Les 25 ans du Pacs blanc

Publié le 18/11/2024

Alors que le Pacs fête ses 25 ans, on constate qu’il est parfois détourné pour bénéficier de ses avantages. Xavier Labbée s’interroge sur les questions juridiques que cela soulève, et notamment sur l’absence de sanctions.             

Les 25 ans du Pacs blanc
Photo : AdobeStock

Il faut rendre hommage à France Info d’avoir révélé au grand jour une pratique dont on devinait depuis longtemps l’existence mais dont on ignorait l’ampleur : celle du recours au « Pacs blanc » pour obtenir un avantage que l’on n’aurait pas autrement[1].

Dans le monde de l’enseignement, la technique serait largement utilisée. « Quand on est célibataire sans enfant, on est nommé forcément dans des endroits pas toujours sympathiques en France » reconnait le témoin interviewé, nommé prof dans la région parisienne. Alors que faire pour obtenir un changement sous des cieux plus agréables sinon « trouver un ami qui accepte de se pacser » et qui habite par exemple la côte d’Azur ? Par la grâce d’un comparse « qui connait le monde de l’éducation nationale et est juste très sympa » le témoin reconnait avoir pu souscrire le pacs qui lui a permis de partir à Montpellier. Les pseudo-partenaires n’ont jamais vécu ensemble et une fois le résultat atteint, le Pacs a été naturellement rompu : comme le reconnait l’intéressée « le Pacs, c’est 150 points. Ensuite chaque année d’éloignement de son conjoint, c’est entre 100 et 150 points si je ne me trompe pas. Donc ça permettrait d’avoir 400 points facilement. Sans pacs, j’en aurais eu 60 »[2]. En guise de remerciement, l’enseignante satisfaite en a été quitte pour « un gros resto étoilé ».

« Il y a tellement de monde qui le fait »

Mais l’article se poursuit sur un constat : « Il y a tellement de monde qui le fait. Pour beaucoup, ça a marché. Alors on passe outre le fait que ce soit immoral…. Certains se rendent sur des forums enseignants pour trouver une personne avec qui se pacser et des rémunérations sont même parfois proposées. J’ai aussi regardé sur « le bon coin » et il y avait des annonces…  l’éducation nationale ne vérifie pas ce qui se passe dans la vie privée des gens »  Plus précisément, l’éducation nationale n’exigerait comme preuve de la cohabitation qu’une simple déclaration fiscale commune (qui peut d’ailleurs constituer aussi un avantage réel pour les partenaires fictifs : on peut se retrouver non-imposable quand on a pour partenaire fictif une personne sans ressources…), sans aller au-delà. Il n’y aurait pas de contrôles dans le genre de ceux effectués par les CAF (où il est question de récupérer des allocations souvent substantielles versées indument) ; au fond, c’est tout juste si le site de l’éducation Nationale ne fournit pas lui-même la méthode pour obtenir une réponse positive à une demande de mutation… Car ce n’est pas la première fois que le stratagème est dénoncé dans la presse et apparemment rien ne bouge[3]. Et on en parle en fait depuis la création du pacs…

Que penser d’une communauté enseignante dont les membres, non seulement avouent sans vergogne mentir pour obtenir un avantage substantiel, mais en plus s’en vantent ostensiblement ? Y-a-t-il dès lors une combine pour obtenir les palmes académiques, l’allocation d’une prime ou un avancement au point où nous en sommes ? Faut-il coucher et avec qui ? Qu’attend donc France Info pour enquêter et nous donner la recette ?

La chasse au mariage blanc existe, pas celle au Pacs blanc

En matière de mariage, les parquets font la chasse aux mariages blancs ; avant la cérémonie, ils sont  aidés par les maires qui, après s’être entretenus avec les candidats au mariage (article 63 du Code civil) ont la possibilité de les dénoncer au Procureur « lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer que le mariage est susceptible d’être annulé… » (Art 175-2 du code civil). Et le parquet peut alors délivrer une opposition à mariage dans les formes prévues[4]. Et ça marche. Mais une fois le mariage célébré, l’action en nullité est encore possible dès lors qu’il est établi que la technique du mariage a été détournée de sa finalité. L’exemple le plus courant est celui de l’étranger qui épouse une française dans le seul but d’obtenir un titre de séjour. La chasse aux mariages blancs est bien réelle et justifie parfois l’activité à temps plein d’un procureur et quelquefois d’une chambre civile. Mais qu’en est-il du Pacs blanc ?

