Forme et délai de l’appel incident dirigé contre un co-intimé

Publié le 02/03/2020

L’intimé souhaitant interjeter appel incident contre une partie non constituée quoique régulièrement intimée par l’appelant principal doit procéder par voie de conclusions, lesquelles doivent être signifiées dans les délais impartis par l’article 909 du Code de procédure civile (CPC) ensemble l’article 911 du même code, sauf constitution avant ladite signification, auquel cas il est procédé par notification entre avocats. Le régime de l’appel incident est ainsi précisé par la Cour de cassation, laissant apparaître un net contraste avec celui de l’appel provoqué.

Cass. 2e civ., 9 janv. 2020, no 18-24606

1. L’appel incident dirigé contre un co-intimé non constitué doit-il être formé par voie d’assignation ou de conclusions ? Dans quel délai ? La deuxième chambre civile de la Cour de cassation apporte par cet arrêt publié du 9 janvier 2020 une réponse à ces interrogations : l’intimé souhaitant interjeter appel incident contre un co-intimé non constitué, mais régulièrement intimé par l’appelant principal, doit procéder par voie de conclusions ; ces dernières doivent être signifiées dans les délais impartis par l’article 909 ensemble l’article 911 du CPC1, sauf constitution du co-intimé avant ladite signification, auquel cas il est procédé par notification entre avocats.

2. Cet arrêt doit être lu à la lueur d’un précédent de la même formation en date du 6 juin 20192 aux termes duquel « l’appel incident provoqué, qui est dirigé contre une personne non encore partie à l’instance d’appel, est formé par une assignation citant cette personne à comparaître devant la cour d’appel », étant précisé « que l’intimé dispose d’un délai de 2 mois pour signifier une telle assignation en appel provoqué, sans que ce délai ne puisse être prorogé dans les conditions prévues par l’article 911 (…), régissant la signification de conclusions à une personne déjà attraite dans la procédure d’appel »3. Le rapprochement des deux arrêts invite à faire un départ net entre le régime de l’appel provoqué, dirigé contre une tierce partie non intimée par l’appelant principal (nécessité de procéder par voie d’assignation sans pouvoir bénéficier des prorogations prévues par l’article 911 du CPC) et celui de l’appel incident dirigé contre une partie régulièrement intimée par l’appelant principal (nécessité de procéder par voie de conclusions en pouvant bénéficier des prorogations prévues par l’article 911). Reste cependant une hésitation, car l’apport du présent arrêt est expressément limité à l’appel incident dirigé contre une partie « régulièrement intimée » par l’appelant principal. Qu’adviendra-t-il en présence d’une partie irrégulièrement intimée ? Tel est peut-être le seul angle mort de la jurisprudence de la deuxième chambre civile, invitant les praticiens à la prudence en pareil cas.

3. Avant d’en venir à cette hypothèse délicate, revenons à l’affaire tranchée le 9 janvier 2020 par la Cour de cassation, sous le bénéfice d’une précision liminaire : la procédure intervenue devant la cour d’appel de Rennes ayant débouché sur l’arrêt en cause4 était régie par les textes dans leur rédaction antérieure au décret du 6 mai 2017 (ayant notamment augmenté certains délais de la procédure d’appel d’un mois, les passant de 2 à 3 mois).

4. X (appelant principal) interjette appel le 15 février 2017. Il notifie ses conclusions à Z. (intimé constitué) le 12 mai 20175. Il signifie la déclaration d’appel à Y (intimé non constitué) le 9 juin 20176. L’intimé constitué signifie ses conclusions d’appel incident à son co-intimé non constitué le 5 juillet 2017. Ce dernier constitue finalement avocat le 18 juillet 2017. Le co-intimé premier constitué notifie alors le 3 août 2017 à l’avocat constitué du co-intimé ces mêmes conclusions.

Le conseiller de la mise en état (CME) est saisi par le co-intimé contre lequel est dirigé l’appel incident, notamment aux fins de le voir déclarer irrecevable, faute d’avoir été assigné dans les 2 mois de la signification des conclusions d’appel principal. Par ordonnance du 2 février 2018, le CME fait droit à cette demande. Cette ordonnance est déférée à la formation collégiale de la cour d’appel de Rennes.

