La convergence jurisprudentielle n’est pas une fin en soi : la Cour de cassation refuse de transposer la jurisprudence Czabaj du Conseil d’État
Depuis le revirement de jurisprudence opéré le 13 juillet 2016 (arrêt Czabaj), le Conseil d’État juge que si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le Code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours au-delà du délai raisonnable d’un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. Cette solution a été étendue au recours en contestation contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales. Or, dans les deux arrêts du 8 mars 2024 commentés, la Cour de cassation refuse de transposer cette solution devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Cette divergence jurisprudentielle se justifie par la spécificité des règles et principes applicables au procès civil, notamment le mécanisme de la prescription extinctive qui offre une garantie suffisante de sécurité juridique en empêchant que des décisions soient perpétuellement contestables. Les arrêts commentés rappellent que, si la convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction doit être recherchée, elle n’est cependant pas une fin en soi. Cela amène à s’interroger sur le dialogue des juges et les exigences du procès équitable.
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, no 21-12560
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, no 21-21230
Une même justice, mais plusieurs vitesses. Pour une très grande majorité des Français, la justice fonctionne mal et ne parvient pas à satisfaire leurs attentes légitimes1. Et, parmi les défaillances les plus décriées du service public de la justice, la durée excessive des procédures occupe une place prépondérante2. En effet, depuis que la justice existe, on lui reproche d’être lente, au civil comme au pénal, devant le juge administratif comme devant le juge judiciaire. Paradoxalement, la justice est aussi lente qu’elle est de plus en plus sollicitée par les citoyens3. Et parfois, cette lenteur est imputable aux parties au procès, surtout lorsqu’elles multiplient des manœuvres dilatoires afin de retarder le début ou l’issue du procès. Ainsi, pour tenter d’apprivoiser le temps qui passe, qui s’en va et ne revient plus, le droit établit des mécanismes de sa gestion, en instituant notamment divers délais d’action ou de procédure. En matière de voie de recours, les délais ne commencent à courir en principe qu’à compter du jour où l’intéressé a eu connaissance de la décision administrative ou de la décision de justice. D’où l’importance de la mention des voies et délais de recours dans l’acte de notification, car il s’agit de « l’un des points névralgiques où s’équilibrent le principe de légalité et la stabilité des situations juridiques »4. Le contentieux des titres exécutoires émis par les collectivités locales, qui nous intéressera particulièrement, en fournit une parfaite illustration.
À ce propos et avant même d’en venir aux faits de l’espèce, il convient de faire deux précisions liminaires. La première est qu’en application de l’article L. 1617-5, 2°, du Code général des collectivités territoriales5, « l’action dont dispose le débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d’un acte de poursuite ». Mais que se passe-t-il lorsque la notification du titre exécutoire ne mentionne pas le délai de recours ? Cette question amène à la seconde précision, encore plus importante. En effet, le contentieux des titres exécutoires émis par les collectivités locales relève de la compétence partagée des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Pour des raisons qu’on évoquera plus tard, le Conseil d’État a décidé6 qu’en cas de notification irrégulière d’un titre exécutoire, notamment pour défaut d’indication des délais de recours, le délai de contestation de deux mois est inopposable au contribuable en application de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative7. Toutefois, l’intéressé ne peut exercer l’action en contestation au-delà d’un délai raisonnable d’un an que le Conseil d’État a édicté depuis l’arrêt du 13 juillet 2016 dit arrêt Czabaj8. Nous y reviendrons. Or, dans les deux affaires qui nous concernent, l’action en contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales était plutôt portée devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Les faits étaient similaires, dans la mesure où ils concernent la notification irrégulière d’un titre exécutoire, mais les juridictions du fond ont rendu des solutions divergentes.
