Les mariés, la noce et Pandore. Faut-il interdire les cortèges nuptiaux ?

Publié le 25/04/2017

Les cortèges nuptiaux obéissent à un curieux paradoxe : synonymes de liesse pour le couple et la noce, ils peuvent engendrer l’exaspération chez d’autres, tels les riverains.

Si leur interdiction de principe peut séduire certains édiles, elle se révèle être une fausse bonne idée. La solution, pragmatique, ne peut passer que par un encadrement juridique.

Si les cortèges nuptiaux existent depuis des temps immémoriaux, leur mode d’expression a beaucoup évolué. Les noces de jadis renvoient à une image bucolique que Maupassant a si bien dépeinte dans sa Farce normande : « cette procession qui se déroulait dans le chemin ombragé par les grands arbres poussés sur les talus des fermes »… Las ! L’auteur ne les reconnaîtrait guère à la vue des cortèges d’aujourd’hui, motorisés, pétaudières itinérantes. La terre a fait place au bitume. Il leur arrive de déraper pour dégénérer en rodéos. Au cours de ces westerns urbains, à peine dignes des séries B, le maire, improvisé shérif, s’évertue parfois à pacifier des hordes déchaînées. Le règlement de comptes à O.K. Corral se profile : « ex-témoins de l’amour, nouveaux cowboys d’un jour ». Pour autant, si l’interdiction de principe des cortèges nuptiaux peut séduire certains édiles, elle se révèle être une fausse bonne idée. La solution, pragmatique, ne peut passer que par leur encadrement.

I – L’interdiction de principe des cortèges nuptiaux : une fausse bonne idée

Faire de l’interdiction des cortèges nuptiaux un postulat s’avère aussi dangereux qu’illusoire, car ce dernier, non seulement porte atteinte au libéralisme matrimonial, mais traduit une méconnaissance de la jurisprudence.

A – Une atteinte au libéralisme matrimonial

Le cortège nuptial repose sur un usage inséparable de la liberté matrimoniale et reconnu par le droit.

1 – Le cortège, usage inséparable de la liberté matrimoniale

Le Conseil constitutionnel érige la liberté du mariage au rang de liberté fondamentale de valeur constitutionnelle, composante de la liberté personnelle1.

Cette dernière revêt d’abord une nature consensuelle consacrée à l’article 146 du Code civil : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a pas de consentement ». L’échange de deux volontés, inhérent au mariage, s’effectue dans un cadre institutionnel : la cérémonie. Et l’article 165 met en exergue le caractère public et républicain de celle-ci. D’autant plus que sa célébration fait intervenir l’officier d’état civil, lequel agit en qualité de représentant de l’État (CGCT, art. L. 2122-27 et s.). Certes, la cérémonie du mariage n’implique d’aucune manière son prolongement par le cortège nuptial, absent des textes. Pour autant, ceux-ci ne l’interdisent pas. De facto, le cortège nuptial est vécu comme inséparable du mariage. Si le second est une cérémonie, le premier est un cérémonial. Il puise ses racines dans la conscience collective, participe de la croyance populaire. « Il n’est de véritable mariage sans son cortège », la locution traduit bien l’opinio necessitatis. Jadis, dans les villages, le ménétrier qui escortait la noce et faisait danser les convives était censé conjurer le mauvais sort et toute la communauté s’y associait2. L’on objectera que les cortèges nuptiaux d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir mais la double signification, conjuratoire et conviviale, est restée. Binious, tambourins ou crincrins ont cédé la place aux klaxons. La carriole et sa cousine aristocratique, la calèche, se sont muées en limousines et autres 4×4. Agreste ou citadin, le cortège nuptial s’impose comme une pratique itérative, constitutive d’un véritable usage, d’une tradition festive. Au-delà du formalisme, le cortège nuptial est synonyme de liesse, la dimension collective du bonheur matrimonial. Pourquoi le maire devrait-il se comporter en rabat-joie en prohibant sa manifestation ?

