De l’intérêt de l’opposabilité aux tiers d’un mariage d’un Français célébré à l’étranger
Les juges du fond ne sauraient, sans encourir la censure de la Cour de cassation, considérer que le mariage n’avait pu produire d’effets à l’égard de la RIVP, tiers bailleur, qu’à compter du 8 janvier 2014, date de sa transcription sur les registres de l’état civil français, soit postérieurement à la résolution du bail consécutive au décès du locataire.
Cass. 1re civ., 7 déc. 2016, no 15-22996, FS–PBI
1. Le droit international privé est la matière qui a subi, ces derniers temps, le plus de modifications jurisprudentielles1. Pour mieux s’en convaincre il suffit de rapporter les faits de l’affaire annotée2. M. X, ayant la double nationalité française et espagnole, et M. Y, de nationalité italienne, se sont mariés le 23 mai 2011 à Madrid. À la suite du décès du premier, survenu le 29 août 2013, M. Y a sollicité le transfert à son profit du bail d’un local à usage d’habitation qui avait été consenti au défunt par la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP). N’obtenant pas le transfert du contrat de bail à son profit, le survivant a assigné cette dernière à cette fin. Les juges du fond retiennent que : « le mariage n’avait pu produire d’effets à l’égard de la RIVP, tiers bailleur, qu’à compter du 8 janvier 2014, date de sa transcription sur les registres de l’état civil français, soit postérieurement à la résolution du bail consécutive au décès du locataire »3. Mais la Cour de cassation a censuré le raisonnement des juges du fond. Selon la haute juridiction, aux termes de l’article 171-1 du Code civil, le mariage contracté en pays étranger entre un Français et un étranger est valable s’il a été célébré selon les formes usitées dans le pays de célébration4. L’arrêt de principe est ainsi rendu au visa, notamment, des articles 171-1 et 171-5. Précisant les grands principes du mariage des Français à l’étranger (I) la haute juridiction fait, en l’occurrence, une interprétation stricte de l’article 21 de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ensemble et l’article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dont l’impact au regard de la transcription sur les registres de l’état civil opérée par les agents diplomatiques et consulaires n’est pas sans intérêt (II).
I – Le formalisme du mariage conclu à l’étranger par un Français
2. Dans l’arrêt rapporté, la haute juridiction revient sur l’épineuse question de l’article 171-1 du Code civil qui dispose notamment pour la célébration du mariage à l’étranger(B) que celle-ci doit se réaliser « dans les formes usitées dans le pays… » (A).
A – Le principe du formalisme relevant de la lex loci celebrationis
3. Formulé de façon quasi-récurrente par la doctrine la plus autorisée et dominante qui précise que le domaine de l’article 171-1 du Code civil : « (…) ne tend pas à imposer une forme solennelle précise mais à englober tous les éléments de la conclusion du mariage dont la réunion constitue les conditions locales de forme extérieure. Relèvent ainsi de la lex loci celebrationis aussi bien la compétence et les pouvoirs des autorités chargées de recueillir le consentement des époux que les conditions de résidence requises des futurs conjoints, les publications préalables, les oppositions, les formes de la célébration proprement dite, la validité du mariage par procuration, enfin les formes de l’acte rédigé en vue de la preuve »5. En l’espèce, la Cour de cassation indique : « qu’aux termes du premier de ces textes, le mariage contracté en pays étranger entre un Français et un étranger est valable s’il a été célébré selon les formes usitées dans le pays de célébration ».