Faits similaires, solutions divergentes des juridictions du fond. Dans la première affaire9, une commune a notifié à une société des titres exécutoires pour le paiement de la taxe locale sur la publicité extérieure (la TLPE), instituée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008. Or, ces titres ne précisaient pas la juridiction devant laquelle le recours pour les contester devait être formé. Près de deux ans plus tard, la société a assigné la commune devant un tribunal en annulation des titres exécutoires et en remboursement des sommes versées10. Sa demande est déclarée irrecevable pour tardiveté, comme ayant été introduite plus d’un an après que les titres exécutoires ont été portés à sa connaissance. La solution est confirmée en appel par la cour d’appel de Metz (1er déc. 2020) et la société se pourvoit en cassation. Dans la seconde affaire11, une société était titulaire d’un abonnement au service d’eau potable de la Communauté de l’agglomération havraise (la CODAH). La communauté a adressé une facture estimative à la société et cette dernière a résilié son abonnement quelques jours plus tard. Cette situation a donné lieu à l’établissement d’une facture de clôture de compte en mai 2012. Or, quatre ans plus tard, la trésorerie municipale a notifié à la société une opposition à tiers détenteur en exécution du titre de recettes émis en 2012. La société a alors assigné la communauté en annulation des titres et en décharge du règlement des sommes y afférentes. En soutien à la recevabilité de sa demande, la société invoque, entre autres, la notification irrégulière des titres. Le tribunal a déclaré irrecevable la demande au motif qu’elle est tardive. La décision est infirmée à hauteur d’appel par la cour d’appel de Rouen (17 juin 2021).
Comme on peut le constater, ces deux affaires portent sur la contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales. Plus spécifiquement, elles mettent en relief l’incidence de la notification (ir)régulière des titres exécutoires sur l’opposabilité du délai de contestation prévu par l’article 1617-5, 2°, du Code général des collectivités territoriales. À ce propos, force est de constater que les juridictions judiciaires du fond, depuis la jurisprudence Czabaj suscitée, adoptent des solutions divergentes. Ainsi, dans la première affaire12, la cour d’appel de Metz fait application de la jurisprudence Czabaj qui institue le délai raisonnable de recours d’un an, en l’absence de notification régulière. Elle retient alors que le recours formé par la société était tardif. Il convient de préciser que cette solution n’est pas inédite, car plusieurs autres cours d’appel ont statué dans le même sens13. La cour d’appel a donc suivi la voie tracée par le Conseil d’État qui, quelques années auparavant, avait étendu la jurisprudence Czabaj au recours contentieux contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales14.
En revanche, dans la seconde affaire, la cour d’appel de Rouen (17 juin 2021) admet la solution inverse, en infirmant le jugement prononçant l’irrecevabilité des demandes qui n’avaient pas été formées dans le délai prétorien édicté par le Conseil d’État. En statuant de la sorte, la cour d’appel a fait une stricte application des dispositions de l’article 680 du Code de procédure civile. Plusieurs cours d’appel ont également adopté globalement la même solution. Ces cours admettent tout d’abord l’existence d’un délai raisonnable pour saisir le juge judiciaire, sans toutefois indiquer quel serait le délai de référence. Elles considèrent par la suite que les demandes n’avaient pas été introduites au-delà d’un délai raisonnable, quand bien même, pour certaines de ces actions, elles l’avaient été plus d’un an après la date de la connaissance des titres exécutoires par le redevable15. En clair, les juridictions du fond sont divisées sur la question de l’applicabilité devant le juge judiciaire du délai raisonnable de recours d’un an instauré par l’arrêt Czabaj lorsque l’acte de notification d’un titre exécutoire émis par une collectivité locale n’indique pas les voies et délais de recours16. Dans ce contexte, il fallait bien que la Cour de cassation puisse apporter les clarifications nécessaires en se prononçant sur la transposabilité ou non, devant l’ordre judiciaire, de la solution dégagée par la Conseil d’État. Cela remet à l’ordre de la réflexion la question de la convergence jurisprudentielle dans les domaines à compétence partagée.
L’éclairage bienvenu de la Cour de cassation. Qu’il s’agisse d’un acte administratif individuel faisant grief ou d’une décision de justice, l’absence, l’incomplétude ou l’inexactitude des mentions relatives aux voies et délais de recours est normalement sanctionnée par l’inopposabilité du délai de recours prévu par la loi. Cette règle vaut également pour le délai de recours de deux mois prévu par l’article L. 1617-5, 2°, du Code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017, en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales. Toutefois, devant les juridictions administratives et en l’absence de notification régulière du titre exécutoire, l’intéressé doit introduire sa demande dans le délai raisonnable d’un an édicté par le Conseil d’État depuis l’arrêt Czabaj. Toute la question est donc de savoir si ce délai raisonnable est transposable devant les juridictions judiciaires. En d’autres termes, en l’absence de notification régulière des voies et délais de recours dans l’acte de notification d’un titre exécutoire émis par une collectivité locale, le contribuable doit-il engager l’action en contestation dans le délai raisonnable d’un an, tel qu’édicté par le Conseil d’État, à compter de la notification du titre ou de la date à laquelle le contribuable en a eu connaissance ? La question est sérieuse eu égard à son enjeu.