Il n’existe pas de procédure spéciale pour les prévenir ou les dénoncer. L’officier de l’état civil qui enregistre les pacs n’est pas tenu de s’entretenir préalablement avec les partenaires. Il enregistre l’opération même si les candidats au pacs ont un drôle d’air. Et le Code civil ne prévoit pas de procédure en « opposition d’enregistrement » ou en « nullité de pacs » comme il le fait dans le détail en matière de mariage. Personne ne vérifie la réalité ou la qualité du consentement donné : enregistrer n’est pas célébrer… Ce sont les parties qui définissent le contenu de leur pacs en échangeant, sans témoin ou officiant, leurs consentements. Le pacs peut d’ailleurs être conclu sous signature privée hors la présence de tout officier public ou avocat. C’était d’ailleurs sous cette forme unique qu’il avait été initialement créé[5].

On peut donc facilement imaginer que deux personnes s’accordent pour conclure un Pacs blanc dans le seul but d’obtenir un avantage (un rapprochement professionnel, une « carte couple » ou même un titre de séjour dans la mesure où le pacs est un élément qui est pris en compte lors de la délivrance du titre). Le recours au Pacs blanc est également possible lorsqu’il s’agit de convaincre un officier d’état civil du caractère sérieux d’un mariage ultérieur : on se pacse d’abord (comme autrefois on se fiançait) et un peu plus tard on se marie. L’officier de l’état civil ne peut pas dans ce cas douter de la réalité de l’intention matrimoniale. Il ne peut que célébrer l’union. Et l’on évite l’opposition du parquet. En d’autres termes, un mariage blanc, ça se prépare !

Des sanctions sont possibles, théoriquement…

Est-ce à dire qu’on ne peut rien faire en matière de pacs ?

Il y a d’abord la solution pénale : souscrire délibérément un faux pacs en vue d’obtenir un déplacement est une escroquerie entrant dans la définition de l’article 313-1 du code pénal qui sanctionne le fait d’user d’une « fausse qualité » pour « tromper une personne physique ou morale » aux fins de la « déterminer à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, ou à fournir un service ou consentir un acte ». L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende. Il existe dans des domaines voisins l’escroquerie aux assurances sociales, aux allocations de chômage, aux allocations de formation, aux prestations de sécurité sociale, au jugement…  Pourquoi n’y aurait-il pas escroquerie au rapprochement ?

Il y a aussi la solution civile.

Qu’est-ce que le pacs, sinon « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune » (art 515) ? Le pacs est donc soumis par définition aux règles du droit commun des contrats et la finalité que doivent poursuivre les candidats à l’opération est très précise : « organiser leur vie commune ». C’est le droit commun de la nullité contractuelle que l’on doit appliquer. On a tendance à l’oublier.

Un Pacs souscrit dans un but étranger à l’organisation d’une vie commune pourrait être annulable pour défaut de consentement (à l’image du mariage nul pour défaut d’intention matrimoniale) ou encore sur le fondement de l’article 1162 du code civil : « le contrat ne peut déroger à l’ordre public, ni par ses stipulations, ni par son but » (on aurait parlé autrefois de nullité pour « défaut de cause ») La nullité absolue du pacs souscrit dans le seul but d’obtenir un rapprochement professionnel semble imparable. La conséquence de la nullité est la remise des parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de l’acte : tous les avantages obtenus doivent être restitués… Mais encore faut-il que le tribunal soit saisi… le contentieux de la nullité du pacs est rare… sinon inexistant  (à la différence de celui de la nullité de mariage) et l’on peut s’en étonner.

Il y aurait enfin – théoriquement – la sanction disciplinaire : on se souvient du personnage incarné par Kad Mérad qui, pour obtenir une mutation sur la côte d’Azur, se fait passer pour un invalide cloué dans une chaise roulante. La supercherie est découverte et pour le punir on le mute à Bergues, chez les primitifs flamands, buveurs de bière un peu analphabètes. Bienvenue chez les ch’tis. Peut-on reconduire l’enseignant menteur à l’endroit d’où il vient ? L’escroquerie commise n’est-elle pas plutôt une cause de licenciement ? Mais la faute est-elle vérifiable sans procéder à une enquête vraiment poussée ? Pour répondre à cette question, il faut savoir ce qu’était le pacs et ce qu’il est devenu.

