Précisions sur le droit de retour légal des collatéraux privilégiés

Publié le 24/05/2018

La Cour de cassation retient une interprétation littérale de l’article 757-3 du Code civil favorable au droit de retour légal des collatéraux privilégiés en présence du conjoint survivant.

Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, no 17-12040

Rares sont les décisions de la Cour de cassation relatives au droit de retour légal, ce qui confère un intérêt particulier à l’arrêt de la première chambre civile du 28 février 20181, qui apporte d’importantes précisions sur celui bénéficiant aux collatéraux privilégiés du défunt en présence du conjoint survivant.

Les sœurs et neveux du défunt étaient en l’espèce en conflit avec son épouse à propos de leurs droits successoraux sur des biens immobiliers reçus par le de cujus dans le partage des successions réunies de ses parents. L’épouse contestait leur droit de retour légal et revendiquait l’entière dévolution des biens laissés par son mari. Les juges du fond n’ayant pas accueilli sa demande, elle forma un pourvoi en cassation. Son argumentation tendait principalement à démontrer que le défunt n’avait pas reçu les biens litigieux par succession, en raison d’une soulte versée par celui-ci à ses copartageants, ce qui devait exclure le droit de retour légal des collatéraux privilégiés. À défaut, à titre subsidiaire, elle leur réclamait deux indemnités, l’une pour le versement de cette soulte et l’autre pour les impenses réalisées par son mari sur ces biens.

Les questions se posaient donc de savoir, d’une part, si le paiement d’une soulte par le défunt lors de la transmission des biens par ses ascendants pouvait rejaillir sur l’existence ou sur les modalités du droit de retour légal des collatéraux privilégiés et, d’autre part, si ces derniers pouvaient être débiteurs envers la succession pour les frais engagés par le défunt depuis l’acquisition des biens. Le conflit, relatif aux droits successoraux respectifs des collatéraux privilégiés et du conjoint survivant, portait ainsi sur les conditions du droit de retour légal prévu à l’article 757-3 du Code civil.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, au motif que cette disposition n’opère aucune distinction selon que les biens reçus par le défunt l’ont été ou non à charge de soulte et qu’elle ne subordonne pas l’exercice du droit de retour au versement d’une indemnité à la succession, que ce soit au titre du paiement d’une soulte ou en raison de la réalisation d’impenses par le défunt. Cette décision apporte ainsi d’intéressantes précisions sur les conditions d’existence et d’exercice du droit de retour légal des collatéraux privilégiés en présence du conjoint survivant.

L’enjeu est important compte tenu de la primauté accordée au conjoint survivant dans la succession légale depuis la loi du 3 décembre 20012. Évinçant désormais les frères et sœurs et leurs descendants3, il recueille en principe toute la succession en l’absence de descendants et de père et mère4. Néanmoins, l’article 757-3 du Code civil octroie aux collatéraux privilégiés, qui sont eux-mêmes descendants du parent à l’origine de la transmission, la moitié des biens reçus par donation ou succession par le défunt de ses ascendants, dès lors qu’ils se retrouvent en nature dans sa succession. Œuvre de compromis entre la position de l’Assemblée nationale, favorable au conjoint, et celle du Sénat, désireux de maintenir des droits au lignage5, leur vocation était initialement limitée aux biens transmis par les père et mère, mais l’assiette en a été étendue par la loi du 23 juin 20066 à ceux provenant à titre gratuit d’un ascendant ordinaire7.

Dans sa décision du 28 février 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation adopte une position favorable aux collatéraux privilégiés en affirmant l’indifférence d’une contrepartie versée par le de cujus lors de l’acquisition des biens objets du droit de retour légal et l’absence d’indemnisation de la succession ordinaire par les collatéraux privilégiés pour les sommes engagées sur ces biens par le défunt.

I – Indifférence d’une contrepartie lors de l’acquisition des biens objets du droit de retour légal

Dérogeant à l’article 757-2 du Code civil, qui accorde l’intégralité de la succession au conjoint survivant, le droit de retour légal des collatéraux privilégiés suppose remplies plusieurs conditions8. Celles relatives à l’absence de descendant, au prédécès des père et mère et à la présence du conjoint survivant ne faisaient pas difficulté en l’espèce, le défunt laissant son épouse, ses trois sœurs et les deux enfants de son frère prédécédé. De même, le fait que ces collatéraux soient eux-mêmes descendants du parent à l’origine de la transmission n’était pas contesté puisqu’ils étaient germains. Les conditions tenant aux personnes étaient donc réunies. Le conflit portait sur les conditions relatives aux biens.

