Vers un mariage 3.0 ?
Le mariage pourrait-il un jour se fondre dans l’environnement électronique ? Repenser le mariage à travers le prisme de l’électronique revient-il alors à le dénaturer complètement ? La période sanitaire actuelle invite certainement à redessiner certains mécanismes juridiques afin qu’ils puissent répondre à de nouvelles contraintes. Dans ce sillon, la confrontation du mariage aux nouvelles technologies semble être un objet d’étude pertinent.
Sans nier les obstacles sociologiques, voire psychologiques, pouvant s’ériger contre la dématérialisation du mariage, la présente étude a pour objet de vérifier si la technique offre d’ores et déjà des outils permettant sa conclusion électronique.
1. Le défi du mariage électronique. La crise sanitaire actuelle a entraîné l’adaptation de nombreuses branches du droit à de nouvelles contraintes tant substantielles que formelles. À titre d’exemple, de nouvelles solutions ont été élaborées pour favoriser la conclusion électronique d’actes qui étaient jusque-là réservés à l’environnement papier1. Ce mouvement invite plus largement à repenser certains concepts que l’on pouvait croire immuables dans un nouveau cadre spatial et temporel. En ce sens, la mise à l’épreuve du mariage par l’épidémie de Covid-19 semble être une piste de réflexion intéressante dans la mesure où des milliers de célébrations ont été gelées, reportées, voire annulées, lors d’une période printanière où les mariages prospèrent traditionnellement. Pourtant, dans le prolongement de la dématérialisation de la séparation2, et dans une finalité plus heureuse, le mariage 3.0 aurait pu offrir certaines parades aux couples souhaitant s’unir, malgré ce contexte incertain. La possibilité pour un officier d’état civil de recevoir, seul et à distance, le consentement des époux aurait en effet permis d’éviter de geler l’activité maritale, parfois considérée comme l’œuvre fondatrice de la famille3. Pour cela, la formalisation de l’acte authentique à distance pourrait constituer une source d’inspiration.
La formation électronique du mariage n’en demeure pas moins un défi de taille car, outre le respect de nombreuses formalités précédant sa célébration4, le mariage électronique devrait incarner, comme le mariage présentiel, le formalisme matrimonial. Pour l’aborder, il convient de revenir à l’essence du mariage afin de déterminer les obstacles pouvant entraver sa dématérialisation, et de voir comment ils pourraient être surmontés. Plus spécialement, deux enjeux principaux doivent être envisagés : le premier tient à la célébration électronique du mariage (I) ; le second repose sur l’aspect probatoire du mariage conclu par voie électronique (II).
I – La célébration électronique du mariage
2. L’obstacle de la présence physique dans un lieu commun. L’un des obstacles majeurs contre le mariage électronique est l’exigence de la présence physique des époux et des témoins dans un lieu commun. En ce qui concerne la présence des futurs époux, l’article 146-1 du Code civil l’impose comme une condition de fond pouvant, si elle n’est pas respectée, entraîner la nullité absolue du mariage5. Autrement dit, si le mariage est célébré sans la comparution personnelle des époux, la nullité absolue pourra être recherchée dans un délai de 30 ans à compter de la célébration du mariage6. Cette exigence de comparution trouve un écho à l’article 75 du Code civil détaillant la cérémonie du mariage dans un ordre chronologique. Il prévoit notamment la présence d’au moins deux témoins afin d’assurer l’identité des époux et le bon accomplissement du mariage. L’officier d’état civil doit ensuite procéder à la lecture de certains articles du Code civil – afin de délivrer aux époux « une sorte de mode d’emploi à respecter pour favoriser des relations conjugales apaisées »7 – et interpeller les futurs époux sur la déclaration éventuelle d’un contrat de mariage. Enfin, le célébrant doit recevoir de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme et prononcer au nom de la loi qu’elles sont unies par le mariage. D’un point de vue territorial, le mariage doit être célébré dans la commune où l’un des deux époux, ou l’un de leurs parents, aura son domicile ou sa résidence établie pour 1 mois d’habitation continue à la date de la publication du mariage8. Outre le rattachement territorial des époux, l’officier d’état civil doit lui-même être compétent tant d’un point de vue substantiel que territorial9. De surcroît, la célébration du mariage doit être publique, ce qui implique matériellement qu’elle ait lieu dans une salle ouverte au public10.