2 – Le cortège nuptial, usage juridiquement reconnu

Le libéralisme à l’égard du cortège nuptial se vérifie dans le droit positif. En principe, en tant que manifestation sur la voie publique, au même titre que les défilés et rassemblements de personnes, il devrait se voir appliquer l’article L. 211-1, alinéa 1er, du Code de la sécurité intérieure (dont l’origine remonte au décret-loi du 23 octobre 1935). Or sauf à solliciter ce texte de manière abusive, il paraît artificieux et artificiel d’assimiler un cortège nuptial aux manifestations de rue, d’essence revendicative, à caractère politique ou syndical. S’il revêt une nature conviviale, il ne saurait non plus se confondre avec les carnavals, défilés, parades, fanfares ou encore les « apéros géants » et autres monômes estudiantins des plus arrosés, type binge drinking. Le cortège nuptial se veut plus modeste et plus sobre (?), simple réunion ponctuelle vouée à fêter l’union de deux personnes au sein du cercle familial. Il existe donc une spécificité du cortège nuptial, laquelle doit pouvoir se traduire dans le droit positif sans relever du régime déclaratif, ni, a fortiori, de celui de l’autorisation préalable. Juridiquement, il doit être considéré comme une sortie sur la voie publique, conforme aux usages locaux, en vertu du deuxième alinéa de l’article précité du Code de la sécurité intérieure. À ce titre, il bénéficie d’une dispense de déclaration. Ainsi entre-t-il dans le cadre de l’exception, plus favorable que le régime déclaratif de droit commun. Il répond de la sorte au souci des pouvoirs publics de traiter avec une relative bienveillance ce type de manifestation, associée au bonheur, fût-elle quelque peu démonstrative3. Cette compréhension semble d’ailleurs avoir été partagée par les juges.

Le Conseil d’État reste fidèle à sa jurisprudence traditionnelle relative aux processions et autres manifestations extérieures du culte. La haute juridiction administrative avait déclaré illégale la décision de soumettre à déclaration préalable ces dernières dès lors qu’elles étaient conformes aux traditions et usages et en l’absence de motifs précis tirés de l’ordre public4. Sa position fut confortée par le décret-loi du 23 octobre 1935, en vertu duquel les maires ne pouvaient légalement imposer le régime déclaratif aux manifestations religieuses traditionnelles5. Mutatis mutandis, le régime juridique des cortèges nuptiaux se rapproche de celui des réunions publiques, dispensées de déclaration préalable. Dans un autre ordre d’idées, bien moins libéral, à l’appui d’une mesure d’interdiction, d’aucuns ont cherché à assimiler les cortèges nuptiaux aux attroupements dangereux, visés par le Code pénal. À l’évidence, une telle assimilation est infondée. Ce type de rassemblement consécutif à la célébration d’une union n’a rien d’un mouvement insurrectionnel6.

B – La méconnaissance d’une jurisprudence bien établie

D’inspiration libérale, la jurisprudence administrative censure les interdictions frappant les cortèges sur la voie publique en l’absence de trouble à l’ordre public ou dont la portée est générale et absolue.

1 – L’illégalité d’une interdiction en l’absence de trouble à l’ordre public

Tant les textes (CGCT, art. L. 2212-1, relatif à la police municipale) que la jurisprudence7 consacrent un principe-postulat : l’autorité de police (maire ou préfet, selon les cas) ne peut édicter de mesures restrictives des libertés que dans la stricte mesure où existe une menace réelle et sérieuse à l’ordre public. En son absence, de telles mesures seront déclarées illégales, et, par voie de conséquence, annulées par le juge. Cette jurisprudence vise en particulier les interdictions de manifestations sur la voie publique, dont les cortèges. À vrai dire, elle n’est pas nouvelle. Là aussi, avant même l’intervention du décret-loi de 1935, le Conseil d’État n’hésitait pas à annuler des arrêtés municipaux visant à interdire les processions et cérémonies traditionnelles, conformes aux usages locaux parce que ces interdictions étaient libellées en termes généraux et non motivées par la nécessité de maintenir l’ordre public8. Par la suite, il ne s’est pas départi de cette attitude9.

2 – La prohibition des interdictions générales et absolues

Le juge administratif affiche traditionnellement une hostilité de principe à l’égard des interdictions générales et absolues. Par leur radicalité, de telles mesures risquent d’être liberticides. La célèbre formule d’un commissaire du gouvernement mérite, à cet égard, d’être rappelée : « la liberté est la règle, la restriction de police, l’exception »10. L’interdiction systématique des cortèges nuptiaux dans nos communes encourrait deux reproches majeurs :

  • le premier, bien que non juridique, n’en est pas moins grave. Le cortège nuptial, outre son caractère ancestral, exprime une allégresse collective. Faudrait-il le supprimer au nom d’une paix publique, laquelle, en l’occurrence, n’est pas mise en péril ? À cette fin, nos élus devraient-ils adopter des « arrêtés-éteignoirs » ? De surcroît, ce type de règlement de police risque d’être lettre morte tant l’élan jubilatoire impulsé par la noce l’emporterait sur la peur de la transgression. Ou alors, il faudrait quadriller les rues par les forces de l’ordre afin de dissuader toute velléité de rassemblement nuptial. Convenons que la maréchaussée n’a pas vocation à courir après la traîne de la mariée !

