Le respect du droit à l’image des enfants et les 5 apports de la loi du 19 février 2024
Dans le Journal Officiel de ce mardi 19 février 2024, a été publiée la loi n° 2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants. Il faudra désormais réfléchir à deux fois avant de publier la photo de son enfant sur les réseaux sociaux. Me Patrick Lingibé fait le point sur ce nouveau texte destiné à protéger le droit à l’image et la vie privée des enfants.
Ce texte de cinq articles provient d’une proposition de loi n° 758, qui n’en comportait à l’origine que quatre, enregistrée le 19 janvier 2023 à la présidence de l’Assemblée nationale par les députés Bruno STUDER, Aurore BERGÉ, Éric POULLIAT et des membres groupe Renaissance et apparentés.
« Un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans »
Les auteurs rappellent dans leur proposition de loi « on estime en moyenne qu’un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches. La publication sur les comptes des parents de contenus relatifs à leurs enfants, en anglais dénommée sharenting (contraction de sharing et parenting), constitue ainsi aujourd’hui l’un des principaux risques d’atteinte à la vie privée des mineurs, pour deux raisons. D’une part, du fait de la difficulté à contrôler la diffusion de son image, d’autant plus problématique dans le cas de mineurs. D’autre part, en raison d’un conflit d’intérêts susceptible de survenir dans la gestion du droit à l’image des enfants par leurs parents.
Les risques induits par l’exposition sur internet de l’image d’un mineur se matérialisent d’abord par la difficulté à contrôler la diffusion de ces images, qui constituent des données personnelles sensibles. 50 % des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux ([6]). Certaines images, notamment les photographies de bébés dénudés ou de jeunes filles en tenue de gymnastique intéressent tout particulièrement les cercles pédophiles ; le problème va donc bien au‑delà des contenus sexualisés mis en ligne par les parents ou par les enfants eux‑mêmes. Les informations diffusées sur le quotidien des enfants peuvent dans le pire des cas, qui plus est, permettre à des individus d’identifier leurs lieux et leurs habitudes de vie à des fins de prédation sexuelle. Enfin, au‑delà du risque pédophile, les contenus mis en ligne sont susceptibles de porter préjudice à l’enfant à long terme, sans possibilité pour lui d’en obtenir l’effacement absolu. »
Ce texte a été pensé par avant tout par leurs auteurs comme une « loi de pédagogie avant que d’être une loi répressive ou sanctionnatrice ».
Les parents sont responsables du droit à l’image de leurs enfants
Il est à noter que le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi le 4 mars 2023. Cette procédure qui est prévue par le second alinéa de l’article 45 de la Constitution permet ainsi au Premier ministre d’abréger la durée de la navette entre les deux chambres parlementaires en imposant une seule lecture par assemblée.
Cette proposition a été adoptée respectivement le 6 mars 2023 par le Palais Bourbon et le 10 mai 2023 par le Sénat avec des modifications. La commission mixte paritaire n’ayant pu aboutir à une rédaction conclusive, la proposition de loi adoptée par le Sénat a été soumise à une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale le 11 mai 2023 et adoptée le 10 octobre 2023. Les députés ont adopté la rédaction qu’ils avaient prise en première lecture, en votant toutefois une rédaction légèrement différente de l’article 5 introduit par le Sénat en première lecture. Le Palais du Luxembourg a adopté le 19 décembre 2023 un texte divergent de celui voté en nouvelle lecture par les députés.
Dans une telle situation et compte tenu du désaccord persistant entre les deux chambres, il revient à l’Assemblée nationale d’adopter, en application de l’article 45, alinéa 4, de la Constitution, en dernière lecture la proposition de loi qui doit nécessairement correspondre en tout état de cause au dernier texte qu’elle a voté avec les modifications sénatoriales éventuellement retenues. La version définitive de la proposition de loi a été adoptée par les députés le 6 février 2024.
Nous nous proposons de commenter les cinq articles résultant de cette loi qui aura des répercussions quant à la responsabilité incombant principalement aux parents concernant le respect du droit à l’image de leurs enfants.
Apparition de la vie privée dans la définition de l’autorité parentale
L’article 1er introduit la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale dans la rédaction de l’article 371-1 du Code civil. Cette disposition des députés vise à définir le rôle des parents dans la protection de la vie privée des mineurs. Elle a marqué une divergence avec le Sénat, sa rapporteure estimant que la protection de la vie privée de l’enfant « ne devait pas être mise « sur le même plan que la sécurité, la santé et la moralité qui constituent les finalités de l’autorité parentale et dont la protection justifie dans certains cas une atteinte à la vie privée de l’enfant » (Confer Sénat, exposé sommaire de l’amendement n° COM-1 de Mme Valérie Boyer, rapporteure du Sénat).