D’après ces articles, la présence concomitante de l’officier d’état civil avec les témoins et les époux dans un lieu commun est exigée. En effet, la présence, entendue comme le « fait pour quelqu’un, quelque chose de se trouver physiquement, matériellement en un lieu déterminé »11, induit bien une contrainte physique au sein d’une même unité de temps et de lieu pour l’ensemble des protagonistes du mariage. A contrario, le mariage 3.0 supposerait, lui, l’éloignement contractuel dans le processus de formation du mariage. On mesure alors l’opposition entre l’acception classique du mariage et sa conception électronique, car plus le mariage reposera sur la technique, moins il dépendra de la présence physique de l’officier d’état civil12.
3. Le recours à la visioconférence. Techniquement, l’échange des informations nécessaires au mariage et le recueil par l’officier d’état civil de la déclaration des deux époux et des témoins concourant à l’acte pourraient s’effectuer au moyen d’un système de communication et de transmission de l’information garantissant l’identification des parties, l’intégrité et la confidentialité du contenu agréé par une autorité supérieure13. Plus concrètement, la communication entre les différents protagonistes pourrait se faire par l’intermédiaire d’un système de vidéoconférence qui se présente comme un outil confortable de la gestion des relations à distance. Pour l’équipement, cela supposerait que les mairies puissent disposer d’un réseau assurant un débit performant et d’un système de visioconférence installé dans la salle des mariages par exemple. Pour la bonne compréhension des échanges, cette pièce devrait assurer une bonne qualité sonore et visuelle. Ainsi l’officier d’état civil présent à la webcam pourrait recevoir les époux et les témoins, procéder à la lecture des textes, recevoir les déclarations des futurs époux et déclarer lui-même leur union maritale.
4. Les critiques contre la visioconférence. Comme l’intégration de la visioconférence lors de la conclusion de l’acte notarié à distance, deux critiques principales pourront s’élever contre son utilisation en matière de mariage.
La première critique est l’atteinte au ritualisme du mariage. En ce sens, la réception du mariage par l’officier d’état civil suppose bien plus que la simple déclaration des époux et des témoins. Elle suggère notamment l’accueil du couple et de leurs proches, à un jour fixe, au sein de la mairie. Autrement dit, l’accueil se décompose de manière spatiale et temporelle. C’est d’ailleurs cet accueil des époux par l’officier d’état civil au sein d’un lieu hautement symbolique qui permet la prise de conscience du poids et de la gravité de l’acte du mariage, et qui justifie, in fine, sa classification au sein des actes solennels. Au contraire, dans l’hypothèse d’un mariage distant, il n’existerait plus aucun contact physique direct dans un lieu commun entre l’officier d’état civil et les époux dès lors que l’ensemble du protocole marital aurait lieu par le biais de l’interface de la vidéoconférence. Un tel système risquerait donc de porter atteinte au ritualisme du mariage.
La seconde critique est liée à l’absence totale d’expérience humaine, et plus spécialement sur la délicate perception psychologique de l’état d’esprit des futurs époux par l’officier d’état civil. D’un côté, la réalisation physique du mariage permet la perception de la vérité objective de l’échange des consentements, notamment lorsque le célébrant « interpelle » les futurs époux. D’un autre côté, la réception physique par l’officier d’état civil est dotée d’un supplément indispensable et plus subjectif lié à son expérience. À l’inverse, l’électronique fragiliserait nécessairement la dimension objective et subjective de l’expérience humaine. La vidéoconférence incarne un outil de performance et de rapidité qui dénuerait toute portée à la sensibilité humaine. Comment l’officier d’état civil pourrait-il s’assurer de l’exactitude de l’identité des futurs époux et de la véracité de leurs consentements par des outils de visioconférence ? Comment pourrait-il déceler l’éventuelle pression exercée contre l’un des époux ? Ainsi qu’a pu le dénoncer un auteur pour l’acte authentique, « une chose est effectivement de visualiser le client, autre chose est de s’assurer que son consentement n’est pas vicié par un élément extérieur non détectable par des outils de visioconférence »14.
Ces deux critiques méritent en réalité d’être tempérées comme en témoignent la mise en œuvre d’un ritualisme électronique et l’interception directe des consentements par l’officier d’état civil.
5. La mise en œuvre d’un ritualisme électronique. D’une part, le système de vidéoconférence peut respecter le traditionalisme du mariage par la mise en œuvre d’un nouveau ritualisme électronique. Cet outil peut en effet soumettre les « acteurs du mariage » à l’enchaînement d’étapes, dans un ordre hiérarchisé, pouvant largement rappeler leur accueil à la mairie.