  • le deuxième reproche, d’ordre juridique, tient au caractère illégal d’arrêtés municipaux qui tendent à interdire sans nuance les cortèges, qu’ils soient nuptiaux ou non. Par leur généralité, ces mesures sont susceptibles de porter atteinte aux libertés d’aller et de venir et de manifester, libertés constitutionnelles11. En vertu de la jurisprudence Daudignac12, le Conseil d’État exerce un contrôle vigilant et censure celles des interdictions non accompagnées de restrictions. Certes, il est des mesures d’interdiction plus « subtiles », à l’instar de certains arrêtés « anti-mendicité » applicables au sein d’un large périmètre urbain : le centre-ville, entendu de manière extensive, les principales rues, places et lieux publics, tels les parcs. Le juge n’est pas dupe et considère que, sous couvert d’énumération, la plus grande partie de la ville est dans le « collimateur » de l’autorité de police13. Si la ville ne doit pas se transformer en « cour des miracles », elle n’a pas non plus vocation à devenir un désert aseptisé.

II – L’encadrement juridique des cortèges nuptiaux : une solution pragmatique

En vue de prévenir et de réprimer les abus que sont susceptibles d’entraîner les cortèges nuptiaux, le droit positif offre une panoplie juridique suffisante. Encore faut-il l’adapter à ce type de rassemblement.

A – Une panoplie juridique suffisante

À la question d’un parlementaire au sujet des cortèges nuptiaux, la réponse ministérielle a le mérite de la clarté : « les dispositions législatives et réglementaires en vigueur apparaissent suffisantes pour préserver l’ordre public à l’occasion des cérémonies de mariage et le gouvernement n’envisage pas à ce sujet de modification législative ou réglementaire sur ce point » (préc.). En effet, le droit positif offre, en ce domaine, une panoplie de mesures amplement suffisantes. Pourquoi solliciter le législateur en vue de régler une question juridique déjà résolue ? « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Las ! Il est encore des parlementaires sourds à la maxime de Montesquieu, prompts à légiférer sur les cortèges nuptiaux14. Non dénués d’arrière-pensées électoralistes, de telles initiatives se révèlent juridiquement superfétatoires. Et puis, est-ce vraiment la vocation du Parlement que de codifier la noce ?

L’actuelle législation permet d’adopter des mesures tant préventives que répressives.

1 – La prévention : pas de Far West urbain

Il est toujours préférable d’intervenir en amont afin d’éviter que des troubles à l’ordre public n’éclatent à l’occasion des cortèges nuptiaux et ne dégénèrent en scènes de Far West urbains. L’allégresse inhérente à l’événement ne saurait justifier l’éruption de zones de non-droit, fussent-elles éphémères. À cette fin, les mesures à adopter incombent d’abord au maire, autorité de police municipale. En vertu de l’article L. 2212-2 du CGCT précité, il se doit d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publics. La définition se révèle assez vaste pour offrir à l’autorité de police tout un éventail de dispositions susceptibles d’être édictées par voie d’arrêtés municipaux. Les possibilités de réglementer sont d’autant plus étendues que la liste établie par le Code n’est pas exhaustive. Ainsi, le maire a-t-il compétence pour maintenir le bon ordre là où se font les grands rassemblements, tels que les réjouissances ou les cérémonies publiques. La jurisprudence sait se montrer compréhensive et confirmer la légalité d’arrêtés municipaux réglementant les cortèges de mariage, notamment au titre de la police de la circulation et du stationnement (CGCT, art. L. 2213-1 et s.). Par exemple, le maire n’a pas fait un usage illégal des pouvoirs de police dont il dispose en matière de stationnement sur la voie publique en réservant aux seuls véhicules amenant des mariages les parcs de stationnement situés sur la place de l’hôtel de ville, le samedi matin. Une telle mesure tendait à « faciliter l’écoulement de la circulation automobile » particulièrement difficile cette demi-journée-là et aussi à « faciliter aux cortèges nuptiaux l’accès de la mairie »15.