Selon cette dernière, il résulterait des articles 68, 551 et 909 que l’intimé, entendant interjeter appel incident à l’égard du co-intimé non constitué, doit faire délivrer assignation à celui-ci dans les 2 mois suivant la notification des conclusions d’appel principal à peine d’irrecevabilité. L’article 911 du CPC7 serait quant à lui inapplicable, « faute de référence expresse aux articles précités » (dixit l’arrêt). Au cas d’espèce, le co-intimé étant demeuré non constitué à la date de la notification des conclusions d’appel principal, il appartenait au co-intimé constitué entendant interjeter appel incident à son égard de l’assigner dans les 2 mois suivant la notification des conclusions d’appel principal, sans pouvoir bénéficier de la prorogation accordée par l’article 911 in fine (c’est-à-dire une augmentation d’un mois dans l’hypothèse de non-constitution du co-intimé). Concrètement, le co-intimé, entendant interjeter appel incident contre le co-intimé non constitué, aurait donc dû assigner ce dernier au plus tard le 12 juillet 2017. Or il s’est contenté de lui signifier ses conclusions d’appel incident le 5 juillet 2017. La constitution du co-intimé en date du 18 juillet 2017 et la notification des conclusions d’appel incident par RPVA le 3 août 2017, qui, si prises en compte, pourraient conduire à la recevabilité de l’appel incident, demeurent quant à elles indifférentes selon la cour d’appel de Rennes, l’article 911 du CPC n’ayant pas vocation à régir pareille situation. Pour ces motifs, l’ordonnance du CME est confirmée du chef d’irrecevabilité de l’appel incident par arrêt du 1er juin 2018. Un pourvoi est formé.

5. Deux questions, étroitement liées, sont posées à la Cour de cassation : l’appel incident dirigé contre un co-intimé non constitué doit-il être formé par voie d’assignation ? L’article 911 du CPC – et la précieuse prorogation de délai qu’il renferme dans le cas de non-constitution – s’applique-t-il à une telle hypothèse ?

6. La réponse de la Cour de cassation, rendue au visa des articles 909 et 911, nous semble claire, quoique l’attendu manque de généralité : il incombe seulement à l’intimé souhaitant interjeter appel incident contre un co-intimé « régulièrement intimé par l’appelant » principal de lui « signifier ses conclusions d’appel incident », le tout « dans les délais prescrits par les articles 909 et 911 »8, « sauf à ce que (le co-intimé) constitue avocat avant la signification » ; auquel cas, comprend-on, il devrait être procédé par notification desdites conclusions à son avocat. L’appel incident dirigé contre un co-intimé non constitué quoique régulièrement intimé par l’appelant principal se fait donc par voie de conclusions ; lesquelles doivent être communiquées dans les formes et délais résultant des articles 909 et 911, soit par voie de signification dans les 3 mois si l’on prend les textes dans leur version antérieure au décret de 2017 (2 mois augmentés d’un mois en présence d’un co-intimé non constitué)9. La cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes est en conséquence prononcée, sans renvoi, la Cour de cassation faisant opportunément usage des pouvoirs qu’elle tire des articles L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire (COJ) et 627 du CPC pour déclarer elle-même l’appel incident recevable.

7. À l’encontre d’une partie régulièrement intimée par l’appelant principal, l’appel incident doit donc être formé par voie de conclusions et non d’assignation, dans les délais résultant des articles 909 et 911 du CPC (I). Seule hésitation d’envergure qui demeure, comme souligné plus haut : comment procéder à l’égard d’une partie irrégulièrement intimée par l’appelant principal (II) ?

I – Forme et délai de l’appel incident dirigé contre une partie régulièrement intimée par l’appelant principal

8. La cour d’appel de Rennes a considéré que l’intimé constitué souhaitant diriger un appel incident contre un co-intimé non constitué devait procéder par assignation. La solution résulterait d’un jeu de renvoi : l’article 909 du CPC indique que l’intimé dispose d’un délai de 2 mois à compter de la notification des conclusions d’appel prévues à l’article 908 du même code pour conclure en défense et former, le cas échéant, appel incident, à peine d’irrecevabilité relevée d’office ; quant à la forme, l’article 551 dispose que « l’appel incident ou l’appel provoqué est formé de la même manière que le sont les demandes incidentes » ; ce qui invite à consulter l’article 68 du CPC, où se loge finalement la difficulté : « Les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense. / Elles sont faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance. En appel, elles le sont par voie d’assignation ». Pour aboutir à sa conclusion privilégiant la voie de l’assignation, la cour d’appel de Rennes a pu, soit procéder à une lecture extensive de l’article 68, soit assimiler partie défaillante et partie non constituée10. Si la première explication n’est pas convaincante, la seconde ne manque pas de pertinence.

