué, qui a constaté que Cobinet avait, le 16 novembre 1972, été déclaré coupable par la juridiction correctionnelle du vol d’argent et de bijoux commis au préjudice de dame Courtin, a cependant décidé que la demande de révocation formée le 14 juin 1973 par les consorts Richebracque était irrecevable comme tardive ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé par fausse application le texte susvisé. Par ces motifs : Casse et annule »19. En d’autres termes, le point de départ du délai d’action peut être retardé jusqu’au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié20. De plus la Cour de cassation a précisé dans un arrêt récent : « Mais attendu, que la cour d’appel a retenu, à bon droit, que l’article 957 du Code civil, qui fixe le point de départ du délai d’exercice de l’action en révocation pour cause d’ingratitude au jour du délit civil imputé au donataire ou au jour où ce délit aura pu être connu du disposant, n’exclut pas que, lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu’au jour où la condamnation pénale établit la réalité de ce fait, c’est-à-dire au jour où elle devient définitive ; qu’ayant relevé que M. Y avait commis des violences sur sa mère le 21 mars 2010, que le donataire avait été condamné par un tribunal correctionnel le 23 mars suivant, alors que la victime était hospitalisée, la cour d’appel, retenant que le point de départ du délai d’un an devait être reporté au jour où la condamnation pénale était devenue définitive, le 3 avril 2010, en a exactement déduit que l’action révocatoire engagée le 25 mars 2011 était recevable ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; Par ces motifs : Rejette le pourvoi »21.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « L’adultère présentant le caractère d’injure grave constitue une cause d’ingratitude », Lamyline 3 nov. 2017 ; « Révocation d’une donation pour adultère », Dalloz actualité 8 nov. 2017, obs. Guiomard P. ; Giray C., « L’imbroglio des libéralités entre époux depuis la réforme du divorce », Dr. & patr. 2005, n° 135, p. 30.
  • 2.
    Niel P.-A., « Donations entre époux : les textes changent mais les problèmes demeurent », LPA 6 janv. 2017, n° 123c9, p. 10.
  • 3.
    Grimaldi M., Libéralités, partages d’ascendants, 2000, Litec, p. 332.
  • 4.
    Aulagnier J., Aynès L., Plagnet B. et Mourier R., « Sévices, délits et injures graves », Le Lamy Patrimoine, n° 280-265.
  • 5.
    Ibid.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 19 mars 1985, n° 84-10237.
  • 7.
    Sériaux A., Successions et libéralités, 2013, Ellipses, p. 90.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 20 juill. 1936 : Gaz. Pal. 1936, 2, p. 789.
  • 9.
    Cass. req., 19 oct. 1927 : Gaz. Pal. 1927, 2, p. 739.
  • 10.
    Malaurie P. et Brenner C., Droit de successions et des libéralités, 7e éd., 2016, LGDJ, p. 282, n° 489.
  • 11.
    Dekeuwer-Défossez F., Labasse J. et Mestre J., « Violation du devoir de fidélité : de l’adultère à l’infidélité morale », Le Lamy Droit des Personnes et de la Famille, n° 359-25.
  • 12.
    Caron D., actualisé par Douchy-Oudot M., « Autorité de la chose jugée – Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil », JCl. Civil Code, n° 6, fasc. 30.
  • 13.
    Donnier J.-B., « Successions – Qualités requises pour succéder – Indignité successorale », JCl. Civil Code, art. 726 à 729-1, fasc. 20.
  • 14.
    Pillebout J.-F., « Synthèse – Révocation des donations », JCl. Civil Code, n° 48.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, n° 12-26571.
  • 16.
    Julienne F., « Les faits antérieurs à la donation ne peuvent être sanctionnés sur le fondement de la révocation pour ingratitude », Dr. famille 2008, comm. 62.
  • 17.
    Ibid. ; Malaurie P., « La réforme des successions et des libéralités », Defrénois 30 nov. 2006, n° 38482, p. 1719 ; Salvage P., « Donations entre vifs, révocation pour cause d’ingratitude », JCl. Civil Code, art. 953 à 966, fasc. 20.
  • 18.
    C.L.G., « Révocation pour ingratitude : le point de départ du délai est décalé par la mise en mouvement de l’action publique… », Dr. & patr. hebdo, n° 949, p. 4.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 22 nov. 1977, n° 76-12847.
  • 20.
    C.L.G., « Révocation pour ingratitude : le point de départ du délai est décalé par la mise en mouvement de l’action publique… », op. cit.
  • 21.
    Cass. 1re civ., 19 mars 2014, n° 13-15662 : Beignier B., Cabrillac R., Lécuyer H. et Labasse J., « Ingratitude », Le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, n° 350-99.
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