L’exequatur en France d’une décision marocaine de divorce, entre subtilités et spécificités conventionnelles

Publié le 23/03/2017

En matière de divorce international, la convention franco-marocaine d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 1957 et la convention franco-marocaine relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire du 10 août 1981 sont souvent appliquées. Ceci s’explique par le nombre de divorces franco-marocains et conséquemment de l’importance des demandes de réception en France des divorces marocains. C’est pourquoi, les professionnels du droit doivent en saisir les subtilités et les spécificités. L’arrêt de la Cour de cassation en date du 4 janvier 2017 donne l’occasion tant de rappeler les conditions d’exequatur en France d’un jugement de divorce marocain que d’en préciser les modalités y afférentes.

Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, no 15-27466, F–PB

1. Le pluralisme du régime de l’exequatur impose la plus grande vigilance. Le droit commun de l’exequatur coexistant avec celui européen et conventionnel, les praticiens du droit doivent veiller à en connaître les particularités. Le contentieux à l’origine de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 janvier 20171 met en lumière une convention spécifique, dont l’application est fréquente : la convention franco-marocaine d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 19572.

2. Le 26 août 2006, deux personnes, de nationalité marocaine, se sont mariées en France. Puis, l’annulation de ce mariage pour cause de bigamie est demandée par l’épouse ; cette dernière arguant qu’au jour du mariage en France, son époux était déjà marié au Maroc. Afin de faire échec à cette demande, l’époux produit une attestation établie par le consulat général du Maroc en France. Ladite attestation indique que le mariage marocain avait été dissous par un jugement marocain de divorce avant la célébration du mariage en France. Aussi l’attestation précise que « vu le jugement du tribunal de première instance de Meknès, [les époux] ont définitivement divorcé et d’une manière irrévocable le 27 juillet 2006 », soit antérieurement à la célébration du mariage en France. Les juges du fond se fondent sur cette attestation pour conclure à la dissolution de l’union marocaine au jour de la célébration du mariage français et, dès lors, rejeter la demande d’annulation du mariage en l’absence de bigamie. La décision de la cour d’appel d’Agen est cassée par la haute juridiction française, notamment, sur le fondement de l’article 21 de la convention d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 1957. Conformément à cette disposition, « la partie qui invoque l’autorité d’une décision judiciaire ou qui en demande l’exécution doit produire (notamment) un certificat des greffiers compétents constatant qu’il n’existe contre la décision ni opposition ni appel ni pourvoi en cassation ». En l’occurrence, l’époux ayant produit une attestation du consulat général du Maroc et non un certificat des greffiers compétents, la cassation est prononcée.

3. En vigueur depuis le 16 décembre 1959, la convention d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 1957 est un instrument majeur de la coopération franco-marocaine en matière judiciaire. Cette convention couvre à la fois la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération judiciaire en matière civile et commerciale. Après un premier titre consacré à l’aide mutuelle, le titre II de la convention est consacré à l’exequatur en matière civile et commerciale qui est au cœur de l’arrêt du 4 janvier 2017. Conformément à l’article 16 de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957, en matière civile et commerciale, « les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou au Maroc ont de plein droit l’autorité de la chose jugée sur le territoire de l’autre pays ». Cet effet attaché à la décision étrangère est, toutefois, subordonné3 à un contrôle du juge de l’État requis et à la production de pièces. D’une part, le juge saisi d’une demande d’exequatur doit rechercher d’office si les conditions relatives à ladite demande sont réunies. Ces conditions énumérées à l’article 16 de la convention sont relatives à la compétence de la juridiction dont émane la décision, la régularité de la citation en justice, la force de chose jugée attachée à la décision et le respect de l’ordre public. D’autre part, la partie requérant l’exequatur doit produire un ensemble de documents4 visé à l’article 21 dont – celui faisant défaut dans l’arrêt rapporté – un « certificat des greffiers compétents constatant qu’il n’existe ni opposition ni appel ni pourvoi en cassation ». Si ces pièces sont produites et les conditions susvisées remplies, la décision bénéficie de « plein droit de l’autorité de la chose jugée »5.