2 – La répression : plus de macadam cow-boys

Là aussi, nombre de dispositions législatives et réglementaires en vigueur permettent de réprimer des agissements liés à des cortèges nuptiaux. Ils constituent des troubles caractérisés à l’ordre public, contraventions, voire délits. Les autorités de police judiciaire ont donc les moyens légaux de poursuivre leurs auteurs et les tribunaux de les condamner. Les principales infractions concernées font intervenir deux codes :

  • le Code pénal est d’abord susceptible de s’appliquer lorsqu’un cortège cause des nuisances sonores suffisamment graves pour troubler la tranquillité d’autrui, en particulier, celle des riverains (C. pén., art. R. 623-2). Cependant, son efficacité est sujette à caution. Un cortège nuptial silencieux, par définition, ça n’existe pas… ou c’est un cortège funèbre. Il est délicat de fixer le seuil de tolérance au-delà duquel, pétards, cornes de brumes et autres sifflets sont considérés comme attentatoires à la tranquillité publique. Eu égard à la peine encourue, une amende prévue pour les contraventions de troisième classe, l’on reste dubitatif sur son caractère dissuasif. Plus grave, la mise en danger de la vie d’autrui est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (C. pén., art. 223-1). Il est à déplorer plusieurs accidents mortels survenus à l’occasion de cortèges nuptiaux qui ont dégénéré…

  • le Code de la route est naturellement le plus sollicité car la plupart des infractions relevées lors de ces cortèges se rapportent au non-respect de la réglementation de la circulation et du stationnement. En particulier est puni d’une amende l’usage de l’avertisseur sonore en agglomération en l’absence d’un danger immédiat (C. route, art. R. 416-1). Mais s’il fallait verbaliser tous ceux qui enfreignent cette disposition lors d’un cortège nuptial, quasiment tous les mariés de France et de Navarre ainsi que leurs escortes deviendraient des délinquants routiers. Plus sérieusement, le délit d’entrave à la circulation routière (C. route, art. L. 412-1) est susceptible de s’appliquer à des comportements révélateurs de l’inconscience de certains « noceurs » : arrêts intempestifs sur les voies rapides, voire des autoroutes. Nécessaire, la répression n’est pas la panacée, d’autant plus que sa mise en œuvre peut s’avérer délicate. La surveillance et l’encadrement des cortèges nuptiaux, parfois impressionnants (plusieurs dizaines de véhicules), nécessitent la mobilisation d’importants effectifs de police. Ils se heurtent à d’épineuses questions juridiques : qui verbaliser ? Le conducteur, les passagers, à l’intérieur ou à l’extérieur du véhicule ? Va-t-on, au préalable, installer, tous les cent mètres, des caméras de vidéo-surveillance le long des parcours empruntés par les cortèges dans nos villes et nos villages ? Les mariés, la noce et Big Brother… On a fait mieux en termes de convivialité !

B – Son adaptation aux cortèges nuptiaux

L’adaptation du droit positif aux cortèges nuptiaux passe d’abord par la responsabilisation du couple avant le recours à des mesures de police judicieuses.

1 – La responsabilisation : une charte des mariages

Aucun texte, législatif ou réglementaire, n’institue une « charte des mariages ». Il est tout aussi vain d’invoquer une coutume. Tout au plus, s’agit-il d’une pratique qui se développe depuis une dizaine d’années au sein des communes, toutes tendances politiques confondues. Le choix du terme « charte » s’explique par le caractère solennel que les élus ont souhaité conférer à ce document. La charte formalise un engagement moral de la part des futurs mariés sans pour autant revêtir d’effet contraignant.

a – L’engagement moral du couple

Une charte des mariages s’apparente à un corpus, au sens éthique du terme, une somme de préceptes auxquels les futurs époux sont tenus de se conformer. Selon un rituel quasi immuable, elle entend régenter les trois temps forts de l’événement matrimonial : l’arrivée à l’hôtel de ville, le déroulement de la cérémonie, la sortie. Ses dispositions sont les plus diverses, « savant » mélange de pragmatisme et de moralisme : désignation des emplacements de stationnement réservés au cortège nuptial, ponctualité de rigueur, jusqu’à la prohibition des tenues extravagantes « de nature à troubler le bon déroulement de la cérémonie ». La subjectivité laisse perplexe : la mariée aux cheveux verts ou le marié aux jeans troués, entrent-ils dans cette catégorie ? Certains édiles semblent confondre charte des mariages et cahier des charges d’un concours de beauté…