4. S’il paraît certain que les conditions de forme du mariage sont soumises à la lex loci celebrationis, et que les conditions de fond relèvent de la loi nationale respective de chacun des époux, il paraît certain également que les effets du mariage relèvent de la loi nationale commune des époux, à défaut la loi de leur domicile commun, à défaut de la loi du for français6. Ainsi, de façon très cohérente, on a pu estimer que l’adoption de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe allait emporter des conséquences importantes en droit international privé7, dont la validité formelle du mariage est soumise au regard de l’article 202-2 nouveau du Code civil et par suite à la lex loci celebrationis. Au cas d’espèce, la Cour de cassation vise précisément la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
B – Atténuations à la lex loci celebrationis
5. Tout d’abord, il n’est pas inutile de revenir sur les faits de l’arrêt Zagha c/ Moatti8. Il s’agissait de deux personnes de confession israélite et de nationalité syrienne qui se sont mariées en 1920, devant un officiant religieux délégué dans les fonctions d’officier d’état civil à Milan9. On sait que le droit italien exige un mariage civil alors que les époux s’étaient unis religieusement. Ce mariage était-il valable10 ? Selon le renvoi au second degré le droit international privé français qui prescrit l’application de la loi italienne du lieu de célébration, laquelle donne compétence à la loi personnelle des époux, laquelle valide l’union11. Force est de reconnaître que notre règle de conflit de loi français désigne la loi italienne du lieu de célébration qui permet aux étrangers de se marier suivant la forme prévue par leur loi nationale.
6. Ensuite, la seconde atténuation concerne directement l’arrêt rapporté, car l’article 171-2 du Code civil prévoit ainsi que le mariage d’un Français, même célébré par une autorité étrangère, doit respecter les prescriptions de l’article 63 qui imposent la publication préalable12. En effet, des formalités préalables au mariage célébré à l’étranger par une autorité étrangère ont été instaurées par la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages13. En l’espèce, c’est moins la question des formalités préalables qui se posaient que celle de la transcription sur le registre de l’état civil.
II – Les effets du mariage conclu à l’étranger par un Français
7. Comme on vient de le voir depuis la loi du 14 novembre 2006, le mariage célébré par un Français à l’étranger dans les formes usitées dans le pays de célébration doivent pour être opposables aux tiers, faire l’objet d’une transcription sur les registres de l’état civil français (A), ce qui limite la règle locus regit actum (B).
A – Transcription du mariage sur les registres de l’état civil français non requise ad validitatem
8. Il est généralement admis que le mariage conclu par un Français à l’étranger dans les formes usitées dans le pays de célébration, pour être opposable aux tiers, doit faire l’objet d’une transcription sur les registres de l’état civil français14, la solution est énoncée à l’article 171-5 du Code civil qui dispose que : « Pour être opposable aux tiers en France, l’acte de mariage d’un Français célébré par une autorité étrangère doit être transcrit sur les registres de l’état civil français. En l’absence de transcription, le mariage d’un Français, valablement célébré par une autorité étrangère, produit ses effets civils en France à l’égard des époux et des enfants. Les futurs époux sont informés des règles prévues au premier alinéa à l’occasion de la délivrance du certificat de capacité à mariage. La demande de transcription est faite auprès de l’autorité consulaire ou diplomatique compétente au regard du lieu de célébration du mariage ».
9. Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 juin 2006 a pu un certain temps laisser la doctrine perplexe sur les effets de la transcription du mariage sur les registres de l’état civil. En effet, la haute juridiction censure l’arrêt des juges du fond ainsi : « Attendu que René R. est décédé le (…) 1997 ; que le notaire chargé de la succession a établi, le 18 mars 1997, un acte de notoriété constatant que les seuls héritiers du défunt étaient M. Roger R., son frère, et Mlle Rosita R., sa sœur ; que Mme Anique B., se prétendant l’épouse survivante de René R. en se prévalant d’un acte de mariage religieux dressé le 30 décembre 1993 en Haïti et transcrit le 1er décembre 2000 sur les registres de l’ambassade de France dans ce pays, a saisi le juge des référés en désignation d’un séquestre judiciaire ; Attendu que, pour accueillir la demande, l’arrêt attaqué énonce que la prise de possession des biens dépendant de la succession par le frère et la sœur du défunt caractérise un trouble manifestement illicite ; Qu’en se déterminant ainsi, après avoir relevé que la prise de possession des biens héréditaires était antérieure à l’opposabilité du mariage aux tiers, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ».