9. Tout d’abord, la cour d’appel de Rennes a pu opérer une lecture extensive de l’article 68, alinéa 2 in fine, du CPC (« en appel, elles le sont par voie d’assignation »). Plus précisément, il s’agirait d’une lecture englobante du pronom « elles » figurant dans cette dernière phrase. Il est vrai que si l’on reprend l’article dans son intégralité, une hésitation peut surgir : ce pronom renvoie-t-il aux seules demandes incidentes faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers (lecture restrictive) ? Ou renvoie-t-il à toutes les demandes incidentes, c’est-à-dire celles formées à l’encontre des parties à l’instance comme celles formées à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers (lecture extensive) ? L’hésitation est légitime. Elle peut néanmoins être levée en faveur de la première lecture. Tout d’abord, il faut pour interpréter le champ couvert par ce pronom faire application d’une règle de proximité : au regard du positionnement de la phrase qui le contient, il fait peu de doute qu’il s’agissait de renvoyer à la phrase immédiatement précédente, laquelle ne concerne que les demandes incidentes faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers. La lecture restrictive en ressort confortée. La consultation de la jurisprudence disponible achève de dissiper le doute : un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation lu a contrario indique que l’article 68, alinéa 2 in fine, du CPC n’est applicable qu’aux demandes incidentes formées à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers11. En conséquence, la lecture extensive de l’article 68 possiblement opérée par la cour d’appel de Rennes ne tenait pas.

10. Peut-être la cour d’appel de Rennes n’a-t-elle pas raisonné ainsi. Il est en effet possible qu’elle ait retenu une lecture restrictive de l’article 68 précité et considéré néanmoins qu’une assignation était nécessaire. Pour cause : le co-intimé non constitué n’est-il pas une « partie défaillante »12 ? L’article 467 du CPC invite effectivement à une telle analyse. Lorsque la représentation est obligatoire, défaut de constitution rime avec défaut de comparution13. Aussi peut-on penser que la solution retenue par la cour d’appel était techniquement justifiée au regard de l’article 68 : le co-intimé non constitué devant être tenu pour défaillant, il conviendrait d’interjeter appel incident à son égard par voie d’assignation. Comment dès lors expliquer la cassation ? Au moins quatre explications sont envisageables, inégalement convaincantes.

11. Première explication : la Cour de cassation entend peut-être désormais distinguer généralement comparution et constitution, en considérant qu’il est possible de comparaître dans une procédure avec représentation obligatoire sans constituer avocat. L’on n’y croit guère : cela irait à rebours des textes, article 467 du CPC en tête, comme de la raison, puisque dans ce type de procédure les parties ne peuvent précisément comparaître que par constitution.

Deuxième explication : la défaillance d’une partie au sens de l’article 68 du CPC ne serait pas la défaillance d’une partie au sens de l’article 467 du même code. Pourquoi pas : les deux textes exercent des fonctions fondamentalement différentes ; le premier aménage très généralement le formalisme des demandes incidentes alors que le second a pour seule vocation de permettre la qualification du jugement projeté (contradictoire, réputé contradictoire ou par défaut), ce qui aura une incidence directe sur les voies de recours disponibles (ouverture de l’opposition en particulier, CPC, art. 476 et s.) et sur les vérifications attendues de la juridiction saisie (tryptique : régularité, recevabilité et bien-fondé ; CPC, art. 472). Il n’est donc nullement exclu, suivant l’idée d’une interprétation fonctionnelle, que la défaillance d’une partie s’analyse différemment selon le texte appliqué : au sens des articles 467 et suivants du CPC, une partie non constituée sera tenue pour défaillante ; au sens de l’article 68 du même code, une partie non constituée pourra être tenue pour comparante. Cette dissociation de la notion de défaillance n’explique néanmoins pas qu’un intimé non constitué puisse être rationnellement tenu pour comparant au sens de l’article 68.

