Charge de la preuve du point de départ de la liquidation d’une astreinte

Publié le 08/11/2019

La charge de la preuve de son point de départ pèse sur celui qui demande la liquidation d’une astreinte.

Cass. 2e civ., 6 juin 2019, no 18-15311, PB

Un jugement d’un conseil de prud’hommes a ordonné, avec exécution provisoire, à la société anonyme d’économie mixte de production sucrière et rhumière de la Martinique (SAEM) de procéder à la réintégration dans son poste de Mme J, cela sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification du jugement. Elle a saisi un juge de l’exécution d’une demande de liquidation de l’astreinte.

L’intéressée a été déboutée de sa demande de liquidation de l’astreinte car, selon la cour d’appel, la SAEM (l’employeur) s’opposait à la demande de liquidation de l’astreinte en soutenant avoir déféré aux décisions de justice ordonnant la réintégration de la salariée. La salariée demanderesse au pourvoi invoquait qu’il ressortait des motifs de l’arrêt de la cour d’appel que celle-ci en exigeant d’elle la justification de la date à laquelle la SAEM avait reçu du secrétariat greffe du conseil de prud’hommes la lettre recommandée lui notifiant le jugement1, a, renversée la charge de la preuve2.

La Cour de cassation a estimé qu’il appartient au juge saisi d’une demande de liquidation d’une astreinte de s’assurer, au besoin d’office, que l’astreinte a commencé à courir et de déterminer son point de départ et que c’est par une exacte application des règles de procédure civile3 et sans inverser la charge de la preuve que l’arrêt a retenu qu’il appartenait à la demanderesse à la liquidation de l’astreinte, de rapporter la preuve de la date à laquelle le jugement avait été notifié ; et en conséquence elle rejette le pourvoi.

La question de droit est donc de connaître la date du point de départ d’une liquidation d’astreinte et sur qui repose la charge de la preuve.

L’astreinte, éventuellement suivie de sa liquidation, est un moyen d’assurer l’effectivité d’une décision judiciaire. Cela implique que l’on puisse fixer avec précision le point de départ4, tant de l’astreinte que de celui de sa liquidation lorsqu’elle s’avère nécessaire, ce qui est parfois, comme dans la présente espèce, de nature à poser des difficultés spécialement en termes de moment de connaissance par la partie qui doit exécuter la décision du point de départ de la liquidation de l’astreinte, et de la charge de la preuve de cet événement pour pouvoir y procéder. Ceci amène à faire le point sur les pouvoirs du juge en matière de liquidation d’astreinte qui sont très larges mais néanmoins encadrés et donc à déterminer le point de départ de la liquidation de l’astreinte (I) et envisager la question de la charge de sa preuve (II).

Dès lors qu’une astreinte a été prononcée5, le juge a le pouvoir de la réduire, voire de la supprimer, y compris dans le cadre de sa liquidation6 mais sa décision doit être motivée et basée sur des éléments objectifs7.

Il est admis que l’une des raisons du prononcé d’une astreinte est pour les juges la volonté d’aboutir à l’effectivité de leur décision, ce qui passe, parfois, par la nécessité de liquider l’astreinte provisoire initialement prononcée. Si, en ce domaine, le juge dispose de larges pouvoirs, on ne va pas jusqu’à lui permettre une appréciation souveraine, sa décision doit être motivée sur la base d’éléments objectifs qu’il doit justifier.

En réalité la question de l’efficacité de l’astreinte se pose réellement au stade de sa liquidation.

Le prononcé de l’astreinte est préalable à sa liquidation. Tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision8. L’astreinte est provisoire9, sauf si le juge en a décidé autrement10, et destinée à convaincre la personne condamnée qu’il est de son intérêt d’exécuter rapidement la décision.

Le juge dispose d’un pouvoir souverain11 et discrétionnaire12 d’appréciation pour assortir ou non sa décision d’une astreinte13, néanmoins, la décision ordonnant une astreinte doit être motivée14.

Le juge de l’exécution15 et les autres juridictions ont, la possibilité d’assortir d’astreinte les décisions qu’elles prononcent16. Si les circonstances en font apparaître la nécessité17, le juge de l’exécution peut assortir d’une astreinte une décision rendue par un autre juge.

L’astreinte est provisoire18 sauf si le juge en a décidé autrement19, et destinée à convaincre la personne condamnée d’exécuter la décision. Le paiement de l’astreinte peut être ordonné à partir du jour fixé par le jugement20.