4. En matière civile et commerciale, l’application de la convention d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 1957 est « régulièrement »6 soumise à l’interprétation de la Cour de cassation7. En France, l’essentiel du contentieux lié aux dispositions relatives à l’exequatur concerne – à l’instar de la présente affaire – la désunion du couple marié. La précision est importante. En matière familiale, la convention d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition coexiste et, tout à la fois, se combine avec la convention franco-marocaine relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire du 10 août 19818. Bien que l’arrêt rapporté soit relatif à la désunion du couple marié, la convention franco-marocaine du 10 août 1981 n’est pas mentionnée. Aussi, seul le défaut de production du « certificat des greffiers compétents » de l’article 21 de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 est visé dans le conclusif de l’arrêt du 4 janvier 2017. L’importance de la production de ce document dans le système d’exequatur est implicitement soulignée par le visa de l’arrêt faisant référence aux articles 16 et 19 de la convention, soit aux conditions d’exequatur et ses effets. Ainsi, il paraît que la production du document en cause n’est pas un simple formalisme. Cette exigence a pour objet de constater qu’il n’existe contre la décision ni opposition, ni appel, ni pourvoi en cassation. Le certificat des greffiers permet donc de garantir que la condition d’exequatur relative au caractère exécutoire de la décision étrangère est remplie et, conséquemment, que la décision peut bénéficier de plein droit de l’autorité de la chose jugée dans l’autre État. Ainsi, afin qu’une décision de l’un des deux États soit reconnue et déclarée exécutoire dans l’autre État, un subtil jeu d’articulation et de combinaison des dispositions de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 est impératif. En matière de désunion, la convention franco-marocaine du 10 août 1981 prend part à ce jeu. Dans ce jeu, le certificat des greffiers apparaît, dans l’arrêt du 4 janvier 2017, comme une pièce maîtresse.

5. Dans son arrêt du 4 janvier 2017, la haute juridiction française applique à la lettre la convention franco-marocaine d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 1957. Une attestation du consulat général du Maroc est produite, alors que le texte de la convention exige la production d’un certificat des greffiers compétents. La cassation semble logique et paraissait inévitable. Pour autant, l’arrêt rapporté bénéficie d’une publication au Bulletin. Outre d’être l’occasion de rappeler les spécificités des conditions d’exequatur en France d’un jugement de divorce marocain (I), l’arrêt du 4 janvier 2017 est à souligner en ce qu’il précise, et implicitement affirme, le régime probatoire conventionnel de ces conditions d’exequatur (II).

I – Les spécificités des conditions d’exequatur en France d’un jugement de divorce marocain

6. En matière de désunion du couple, la convention franco-marocaine relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire du 10 août 1981 adapte celle relative à l’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements du 5 octobre 1957. Deux conditions de l’exequatur sont essentiellement concernées, celle relative à la compétence indirecte (A) et celle visant le caractère exécutoire de la décision étrangère (B)9.

A – La condition relative à la compétence indirecte

7. Au titre des conditions d’exequatur de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957, sauf renonciation certaine de l’intéressé, « la décision doit émaner d’une juridiction compétente selon les règles de droit international privé admises dans le pays où la décision est exécutée »10. Concernant les décisions relatives à la dissolution du mariage, le sens de cette disposition est précisé par la convention franco-marocaine du 10 août 1981. En effet, son article 11 énonce des règles indirectes de compétence11. Ces règles consacrent comme critère de rattachement le domicile ou le dernier domicile des époux, ou leur nationalité commune12. En l’occurrence, la demande d’exequatur portant sur un jugement de divorce prononcé au Maroc, les conventions franco-marocaine du 5 octobre 1957 et du 10 août 1981 doivent se combiner. Concrètement, la nationalité marocaine des époux ou leur dernier domicile au Maroc suffit à remplir la condition d’exequatur liée à la compétence indirecte. L’arrêt rapporté passant sous silence tant la nationalité de la première épouse que le dernier domicile du couple, la mise en œuvre de cette condition ne peut être précisée. Mais la condition d’exequatur relative à la compétence indirecte n’étant pas relevée dans l’arrêt du 4 janvier 2017, il doit être considéré qu’elle ne fait pas défaut.