Il faut sans doute pousser plus loin le fonctionnalisme, ce qui mène à la troisième explication envisageable : l’assignation en appel incident n’équivaut-elle pas in fine à la signification de conclusions d’appel incident ? Les garanties ne sont-elles pas équivalentes, voire identiques ? Peut-être la Cour de cassation a-t-elle raisonné ainsi, en considérant qu’à l’égard de l’intimé non constitué la signification des conclusions d’appel incident suffisait – et qu’il n’était au fond pas besoin d’une assignation en appel incident en bonne forme, malgré la lettre de l’article 68 du CPC. Les droits de l’intimé non constitué seraient suffisamment préservés par la signification de conclusions d’appel incident à son égard. C’est alors la théorie des équipollents qui refait surface, avec la pensée anti-formaliste qu’elle présuppose… Malheureusement, cette troisième explication, séduisante sur le papier, n’est pas beaucoup plus convaincante que les deux précédentes : outre qu’elle malmène directement la lettre et l’esprit de l’article 68 précité, on peut surtout lire dans l’arrêt qu’il incombait « seulement » à l’intimé constitué souhaitant diriger appel incident contre le co-intimé non constitué de lui signifier ses conclusions d’appel incident. Or, si l’on prend ce « seulement » au sens d’« uniquement », l’on comprend que la voie de l’assignation en appel incident était bien fermée14, ce qui indique que la théorie des équipollents n’est pas entrée en jeu : si les deux voies – signification des conclusions d’appel incident comme assignation en appel incident – avaient été disponibles, la Cour de cassation l’aurait autrement formulé (par exemple, l’intimé constitué « pouvait se contenter » de signifier ses conclusions d’appel incident… ; il « suffisait » à l’intimé constitué…).

L’on en vient alors à la quatrième explication, de loin la plus convaincante : la Cour de cassation considère que l’article 911 du CPC déroge aux prévisions de l’article 68 du même code et impose qu’à l’égard de l’intimé non constitué il soit procédé par voie de signification de conclusions d’appel incident – et non par voie d’assignation. Cela ne ressort certes pas d’évidence de la lettre du texte15, qui ne semble intéresser que la façon de communiquer les conclusions aux autres parties et les délais pour le faire, et non la façon dont se forme à proprement parler un appel incident à leur égard. Pourtant, cette interprétation se tient. En effet, outre que la lettre de l’article 911 précité reste en réalité suffisamment générale et donc malléable, cette disposition introduit surtout à hauteur d’appel une qualification intermédiaire entre la « partie » totalement défaillante (tierce partie non intimée sur l’appel principal), qui a « les deux pieds dehors », et la partie comparante (intimée sur l’appel principal et constituée), qui a « les deux pieds dedans » : il s’agit de la partie procéduralement défaillante16, qui a, si l’on ose dire, « un pied dedans » (intimée sur l’appel principal…) et « un pied dehors » (…mais non constituée). L’article 911 du CPC présente cette finesse, à l’inverse de l’article 68 du même code qui assimile partie non comparante, partie non constituée et tierce partie ; finesse à laquelle, d’une certaine façon, la Cour de cassation a entendu rendre honneur et donner un effet utile en autorisant l’intimé souhaitant interjeter appel incident contre un co-intimé régulièrement intimé quoique non constitué à procéder par signification de conclusions d’appel incident, suivant la voie dessinée à l’article 911 en lieu et place de celle de l’article 68.

12. In fine, l’on peut à notre estime se féliciter de l’arrêt du 9 janvier 2020 de la deuxième chambre civile pris sous cet angle. D’un trait, la Cour de cassation confirme la lecture restrictive de l’article 68 alinéa 2 in fine, du CPC, rejette l’assimilation de la partie non constituée à une partie défaillante opérée par ce dernier et déploie l’article 911. Comme on l’a dit, cet arrêt se combine au reste idéalement au précédent du 6 juin 2019, dont la rectitude juridique est égale : l’appel provoqué, c’est-à-dire dirigé contre une personne ayant été partie en première instance mais non présente à l’instance d’appel, doit être formé par voie d’assignation, par la combinaison des articles 551 et 68 du CPC, sans que l’article 911, qui ne vise que les parties à l’instance d’appel, n’ait vocation à s’interposer. En somme, à chacun le sien : l’appel provoqué se fait par voie d’assignation ; l’appel incident formé à l’encontre d’un co-intimé se fait par voie de conclusions. En cas de constitution du co-intimé contre lequel l’appel incident est dirigé, les conclusions doivent être adressées par RPVA dans le délai des articles 909 et 911 du CPC17 ; à défaut de constitution, les conclusions doivent être signifiées dans le délai indiqué aux mêmes articles. En tous les cas, le formalisme propre à l’assignation n’aura pas à être observé alors que celui propre aux écritures à hauteur d’appel devra l’être. Ceci précisé, venons-en à la question corollaire des délais.

