Le mariage, c’est le vol !
La propriété est l’un des droits essentiels de notre organisation sociale et elle est défendue comme telle par le Code civil, sans pour autant que l’usage de ce droit puisse nuire à autrui. Il en résulte tout un corpus législatif protecteur du droit de propriété. Cela étant, dans un cadre a priori inattendu, le droit de propriété est malmené : il s’agit du mariage. L’institution prévoit en effet des restrictions au droit de propriété, plus ou moins justifiées.
Le mariage repose sur l’engagement libre de deux personnes qui souhaitent officialiser leur union et lui donner une existence juridique. Cette consécration juridique emporte un nombre important de conséquences et soumet les époux à un corps de règles touchant tant à l’organisation du patrimoine commun qu’à sa transmission. Parmi ces règles figurent des dispositions intéressant la propriété, non pas tant dans sa dimension relative à l’attribution mais davantage dans les prérogatives qui en découlent.
Le mariage en effet ne modifie pas l’attribution du droit de propriété sur un bien qui appartient déjà à un époux ou qu’il reçoit par donation ou succession. Ces biens, conformément à l’article 1405 du Code civil, demeurent des biens propres à chaque époux en régime de communauté légale. Sauf clause particulière, ces biens sont la propriété de l’époux qui les détenait avant le mariage ou qui est donataire ou héritier. De même, en cas de séparation de biens, ces biens sont personnels à chacun des époux. Le vol n’est pas encore commis.
En revanche, le mariage modifie les attributs du droit de propriété sur les biens détenus avant le mariage ou recueillis pendant le mariage par donation ou succession. L’exclusivité traditionnellement attachée au droit de propriété et qui confère au propriétaire un droit (quasi) absolu de jouir et d’user de son bien comme il l’entend est très largement remise en cause par les dispositions relatives au mariage. L’époux ne peut plus nécessairement faire ce qu’il veut avec les biens dont il est pourtant propriétaire.
Si vol il y a, il n’est pas commis sur la chose mais sur les pouvoirs inhérents à cette chose. Il n’en demeure pas moins qu’il y a vol et la jurisprudence conforte la loi dans cette démarche (I). Néanmoins, même si le délit est constaté et indéniable, des faits justificatifs peuvent assurément en atténuer la gravité (II).
I – Un vol caractérisé
Aussi bien en droit des régimes matrimoniaux qu’en droit des successions, la loi prévoit des restrictions au droit de propriété sur les biens propres ou personnels d’un époux. Il y a une réelle cohérence des dispositions entre les deux matières.
En droit des régimes matrimoniaux, la disposition la plus caractéristique est l’article 215, alinéa 3, du Code civil instaurant la protection du logement familial1. La loi soumet en effet la disposition des droits par lesquels est assuré le logement au consentement du conjoint, sous peine de nullité de l’acte. La restriction au droit de propriété est d’autant plus forte qu’elle concerne également – et surtout – les biens propres de chacun des époux. La fonction du bien l’emporte sur le droit réel qui y est attaché. Le droit de propriété qui appartient à chaque époux est ici nié pour les besoins de protection du logement. Les termes de la loi renforcent en outre le champ d’application de la restriction. Le texte vise en effet la « disposition » des « droits » par lesquels est assuré le logement et pas le logement lui-même. Il en résulte une application large de la restriction, qui concerne par exemple la conclusion d’une hypothèque2, la résiliation d’un contrat de bail3 et même la résiliation d’un contrat d’assurance4. La jurisprudence confirme cette démarche de renforcement de la restriction au droit de propriété en exigeant que le consentement donné par le conjoint à l’acte de disposition soit certain et porte non seulement sur le principe de l’acte mais aussi sur ses modalités5.
D’autres dispositions du droit des régimes matrimoniaux confortent l’idée de vol liée à l’union matrimoniale. Tel est le cas par exemple du calcul des récompenses issu de l’article 1469 du Code civil. Même si la loi prévoit le principe d’une récompense au profit de l’époux qui apporte des deniers propres à la communauté, le choix du montant de la récompense est défavorable à cet époux en cas de moins-value subie par le bien. En effet, hormis l’hypothèse de la dépense nécessaire, la récompense est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant et ne peut être inférieure à ce profit subsistant en cas de dépense d’acquisition, d’amélioration ou de conservation. En cas de moins-value subie par le bien, l’époux apporteur de deniers propres subit comme la communauté la dévalorisation du bien et sa récompense est inférieure à son apport. Dans un autre registre, les règles de gestion des biens propres lorsqu’un époux est hors de manifester sa volonté révèlent aussi une forme de vol. En effet, l’article 219 du Code civil qui prévoit l’habilitation judiciaire est de nature à faire échec au mandat de protection future qu’a pu mettre en place l’époux devenu inapte. L’article 483, alinéa 1er, 4°, du Code civil dispose en effet que le mandat peut être révoqué si les règles du régime matrimonial sont suffisantes pour protéger les intérêts de l’époux inapte. Le vol prend des traits différents mais son principe persiste.