8. La spécificité factuelle de l’affaire donne l’occasion d’apporter une précision sur la compétence. L’époux, défendeur à l’action, invoque le jugement marocain de divorce de son premier mariage afin de faire échec à la demande en nullité de son second mariage. L’autorité du jugement étranger est invoquée de manière incidente. Les conditions d’exequatur ne devraient pas en être affectées. La condition relative à la compétence indirecte, susvisée, doit être remplie. En revanche, elle ne doit pas se confondre avec les règles de compétence juridictionnelle de la demande principale en nullité du mariage pour cause de bigamie. Cette demande obéit aux règles de compétence directe « relèv(ant) des règles internes et internationales de compétence pour chaque État »13. En effet, « l’article 11 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 n’édicte que des règles indirectes de compétence »14. La jurisprudence paraît désormais fixée. Cette disposition de la convention du 10 août 1981, « visent seulement à faciliter l’exequatur des décisions rendues par le juge du domicile ou du dernier domicile des époux, ou celui de leur nationalité commune »15. Dès lors, la compétence juridictionnelle des juridictions françaises, concernant la présente demande d’annulation du mariage, doit être fondée prioritairement sur le règlement Bruxelles 2 bis. Conformément aux termes de son article 1er, paragraphe 1, sous a), le règlement Bruxelles 2 bis s’applique à l’annulation du mariage. Toute forme de désunion est visée dans la mesure où la décision émane d’une juridiction. En la matière, les règles de compétence du règlement s’articulent autour de deux critères de rattachement16 : la résidence habituelle et la nationalité. En l’occurrence, le critère de résidence habituelle des époux semble fonder la compétence des juridictions françaises.

9. La compétence indirecte et la compétence directe ne sont pas visées par la Cour de cassation. Toutefois, l’arrêt du 4 janvier 2017 offre l’occasion de rappeler la spécificité de ces règles en cas de désunion du mariage. Cette spécificité relative à la matière familiale se retrouve dans la condition d’exequatur relative au caractère exécutoire de la décision étrangère au cœur de l’arrêt rapporté.

B – La condition relative au caractère exécutoire de la décision étrangère

10. Afin que la décision bénéficie de « plein droit de l’autorité de la chose jugée »17 dans l’un des deux États, la décision18 de l’autre État doit être passée en force de chose jugée et être susceptible d’exécution19. En vertu de la loi de l’État où elle a été rendue, la décision ne doit pas être susceptible de recours. La solution est légitime puisque « la décision d’exequatur a effet entre toutes les parties à l’instance en exequatur et sur toute l’étendue des territoires où ces dispositions sont applicables. Elle permet à la décision rendue exécutoire de produire, à partir de la date de l’obtention de l’exequatur, en ce qui concerne les mesures d’exécution, les mêmes effets que si elle avait été rendue par la juridiction ayant accordé l’exequatur à la date de l’obtention de celui-ci »20. Cette condition d’exequatur visée à l’article 16 point c) de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 est au cœur de l’arrêt du 4 janvier 2017. La demande portant sur une annulation du mariage pour cause de bigamie, cette situation doit être avérée. Or l’époux conteste l’existence d’une telle situation en raison de la dissolution de sa première union au jour de la célébration de sa seconde union dont l’annulation est demandée. Le défendeur avance un jugement de divorce afin de faire échec à la demande de nullité. Ce jugement doit donc être définitif, à défaut il ne peut légitimement être pris en considération pour réfuter les arguments de la demanderesse tenant à la bigamie.

11. En l’occurrence, le jugement de divorce ayant été prononcé à l’étranger, son exequatur apparaît indispensable. Le fait que les effets du jugement soient sollicités en France « à l’occasion d’une demande principale » n’a pas d’incidence, puisqu’il s’agit de « faire reconnaître en France l’autorité de chose jugée étranger »21. En outre, le cas d’espèce ne peut être rattaché aux exceptions admises dans le système conventionnel franco-marocain qui fait produire certains effets à des jugements étrangers sans exequatur. En effet, d’une part, en l’absence de reconnaissance d’une décision étrangère, cette dernière peut produire un effet de fait22. D’autre part, la convention franco-marocaine du 10 août 1981 précise, en son article 14, qu’« en matière d’état des personnes les décisions en force de chose jugée peuvent être publiées ou transcrites sans exequatur sur les registres de l’état civil ». Cette dernière solution est conforme au droit commun. Mais cette dispense d’exequatur est légitimement « sans effet lorsqu’est demandée l’exécution en France de la décision »23. En l’occurrence, aucune exception ne s’applique. L’exequatur devait être demandé et subséquemment la condition relative au caractère exécutoire devait être remplie.