I – Les pouvoirs du juge en matière de liquidation de l’astreinte

La liquidation de l’astreinte par le juge est indispensable pour que le créancier puisse en exiger le paiement au cas où l’obligation serait inexécutée.

Principes relatifs à la liquidation de l’astreinte.

La liquidation de l’astreinte relève normalement du juge de l’exécution21, elle est aussi possible par les autres juridictions lorsqu’elles se sont expressément réservé le pouvoir de liquider l’astreinte qu’elles ont prononcée22, ce qui alors exclut la compétence du juge de l’exécution ou d’un autre juge23.

La liquidation de l’astreinte implique de tenir compte de la réalité de l’inexécution ou du retard dans l’exécution de l’obligation principale ainsi que des circonstances, notamment du comportement du débiteur, mais aussi éventuellement de celui du créancier. Tous ces éléments doivent être justifiés dans la décision du juge liquidant l’astreinte. Le juge ne peut déclencher d’office la liquidation de l’astreinte. C’est au créancier, et à lui seul, d’apprécier l’opportunité et le moment d’agir. Il doit demander la liquidation d’une astreinte24. Il appartient au créancier de prouver que l’obligation à la charge de son adversaire n’a pas été exécutée ou a été exécutée avec retard25.

Il arrive que celui qui a l’obligation d’exécuter se trouve confronté à des difficultés ou fasse preuve de mauvaise volonté, voire de mauvaise foi pour l’exécution de la condamnation. Le juge pourra en tenir compte au moment de la liquidation définitive de l’astreinte26. La liquidation de l’astreinte par le juge est indispensable pour que le créancier puisse en exiger le paiement au cas où l’obligation soit inexécutée ce qui implique de se poser la question de son point de départ et celui de la charge de sa preuve. Les dispositions relatives à l’astreinte tendent aujourd’hui à donner des pouvoirs étendus au juge compétent pour liquider l’astreinte.

Seul peut demander la liquidation d’une astreinte celui au profit duquel elle a été prononcée27. Il appartient à celui qui demande la liquidation de l’astreinte de prouver que l’obligation à la charge de son adversaire n’a pas été exécutée ou a été exécutée avec retard28.

La liquidation de l’astreinte est le processus au terme duquel le créancier pourra obtenir la concrétisation du droit que lui reconnaissait virtuellement le prononcé de l’astreinte29. L’opération suppose toujours une décision de justice.

