L’opposabilité aux tiers d’une dette née antérieurement au changement de régime matrimonial et l’article 1415 du Code civil

Publié le 29/06/2017

Malgré le changement de régime matrimonial des époux mariés sous le régime de communauté légale réduite aux acquêts adoptant la séparation de biens, la dette de la clause de révision de prix née antérieurement, confère au créancier un gage maximum excluant ainsi l’article 1415 du Code civil.

Cass. 1re civ., 22 mars 2017, no 16-13365

1. Si la loi du 23 juin 2006 a introduit la déjudiciarisation du changement de régime matrimonial1 force est cependant de reconnaître que l’article 1415 du Code civil n’en finit pas de nourrir un contentieux larvé. Les faits de l’espèce méritent ainsi d’être soulignés2. Par acte sous seing privé du 30 juillet 1998, M. X et six autres personnes ont signé une promesse de céder à Alain Y des actions de la société MD finances. L’acte contient une clause de révision du prix permettant à l’un des cédants de bénéficier d’une créance, jusque-là au profit de la société. Qu’ayant appris du liquidateur que l’actif ne permettrait pas de désintéresser les créanciers chirographaires, M. X a assigné par devant le tribunal compétent Mme Z, prise en sa qualité d’épouse commune en biens d’Alain Y, décédé le 22 décembre 2006, ainsi que Mmes Y, en leur qualité d’héritières de leur père, pour obtenir paiement d’une certaine somme en exécution de la clause de révision du prix des actions. Les juges d’appel déclarent irrecevable ce recours au motif que le cessionnaire et son épouse avaient changé leur régime matrimonial de la communauté réduite aux acquêts initialement choisis pour adopter le régime de la séparation de biens pure et simple. Cependant, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par les juges du fond aux visas de l’ancien article 1397, les articles 1413 et 1483 du Code civil. Malgré le changement de régime matrimonial des époux adoptant le régime de séparation de biens pure et simple (I), la dette résultant de la clause de la révision du prix demeure commune (II).

I – De la mutabilité du régime matrimonial

2. Sur le premier moyen, pris en sa première branche au visa de l’ancien article 1397 du Code civil (A), les hauts magistrats en déduisent que l’opposabilité aux tiers de l’adoption du régime de la séparation de biens des époux ne modifie pas le régime des dettes nées antérieurement au changement de régime matrimonial (B).

A – Changement du régime matrimonial initialement choisi

3. L’idéologie du droit des régimes matrimoniaux marquée notamment par l’idée de liberté3 des conventions matrimoniales a entraîné plusieurs réformes tendant à atténuer le principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux. Le Code civil consacre un chapitre particulier sur l’atténuation du principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux se traduisant par la possibilité offerte aux époux d’en changer4.

4. L’ancien article 1397 du Code civil applicable au cas d’espèce disposait : « Après deux années d’application du régime matrimonial, conventionnel ou légal, les époux pourront convenir dans l’intérêt de la famille de le modifier, ou même d’en changer entièrement, par un acte notarié qui sera soumis à l’homologation du tribunal de leur domicile. Toutes les personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié doivent être appelées à l’instance d’homologation ; mais non leurs héritiers, si elles sont décédées. Le changement homologué a effet entre les parties à dater du jugement et, à l’égard des tiers, trois mois après que mention en aura été portée en marge de l’un et de l’autre exemplaire de l’acte de mariage. Toutefois, en l’absence même de cette mention, le changement n’en est pas moins opposable aux tiers si, dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial. Il sera fait mention du jugement d’homologation sur la minute du contrat de mariage modifié. La demande et la décision d’homologation doivent être publiées dans les conditions et sous les sanctions prévues au Code de procédure civile ; en outre, si l’un des époux est commerçant, la décision est publiée dans les conditions et sous les sanctions prévues par les règlements relatifs au registre du commerce. Les créanciers, s’il a été fait fraude à leurs droits, pourront former tierce opposition contre le jugement d’homologation dans les conditions du Code de procédure civile ».