12. Afin qu’une décision marocaine bénéficie de plein droit de l’autorité de la chose jugée, les conditions d’exequatur de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 doivent être réunies. En matière de désunion, ces conditions doivent être interprétées, voire complétées, à l’aune de la convention franco-marocaine du 10 août 1981. Dans tous les cas, en plus de la réunion de ces conditions, certaines pièces doivent être produites. La production de l’une de ces pièces est au cœur de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 2017 qui implicitement atteste de l’existence d’un régime probatoire conventionnel des conditions d’exequatur de la convention du 5 octobre 1957.

II – Le régime probatoire des conditions d’exequatur en France d’un jugement de divorce marocain

13. Conformément à l’article 21 de la convention du 5 octobre 1957, un ensemble de pièces doit être fourni lors d’une demande d’exequatur. Leur production est indispensable car ces documents attestent de la validité des conditions d’exequatur de l’article 16 de la convention du 5 octobre 1957. Ainsi, en couplant la production de documents aux conditions d’exequatur, un système probatoire est instauré. Dans son arrêt du 4 janvier 2017, la Cour de cassation précise la valeur probatoire des pièces visées à l’article 21 (A) dont la charge de la preuve repose sur la partie demandant l’exequatur (B).

A – La valeur probatoire des pièces du système d’exequatur

14. Conformément aux articles 16 point c) et 19 de la convention du 5 octobre 1957, afin que la décision bénéficie de plein droit de l’autorité de la chose jugée dans l’un des deux États, la décision de l’autre État doit être passée en force de chose jugée et être susceptible d’exécution. Et, l’article 21 c) de la même convention impose la production d’« un certificat des greffiers compétents constatant qu’il n’existe contre la décision ni opposition, ni appel, ni pourvoi en cassation ». Il résulte de la combinaison de ces textes un régime probatoire. En effet, le certificat des greffiers a pour objet de prouver la force de chose jugée attachée à la décision étrangère et son caractère exécutoire, soit la condition d’exequatur visée à l’article 16 point c). En d’autres termes, cette condition d’exequatur est subordonnée à la production d’un document, cette production attestant de la validité de ladite condition.

15. En l’occurrence, le certificat des greffiers compétents – en tant que pièce visée par la convention – fait défaut. En effet, afin de prouver la dissolution de sa précédente union, l’époux produit une attestation établie par le consulat général du Maroc en France. L’époux n’ayant pas produit le certificat des greffiers, la cassation est prononcée. Pour autant, l’attestation produite par l’époux indique que le mariage marocain avait été dissous par un jugement marocain de divorce avant la célébration du mariage en France. Aussi l’attestation précise que « le jugement du tribunal de première instance de Meknès du 27 juillet 2006, est devenu “définitif et irrévocable” le 26 août 2006 ». Ainsi, les informations contenues dans cette attestation sont celles visées à l’article 21 de la convention du 5 octobre 1957 par le biais du certificat des greffiers et, conséquemment, celles nécessaires à la preuve du caractère exécutoire de la décision étrangère. Mais, et il s’agit du point majeur de l’arrêt, l’acte produit par l’époux contenant cette information n’est pas celui visé par la convention. Dès lors, la cassation était inéluctable. Outre une interprétation littérale de la convention, son système probatoire explique la solution de la Cour de cassation. Peu importe le contenu de l’attestation, cette dernière n’est pas et n’a pas la valeur d’un certificat délivré par un greffier. Dans ce sens, le rapport annuel de 2012 de la Cour de cassation soulignait que « l’aptitude d’un élément avancé en justice par une partie à établir la véracité d’une allégation n’est pas toujours laissée à la libre appréciation du juge. Il existe en cette matière des règles qui déterminent la valeur qu’il convient d’attribuer aux preuves produites ». Ainsi, dans le cadre de la convention du 5 octobre 1957, le juge saisi d’une demande d’exequatur doit vérifier d’office le respect de la condition relative au caractère exécutoire de la décision étrangère. Cet office peut être exercé uniquement grâce à la production d’un certificat de non-opposition, non-appel ou non-pourvoi24.