Il perdure en droit des successions. Dans ce domaine, les restrictions au droit de propriété des époux se poursuivent en matière de liberté de transmission du patrimoine. À nouveau le logement connaît un régime dérogatoire et attentatoire au droit de propriété. Les articles 763 et 764 du Code civil accordent ainsi au conjoint survivant le droit de rester un an dans le logement, à titre gratuit, puis jusqu’à son décès moyennant une valorisation imputable sur ses droits légaux6. Le droit de propriété est de nouveau écarté mais à des degrés variables. En effet, la restriction perd en vigueur au bout d’un an. Si le droit temporaire est d’ordre public et ne saurait être mis à l’écart, le droit viager au logement est susceptible d’être écarté par le défunt mais il lui faut pour cela procéder à la rédaction d’un testament en la forme authentique dans lequel une mention expresse prévoit la mise à l’écart du droit viager.
Par ailleurs, la loi du 3 décembre 2001 a instauré le principe d’une réserve héréditaire au profit du conjoint survivant en l’absence de descendants. L’article 914-1 du Code civil prévoit en effet que le conjoint survivant bénéficie d’une réserve d’un quart lorsque qu’il n’y a pas de descendants. C’est une nouvelle restriction forte au droit de propriété de chacun des époux.
Ainsi, que ce soit pendant le mariage ou au moment du décès, il est indéniable que la loi organise un système cohérent d’atteinte au droit de propriété dont dispose chaque époux sur son patrimoine propre ou personnel. Des raisons justifient évidemment de telles restrictions mais il est étonnant de constater que ces atteintes au droit de propriété n’existent que dans le cadre du mariage et sont totalement absentes en matière de pacte civil de solidarité. Point de consentement du partenaire de pacs à rechercher lorsqu’il s’agit de vendre le logement de la famille. De même, au décès, le partenaire survivant ne dispose pas du droit viager au logement et n’a aucun droit à réserve héréditaire. Il dispose certes du droit temporaire au logement mais, à son égard, le droit n’est que supplétif et ne résiste pas à la disposition du logement à cause de mort au profit d’une autre personne. Ces différences considérables en matière de liberté d’exercice du droit de propriété entre les époux et les partenaires de pacs attestent que le mariage est réellement constitutif d’un vol. Ce vol serait-il justifié ?
II – Un vol justifié ?
Le mariage emporte des restrictions au droit de propriété. Faut-il néanmoins s’en offusquer ? Avant toute chose, il convient de rappeler que le mariage repose sur l’engagement libre et consentant des deux êtres doués de discernement et qui s’unissent en toute connaissance de cause. Si vol il y a, il est consenti. L’évocation par le maire de certains articles du Code civil le jour du mariage contribue à la prise de conscience que le mariage est une institution contraignante qui oblige chacun des époux. Peut-être serait-il opportun alors d’enrichir les informations transmises lors de la célébration civile et d’ajouter à la liste des articles évoqués les articles emportant les restrictions les plus importantes au droit de propriété, à savoir l’article 215, alinéa 3, du Code civil relatif à la protection du logement familial et les articles 763, 764 et 914-1 du Code civil protégeant le logement en cas de décès et instaurant une réserve héréditaire au profit du conjoint survivant. Cela étant, lire ces textes, comme les autres d’ailleurs, n’a qu’une portée symbolique et, il faut l’admettre, réduite tant les époux ont l’oreille peu attentive à ces prescriptions quand ils sont devant le maire et elles seront vite oubliées une fois le champagne versé.
Mais à l’insouciance des premiers jours succède parfois l’amertume des lendemains qui déchantent. Et quand ce temps arrive, il convient de s’interroger sur la pertinence des restrictions matrimoniales au droit de propriété. On constate alors qu’elles n’ont pas toutes la même valeur. La protection énergique du logement familial est difficilement contestable tant elle repose sur la nécessaire préservation du lieu de vie de la famille où s’épanouissent les petits et les grands. Le « nid » ne saurait être exposé aux volontés individuelles d’un seul époux, en fût-il le propriétaire. La restriction au droit de propriété de l’époux qui détient le logement en propre est ainsi tout à fait justifiée. On pourrait presque regretter qu’une telle mesure n’existe pas dans le cadre du pacs. La fonction du logement familial n’est pas moins importante lorsque les parents ont choisi de conclure un pacs. Les enfants ont tout autant besoin de stabilité et de protection de leur cadre de vie. Certes il s’agit d’une contrainte supplémentaire, ce qui n’est pas de l’essence du pacs, contrat de vie commune aux règles minimales, mais elle ne serait pas totalement dénuée d’intérêt si l’on s’attache à la fonction du logement. Il y a bien une solidarité pour les dettes ménagères, pourquoi pas une protection du logement familial dans le pacs.