Le droit de retour légal des collatéraux privilégiés ne peut s’exercer que sur les biens advenus au défunt par succession ou donation d’un ascendant. Il ne peut donc porter que sur des biens d’origine familiale recueillis à titre gratuit. En l’espèce, les biens litigieux, constitués d’une maison d’habitation et de divers terrains, provenaient des père et mère prédécédés du défunt. Cependant, l’épouse soutenait qu’ils n’avaient pas été reçus par succession de ces ascendants. Il était en effet établi que le défunt avait une quote-part successorale correspondant à 1/5e des biens dans les successions de ses parents et qu’il avait versé une soulte à ses trois sœurs et à son frère pour obtenir les biens litigieux en pleine propriété lors du partage. L’épouse contestait à ce titre le droit de retour légal des collatéraux privilégiés, affirmant qu’il ne peut s’exercer que sur les biens reçus sans contrepartie. Cependant, son argumentation consistait à exiger une condition qui n’est pas prévue par la loi.

La Cour de cassation reprend le motif émis par la cour d’appel de Pau dans sa décision du 26 juillet 2016 s’appuyant sur l’effet déclaratif du partage pour réfuter l’argument de l’épouse et considérer que le défunt était devenu propriétaire des biens dès le jour du fait générateur de l’indivision née des décès successifs de ses parents. Il est effectivement constant que le partage successoral ne fait que déclarer les droits des héritiers, qui existent depuis l’ouverture de la succession ; il s’accompagne donc d’un effet rétroactif qui permet d’effacer la période d’indivision et d’admettre que les héritiers sont propriétaires exclusifs des biens mis dans leur lot depuis le décès9. Ce raisonnement permet en l’espèce de considérer que les biens litigieux ont effectivement été reçus par le de cujus de ses ascendants par succession, même s’ils lui ont été attribués dans le partage ayant mis fin à l’indivision entre les cinq frères et sœurs moyennant paiement d’une soulte10.

La Cour de cassation se réfère en outre expressément à la lettre de l’article 757-3 du Code civil, qui n’opère aucune distinction selon que les biens reçus par le défunt l’ont été ou non à charge de soulte. Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus. La loi ne distinguant pas selon que les biens ont été obtenus avec ou sans contrepartie dans la succession des ascendants pour admettre le droit de retour légal, il n’y a pas lieu d’exclure à ce titre les collatéraux privilégiés.

La solution est également conforme à l’esprit de l’article 757-3 du Code civil, qui atténue la préférence successorale accordée au conjoint survivant en maintenant des droits aux collatéraux privilégiés sur les biens d’origine familiale. L’interprétation qu’en retient la Cour de cassation s’inscrit parfaitement dans cette optique en élargissant l’assiette de leur droit de retour légal. Elle présente en outre l’avantage de simplifier considérablement la dévolution successorale en évitant de distinguer la quote-part reçue sans contrepartie par succession, à laquelle aurait pu être limité le droit de retour légal, de celle obtenue moyennant paiement d’une soulte, qui aurait pu être dévolue au seul conjoint survivant.

Toutefois, il n’est pas certain que la solution retenue permette de conserver les biens litigieux dans le lignage car le droit de retour des collatéraux privilégiés, ne portant que sur la moitié des biens d’origine familiale, est source d’indivision avec le conjoint survivant et de partage. Néanmoins, le conflit ne portait pas en l’espèce sur ces effets souvent critiqués11 ; il concernait les conséquences de la restitution en l’état des biens aux collatéraux privilégiés et les éventuelles indemnités à la succession qu’il aurait été possible de leur réclamer.

II – Absence d’indemnisation de la succession par les collatéraux privilégiés bénéficiaires du droit de retour légal

Le droit de retour légal des collatéraux privilégiés ne peut porter que sur des biens qui se retrouvent en nature dans la succession du défunt ; mais l’absence de précision dans la loi sur cette exigence est source d’incertitudes12.