L’article 2 détermine l’exercice en commun du droit à l’image de l’enfant par ses parents. Il a rétabli à cet effet l’article 372-1 du Code civil afin d’indiquer que toutes les décisions relatives au droit à l’image sont prises en commun par les parents dans le respect du droit à la vie privée du mineur et en l’associant aux décisions le concernant. Plus spécifiquement cet article 372-1 du Code civil rétabli prévoit à notre sens deux obligations essentielles à la charge des parents. En premier lieu, une obligation de protection : les parents doivent protéger en commun le droit à l’image de leur enfant mineur, dans le respect du droit à la vie privée mentionné à l’article 9. En deuxième lieu, une obligation d’association et d’accompagnement : les parents doivent associer leur enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité.
L’article 3 pose une interdiction de publication ou de diffusion de l’image de l’enfant sans l’accord de l’autre parent en renforçant les pouvoirs du juge aux affaires familiales avec l’insertion d’un troisième alinéa dans l’article 373-2-6 du Code civil. Il permet ainsi au juge aux affaires familiales, en cas de désaccord entre les parents sur l’exercice du droit à l’image de l’enfant, d’interdire à l’un des parents de diffuser tout contenu relatif à l’enfant sans l’autorisation de l’autre parent. Cet article a entraîné des divergences entre les deux assemblées sur la notion d’actes usuels et non-usuels introduite par le Sénat. La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale ne mentionne donc plus la nécessité que le désaccord entre les parents porte ainsi sur un acte non-usuel ou pas.
L’article 4 porte sur la délégation de l’autorité parentale en cas d’usage abusif de l’image de l’enfant. Cet article 4 insère après le troisième alinéa de l’article 377 du Code civil une nouvelle disposition qui étend le champ des personnes susceptibles de saisir le juge aux affaires familiales lorsque la diffusion de l’image de l’enfant par ses parents porte gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de celui-ci. Désormais, le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou un membre de la famille peut saisir le juge aux fins de se faire déléguer l’exercice du droit à l’image de l’enfant. Cet article a donné lieu à une divergence de vues entre les deux assemblées, le Sénat ayant supprimé cet article 4 en première lecture doutant de son efficacité dans les circonstances de l’espèce.
Une obligation de vigilance et de protection
L’article 5 renforce les pouvoirs de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en cas d’atteinte aux droits et libertés des mineurs. Il convient de rappeler que l’article 21 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés prévoit que la formation restreinte de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) peut, en cas de violations des droits et libertés mentionnés par cette loi, prononcer un rappel à l’ordre ainsi qu’une limitation temporaire ou définitive du traitement de données concerné. Par ailleurs, lorsque de telles atteintes sont graves et immédiates, le IV de cet article 21 dispose que « le président de la commission peut en outre demander, par la voie du référé, à la juridiction compétente d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, toute mesure nécessaire à la sauvegarde de ces droits et libertés ». Cet article 5 résulte d’un amendement sénatorial qui dans sa rédaction originelle visait à permettre à la CNIL de recourir à cette procédure en cas d’atteinte aux droits des mineurs, sans condition de gravité ou d’immédiateté. L’Assemblée nationale a adopté cette modification en rétablissant toutefois les critères tenant à la gravité et à l’immédiateté, condition requise traditionnellement dans une procédure de référé où l’urgence doit être démontrée pour être recevable afin que le juge ordonne des mesures qui peuvent percuter lourdement dans les circonstances de l’espèce la liberté d’expression. L’article 5 modifie donc le IV de l’article 21 ainsi que l’article 125 de loi de 1978 précitée.
Cette loi du 19 février 2024 met donc à la charge des personnes ayant en charge des enfants une obligation de veiller au respect du droit à l’image de ces derniers. Elle renvoie donc celles-ci à une obligation de vigilance et de protection face à un monde numérisé, à des réseaux sociaux devenus intrusifs dans le quotidien des vies, où l’image et ce qui tient de l’intime d’un enfant peuvent être broyés en l’espace d’un tweet, d’un post, d’un WhatsApp ou tout autre outil similaire avec de lourdes conséquences qu’un instant d’égarement ou d’inattention peut entraîner.
Le proverbe « Prudence est mère de sûreté » nous paraît approprié et son application stricte est fortement recommandée au regard des risques et menaces précités.
Référence : AJU422181