En effet, en cas de réponse affirmative, nombreux sont ceux qui se seraient sans doute réjouis de constater que les juges du Quai de l’Horloge et leurs homologues du Palais-Royal vibrent au même diapason. Une convergence jurisprudentielle sur une question relevant d’un domaine de compétence partagée entre les deux ordres de juridiction aurait été perçue comme un beau moment de justice puisque, en matière de contestation d’un titre exécutoire émis par une collectivité territoriale, le contribuable se verrait appliquer les mêmes règles, quelle que soit la juridiction saisie. Toutefois et plus fondamentalement, une transposition de la solution dégagée par l’arrêt Czabaj équivaudrait à renonciation de la Cour de cassation à sa propre jurisprudence antérieure. Nous y reviendrons17. En cas de réponse négative, des questions ne manqueraient pas de se poser, notamment sur les motivations de la divergence jurisprudentielle née ainsi que ses éventuelles répercussions sur les exigences du procès équitable. La question était donc de la plus grande importance. C’est ce qui explique notamment le fait que la Cour de cassation ait statué en assemblée plénière et que l’audience a été filmée18. La formation solennelle de la Cour présageait alors de la portée des arrêts à intervenir ainsi que de la large diffusion dont ils feraient l’objet19.
Ainsi, à la question de savoir si le délai raisonnable édicté par le Conseil d’État depuis l’arrêt Czabaj est transposable devant les juridictions judiciaires en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales, en l’absence de notification régulière, la Cour de cassation répond par la négative. De ce fait, elle casse l’arrêt contesté dans la première affaire20 et rejette le pourvoi dans la seconde21. Par une motivation très enrichie et dans un premier temps, la haute juridiction indique très clairement les raisons qui empêchent une convergence jurisprudentielle sur ce point et qui l’amènent par conséquent à refuser de transposer devant les juridictions judiciaires la jurisprudence du Conseil d’État (I). Ces raisons sont pleinement justifiées et tiennent pour l’essentiel à la différence des règles procédurales applicables devant les deux ordres de juridiction ainsi que la différence d’approche face au risque d’insécurité juridique que causeraient les recours perpétuels en cas de notification irrégulière d’un acte ou d’une décision de justice. Dès lors et dans un second temps, la Cour de cassation maintient sa jurisprudence antérieure en la matière (II), réaffirmant ainsi le principe de l’autonomie des règles de la procédure civile. Toutefois, de nombreuses interrogations subsistent quant à la portée de l’arrêt.
I – Le refus de transposition justifié de la jurisprudence du Conseil d’État
Czabaj ? Non, merci ! La Cour de cassation reconnaît et assume la divergence de jurisprudence qui est née entre elle et le Conseil d’État au sujet du délai d’action en contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales. Ainsi, il résulte des arrêts commentés que les juridictions de l’ordre judiciaire sont libres d’apprécier l’opportunité de la transposition d’une solution retenue dans l’ordre administratif. Le refus de la Cour de cassation de rallier la voie tracée par le Conseil d’État en 2016 est pleinement justifié et découle notamment de la différence des règles procédurales applicables devant les deux ordres de juridiction (A). À n’en pas douter, les litiges que connaissent ces deux ordres de juridiction présentent parfois des spécificités si irréductibles qu’il paraît impossible de soumettre leur résolution judiciaire aux mêmes règles procédurales. Cette solution se justifie également par la différence d’approche entre les deux ordres de juridiction relativement au risque d’insécurité qu’occasionnerait un recours perpétuel contre les actes des collectivités locales (B).