En premier lieu, l’unité de temps ne serait pas ébranlée. Les époux, les témoins et l’officier d’état civil pourront être virtuellement présents, de manière concomitante, dans un espace électronique commun dédié à la conclusion du mariage. À ce titre, il pourrait être exigé que les futurs époux et les témoins soient réunis ensemble pour la conclusion du mariage dans le lieu de leur choix. Pour se connecter à la plate-forme de mariage, les futurs époux et les témoins pourraient notamment saisir leurs noms et leurs mots de passe sur le compte personnel d’une application afin de pouvoir déclencher la cérémonie. Plus spécialement, et pour assurer que les personnes utilisant la vidéoconférence sont bien les futurs mariés et les témoins dès le commencement de la cérémonie, un code à usage unique pourrait être utilisé pour chacun des protagonistes lors de l’ouverture de l’application. À l’heure du rendez-vous préalablement fixé par mail, l’officier d’état civil pourrait alors déclencher un appel vidéo afin de procéder à la célébration du mariage. Par exemple, la lecture symbolique, quoique très souvent incomplète en pratique, des articles du Code civil par l’officier d’état civil serait toujours possible.
En second lieu, l’exigence de la présence de l’officier d’état civil au sein de la mairie ou d’un bâtiment communal, sur la commune de l’un des époux ou de l’un des parents, ne serait pas contrariée15. Il n’y aurait donc pas d’incompétence ratione loci de l’officier d’état civil dès lors qu’il continuerait à être présent physiquement à la mairie où il exerce ses fonctions. De plus, le mariage resterait public dans la mesure où la salle de visioconférence n’empêcherait pas de laisser les portes ouvertes. En revanche, les futurs époux ainsi que les témoins pourraient, eux, ne pas être physiquement présents à la mairie. Ce défaut de comparution physique des époux mérite en réalité d’être dépassionné pour deux raisons. Premièrement, la célébration de l’union au sein de la mairie est parfois plus symbolique que réelle puisque le maire peut y affecter tout bâtiment communal situé sur le territoire de la commune16. Deuxièmement, l’origine même de l’exigence de la comparution personnelle des époux permet de relativiser sa portée aujourd’hui. En ce sens, l’obligation de présence émane d’une loi du 24 août 1993 qui avait vocation à lutter contre les mariages dits « de complaisance », c’est-à-dire ceux faits pour que l’un des époux puisse obtenir la nationalité française17. Or depuis quelques années, le contrôle de l’intention matrimoniale a été largement délégué à d’autres mécanismes. À titre d’exemple, l’officier d’état civil peut désormais exercer un contrôle a priori sur l’intention des époux en procédant à une audition avant la publication des bans18. On peut donc estimer que l’exigence de la présence physique des parties au moment de la célébration du mariage a en partie perdue sa raison d’être, ce qui constitue un argument favorable à l’intégration de l’électronique.
6. L’interception des consentements par l’officier d’état civil. D’autre part, la visioconférence permettrait à l’officier d’état civil une interception directe des consentements via le face-à-face vidéo engagé. En effet, les deux sens indispensables à l’activité d’un officier d’état civil, que sont la vue et l’ouïe, seraient préservés. En véhiculant de manière instantanée l’image et le son, la vidéo permettrait à l’officier d’état civil d’apprécier la sincérité, le caractère éclairé et la portée des consentements des époux, comme il le fait en présentiel. Ici, l’absence de détection d’une pression exercée sur le consentement d’une partie à cause de l’électronique doit être pondérée dès lors que, en présentiel, la contrainte sur les futurs époux peut tout aussi bien être insidieuse. D’ailleurs, l’audition préalable à la cérémonie resterait un premier garde-fou efficace contre l’atteinte aux consentements des futurs époux19. Du reste, dans l’hypothèse où l’officiant remarquerait une menace contre l’effectivité ou la liberté des consentements lors de cette audition, il pourrait, par exception, exiger que le mariage se tienne impérativement en présentiel, et non à distance. Cela constituerait alors un second garde-fou contre les mariages forcés et les mariages « blancs ».