13. La cour d’appel de Rennes a estimé que l’assignation en appel incident à l’égard du co-intimé non constitué devait intervenir dans les 2 mois suivant la notification des conclusions d’appel principal conformément à l’article 909 du CPC, sans pouvoir bénéficier de l’article 911 du même code. Cette solution se justifie si, comme la cour d’appel de Rennes, l’on retient que l’appel incident doit être formé par assignation : l’article 909 indique effectivement que l’intimé dispose de 2 mois à compter de la notification des conclusions d’appel principal pour former appel incident et l’article 911 ne concerne quant à lui que « les conclusions ». Or si l’assignation vaut conclusions18, il reste que la signification de l’assignation n’équivaut pas exactement à la notification de conclusions. C’est pourquoi la cour d’appel de Rennes a pu considérer dans sa logique propre que l’appelant incident devait observer le délai de l’article 909 du CPC sans pouvoir bénéficier de la prorogation de l’article 911 précité en cas de non-constitution de l’intimé. D’ailleurs, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 6 juin 2019, a justement estimé que, l’appel provoqué devant être formé par assignation, « l’intimé dispose d’un délai de 2 mois pour signifier une telle assignation en appel provoqué, sans que ce délai ne puisse être prorogé dans les conditions prévues par l’article 911 (…), régissant la signification de conclusions à une personne déjà attraite dans la procédure d’appel ». Mais puisque l’appel incident à l’égard d’un co-intimé non constitué est formé par voie de conclusions, l’article 911 du CPC a pleine vocation à s’appliquer dans ses prévisions relatives aux délais – ce d’autant que la partie contre laquelle est dirigé cet appel incident, régulièrement intimée quoique non constituée, est bien attraite dans la procédure d’appel19. C’est le second apport essentiel de l’arrêt du 9 janvier 2020.

14. Concrètement, l’appelant incident dispose donc, à compter de la notification des conclusions d’appel principal et si l’on prend les délais antérieurs au décret du 6 mai 2017, de 2 mois pour notifier par RPVA ses conclusions d’appel incident à l’intimé constitué (article 909 combiné à l’article 911 première phrase), ou de 3 mois pour les signifier à l’intimé non constitué (2 mois augmentés d’un mois par l’effet de l’article 911, seconde phrase) ; en revanche, dès lors que l’intimé constitue avocat, il est procédé par voie de notification RPVA à ce dernier (CPC, art. 911 in fine). En droit positif, il suffit d’augmenter ces délais d’un mois pour tenir compte du décret précité. Quant à l’appel provoqué, formé par voie d’assignation, s’il est désormais bien visé par l’article 909 in fine du CPC, ce qui implique l’observation d’un délai de 3 mois, il n’est cependant toujours pas concerné par l’article 911, les motifs de l’arrêt du 6 juin 2019 n’ayant rien perdu de leur pertinence à l’endroit de sa nouvelle version20.

En somme, l’arrêt du 9 janvier 2020 de la Cour de cassation a, du point de vue des délais, tiré les justes conclusions de son positionnement relatif à la forme de l’appel incident : puisque ce dernier se fait par simples conclusions, l’article 911 du CPC doit s’appliquer – en ce compris la prorogation dans l’hypothèse de non-constitution de l’intimé. Seule ombre au tableau : la Cour de cassation indique que ce bel édifice n’est pertinent que lorsque l’appel incident est dirigé contre une partie régulièrement intimée par l’appelant principal. Qu’en est-il à défaut ?