A – La différence de règles applicables devant les deux ordres de juridiction
Aux origines de l’arrêt Czabaj. Pour justifier l’éviction de la transposition de la jurisprudence Czabaj devant l’ordre judiciaire, la Cour de cassation a rappelé le contexte légal et jurisprudentiel de son apparition. En effet, il ressort de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret n° 83-1025 du 23 novembre 1983, que « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ». Comme on peut le constater, ce texte prescrit des mentions obligatoires que doit contenir la décision administrative pour faire courir les délais de recours. À défaut de telles mentions dans l’acte de notification, le recours pouvait être exercé ad vitam aeternam, car le délai n’était pas opposable à l’intéressé. Par plusieurs arrêts, le Conseil d’État a appliqué scrupuleusement ces dispositions en admettant les recours perpétuels contre les actes administratifs22. Dans la pratique, l’application rigoureuse de la loi fragilisait l’administration, du fait de la permanente remise en cause des situations juridiques figées par ses décisions. Très concrètement, un acte administratif individuel pouvait être annulé 10, 20, voire 30 ans après que son destinataire en avait eu connaissance.
C’est ainsi qu’en 201623 le Conseil d’État a cru bon de limiter la portée de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, dans les hypothèses où le point de départ n’est pas opérant faute de mentions obligatoires dans l’acte. Pour empêcher le recours perpétuel contre les actes administratifs individuels, il a instauré un « délai de secours »24. En l’espèce, l’arrêté relatif à la pension retraite d’un ancien brigadier de police lui avait été notifié le 26 septembre 1991. Cette notification se limitait à préciser le délai de recours sans mentionner la juridiction compétente comme l’exige la loi25. Elle n’avait donc pas fait courir le délai. Vingt-deux ans plus tard, le concerné a saisi le tribunal administratif de Lille aux fins d’annulation de cet arrêté. Le juge a rejeté le recours comme tardif. Le Conseil d’État a écarté ce motif et lui a substitué le principe général du droit à la sécurité juridique. La motivation de sa décision, bien que longue, mérite d’être reproduite in extenso : « Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le Code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ». Ce revirement de jurisprudence bouleverse considérablement le droit du contentieux administratif et son influence ne cesse de croître au fil des années.
Le fabuleux destin de la jurisprudence Czabaj. La jurisprudence Czabaj connaît un fabuleux destin en droit administratif, car le Conseil d’État a élargi son application à plusieurs domaines. Il a par exemple été décidé que le délai raisonnable au-delà duquel il est impossible d’exercer un recours juridictionnel est opposable en matière de contestation des décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles, lorsque la contestation émane des destinataires de ces décisions à l’égard desquels une notification est requise26. La jurisprudence Czabaj s’applique également au rejet implicite d’un recours gracieux27 ainsi que la contestation contre une décision de préemption sans notification régulière28. Plus spécifiquement, le Conseil d’État a jugé que l’obligation d’exercer un recours dans un délai raisonnable s’applique à la contestation, devant les juridictions administratives, des titres exécutoires émis par les collectivités locales29. Comme on peut le constater, le terrain de prédilection de la jurisprudence Czabaj c’est le recours contentieux contre les actes administratifs individuels qui font grief et seuls quelques recours échappent encore au délai de recours raisonnable prétorien d’un an30.
Il convient cependant de préciser que la règle du recours dans un délai raisonnable posée par la jurisprudence Czabaj ne s’applique pas au recours contre les décisions des juridictions administratives. Selon l’article R. 811-2 du Code de justice administrative, le délai d’appel contre un jugement du tribunal administratif est de deux mois. Ce délai court à compter de la notification de la décision qui doit comporter un certain nombre de mentions prévues aux articles R. 751-1 et suivants du même texte (conditions de forme, nature du recours, modalités de représentation). L’article R. 811-2 du Code de justice administrative ne fait pas de l’indication du délai de recours une mention obligatoire de l’acte de notification31. Toutefois, le Conseil d’État juge que la notification comportant des mentions irrégulières ou erronées ne fait pas courir le délai d’appel32, pas plus que l’erreur portant sur la mention des délais et voies de recours33. En clair, lorsqu’une décision de justice indique des voies et délais de recours erronés, le délai de recours n’est pas opposable. L’on applique par conséquent la règle de la perpétuité du recours34.