Ainsi, loin d’un officier d’état civil totalement robotisé, ce dernier accompagnerait les futurs époux dans leur engagement marital en s’assurant de leurs déclarations. De même, la déclaration finale du mariage des époux ne serait pas entravée. L’officier d’état civil resterait « le maître d’œuvre et le maître de l’ouvrage »20 de l’engagement marital. Par ricochet, la vidéoconférence offrirait aux époux une interactivité naturelle avec leur interlocuteur. Enfin, à bien regarder les textes, la lettre de la loi est en réalité moins exigeante qu’elle n’y paraît en matière d’échange des consentements. En ce sens, si l’article 146 du Code civil précise bien qu’il n’y a pas de mariage sans consentement, l’article 75 du Code civil relatif au déroulement du mariage vise, lui, une « déclaration » des époux. On peut relever une différence de nature et, a fortiori, de degré entre le « consentement » et la « déclaration » : l’un incarne directement l’engagement ; l’autre correspond davantage à l’action de porter à la connaissance de l’officier d’état civil une communication. Or le propre de la visioconférence est d’être un système de communication et de transmission de l’information permettant les déclarations. Il n’y a donc qu’un pas pour reconnaître cet outil comme celui permettant les déclarations des époux et de l’officier d’état civil.
La célébration électronique du mariage étant matériellement possible, il faudrait tout de même prévoir un cadre juridique efficace pour sa preuve.
II – La preuve électronique du mariage
7. Les suites probatoires du mariage. Après avoir prononcé le mariage, l’acte de mariage rédigé à l’avance par l’officier d’état civil est signé par l’officier d’état civil, les époux et les témoins du mariage21. Cet acte est conservé en mairie dans un registre spécial afin que les époux puissent obtenir, selon les besoins, des copies intégrales ou des extraits de l’acte de mariage. L’officier délivre ensuite aux époux leur livret de famille ainsi qu’un certificat de célébration leur permettant d’accomplir les formalités nécessaires auprès d’un ministre du culte s’ils procèdent à une cérémonie religieuse.
Pour une complète équivalence entre les mariages matériel et immatériel, il serait souhaitable, d’un côté, que les actes d’état civil, le livret de famille et le certificat de célébration soient électroniques, et, d’un autre côté, qu’une procédure de signature électronique soit utilisée pour l’ensemble des signataires de cet acte d’état civil.
8. La dématérialisation des actes de l’état civil. Pour commencer, l’intérêt croissant des pouvoirs publics pour la dématérialisation des actes mérite d’être souligné. À ce titre, le dispositif COMEDEC prévu par le décret du 10 février 2011 organise une délivrance électronique des données de l’état civil aux communes. Il est aujourd’hui possible aux officiers qui en sont dépositaires, de transmettre par la voie électronique des données de l’état civil aux administrations ou aux notaires. D’ailleurs, cette pratique devrait faire l’objet d’un développement important, car la loi de modernisation de la justice au XXIe siècle donne la priorité à la délivrance électronique sur la délivrance papier22. Dans la même lignée, un pas supplémentaire a été récemment franchi vers la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Désormais, l’établissement, la conservation, la mise à jour et la délivrance des actes d’état civil, effectués par ce ministère, peuvent être réalisés sous forme électronique. Pour cela, un registre des actes de l’état civil électronique, centralisé dans des conditions garantissant l’intégrité, la confidentialité, l’inaltérabilité et la préservation de la lisibilité du registre et des actes qu’il contient, a été créé23. En outre, les protocoles d’apposition de mentions, de signature et de conservation des actes ont été adaptés à l’électronique.
Ces initiatives pourraient devenir des sources d’inspiration pour les actes de mariage. Pour la dématérialisation des actes de l’état civil, les conditions légales classiques d’établissement des écrits électroniques devraient être respectées24. En outre, la création d’un registre des actes de l’état civil électronique centralisé sur une base de données unique permettrait de conserver, de mettre à jour et de délivrer dans des conditions sécuritaires l’acte de mariage à un époux qui en ferait la demande. Dans le même sens, la rédaction électronique de la mention de la célébration du mariage et du nom du conjoint sur l’acte de naissance de chaque époux est techniquement possible25. Pour finir, le livret de famille et le certificat de célébration du mariage pourraient tout autant faire l’objet d’une dématérialisation sous réserve du respect des conditions légales prévues en matière d’établissement, de conservation et de délivrance des écrits électroniques.
9. La signature électronique de l’acte de mariage. Ensuite, la signature utilisée devrait permettre d’assurer l’identification de l’officier d’état civil, des époux et des témoins. La pratique du mariage électronique dépend alors largement de la complexité de la signature électronique employée.