II – Forme et délai de l’appel « incident » à l’égard d’une partie irrégulièrement intimée par l’appelant principal

15. Le cas d’une partie irrégulièrement intimée par l’appelant principal peut correspondre à de nombreuses hypothèses : irrecevabilité de l’appel principal (par exemple pour cause de forclusion), nullité de la déclaration d’appel (par exemple pour vice de forme) ou encore caducité de la déclaration d’appel (par exemple pour tardiveté dans la notification de celle-ci ou des conclusions d’appel principal). D’autres hypothèses sont sans doute envisageables. Dans tous ces cas, le co-intimé aura été irrégulièrement intimé par l’appelant principal, ce qui devrait entraîner, si l’on lit bien l’arrêt du 9 janvier 2020 de la Cour de cassation, un nécessaire changement d’approche pour le co-intimé souhaitant néanmoins interjeter appel incident à son égard. Intuitivement, on a tendance à penser qu’il devrait alors emprunter la voie de l’appel provoqué car le co-intimé irrégulièrement intimé ne serait théoriquement plus partie à l’instance d’appel. Mais la réalité est plus complexe que cela. Tentons de retracer la chronologie-type que pourrait observer une telle procédure, à la façon d’un cas pratique.

16. A. interjette appel principal contre B. et C., tous deux parties à la première instance. Disons que par hypothèse, la déclaration d’appel est régulière au regard de l’article 901 du CPC (mentions de l’article 57 du même code – indication des pièces ? –, constitution d’avocat, indication de la décision attaquée et de la cour, chefs de jugement critiqués, signature par l’avocat constitué, copie de la décision). Disons encore, toujours par hypothèse, que la notification de la déclaration d’appel ne pose aucune difficulté au regard de l’article 902 du CPC. B. constitue avocat ; C. ne constitue pas avocat. Dans cette affaire, B. compte lui-même interjeter appel incident à l’égard de C. L’affaire suit le circuit classique dessiné aux articles 906 et suivants du CPC. À l’égard de B., A. procède parfaitement : les conclusions d’appel principal sont remises au greffe dans le délai de 3 mois de l’article 908 du même code et notifiées par RPVA à l’avocat de B. dans ce même délai conformément à l’article 911. À l’égard de C., A. procède imparfaitement : les conclusions sont signifiées hors délai au regard de l’article 911, c’est-à-dire au-delà du délai de 4 mois (3 mois augmentés d’un mois).

La sanction tombe, relevée d’office par ordonnance du CME en application des articles 911, 908 et 914 du CPC : caducité de la déclaration d’appel (avec les conséquences inscrites à l’article 911-1, alinéa 3, du même code). Caducité totale, c’est-à-dire de l’appel tout entier, ou partielle, c’est-à-dire du seul appel dirigé contre C. ? Le critère est celui de l’indivisibilité du litige, selon un avis de la Cour de cassation de 201221 confirmé en 201722. Si l’appel dirigé contre l’un est indivisible de celui dirigé contre l’autre, la caducité est totale ; à l’inverse, si les deux appels sont juridiquement distinguables, seule la caducité partielle sera prononcée – et l’on approuvera en opportunité une telle modération qui ne se déduit pas nécessairement des textes. Partant, deux hypothèses méritent d’être envisagées : soit le litige est divisible (caducité partielle) ; soit il est indivisible (caducité totale).

17. Si la caducité n’est que partielle, l’instance d’appel n’est pas éteinte ; le lien d’instance entre A. et B. est encore vivace ; en revanche, c est désormais hors de la cause. Pour B. qui souhaite interjeter appel incident à son égard, il est probable qu’il faille alors effectivement emprunter la voie de l’appel provoqué (assignation dans les 3 mois de l’article 909), pour l’attraire de nouveau dans la cause – sans que l’article 550 du CPC n’y fasse obstacle. Si la caducité est totale, c’est une autre affaire et l’appel « incident » de B. dirigé contre C. devient un véritable parcours du combattant.

18. Premier obstacle, de taille : l’article 550 précité. Il se lit ainsi en son premier alinéa : « Sous réserve des articles 905-2, 909 et 910, l’appel incident ou l’appel provoqué peut être formé, en tout état de cause, alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois par reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable ou s’il est caduc ». B., qui aurait formé appel incident par voie de conclusions postérieurement à la notification des conclusions d’appel principal, manquerait alors son but : son appel incident, vraisemblablement formé postérieurement à l’expiration du délai pour former appel principal, tombera avec ce dernier. D’ailleurs, quand bien même l’appel incident aurait été formé dans le délai pour agir à titre principal, l’appel incident ne pourrait être reçu en cas de caducité de l’appel principal qui entraîne l’extinction de l’instance d’appel23. Et contrairement à ce que l’intuition dicte, B. ne pourrait pas plus former appel incident à l’égard de C. en respectant le régime de l’appel provoqué, car il s’exposerait tout autant à l’irrecevabilité fulminée par l’article 550 du CPC. Comment doit alors procéder B. pour former appel à l’égard de C., les voies de l’appel incident ou provoqué étant fermées ? L’on a tendance à penser que B. devrait alors former appel principal à l’égard de C. ; mais il sera sans doute forclos.