Une solution semblable existe dans l’ordre judiciaire, en matière de recours contre les décisions juridictionnelles. En effet, il ressort de l’article 680 du Code de procédure civile qui précise les modalités de recours : « L’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ». Il convient de noter que la notification d’un jugement emporte plusieurs effets35 et l’exigence des mentions est prescrite sous peine de nullité36. Face à la difficulté de prononcer la nullité de l’acte de notification37, la Cour de cassation a envisagé une sanction alternative, à savoir la privation d’effet de l’acte irrégulier, qu’il y ait grief ou non38. En d’autres termes, l’acte irrégulier ne fait pas courir le délai de recours39. Ainsi, « du fait de la jurisprudence, il n’y a (…) pas lieu à nullité de l’acte, celui-ci ne perdant qu’une partie de son efficacité »40. Au regard de ce qui précède, force est de constater que la jurisprudence Czabaj est au minimum une jurisprudence praeter legem41, car elle ne découle d’aucun texte. Le délai de recours raisonnable d’un an que prévoit cette jurisprudence, dont l’application est presque généralisée en matière de recours contre les actes administratifs unilatéraux, ne repose sur aucun texte de loi, ne s’applique pas en matière de recours contre les décisions juridictionnelles42. Il s’ensuit, et c’est très important, que la jurisprudence Czabaj n’a pas vocation à s’appliquer en toutes circonstances devant le juge administratif. À plus forte raison ne peut-elle s’appliquer devant les juridictions de l’ordre judiciaire qui sont soumis à des impératifs et à des règles différents43.
La particularité des règles applicables devant les juridictions judiciaires. Comme indiqué plus haut, les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour trancher certains litiges impliquant des personnes morales de droit public. Ainsi, l’article L. 1617-5, 2°, du Code général des collectivités territoriales dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017, applicable dans les affaires qui nous intéressent, attribue à la juridiction judiciaire la compétence pour connaître de la contestation d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local et fixe à deux mois le délai pour agir devant elle. Ce délai court à compter de la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d’un acte de poursuite. Dès lors, la question se pose de savoir si ce délai court dans les conditions prévues par l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, telles qu’aménagées par la jurisprudence Czabaj du Conseil d’État ou dans celles de l’article 680 et de l’application qu’en fait la Cour de cassation. À ce propos, dans les deux arrêts commentés, la Cour de cassation rappelle qu’elle juge que « le délai de deux mois ouvert par l’article L. 1617-5, 2°, du Code général des collectivités territoriales au débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé du titre exécutoire constatant ladite créance n’est opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné, ainsi que la voie de recours, dans la notification de ce titre exécutoire »44. En conséquence, ajoute la haute juridiction, « en l’absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur peut saisir la juridiction judiciaire pour contester le titre exécutoire, sans être tenu par le délai de deux mois prévu à l’article L. 1617-5, 2°, du Code général des collectivités territoriales ». En clair, le délai d’action en contestation contre les titres exécutoires émis par les collectivités territoriales n’est opposable que dans les conditions définies par l’article 680 du Code de procédure civile.
Cette solution peut surprendre au premier abord, notamment au regard du champ d’application de l’article 680 du Code de procédure civile. En effet, dans un sens strict, ce texte s’applique uniquement à la « notification d’un jugement ». Or, en l’espèce, il ne s’agit pas d’un jugement et le recours visé n’est ni une opposition, un appel ou un pourvoi en cassation. Il s’agit plutôt des titres exécutoires émis par des collectivités locales qui peuvent être assimilés à des décisions administratives. Cette situation permet de constater que le Code de procédure civile ne prévoit pas spécifiquement les modalités de l’action en contestation, devant le juge judiciaire, contre les actes administratifs individuels faisant grief (en l’occurrence les titres exécutoires émis par les collectivités locales). Dès lors, on comprend pourquoi la Cour de cassation mentionne l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, en ce qu’il vise expressément le recours « contre une décision administrative ». Toutefois, il convient de noter que les exécutoires émis par les collectivités locales et plus globalement par les personnes morales de droit public jouissent d’un privilège particulier et ont une valeur comparable à celle d’un jugement. Ainsi, il ressort de l’article L. 111-3, 6°, du Code des procédures civiles d’exécution que constituent des titres exécutoires, au même titre que les décisions de justice, « les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement ». Les choses apparaissent alors plus claires car, en réalité, les titres exécutoires délivrés par les collectivités territoriales, en ce qu’ils peuvent faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée45, sont comparables – sans s’y confondre – à des décisions judiciaires. De ce point de vue, on peut justifier pleinement l’application de l’article 680 du Code de procédure civile aux affaires qui nous occupent. On peut donc regretter que le fait que la Cour de cassation n’ait pas procédé à la qualification de ces titres exécutoires contestés afin de justifier l’application de l’article 680 du Code de procédure civile46.