10. Même si la transcription n’est pas une condition requise ad validitatem du mariage, l’absence d’opposabilité entraîne par effet mécanique l’impossibilité, pour le conjoint survivant, de se prévaloir du trouble manifestement illicite résultant de l’appréhension des biens héréditaires par les héritiers désignés dans l’acte de notoriété15. Dans la même lignée, l’arrêt rapporté qu’un mariage célébré à l’étranger retranscrit sur les registres de l’état civil français est opposable aux tiers à compter de la date du mariage. A contrario, les époux seront considérés par les tiers et l’administration française comme étant célibataires16.
B – Limitation de la règle locus regit actum
11. L’article 202-2 du Code civil dispose que : « Le mariage est valablement célébré s’il l’a été conformément aux formalités prévues par la loi de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu ». Selon le Conseil constitutionnel, saisi d’un recours contre la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe : « L’objet du chapitre IV bis inséré dans le titre V du livre Ier du Code civil est d’introduire des règles de conflit de lois en matière de mariage en reprenant les règles traditionnelles de rattachement à la loi personnelle de chacun des époux s’agissant des conditions de fond du mariage (nouvel article 202-1 du Code civil) et à la règle du lieu de célébration, s’agissant des conditions de forme (nouvel article 202-2 du même code) »17. L’article 202-2 du Code civil consacre la règle locus regit actum. Au demeurant, la doctrine a une approche critique de la règle de la transcription en estimant que : « cette exigence réduit sensiblement la portée de la possibilité pour les Français de choisir la forme locale pour la célébration du mariage, car ils n’échapperont de toute façon pas au formalisme prévu par la loi française »18. Et, grâce au nouvel article 202-2 du Code civil, la règle de conflit de lois locus regit actum a encore de beaux jours devant elle.
Notes de bas de pages
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1.
Par ex. : Dalmazir P., « Lorsque la Cour a ses raisons que la raison ignore : à propos de l’arrêt Unamar », RLDA 2014/4, n° 92.
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2.
Mélin F., « Date d’opposabilité aux tiers d’un mariage célébré à l’étranger », Dalloz actualité, 6 janv. 2017.
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3.
« De l’opposabilité d’un mariage célébré à l’étranger », Lamy Actualité 12 déc. 2016.
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4.
Ibid.
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5.
Loussouarn Y., Bourel P. et de Vareilles-Sommières P., Droit international privé, 2013, Dalloz, p. 442, spéc. n° 441.
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6.
Grimaldi M., Droit patrimonial de la famille, livre 7, 2014, Dalloz action, n° 7.01.
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7.
Gosselin-Gorand A., « Le Code civil contient de nouvelles règles de conflit de lois en matière de mariage ! », LEFP juill. 2013, p. 7.
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8.
Cass. 1re civ., 15 juin 1982, n° 81-12611.
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9.
Brière C., L’essentiel des grands arrêts du droit international privé 2016-2017, chap. 6, « Le mariage », 2016, Gualino.
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10.
Clavel S., Droit international privé, 2016, Dalloz, p. 427.
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11.
Ibid. ; Rev. crit. DIP 198, p. 300, note Bischoff J.-M. ; JDI 1983, p. 585, note Lehmann P.-J.
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12.
Clavel S., Droit international privé, préc., p. 427.
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13.
Leborgne A., « Contrôle de la validité des mariages : une loi de plus ! », RJPF 2007/3, n° 3.
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14.
Bourdelois B., « Mariage », in Répertoire de droit international, Dalloz, nos 94 et s.
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15.
J.-R. B., « Mariage célébré à l’étranger : attention à l’opposabilité », Lamy Actualité.
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16.
« De l’opposabilité d’un mariage célébré à l’étranger », préc.
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17.
Cons. const., 17 mai 2013, n° 2013-669 DC.
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18.
Bourdelois B., « Mariage », in Répertoire de droit international, préc.