Pour ne rien arranger, voici le second obstacle : l’article 911-1, alinéa 4, du CPC selon lequel « n’est plus recevable à former appel principal l’intimé auquel ont été régulièrement notifiées les conclusions de l’appelant et qui n’a pas formé un appel incident ou provoqué contre le jugement attaqué dans les délais impartis aux articles 905-2 et 909 ou dont l’appel incident ou provoqué a été déclaré irrecevable ». Autrement dit, si l’on suit bien le raisonnement, si B. a manqué de former (même inutilement) appel incident à l’égard de C. après la notification des conclusions d’appel principal mais avant que ne soit prononcée la caducité de l’appel principal, qui entraîne l’extinction de l’instance d’appel et en tous les cas dans le délai de 3 mois de l’article 909 du CPC (la fenêtre de tir devient une étroite meurtrière), il ne pourra définitivement plus former appel principal. Aussi, pour se prémunir, l’on serait tenté de recommander aux parties à une instance triangulaire de former en tous les cas appel principal, quitte à ce que les instances d’appel soient ultérieurement jointes24, quoique la Cour de cassation semble avoir condamné cette manière de procéder pour l’appel provoqué par un arrêt du 27 septembre 201825.

19. En définitive, comment combler l’angle mort laissé par le présent arrêt du 9 janvier 2020 ? Comment traiter le cas de l’appel incident formé à l’encontre d’un co-intimé irrégulièrement intimé par l’appelant principal ? C’est un véritable casse-tête, fonction des circonstances, ce qui explique que la Cour de cassation n’ait pas tenté d’obiter dictum sur ce point. En tout cas, il y a fort à parier que dans nombre d’hypothèses (nullité de la déclaration d’appel, irrecevabilité de l’appel ou caducité totale), il faille proprement procéder par la voie de l’appel principal sur l’incitation de l’article 550 du CPC et en tenant compte de l’article 911-1, alinéa 4, du même code. Dans les hypothèses résiduelles de caducité partielle, la voie de l’appel provoqué pourra en revanche être pratiquée. Voici, quoi qu’il en soit, une fois encore, la démonstration, s’il en était seulement besoin, de l’éminente et excessive complexité de la procédure d’appel, jalonnée de chausse-trappes, nids à responsabilité des praticiens ; complexité que l’on regrettera d’autant qu’elle ne se justifie pas par la recherche d’une bonne justice mais simplement par des impératifs gestionnaires.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Toutes les dispositions de la présente note, à l’exception d’une seule, sont issues du CPC ; aussi, par simple souci d’économie, il ne sera pas systématiquement indiqué « du CPC ».
  • 2.
    Cass. 2e civ., 6 juin 2019, n° 18-14901 : Dalloz actualité, 3 juill. 2019, obs. Laffly R. ; rappr. Cass. 2e civ., 9 janv. 2014, n° 12-27043.
  • 3.
    Solution rendue sur le fondement des articles 55, 68 et 551 du CPC.
  • 4.
    CA Rennes, 1er juin 2018, n° 17/01091.
  • 5.
    Donc régulièrement, puisque dans le délai prévu par l’article 908 du CPC (3 mois à compter de la déclaration d’appel).
  • 6.
    On pourra s’étonner du délai observé au regard de l’article 902 du CPC ; mais le conseiller de la mise en état, la formation collégiale de la cour d’appel et la Cour de cassation n’y ont rien trouvé à redire ; c’est donc que, d’une façon ou d’une autre, pareille communication de la déclaration d’appel était sans doute régulière.
  • 7.
    Ainsi rédigé à l’époque : « Sous les sanctions prévues aux articles 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées dans le mois suivant l’expiration de ce délai aux parties qui n’ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat ».
  • 8.
    Soit au cas d’espèce avant le 12 août 2017.
  • 9.
    Dans les 4 mois, si l’on prend les textes dans leur version en vigueur aujourd’hui (3 mois augmentés d’1 mois en présence d’un co-intimé non constitué).
  • 10.
    Étant évidemment précisé ici que la consultation de son arrêt du 1er juin 2018 ne permet pas particulièrement de retracer le détail de ce raisonnement.