En revanche, les autres restrictions matrimoniales au droit de propriété sont davantage contestables. Le calcul défavorable de la récompense en cas de moins-value n’est guère justifié quand un époux participe au financement de l’acquisition ou de l’amélioration d’un bien commun. Il devrait au minimum récupérer sa mise de départ en cas de moins-value subie par le bien. Plus encore, la supériorité des articles 217 et 219 du Code civil par rapport au mandat de protection future est contestable. Cela crée une subsidiarité au profit d’un mécanisme légal sur un mécanisme conventionnel là où pourtant, c’est la volonté qui devrait être promue. Telle est la vocation du mandat de protection future. L’époux inapte qui a organisé conventionnellement sa protection ne devrait pas subir une remise en cause de ses prévisions par le jeu de l’habilitation judiciaire de l’article 219 du Code civil. C’est méconnaître totalement l’esprit du mandat de protection et ruiner son efficacité.
En droit des successions, le débat relatif à l’opportunité d’entraver le droit de propriété du défunt au profit du conjoint survivant porte sur une question essentielle : faut-il protéger le conjoint survivant alors même que le défunt ne l’a pas souhaité ? La propriété en l’espèce est en concurrence avec la protection du conjoint survivant. Depuis la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant, la balance penche nettement en faveur de la protection du conjoint survivant. Les droits au logement ainsi que la réserve héréditaire à son profit datent de cette réforme.
On peut néanmoins se demander si le législateur n’a pas péché par excès en la matière, sacrifiant à cette occasion le droit de propriété sur l’autel de la protection – politiquement et socialement correcte – du conjoint survivant. En effet, contrairement aux enfants, l’engagement entre époux demeure disponible et peut être rompu conformément aux cas prévus par la loi en matière de divorce. Un époux peut mettre un terme à l’union matrimoniale s’il n’entend pas la poursuivre. Le mariage repose sur la liberté de s’y engager et corrélativement d’en sortir. Le divorce pour altération définitive du lien conjugal confirme cette faculté laissée à chaque époux de rompre unilatéralement le mariage, même si l’officialisation de la rupture devra attendre deux années après la séparation officieuse. Or comment admettre que l’on puisse de son vivant mettre un terme au mariage et, qu’en cas de décès, on ne puisse pas priver son conjoint de tout droit dans sa succession ? On objectera qu’en cas de divorce la prestation compensatoire protège le conjoint délaissé. Effectivement, mais cette protection est subordonnée à la condition de disparité dans les conditions de vie respectives des époux engendrée par la rupture du mariage. Elle n’est pas systématique comme peut l’être la réserve héréditaire du conjoint en l’absence d’enfants. C’est là que le bât blesse tant l’outil utilisé, la réserve héréditaire, paraît disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi, la protection du conjoint. La créance alimentaire contre la succession devrait suffire dans ce cas. Ainsi, le principe d’une réserve héréditaire entre époux est d’une part non conforme à l’esprit du mariage et d’autre part sans commune mesure avec la nécessaire protection de la subsistance du conjoint survivant. Que ce dernier soit très fortuné ou très démuni après le décès de son conjoint, il bénéficie de manière identique de la réserve héréditaire. La restriction au droit de propriété qu’elle constitue n’apparaît dès lors pas justifiée. Il conviendrait sans doute de supprimer cette réserve du conjoint survivant et de renforcer sa créance alimentaire pour qu’elle profite pleinement à celui qui est dans le besoin. Cette créance pourrait être conditionnée, comme en matière de divorce, à une disparité dans les conditions de vie qu’entraînerait le décès. Le vol serait dans ces circonstances nettement moins contestable tant le mariage ne saurait exempter l’époux défunt d’un devoir minimal d’aide au conjoint survivant. Qui plus est, la volonté des époux, exprimée aussi bien dans le choix du régime matrimonial que dans les dernières volontés du défunt, en serait d’autant mieux respectée.
Le mariage porte atteinte au droit de propriété de chacun des époux. Par rapport aux autres formes de vie en couple, le mariage confirme en cela son statut d’institution. Néanmoins, toutes les atteintes évoquées ne sont, d’une part, pas nécessairement justifiées et, d’autre part, pourraient, pour certaines, être étendues aux couples pacsés au regard des objectifs poursuivis, à savoir la protection de la cellule familiale. En définitive, le mariage constitue bien un vol, mais un vol que chaque époux accepte pleinement, sans forcément s’en rendre compte, du moins au début. L’amour est aveugle, le mariage lui rend la vue, mais pas la propriété.
Notes de bas de pages
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1.
V. Grimaldi M., « Le logement de la famille », Defrénois 1983, art. nos 33120 et 33130.
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2.
Cass. 1re civ., 17 déc. 1991 : JCP G 1992, I, 3583, spéc. n° 14, obs. Champenois G.
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3.
Cass. 1re civ., 16 mai 2000 : Bull. civ. I, n° 144 ; Defrénois 15 avr. 2001, obs. Champenois G.
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4.
Cass. 2e civ., 10 mars 2004 : Bull. civ. II, n° 100 ; RTD civ. 2004, p. 270, obs. Hauser J.
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5.
Cass. 1re civ., 16 juill. 1985 : Bull. civ. I, n° 223 ; JCP N 1986, II, p. 71, obs. Simler P.
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6.
C. civ., art. 765.