16. Dans l’arrêt du 4 janvier 2017, la Cour de cassation applique à la lettre l’article 21 de la convention du 5 octobre 1957. Cependant, cette disposition relative au document en cause n’est pas la seule indiquée dans le visa de l’arrêt. Les articles 16 et 19 le sont également. Ainsi, il apparaît un système d’exequatur de la convention franco-marocaine qui repose sur un jeu de combinaison d’articles. Dans ce système, les pièces à produire jouent un rôle probatoire et la charge de la preuve est précisée.

B – La charge de la preuve dans le système d’exequatur

17. Conformément à l’article 21 de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957, le certificat des greffiers doit être produit par « la partie qui invoque l’autorité d’une décision judiciaire ou qui en demande l’exécution ». La charge de la preuve repose donc sur la partie qui se prévaut de la décision étrangère. La solution est à rapprocher de l’article 1353 du Code civil français disposant que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». En l’espèce, la réalité de la première union n’était pas contestée. Seule la rupture de cette union était en cause. Or l’époux avançant le caractère exécutoire du jugement de désunion de son premier mariage en défense à la demande d’annulation de sa seconde union, le risque de la preuve devait être supporté par celui-ci. En l’occurrence, la cassation est prononcée faute de preuve rapportée par l’époux sur la réalité du caractère définitif de la décision de désunion de son premier mariage.

18. La convention du 5 octobre 1957 ne se contente pas d’énumérer les conditions d’exequatur d’une décision étrangère. Ces conditions prennent place dans un régime général précisant les modalités relatives à la preuve de ces conditions d’exequatur. Ce système est précisé par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 janvier 2017 en ce qui concerne la condition relative au caractère exécutoire de la décision étrangère. Mais il se retrouve à l’identique pour les autres conditions d’exequatur. Ainsi, conformément à l’article 16 point b) de la convention du 5 octobre 1957, les parties doivent avoir été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes. L’objet de cette condition d’exequatur est de garantir le respect des droits de la défense. À cette fin, « l’original de l’exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification »25 ainsi qu’« une copie authentique de la citation de la partie qui a fait défaut à l’instance »26 doivent être produit. Aussi, l’« expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité »27 sert tant à vérifier la compétence de la juridiction dont émane la décision28 que sa conformité à l’ordre public29. L’ensemble de ces pièces30 est à produire par la partie qui demande l’exequatur.