  • 11.
    Cass. com., 4 janv. 1984, n° 82-12056 : Gaz. Pal. 1986, I, 118, note Du Rusquec E.
  • 12.
    Voici l’attendu à lire a contrario : « la cour d’appel a retenu à bon droit que l’intervention volontaire de la société (…), qui constituait une demande incidente formée à l’encontre de parties non défaillantes, était recevable pour avoir été présentée par voie de conclusions ».
  • 13.
    On consultera avec intérêt sur la notion de « partie défaillante » en appel : Cass. soc., 22 avr. 1992, n° 90-44567 ; v. égal. Cass. 2e civ., 13 mars 1996, n° 94-14278 : D. 1996, p. 357, obs. Julien P.
  • 14.
    V. s’agissant de la procédure devant l’ancien TGI : Cayrol N., « Procédure devant le tribunal de grande instance », Rép. pr. civ. Dalloz, 2015, n° 75 (« pour le défendeur, constituer avocat, ce n’est pas seulement déférer à la règle de la représentation obligatoire. Devant le tribunal de grande instance, constituer avocat revient juridiquement à comparaître »).
  • 15.
    Ce point aurait mérité d’être affermi d’ailleurs : la voie de l’assignation était-elle concurremment ouverte ? Au regard de la lettre de l’arrêt (c’est ce fameux « seulement »), on ne le pense pas ; mais cela mériterait d’être clairement réglé, car certains praticiens soucieux, naviguant entre appel incident et appel provoqué, hésitant entre leur régime respectif, pourraient être tentés de « jouer la sécurité » et de procéder par assignation.
  • 16.
    Et c’est sans doute à cette lettre que la cour d’appel de Rennes s’est arrêtée. L’article 911 se lit ainsi pour mémoire dans sa version applicable : « Sous les sanctions prévues aux articles 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées dans le mois suivant l’expiration de ce délai aux parties qui n’ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat ».
  • 17.
    Ou « formellement défaillante ».
  • 18.
    V. infra n° 13 en détails sur les délais.
  • 19.
    CPC, art. 56.
  • 20.
    Les deux explications sont d’évidence liées, v. Supra n° 12.
  • 21.
    On pourra fortement regretter en opportunité que le bénéfice de l’article 911 n’ait pas été étendu par le décret de 2017 (ou la jurisprudence) au cas de l’appel provoqué.
  • 22.
    V. la critique convaincante de ce système du « deux poids, deux mesures » in Dalloz actualité, 3 juill. 2019, obs. Laffly R.
  • 23.
    Cass., avis, 2 avr. 2012, n° 12-00003.
  • 24.
    Cass. 2e civ., 11 mai 2017, n° 16-14868 : Dalloz actualité, 6 juin 2017, obs. Laffly R. ; comp. en matière de procédures collectives : Cass. com., 13 déc. 2017, n° 16-17975 : Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. Laffly R.
  • 25.
    Cass. 2e civ., 13 mai 2015, n° 14-13801 ; Cass. 2e civ., 7 avr. 2016, n° 15-12770.
  • 26.
    V. la préconisation similaire in Gallet J.-L. et De Leiris É., La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., 2018, LexisNexis, p. 200, n° 309. Au reste, et pour tenir spécifiquement compte de « l’obligation faite à l’intimé de présenter l’ensemble de ses prétentions au fond dès les conclusions mentionnées à l’article 909 [CPC, art. 910-4]  », « un appel incident qui serait formé par une déclaration au greffe devrait, à peine d’irrecevabilité, être formé et doublé de conclusions remises et notifiées dans le délai de l’article 909 à compter de la notification des conclusions de l’appelant et indiquant les chefs du jugement critiqués » (idem). Mieux vaut effectivement « doubler » l’appel incident formé dans les conditions d’un appel principal de conclusions en appel incident (voire d’une assignation en appel provoqué selon le cas).
  • 27.
    Cass. 2e civ., 27 sept. 2018, n° 17-13835 : Dalloz actualité, 24 oct. 2018, obs Laffly R.
  • 28.
    Pour parer à cette jurisprudence, il conviendra de « doubler » l’appel principal d’un appel provoqué en bonne forme dans l’instance en cours.
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