Le bonheur nuptial doit-il être codifié à ce point ? Que veulent les élus lorsqu’ils font signer aux futurs époux ladite charte ? La réponse est unanime : les « responsabiliser ». L’enjeu réside dans l’engagement à respecter et faire respecter un « code de bonne conduite » justifié par le caractère public et républicain du mariage dans notre pays. Son corollaire est double : la civilité et le civisme doivent présider à la cérémonie et se poursuivre dans le cortège nuptial… mais pas plus ! L’une comme l’autre ne doivent pas être enfermés dans un carcan moralisateur, digne d’une rosière…

b – Son absence d’effet contraignant

Au regard du droit, une charte des mariages ne peut faire naître d’obligations. Elle n’a pas la nature d’un contrat, le mariage lui-même ne revêt pas de caractère contractuel. On ne peut pas plus invoquer un engagement juridique envers la commune, le maire agissant en sa qualité de représentant de l’État. Il faut en conclure que l’éventuel refus de signer la charte de la part des futurs mariés ne saurait constituer une faute. Le refus de célébrer le mariage au prétexte que ces derniers n’auraient pas signé ce document serait entaché d’illégalité. À l’évidence, un tel refus n’entre pas dans le cadre de l’article 175-2 du Code civil, lequel autorise le procureur de la République à faire opposition au mariage ou à surseoir à sa célébration.

On ne voit pas non plus sur quel fondement juridique les futurs époux seraient responsables aux plans civil ou pénal en cas d’agissements de la part d’une personne ou d’un groupe de personnes appartenant au cortège nuptial au motif qu’ils auraient souscrit à une disposition de la charte allant dans ce sens. Leur signature ne saurait faire peser sur eux une responsabilité du fait d’autrui.

La charte des mariages ne peut pas non plus être assimilée à un règlement, à la différence d’un arrêté municipal. Il est d’ailleurs symptomatique de remarquer que nombre de ces chartes sont « adossées » à un arrêté municipal, comme si les élus voulaient prendre leurs précautions. En effet, seul un règlement communal peut servir de fondement juridique à d’éventuelles sanctions. En ce cas, les mariés sont pénalement responsables pour avoir enfreint ce règlement et non point parce qu’ils ne se seraient pas conformés à la charte.

En définitive, si, à travers la charte, les élus s’emploient à responsabiliser les futurs conjoints, celle-ci n’est pas, par elle-même, de nature à engager leur responsabilité.

2 – La réglementation : des mesures de police ciblées

Par nature enjoué, le cortège nuptial s’accommoderait mal d’une réglementation tatillonne. D’un autre côté, les nécessités de l’ordre public exigent que l’allégresse ne tourne pas à l’émeute… L’esprit de conciliation entre ces impératifs, en apparence antinomiques, implique que l’autorité de police adopte des mesures pondérées, à la fois adaptées et proportionnées, inspirées par la jurisprudence Benjamin. Le modus operandi devrait s’articuler autour de trois axes.

a – Un itinéraire concerté

Bien que non prévue explicitement par la loi, une rencontre entre l’officier d’état civil et les futurs mariés préalablement à la cérémonie est l’occasion privilégiée de s’accorder sur le trajet que le cortège nuptial sera amené à emprunter afin de ne pas entraver la circulation et de respecter la tranquillité des riverains. Un modus vivendi doit s’opérer sur des points tels que : la durée de la traversée intra-muros, les artères à éviter, l’usage raisonnable des inévitables accessoires, parfois d’une rare agressivité pour les tympans et dangereux. L’emploi de fusils de chasse n’est peut-être pas vital, même s’il correspond à une tradition bien ancrée dans certains terroirs…

Dans toute la mesure du possible, le « sur-mesure » est préférable car, à l’évidence, les dispositions à adopter diffèrent sensiblement selon qu’il s’agit d’un modeste cortège limité à quelques véhicules ou d’une « cohorte nuptiale XXL », ersatz du carnaval de Rio.

b – Des interdictions ciblées

Des interdictions limitées dans le temps et dans l’espace visant des cortèges sur la voie publique peuvent être légalement édictées dès lors qu’elles répondent à une exigence du maintien de l’ordre public. L’usage modéré de l’interdiction trouve à s’appliquer aux cortèges nuptiaux. Le maire peut, par exemple, légalement interdire leur traversée dans les rues déjà exposées à des problèmes de circulation aigus, en particulier dans l’hyper-centre16. Il peut prendre un arrêté d’interdiction devant et à proximité immédiate de l’accès à un parking souterrain pour dissuader les « noceurs » de squatter une place centrale17. Dans le même registre et en vue de protéger la tranquillité auditive des riverains, l’édile peut interdire l’usage des accessoires sonores les plus agressifs, tels les pétards le samedi après-midi.