Il ne fait pas de doute que le droit de retour des collatéraux privilégiés ne peut pas s’exercer lorsque les biens transmis à titre gratuit n’existent plus dans le patrimoine du défunt à son décès, qu’il y ait eu subrogation réelle, aliénation13 ou destruction. Ce n’était pas le cas en l’espèce ; les biens litigieux, figurant à l’actif successoral dans la déclaration de succession du défunt, étaient restés dans son patrimoine. Cependant, le débat portait sur les modalités de leur retour en nature.

La question se pose en effet de savoir s’il faut retenir une interprétation stricte, limitée aux biens juridiquement et matériellement identiques, ou une conception plus extensive prenant en compte l’évolution des biens dans le patrimoine du défunt. L’épouse se prévalait de la première interprétation, considérant qu’il fallait prendre en compte la soulte payée par son mari lors de l’acquisition des biens dans le partage des successions de ses parents ainsi que les impenses réalisées par celui-ci sur ces biens. À ce titre, et à défaut d’obtenir l’exclusion du droit de retour légal des collatéraux privilégiés, elle leur réclamait le versement d’indemnités à la succession ordinaire. Ces demandes ont cependant été rejetées par les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, au motif que les collatéraux privilégiés reçoivent les biens tels qu’ils se retrouvent dans la succession au jour de son ouverture et que l’article 757-3 du Code civil ne subordonne pas l’exercice de leur droit au versement d’une indemnité à la succession, que ce soit en raison de la soulte payée par le défunt ou au titre d’améliorations apportées aux biens par ce dernier.

La Cour de cassation lève ainsi le doute sur l’acception du retour en nature en n’exigeant pas une stricte identité entre les biens reçus par le défunt et ceux qui sont dans son patrimoine à son décès. Il faut donc en déduire que les bénéficiaires du droit de retour légal reçoivent les biens dans leur état au jour de l’ouverture de la succession, en prenant en compte les plus ou moins-values subies depuis leur entrée dans le patrimoine du défunt, quelle que soit leur origine14. La seule condition exigée par la loi suppose par conséquent leur présence dans la succession du défunt.

Cette interprétation, favorable aux collatéraux privilégiés, a le mérite de simplifier le règlement de la succession en évitant les difficultés de preuve et de calcul des accroissements et améliorations réalisés par le défunt sur les biens reçus à titre gratuit de ses ascendants. Elle est également conforme à la lettre de l’article 757-3 du Code civil, qui ne fait aucune référence à la participation du défunt ou à l’état des biens pour déterminer les droits des collatéraux privilégiés et qui ne prévoit aucune indemnité au profit de la succession ordinaire pour l’accroissement ou l’amélioration des biens objets du retour en nature. Dans son dernier attendu, la Cour de cassation se réfère expressément à l’absence de disposition en sens contraire pour justifier le refus d’une indemnisation à la succession par les collatéraux privilégiés. Cette précision montre sa volonté de ne pas aller au-delà de la lettre de l’article 757-3 du Code civil, laissant le soin éventuellement au législateur de modifier la loi.

Le droit positif ne défavorise toutefois pas le conjoint survivant, qui bénéficie également des plus-values en recueillant l’autre moitié des biens objets du droit de retour. En outre, le droit des régimes matrimoniaux peut venir compenser certains déséquilibres. La cour d’appel y a d’ailleurs fait allusion en invoquant l’absence de participation de la communauté au paiement de la soulte et des impenses. En effet, le mécanisme des récompenses aurait pu s’appliquer, les époux étant mariés sous le régime légal, si ces dépenses avaient été financées par des fonds communs15. À la liquidation du régime matrimonial, la communauté aurait alors eu droit à une double récompense pour sa contribution à l’acquisition16 et à l’amélioration des biens propres du mari17. Néanmoins, en l’espèce, la soulte avait été versée avant le mariage et les impenses avaient été financées par ses fonds propres. La Cour de cassation n’a donc pas eu à se prononcer sur l’interférence du droit des régimes matrimoniaux.