5. La controverse s’est développée notamment à propos de l’information des créanciers et du droit d’opposition5. En l’espèce, comme on l’a fort justement montré un auteur de la revue des éditions Lefebvre en estimant qu’avant comme après la réforme de 2006, l’opposabilité aux tiers de la séparation de biens ne modifie pas le régime des dettes nées antérieurement »6. En première approche, il semble bien que l’on rende compte du débat judiciaire en précisant que l’épouse, commune en biens lors de la cession d’actions, pouvait être débitrice malgré le changement de régime matrimonial de la communauté en séparation de biens. Quoique ce changement constitue une protection du patrimoine commun des époux, il n’en demeure pas moins qu’il a eu lieu, en l’espèce, que trois ans après la conclusion de la cession d’actions.

B – De l’opposabilité aux tiers de l’adoption du régime de la séparation de biens

6. Il est certain que l’intérêt de la famille doit être protégé en cas de changement de régime matrimonial. Mais il faut également tenir compte de l’intérêt des tiers tant et si bien qu’aux termes de l’article 1397, alinéa 6, du Code civil le changement de régime matrimonial n’est opposable aux tiers que trois mois après cette dernière publicité7. D’ailleurs, il convient de remarquer que les tiers qui ont traité avec les époux et n’étant pas touchés par la publicité de droit commun peuvent former tierce opposition contre ce jugement dans un délai d’un an8.

7. De toute évidence, la tierce opposition n’appartient qu’aux créanciers ayant subi un préjudice à la suite du changement de régime matrimonial des époux. C’est ainsi que la Cour de cassation a considéré que : « (…)Mais attendu que les dispositions de l’article 1397, dernier alinéa, du Code civil, qui assure une protection spéciale aux seuls créanciers au cas de changement de régime matrimonial de leur débiteur, n’autorisent pas les enfants des époux à former tierce opposition au jugement qui homologue le changement de régime matrimonial après s’être livré à une appréciation d’ensemble de l’intérêt de la famille ; que, dès lors, l’arrêt attaqué n’encourt pas les critiques du moyen ; Par ces motifs rejette le pourvoi (…) »9. En l’espèce, pour la Cour de cassation seule compte la date de naissance de la créance10. Cette solution nécessite de s’interroger sur la question du pouvoir des époux dans le régime légal.

II – L’inapplicabilité de l’article 1415 du Code civil à la clause de révision de prix

8. Sur la deuxième branche de ce moyen au visa de l’ancien article 1415 du Code civil (A), la Cour de cassation estime que la clause de révision des prix n’entre pas dans le champ d’application de cet article édicté par le Code civil (B).

A – La clause de révision de prix n’est pas assimilable à un emprunt

9. On sait qu’une clause de révision de prix a pour objet de permettre aux parties d’adapter ou de renégocier les engagements en cas de modification substantielle du contexte économique et de prévoir les conditions et les modalités de cette révision11. Au cas d’espèce, las parties à l’acte de cession avait stipulé une clause de révision du prix permettant à l’un des cédants de bénéficier d’une créance, jusque-là au profit de la société12.

10. L’article 1415 du Code civil édicte de manière assez énigmatique que : « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ». En l’espèce, la Cour de cassation censure les juges du fond en considérant que l’acte de cession mentionnait que l’obtention de ce prêt était une condition suspensive de sa réalisation et que dès lors que Mme Z n’a pas consenti à cet emprunt, les dispositions de l’article 1415 du Code civil ont vocation à s’appliquer. Force est d’observer que la haute juridiction refuse d’inclure les clauses de révisions de prix dans le champ d’application de l’article 1415 du Code civil. On s’accorde à reconnaître que l’article 1415 du Code civil s’applique aux opérations d’emprunt mais également au cautionnement. Il va de soi que l’époux qui souscrit seul un emprunt ou un cautionnement n’engage certainement pas les biens communs contrairement à l’article 1413 du Code civil.

B – La clause de révision de prix est-elle assimilable cautionnement ?