II – Procédure

Au moment de la liquidation, le juge doit s’assurer que le débiteur a manqué à l’obligation qui lui a été judiciairement imposée ce qui est un fait qui peut s’établir par tout moyen, notamment par les constatations d’un huissier désigné par le juge chargé de la liquidation30. Il était admis communément que la charge de la preuve devait peser sur le créancier qui devait établir le manquement de son adversaire à l’exécution de son obligation31, plusieurs arrêts sont revenus sur ce principe en faisant peser la charge de la preuve de l’exécution sur le débiteur32, ce qui compte tenu de la nature de l’astreinte et du but qu’elle poursuit paraît logique. Allant jusqu’au bout de sa logique la Cour de cassation fait porter la charge de la preuve sur le demandeur à la liquidation de l’astreinte, qui est le plus souvent le créancier de l’obligation. La présente décision est un rappel de ce principe.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. trav., art. R. 454-26.
  • 2.
    C. civ., art. 1315, devenu C. civ., art. 1353 et C. trav., art. R. 1454-26.
  • 3.
    CPC, art. 9.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 1er sept. 2016, n° 15-23067.
  • 5.
    CPC exec., art. L. 131-1 ; Richevaux M., « Régime général des obligations », Ellipses 2018, fiche n° 29.
  • 6.
    Richevaux M., « Liquidation d’astreinte : une diminution n’est possible que si le juge la justifie », note sous Cass. 2e civ., 7 juin 2012, n° 10-24967 : Gaz. Pal. 31 juill. 2012, n° J0529, p. 16.
  • 7.
    Richevaux M., « Liquidation d’astreinte, une diminution de l’astreinte n’est possible que si le juge la justifie par des éléments objectifs », LPA 16 mai 2017, n° 125q3, p. 12 – Cass. 2e civ., 7 juin 2012, n° 10-24967, M. X.
  • 8.
    CPC exéc., art. L. 131-1, al. 1.
  • 9.
    TGI Paris, 25 juin 2012, n° 12354825.
  • 10.
    CPC exéc., art. L. 131-2, al. 2 in fine.
  • 11.
    Cass. soc., 26 juin 1985, n° 94-17168 : Cah. prud’h. 1986, p. 85, n° 5.
  • 12.
    Cass. soc., 8 nov. 1995, n° 92-40632, D.
  • 13.
    CPC exéc., art. L. 131-1.
  • 14.
    Cass. soc., 20 sept. 2006, n° 88-12227.
  • 15.
    CPC, exéc., art. L131-1, al. 2, créé par Ord. n° 2011-1895, 19 déc. 2011.
  • 16.
    CPC, exéc., art. L. 131-3 ; Richevaux M., « L’astreinte », in Régime général des obligations, 2012, Bréal, fiche n° 27.
  • 17.
    CPC, exéc., art. L131-1, al. 2.
  • 18.
    CPC, exéc., art. L131-1, al. 2.
  • 19.
    CPC, exéc., art. L131-1, al. 2 in fine.
  • 20.
    Cass. soc., 15 juin 1939 : Quest. prud’h. 1939, p. 840 – Cass. soc., 22 janv. 1992 : Cah. prud’h. 1993, p. 5.
  • 21.
    CPC exéc., art. L. 131-3.
  • 22.
    CPC exéc., art. L. 131-3.
  • 23.
    CA Rennes, 15 sept. 2009, n° 05/05378 ; CA Rennes, 15 sept. 2009, n° 09/06393, SA Transports Nexia froid, Mes Senechal, mandataire judiciaire de la société Nexia froid en RJ, H. Bourbouloux, administrateur judiciaire de la société Nexia froid en RJ, E. Bourgoin, D ; CA Aix-en-Provence, 22 janv. 2009, nos 2009/042 et 07/08794, C. Bruley, Syndicat des copropriétaires, représenté par son syndic en exercice la SAS Immobilière Pujol, G. R. Boccara épouse Hasso, SCI Amalthée, D.
  • 24.
    Cass. 2e civ., 10 juin 2010, n° 09-16781, Gaillard c/ Montal Moulène, D.
  • 25.
    Cass. soc., 14 déc. 2005, n° 04-40561 : Bull. civ. V, n° 363 ; RTD civ. 2006, p. 378, obs. Perrot R
  • 26.
    CPC exéc., art. L. 131-4.
  • 27.
    Cass. 2e civ., 8 déc. 2011, n° 10-26337, Caen c/ Syndicat des copropriétaires de l’immeuble du 24 rue Bailly et 21 rue Chatrousse à Neuilly-sur-Seine, F-D : Procédures 2012, comm. 33 – Cass. 2e civ., 8 déc. 2011, n° 10-26337, Caen c/ Syndicat des copropriétaires de l’immeuble du 24 rue Bailly et 21 rue Chatrousse à Neuilly-sur-Seine, F-D : Procédures 2012, comm. 33.
  • 28.
    Cass. soc., 14 déc. 2005 : Bull. civ. V, n° 363 ; RTD civ. 2006, p. 378, obs. Perrot R.
  • 29.
    Desdevises Y., actualisé par Casal N., JCl. Procédure civile, Astreintes – Liquidation, fasc. 2140.
  • 30.
    Cass. 2e civ., 27 nov. 1997, n° 95-20593 : JCP G 1998, II, 10073, note Du Rusquec E. ; Procédures 1998, comm. 32, obs. Perrot R. ; Rev. huissiers 1998, p. 414, note Martin R. – Cass. 2e civ., 26 mars 1997, nos 94-21590 et 94-21613 : JCP G 1997, IV, 1069 – Cass. 2e civ., 10 janv. 2008, n° 06-21816.
  • 31.
    Cass. 2e civ., 11 janv. 1995, n° 93-14926 : JCP G 1995, IV, n° 589
  • 32.
    Cass. 3e civ., 8 oct. 1997, n° 95-21117 : JCP G 1997, IV, 2250 – Cass. com., 2 oct. 2001, n° 00-10337 : Procédures 2001, comm. 226, obs. Perrot R. ; RTD civ. 2002, p. 148, obs. Perrot R. – Cass. 2e civ., 30 mai 2002, n° 00-15312 : D. 2002, p. 2025 – Cass. soc., 14 déc. 2005, n° 04-40561.
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