Cette qualification est importante, car elle aurait sans doute une incidence sur les dispositions applicables. Ainsi peut-on être surpris que les deux arrêts soient également rendus au visa de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, car l’article L. 1 du même texte dispose que le présent code s’applique au Conseil d’État, aux cours administratives d’appel et aux tribunaux administratifs. Aucune référence n’est faite aux juridictions de l’ordre judiciaire, de sorte qu’une application stricte et rigoureuse des textes de loi conduirait à l’éviction totale des dispositions du Code de justice administrative. D’ailleurs, certains anciens arrêts de la Cour de cassation, portant sur la même question, visaient exclusivement l’article 680 du Code de procédure civile47. En outre, l’article R. 421-5 du Code de justice administrative s’applique aux décisions administratives. Or, si l’on considère qu’un titre exécutoire émis par une personne morale de droit public produit les effets d’un jugement, le Conseil d’État aurait dû plutôt appliquer sa jurisprudence en matière de recours contre une décision juridictionnelle et adopter ainsi la même solution que la Cour de cassation. Il convient d’ailleurs à ce propos de noter, comme le font les arrêts commentés, que la jurisprudence du Conseil d’État était fixée dans le même sens que celle de la Cour de cassation48, avant le grand bouleversement qu’a opéré l’arrêt Czabaj. En définitive, la Cour de cassation rend les arrêts commentés au visa de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, mais aussi et surtout au visa de l’article 680 du Code de procédure civile. Elle décide alors de ne pas transposer la solution dégagée par l’arrêt Czabaj, au regard de la différence de règles applicables devant les deux ordres de juridiction. Mais la Cour de cassation ne s’arrête pas là, car les arrêts commentés mettent également en relief la différence d’approche existant entre les deux ordres de juridiction en ce qui concerne le risque d’insécurité qu’occasionnerait un recours perpétuel contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales.
B – La différence d’approche entre les deux ordres de juridiction
Des problèmes inhérents à l’ordre administratif. Pour bien comprendre la différence d’approche – et partant la différence des solutions adoptées par les juridictions suprêmes –, il convient d’évoquer, ainsi que l’a fait la Cour de cassation dans les arrêts commentés, les difficultés pratiques qui ont justifié l’apparition de la jurisprudence Czabaj. En effet, le délai raisonnable de recours institué par l’arrêt Czabaj est fondé sur le principe de sécurité juridique qui, selon les propos du rapporteur public, ne devrait pas uniquement protéger les particuliers : « Rien, dans la nature de ce principe ne permet de considérer que la sécurité juridique constituerait un privilège réservé aux particuliers dans leurs relations avec l’administration ». Sous ce prisme, la possibilité de contester indéfiniment une décision individuelle, que le destinataire n’a pu ignorer et dont il s’est accommodé pendant un important laps de temps, est une sanction tout à fait disproportionnée au regard de l’exigence de stabilité des situations juridiques qui fonde tous les systèmes de droit et toute organisation sociale. La justice qui poursuit un intérêt général ne peut donc, à ce point, céder devant l’intérêt d’un particulier. Il est alors clair que la jurisprudence Czabaj vise à protéger dans une certaine mesure l’administration, car l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, dont la stricte application engendrait des recours perpétuels, « fait peser, de fait, sur [celle-ci], une obligation de conserver la preuve de la notification régulière des actes individuels jusqu’au décès de leurs destinataires ». Partant de là, le Conseil d’État, en suivant les conclusions du rapporteur public, admet que la bonne administration de la justice s’oppose à ce qu’un acte administratif individuel puisse être contesté indéfiniment par son destinataire. Il a également estimé qu’il y avait lieu de faire une application immédiate de la règle jurisprudentielle nouvelle ainsi consacrée à l’ensemble des litiges, y compris aux litiges en cours, en considérant que celle-ci n’affectait pas la substance du droit au recours, mais seulement l’une de ses modalités d’exercice.