Néanmoins, sa décision de rejet ne surprend pas ; elle est conforme à la technique du droit de retour légal, qui confère un véritable droit successoral à ses bénéficiaires. Sa portée s’étend toutefois au-delà des seuls intérêts liquidatifs ; en permettant aux collatéraux privilégiés d’exercer pleinement leur droit de retour légal sans indemniser le conjoint survivant, la première chambre civile de la Cour de cassation renforce les droits du lignage sur les biens d’origine familiale.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n° 17-12040.
  • 2.
    L. n° 2001-1135, 3 déc. 2001, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins.
  • 3.
    Dans le système antérieur, les droits du conjoint survivant en concours avec des collatéraux privilégiés dans les deux lignes se limitaient à la moitié de la succession en usufruit (C. civ., art. 767 anc.).
  • 4.
    C. civ., art. 757-2.
  • 5.
    V. nota. Beignier B., La réforme du droit des successions, 2002, Litec, nos 115 à 119.
  • 6.
    L. n° 2006-728, 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités.
  • 7.
    V. nota. Penin O., « L’évolution des droits de retour dans le Code civil depuis les lois de 2001 et 2006 », RTD civ. 2014, p. 49.
  • 8.
    V. pour son exclusion lorsque les collatéraux privilégiés sont en concours avec le partenaire d’un pacte civil de solidarité institué légataire universel : Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 14-20587 : Dr. famille 2015, comm. 76, Nicod M. ; RTD civ. 2015, p. 363, obs. Hauser J. ; AJ fam. 2015, p. 178, obs. Levillain N.
  • 9.
    C. civ., art. 883.
  • 10.
    Déjà en ce sens v. nota. Jubault C., Droit civil, Les successions, les libéralités, 2010, Montchrestien, Domat droit privé, n° 261 ; Paris G., Les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du Code civil, thèse, 2012, Paris II, n° 298. Contra : Forgeard M.-C., Crône R. et Gelot B., La réforme des successions, 2002, Defrénois, p. 12, note 14.
  • 11.
    V. nota. Goubeaux G., « Réforme des successions : l’inquiétant concours entre collatéraux privilégiés et conjoint survivant », Defrénois 15 avr. 2002, n° 37519, p. 427 ; Ferré-André S., « Des droits supplétifs et impératifs du conjoint survivant das la loi du 3 décembre 2001 », Defrénois 15 juill. 2002, n° 37572, p. 863, nos 31 et s. ; Piedelièvre S., « Réflexions sur la réforme des successions », Gaz. Pal. 6 avr. 2002, n° C7496, p. 2, ; Delmas Saint-Hilaire P. et Hauser J., « Vive les libéralités entre époux », Defrénois 15 janv. 2003, n° 37645, p. 3 ; Beaubrun M., « La loi du 3 décembre 2001 portant réforme du droit des successions », Defrénois 30 janv. 2003, n° 37655, p. 73 ; Leprovaux J., « L’évolution des droits de retour légaux dans la législation contemporaine du droit des successions », LPA 2 juill. 2007, p. 6 ; Le Guidec R. et Chabot G., Rép. civ. Dalloz, v. Succession : dévolution, nos 403 et s.
  • 12.
    V. nota. Roton-Catala M.-C. de et Vernières C., Droit patrimonial de la famille, chap. 235, « Successions anomales », 2012, Dalloz, Action, n° 235.23 ; Catala P. et Leveneur L., JCl. Civil Code, Art. 756 à 767, fasc. 10, « Successions », n° 98.
  • 13.
    V. à propos du legs universel au profit du conjoint survivant : JO AN Q n° 85443, 13 févr. 2007.
  • 14.
    En ce sens nota. Goubeaux G., préc. ; Terré F., Lequette Y. et Gaudemet S., Droit civil, Les sucessions. Les libéralités, 2014, Dalloz, Précis Droit privé, n° 213 ; Paris G., op. cit., nos 173 et 248. Contra : Jubault C., op. cit., n° 266.
  • 15.
    C. civ., art. 1437.
  • 16.
    À condition toutefois que la contribution de la communauté ne soit pas supérieure à celle du patrimoine propre de l’époux (C. civ., art. 1436).
  • 17.
    C. civ., art. 1405, al. 1.
LPA 24 Mai. 2018, n° 136g5, p.13

Référence : LPA 24 Mai. 2018, n° 136g5, p.13

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