Le Pacs a été initialement conçu pour les homosexuels qui cherchaient un moyen de créer entre eux un lien juridique quasi familial que le droit du mariage de l’époque n’offrait pas. Certains, pour créer ce lien, avaient cru pouvoir détourner le droit de l’adoption de sa finalité. On s’adoptait entre homosexuels, façon Jean Cocteau. Mais c’était du détournement d’institution et l’apparition du pacs y mettait heureusement fin… La référence faite par la loi du 10 novembre 1999 au droit des contrats avait pu créer au profit du pacs une illusion de sérieux : il y avait des devoirs réciproques, pécuniaires, mais aussi personnels. On a même pensé redécouvrir la fidélité derrière l’obligation de mener loyalement une vie commune… Le mot « contrat » évoquait surtout le droit de la responsabilité. Pourrait-on donc songer à sanctionner le partenaire fautif ou l’auteur d’une rupture abusive devant un tribunal ? Les rapports juridiques dans le couple sont-ils contractuels ? On s’était posé cette question[6].

Un prétendu contrat synonyme de précarité

Vingt-cinq ans plus tard, force est de déchanter… Par nature, le Pacs est synonyme de précarité. Ce n’est qu’un truc qui se défait aussi rapidement qu’il se fait, sans raison véritable, et qui n’engendre que des prétendues obligations qui ne sont jamais sanctionnées. Finalement, ce contrat n’en est pas un et, d’ailleurs, il n’y a pas de contentieux de la rupture contractuelle fautive ou abusive. Ce n’est plus la mode. Et puis c’est essentiellement la communauté hétérosexuelle qui a recours à ce prétendu contrat qui a eu pour conséquence directe d’affaiblir un peu plus l’institution du mariage qui était déjà moribonde…

La famille existe-t-elle encore aujourd’hui ? On peut en douter… sauf à répondre de façon cynique que c’est le lieu où s’exercent les violences conjugales qui se développent de façon exponentielle ! Le domaine des violences conjugales forme – de fait – le seul endroit où l’on voit se développer un droit commun du couple avec un juge qui juge vraiment dans des délais rapides, fixés par la loi, et ne se contente pas d’homologuer de vagues accords ou de calculer des pensions à la façon d’un robot.

Est-il interdit de se pacser sans vivre ensemble ? Dans le mariage, « les époux peuvent avoir des domiciles distincts sans porter atteinte à la communauté de vie ». Mon âme est avec lui mais mon corps est avec un autre… Alors ? Le nouveau principe d’ordre public qui guide la famille depuis Carbonnier est « qu’il est interdit d’interdire », le juge devant désormais garantir à chacun le droit de faire ce qui lui plait.  Il n’y a plus de modèle familial puisqu’à « chacun sa famille, à chacun son droit »[7].

Finalement, dans un tel paysage, le Pacs n’est-il pas qu’un truc qui permet officiellement de frauder le fisc, d’obtenir des papiers, ou de demander un rapprochement à l’éducation nationale ? Si le procédé est officiel, pourquoi alors vouloir sanctionner son usage ?

 

 

[1] Valentin Bartévian « Sans le pacs, il fallait rester entre cinq ou six ans en poste pour pouvoir espérer bouger d’académie : des enseignants détournent le pacs pour être mutés » France Info 15.11.2024

[2] V° la note de service n°2019-163 décrivant les conditions posées pour le rapprochement du conjoint ou du partenaire https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=146574

[3] V° par exemple Anne Sophie Thill « de la mutation à la fraude il n’y a qu’un pacs » 17 Mars 2019 WordPress.com

[4] Article 66 C.Civ

[5] Art 515-3 C.Civ

[6] Xavier Labbée, les rapports juridiques dans le couple sont-ils contractuels ? PU Lille 1992

[7] Jean Carbonnier Essai sur les Lois, Defrenois 1979

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