19. En définitive, la pluralité du régime d’exequatur impose la plus grande vigilance. Particulièrement, le régime de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957, qui est d’un intérêt pratique indéniable, doit être connu. Dans son arrêt du 4 janvier 2017, la Cour de cassation donne une précision et, implicitement, un avertissement. La convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 comporte des conditions d’exequatur dont la réunion doit être attestée par un ensemble de pièces dont la production repose sur la partie demandant l’exequatur. Le bénéfice de l’autorité de la chose jugée de la décision d’un État dans l’autre État est conditionné au respect de ce système qui repose sur un subtil et rigide, mais pertinent, jeu de combinaison de dispositions.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, n° 15-27466 : Dalloz actualité, 20 janv. 2017, obs. Melin F.
  • 2.
    D. n° 60-11, 12 janv. 1960. La convention a été complétée par un protocole additionnel du 10 août 1981 ; JO, 19 déc. 1981.
  • 3.
    Concernant la procédure de demande d’exequatur, l’article 18 de la convention d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition renvoie à la loi de l’État dans lequel l’exécution est demandée, soit en l’occurrence au droit français. Sur cette disposition, v. Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 11-19758.
  • 4.
    L’article 21 exige la production de : « Une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité ; l’original de l’exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui tient lieu de signification ; un certificat des greffiers compétents constatant qu’il n’existe ni opposition ni appel ni pourvoi en cassation ; une copie authentique de la citation de la partie qui a fait défaut à l’instance ». Aussi comme le précise l’article 21, « une traduction complète de ces pièces énumérées ci-dessus certifiées conformes par un traducteur assermenté » doit être produite.
  • 5.
    Conv. franco-marocaine, art. 19.
  • 6.
    Melin F., obs. Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, préc.
  • 7.
    V. par ex. pour l’année 2016 : Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 15-12379 ; Cass. 1re civ., 13 avr. 2016, n° 15-17723 ; Cass. 1re civ., 25 mai 2016, n° 15-10532.
  • 8.
    Pour une présentation de cette convention, v. not. « Dossier : la convention franco-marocaine de 1981 relative au divorce. Table ronde du 15 mai 2009 à la cour d’appel de Bastia » in Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2010, n° 2, p. 605 et s. ; Monéger F., « La convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire », Rev. crit. DIP 1984, p. 266 et 429 ; Decroux P., « La convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire », JDI 1985, p. 49.
  • 9.
    Outre ces deux conditions, les parties doivent avoir été « légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes » (Conv. franco-marocaine, art. 16 b). Aussi, la « décision ne doit contenir rien de contraire à l’ordre public du pays où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans ce pays ni être contraire à une décision judiciaire prononcée dans ce pays et possédant à son égard l’autorité de la chose jugée » (Conv. franco-marocaine, art. 16 d). Sur cette dernière condition, le contentieux a été important en ce qui concerne la reconnaissance des jugements de répudiations.
  • 10.
    Conv. franco-marocaine, 5 oct. 1957, art. 16 a).
  • 11.
    L’alinéa 3 de l’article 11 de la convention de 1981 précise que « si une action judiciaire a été introduite devant une juridiction de l’un des deux États et si une nouvelle action entre les mêmes parties et ayant le même objet est portée devant le tribunal de l’autre État, la juridiction saisie en second lieu doit surseoir à statuer ».
  • 12.
    art. 11, Conv. 1981 « au sens de l’alinéa a) de l’article 16 de la convention d’aide mutuelle judiciaire et d’exequatur des jugements du 5 octobre 1957, la dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux États sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun. Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l’un des deux États, les juridictions de cet État peuvent être également compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l’introduction de l’action judiciaire ».
  • 13.
    Abida A.  et Monéger F., « La convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire », JCl. Droit international, Fasc. 592-13, n° 147.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 28 mars 2006, n° 04-20362 : JCP G 2006, II 10133, note Devers A. ; Dr. famille 2006, comm. 133, comm. Larribau-Terneyre V. ; AJ fam. 2006, p. 247, note Boiché A.
  • 15.
    Abida A. et Monéger F., préc., n° 146.
  • 16.
    La Cour de justice a, toutefois, précisé qu’une action en nullité du mariage introduite par une personne autre que l’un des époux ne peut se prévaloir des chefs de compétences des cinquième et sixième tirets de l’article 3, paragraphe 1, sous a) ; CJUE, 13 oct. 2016, n° C-294/15.
  • 17.
    Conv. franco-marocaine, art. 19.
  • 18.
    La solution est applicable pour les sentences arbitrales, v. CA Paris, 29 mars 2007, n° 05/20506, OTEP c/ Sud Béton. En l’occurrence, le caractère définitif de la sentence a légitimement été retenu par les juges du fond, car la sentence arbitrale avait bénéficié d’une ordonnance d’exequatur par le président du tribunal de commerce de Marrakech, confirmée par la cour d’appel de Marrakech.
  • 19.
    Conv. franco-marocaine, art. 16 c).
  • 20.
    Conv. franco-marocaine, art. 20.
  • 21.
    Vignal T., Droit international privé, 3e éd., Sirey, p. 388, n° 652.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 4 mai 2011, n° 10-14142.
  • 23.
    Cass. 1re civ., 12 sept. 2012, n° 11-17023 : AJ fam. 2012, p. 551, note Boiché A.
  • 24.
    La solution est identique que le contrôle de la décision étrangère soit un contrôle incident ou non, v. par ex. Cass. 1re civ., 17 févr. 2004, n° 02-15766.
  • 25.
    Conv. franco-marocaine, art. 21 b).
  • 26.
    Conv. franco-marocaine, art. 21 d).
  • 27.
    Conv. franco-marocaine, art. 21 a).
  • 28.
    Conv. franco-marocaine, art. 16 a).
  • 29.
    Conv. franco-marocaine, art. 16 d).
  • 30.
    Ces pièces doivent être traduites et certifiées conformes par un traducteur assermenté (Conv. franco-marocaine, art. 21 e).
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