c – Des mesures draconiennes : l’ultima ratio

Des mesures radicales, beaucoup plus restrictives, voire attentatoires aux libertés publiques peuvent se concevoir dans deux cas de figure :

  • le premier illustre l’adage « à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles ». Dans le cadre de l’actuel état d’urgence, l’autorité de police peut être amenée à interdire purement et simplement le déroulement de tout défilé ou cortège (dont les cortèges nuptiaux) en des lieux particulièrement exposés aux risques d’attentats terroristes : le centre-ville, les lieux susceptibles d’accueillir de grands rassemblements, aux abords des stades par exemple ou à prohiber le recours aux pétards afin d’éviter les mouvements de panique ;

  • le deuxième cas de figure n’est plus spatial mais temporel : ne plus célébrer de mariage le samedi. En effet, à défaut de cérémonie, les cortèges nuptiaux n’ont plus de raison d’être ! Certaines communes se sont engagées dans cette voie, à l’instar de Roubaix. La mesure tient plus du palliatif que du remède car elle ne fait que déplacer le problème dans la semaine. De plus, elle apparaît discriminatoire à l’égard des futurs mariés qui travaillent la semaine. Là encore, fausse bonne solution…

« Le bonheur n’est jamais immobile » (André Maurois). Alors laissons-le divaguer un court instant, le temps d’une noce, sur la chaussée… sans la maréchaussée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 13 août 1993, n° 93-325 DC, loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France : JO, 18 août 1993, p. 11722, cons. 3 ; Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC, consentement au mariage et opposition à mariage : JO, 23 juin 2012, p. 10357, cons. 5.
  • 2.
    Segalen M., Amours et mariages de l’ancienne France, 1981, Berger-Levrault.
  • 3.
    Rép. min. n° 82101 : JOAN, 28 juin 2016, Tian D.
  • 4.
    CE, 2 mars 1934, Abbé Prothée : Lebon, p. 1235.
  • 5.
    CE, 11 mai 1938, Moneteau : Lebon, p. 408 – CE, 12 juill. 1938, Ratier : Lebon, p. 661.
  • 6.
    En ce sens, rép. min. n° 10435 : JOAN, 16 avr. 2013, p. 4209, Lazaro T. – Cass. crim., 12 févr. 1897 : DP 1897 – Cass. crim., 24 nov. 1899 : DP 1900, 1, 447.
  • 7.
    CE, 19 mai 1933, Benjamin : Lebon, p. 531 – Cons. const., 18 janv. 1995, n° 94-352 DC, loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité : JO, 21 janv. 1995, p. 1154, cons. 16.
  • 8.
    CE, 20 juill. 1927, Abbé Legron : Lebon, p. 806.
  • 9.
    CE, 25 janv. 1939, Abbé Marzy : Lebon, p. 709 – CE, 5 mars 1948, Jeunesse indépendante chrétienne : Lebon, p. 121.
  • 10.
    Conclusions Corneille sous l’arrêt CE, 10 août 1917, Baldy : Lebon, p. 638.
  • 11.
    Cons. const., 12 juill. 1979, n° 79-107 DC, loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales : JO, 13 juill. 1979, cons. 3 – Cons. const., 18 janv. 1995, n° 94-352 DC.
  • 12.
    CE, ass., 22 juin 1951 : Lebon, p. 362.
  • 13.
    CAA Bordeaux, 26 avr. 1999, n° 97BX01773, ville de Tarbes.
  • 14.
    Proposition de loi d’Élie Aboud visant à faire respecter les symboles républicains lors des célébrations de mariage se tenant dans les locaux de la mairie, AN n° 2040, 5 nov. 2009. Proposition de loi de Julien Aubert visant à encadrer les rassemblements sur la voie publique à l’occasion des mariages, AN n° 2427, 9 déc. 2014.
  • 15.
    CE, 26 févr. 1969, n° 72405.
  • 16.
    CE, 21 janv. 1966, Le Gastelois : Lebon, p. 45 ; JCP G 1966, II 14568.
  • 17.
    Par ex. à Toulouse, la place du Capitole : in La Dépêche, 15 nov. 2011.
LPA 25 Avr. 2017, n° 125m1, p.8

Référence : LPA 25 Avr. 2017, n° 125m1, p.8

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