Pour la signature des époux et des témoins du mariage, et contrairement aux actes de l’état civil établis par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères exigeant une simple signature manuscrite conservée sous format numérique pour les personnes autres que l’officier d’état civil, il faudrait imposer le recours à une signature qualifiée, reposant elle-même sur un certificat qualifié26. En effet, le recours à un instrument qualifié, répondant aux conditions techniques imposées par le décret du 28 septembre 2017, offre le plus haut degré de fiabilité en matière de signature électronique. Pourtant, et malgré la délégation de cette signature à des prestataires de services de confiance extérieurs, on peut continuer à craindre le détournement des signatures qualifiées par des tiers. C’est la raison pour laquelle, comme pour l’acte notarié, l’intervention de l’officiant dans le contrôle du consentement des époux resterait essentielle. D’où le caractère additionnel de l’intervention du prestataire de confiance, garantissant l’identité des époux et des témoins, avec celle de l’officier d’état civil, s’assurant des consentements27. Du reste, la signature des registres par l’officier d’état civil, devrait, elle aussi, reposer sur une signature qualifiée.
En tout état de cause, il convient de rappeler que l’engagement des époux n’est pas scellé par la signature de l’officier d’état civil ou par celle des époux ou encore des témoins. Pour la doctrine majoritaire, c’est la formule sacramentelle prononcée par l’officier d’état civil qui consacre l’union des époux28. Autrement dit, il faut bien dissocier la signature, qui n’a qu’une fonction probatoire, de l’engagement des époux à proprement parler.
10. Vers une désolennisation du mariage par l’électronique ? Le recours à l’électronique en matière de mariage aurait-il pour effet d’accentuer sa désolennisation ? Imaginer l’institution du mariage par le prisme de l’électronique revient-il à altérer son caractère solennel ?
Tout d’abord, le risque de désolennisation du mariage par l’électronique mérite d’être tempéré. Il faut noter que le mariage connaît déjà, en dehors de la sphère électronique, un mouvement de désolennisation patent. En effet, dès lors que l’on estime que la solennité caractérise l’acte dans son essence, elle doit alors être présente à chaque étape de sa vie, y compris lors de sa fin. Or l’on sait qu’en la matière, l’éviction du juge au moment de la dissolution de l’union, pour des raisons légitimes de désengorgement des tribunaux, a pour conséquence, plus discutable, une perte de solennité de l’union matrimoniale sous prétexte que les époux sont d’accord sur le principe et les conséquences de leur divorce. Plus positivement, l’exploitation des nouvelles technologies n’a pas pour finalité de dénaturer les formes à mesure qu’elles deviennent électroniques. La transposition des formes à l’électronique repose sur un principe d’équivalence entre celles-ci. À titre d’exemple, la pratique des actes notariés à distance illustre la préservation de leurs attributs traditionnels.
Ensuite, c’est la nature solennelle du mariage en elle-même qui mérite d’être relativisée. Si une grande partie de la doctrine s’accorde sur la nature solennelle de l’acte de mariage en raison de ces formalités spécifiques29 ou encore pour ses effets30, la définition classique du formalisme solennel ne semble pas totalement s’accorder avec l’acte de mariage. En effet, est solennel un acte dont l’existence est conditionnée au respect d’une forme légale prédéterminée et sanctionnée par sa nullité. Plus précisément, un contrat est solennel dès lors que la volonté des parties doit s’extérioriser à travers une forme imposée à peine de nullité31. Ainsi le mariage pourrait être solennel en raison du caractère ad validitatem des paroles de l’officier d’état civil ou des époux, ou encore par le caractère impératif de l’acte écrit de mariage. Toutefois, cela paraît discutable : non seulement le prononcé de paroles par l’officier d’état civil et les époux est plus symbolique qu’impératif, mais en plus l’écrit n’est dressé qu’à titre probatoire32. Par conséquent si, traditionnellement, le rite du mariage entraîne sa classification au sein du « droit solennel de la famille »33, la nature solennelle de l’acte en lui-même est, elle, incertaine. En réalité, le mariage semble davantage authentique, au regard du pouvoir d’authentification accordé à l’officier d’état civil, que solennel. Certes le mariage est soumis à des formalités et sa cérémonie reste ritualisée34, mais cela n’en fait pas juridiquement un acte solennel. Par conséquent, la question de fond n’est pas de savoir si le recours à l’électronique paralyse le caractère solennel du mariage, mais bien de vérifier si le mariage électronique entraîne ou non une refonte de son authenticité. Aussi, malgré la rupture de l’unité de lieu, le mariage à distance resterait un acte instrumentaire, dressé, vérifié et conservé par un officier d’état civil, ce qui respecte les critères classiques de l’acte authentique. Il faudrait alors admettre la transformation de l’authenticité matérielle en une authenticité électronique.