11. Au regard des principes posés par l’article 1415 du Code civil, on aurait pu se demander si la clause de révision de prix n’était pas assimilable à un cautionnement. On sait qu’une distinction entre la clause de révision de prix et la clause de garantie de passif a été rappelée par la Cour de cassation dans les termes suivants : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la clause litigieuse, intitulée : “révision de prix-garantie d’actif net” prévoyait que “pour la détermination du prix définitif de cession des titres”, un arrêté contradictoire des comptes serait établi à la date de la cession et qu’“en cas de diminution de l’actif net… cet écart négatif viendra en diminution du prix fixé ci-dessus”, ce dont il résultait que cette clause constituait une clause de révision de prix et que les parties n’avaient pas entendu que la garantie puisse excéder le prix de cession, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ; Par ces motifs casse et annuel (..) »13. De plus, la haute juridiction a refusé récemment de voir dans la garantie de passif un cautionnement14. La Cour de cassation, dans un arrêt rendu en date du 20 septembre 2012, assurément de principe, et parfaitement ciselé, trace les contours entre la garantie de passif et le cautionnement dans les termes suivants : « Mais attendu que la convention de garantie de passif social, formant un tout avec l’acte synallagmatique portant cession des titres sociaux auquel elle s’intègre, n’est pas un engagement unilatéral et, partant, n’est pas soumise à l’article 1415 du Code civil, fût-elle consentie solidairement entre les cédants ; qu’il en résulte que l’arrêt qui énonce que les dispositions de ce texte visent expressément le cautionnement et l’emprunt, que, certes, la jurisprudence les a étendues aux garanties à première demande qui constituent des garanties autonomes, que tel n’est pas le cas de la garantie de bilan qui s’inscrit dans un jeu d’obligations réciproques, a légalement justifié sa décision ; Par ces motifs : Rejette le pourvoi »15. Si la loi du 23 juin 2006 a facilité le changement de régime matrimonial force est cependant de conclure que le droit transitoire laisse beaucoup à désirer !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cabrillac R., « Le changement de régime matrimonial », RLDC 2007/35, p. 64.
  • 2.
    « Delphine Louis sort de la dette issue d’une clause de révision de prix souscrite par un époux commun en bien avant un changement de régime matrimonial », Dalloz actualité, 21 avr. 2017 ; « Du sort des créances nées antérieurement au changement de régime matrimonial », RLDC 2007/35 ; Documentation expresse 18 avr. 2017, n° 2017-07, p. 1. « Régimes matrimoniaux : opposabilité d’un changement de régime matrimonial, et domaine d’application de l’article 1415 » : précisions de la Cour de cassation ; http://www.baudet-peilabinet-avocats-rennes.fr/ ; « Changer de régime matrimonial ne modifie pas le régime des dettes existantes », Francis Lefebvre 2017 ; « Engagement de l’époux souscrit antérieurement au changement du régime matrimonial », JCP N 2017, 430, spéc. n° 14-15.
  • 3.
    Morin M. et Niel P.-L., « Chronique régimes matrimoniaux (Janvier 2016 – Octobre 2016) », LPA 8 févr. 2017, n° 123j4, p. 10.
  • 4.
    Brémond V., « Synthèse – Contrat de mariage. Formation et modification », JCl. Civil, 2016.
  • 5.
    Brémond V., op. cit., n° 49.
  • 6.
    « Changer de régime matrimonial ne modifie pas le régime des dettes existantes », Francis Lefebvre 2017.
  • 7.
    Beignier B., Cabrillac R., Lécuyer H. et Desolneux M., « Effets vis-à-vis des tiers », Revue Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités.
  • 8.
    Ibid.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, n° 90-11685 : Dorange A., Section V, Changement volontaire de régime matrimonial, Code de procédure civile commenté, 2011, Lamy.
  • 10.
    « Delphine Louis sort de la dette issue d’une clause de révision de prix souscrite par un époux commun en bien avant un changement de régime matrimonial », Dalloz actualité, 21 avr. 2017.
  • 11.
    Fourgoux J.-L., « La clause de révision de prix dans les contrats d’affaires », AJCA avr. 2014, n° 1, p. 24-26.
  • 12.
    « Dans une cession d’actions, une clause de révision du prix n’étant pas un emprunt, l’article 1415 du Code civil ne s’applique pas », Dr. & patr. Hebdo 24 avr. 2017, n° 1098, p. 1.
  • 13.
    Mestre J., Velardocchio D. et Mestre-Chami A.-S., « Garantie s’accompagnant d’une clause de révision du prix », Lamy sociétés commerciales, 2017 ; Cass. com., 18 déc. 2001, n° 98-17320.
  • 14.
    « Delphine Louis sort de la dette issue d’une clause de révision de prix souscrite par un époux commun en bien avant un changement de régime matrimonial », op. cit.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 20 sept. 2012, n° 11-13144.
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