La crise sanitaire actuelle est un moteur supplémentaire dans la nécessité d’adapter le droit aux nouvelles technologies. À ce titre, la conclusion du mariage par voie électronique paraît techniquement possible. Si elle l’est matériellement, cela suppose néanmoins de franchir une barrière importante, d’ordre psychologique, pour accepter un nouveau mode de célébration de cet acte pilier en droit de la famille.
Notes de bas de pages
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1.
Voir notamment le décret du 3 mars 2020, qui a ouvert la voie à la réception d’actes authentiques totalement à distance entre le notaire et les parties.
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2.
Voir l’article 1175 du Code civil, qui permet la désunion du couple par la voie électronique dans l’hypothèse d’un divorce par consentement mutuel ou d’une séparation de corps.
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3.
Malaurie P. et Aynès L., Droit des régimes matrimoniaux, 2017, LGDJ, p. 73, n° 104.
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4.
Le projet de mariage doit faire l’objet d’une production de pièces, d’une publication des bans et éventuellement d’une audition des époux régulières.
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5.
C. civ., art. 184.
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6.
C. civ., art. 184.
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7.
Expression empruntée à Égéa V., Droit de la famille, 2016, LexisNexis, p. 87, n° 141.
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8.
C. civ., art. 74.
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9.
C. civ., art. 191.
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10.
C. civ., art. 165 ; C. civ., art. 191.
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11.
Larousse en ligne, v° présence.
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12.
Expression empruntée à Julienne M., « Pratique notariale et numérique : état des lieux », Dalloz IP/IT 2019, p. 96.
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13.
Pour les notaires, le logiciel agréé par le Conseil du notariat est LifeSize (Julienne M., « Les premiers pas de l’acte notarié à distance », JCP N 2020, n° 15-16, act. 363).
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14.
Familles, solidarités, numérique : le notaire au cœur des mutations de la société. 113e Congrès des Notaires de France, Lille, 17-20 septembre 2017, 2017, LexisNexis, p. 1002, n° 3510.
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15.
V. C. civ., art. 74.
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16.
CGCT, art. L. 2121-30-1.
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17.
V. Égéa V., Droit de la famille, 2016, LexisNexis, p. 85, n° 136.
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18.
C. civ., art. 63, al. 2, 2°.
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19.
C. civ., art. 63, al. 2, 2°.
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20.
Vix O., « Acter à distance une (r)évolution dans l’air du temps », JCP N 2018, n° 48, act. 902.
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21.
C. civ., art. 39.
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22.
C. civ., art. 101-1, al. 3.
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23.
V. Ord. n° 2019-724, 10 juill. 2019, relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des Affaires étrangères, art. 3.
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24.
V. not. C. civ., art. 1366.
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25.
V. C. civ., art. 1174, al. 2.
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26.
V. D. n° 2019-993, 26 sept. 2019, relatif à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil établis par le ministère des Affaires étrangères, art. 4 et 5.
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27.
Julienne M., « Les premiers pas de l’acte notarié à distance », JCP N 2020, n° 15-16, act. 363.
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28.
Sur la doctrine majoritaire, observant que le prononcé des paroles par l’officier d’état civil forme le mariage, v. not. Terré F., Goldie-Genicon C. et Fenouillet D., La famille, 2018, Dalloz, p. 105, n° 109 ; Murat P. (dir.), Droit de la famille 2020-2021, 8e éd., 2019, Dalloz, Dalloz Action, p. 89, n° 113.153 ; contra, sur la doctrine estimant que c’est l’échange des consentements par les époux qui forme le mariage en raison du caractère authentique de l’acte, v. not. Fenouillet D., Droit de la famille, 2019, Dalloz, p. 104, n° 104.
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29.
V. not. Bénabant A., Droit de la famille, 2018, LGDJ, p. 73, n° 77.
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30.
V. not. Lemouland J.-J. et Vigneau D., « Panorama droit des couples », D. 2017, p. 1982.
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31.
Terré F. et a., Les obligations, 2019, Dalloz, p. 234, n° 201.
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32.
C. civ., art. 194.
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33.
Cornu G., Le fond et la forme dans le droit de la famille. Annales de droit de Louvain, t. XLIX, 1989, Larcier, p. 259-260.
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34.
Certains auteurs estiment que la cérémonie du mariage est dans les faits très simplifiée, v. Malaurie P. et Aynès L., Droit des régimes matrimoniaux, 2017, LGDJ, p. 160.