Au regard de la finalité poursuivie, la jurisprudence du Conseil d’État de 2016 n’est pas dépourvue de tout mérite et sa transposition devant les juridictions judiciaires aurait consacré une unité de la jurisprudence. Plus fondamentalement, une unification de la jurisprudence sur cette question aurait été un facteur de sécurité juridique, notamment en matière de titre exécutoire où la compétence est partagée entre les deux ordres. Dans le même sillage, la transposition assurerait également la sécurité juridique en ne permettant pas la remise en cause, fût-ce devant le juge judiciaire, des situations juridiques consolidées par l’effet du temps. L’introduction d’un délai raisonnable aurait aussi pour avantage d’éviter le problème du dépérissement de la preuve de la notification des voies et délais de recours, notamment lorsque le recours est exercé plusieurs années après la prise de l’acte. Cette solution pourrait également viser à éviter ce que certains ont qualifié « d’effet d’aubaine », en empêchant un redevable de contester des années plus tard une dette qu’il a réglée, en se prévalant de circonstances postérieures au paiement49.
Toutefois, comme l’indique la Cour de cassation dans les deux arrêts commentés, les motifs ayant justifié la création prétorienne d’un délai raisonnable, permettant « de prévenir les situations dans lesquelles, faute de notification régulière, une décision administrative pourrait être contestée indéfiniment, sont propres aux règles du contentieux administratif ». En effet, précise la juridiction suprême, « les juridictions judiciaires n’exercent pas de contrôle de légalité par la voie du recours pour excès de pouvoir ». Pour rappel, le recours en excès de pouvoir est le principal recours en annulation. Il est qualifié d’« objectif » dans la mesure où il s’agit d’un procès fait à un acte et non un procès entre parties. L’acte déclaré illégal est annulé rétroactivement. Or, en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales, le juge judiciaire ne contrôle pas la légalité de l’acte dans les mêmes conditions que le ferait le juge administratif. En effet, lorsque le juge judiciaire est amené à statuer sur la légalité d’un titre exécutoire, peu importe sa source, il l’est le plus souvent à titre incident, dans le cadre d’une action en recouvrement50. Dans cette situation, c’est la nature du délai applicable, à savoir le délai de prescription devant le juge judiciaire, qui permet d’éviter les recours perpétuels. En définitive, il faut retenir que lorsque le juge judiciaire est appelé à statuer, à titre dérogatoire et incident, sur la légalité d’un acte administratif, il doit faire application des règles issues du Code de procédure civile ainsi que des principes généraux de la procédure civile que nous évoquerons plus tard.
Différence sur la nature des solutions. Certains auteurs et commentateurs ont considéré que la jurisprudence instaurée par le Conseil d’État en 2016 apportait une réponse pragmatique au problème de la perpétuité de fait des recours, en mettant en relief le risque d’abus de droit lié à l’effet d’aubaine et la nécessité d’une bonne administration de la justice. Sur le premier point, le rapporteur public relevait que le délai instauré par l’arrêt Czabaj « ne doit être que le garde-fou qui prémunit la juridiction administrative d’éventuels abus du droit d’agir en justice mais en rien un régulateur de l’accès au prétoire »51. Or, devant les juridictions de l’ordre judiciaire, l’abus du droit d’ester en justice est sanctionné par d’autres règles que l’irrecevabilité de l’action tardive. Il s’agit notamment de la possibilité pour le juge de condamner la partie fautive à une amende ou à des dommages-intérêts. D’ailleurs, l’article 680, alinéa 2, du Code de procédure civile – applicable en l’espèce – apporte une solution à cette difficulté en précisant que l’acte de notification « indique, en outre, que l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie ».
Concernant l’effet d’aubaine, il y a lieu de se demander s’il existe réellement. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Czabaj de 2016, le requérant, pensionné depuis 1991, a exercé un recours contre l’arrêté de concession de sa pension en 2014, sans doute dans le but de bénéficier d’une règle nouvelle énoncée par la Cour de justice des communautés européennes et reprise par le Conseil d’État dans un arrêt du 29 juillet 200252. Il convient de noter que si ce revirement de jurisprudence n’avait pas un effet rétroactif, le pensionné n’aurait pas pu agir en justice. Mais comme l’a indiqué l’avocat général dans l’une des affaires commentées, « des solutions sont aujourd’hui mobilisables pour éviter les effets d’aubaine, qu’il n’est d’ailleurs pas toujours opportun de qualifier comme tels : lorsque l’assemblée plénière de la Cour de cassation améliore la situation indemnitaire de la victime d’un accident du travail bénéficiaire d’une rente, elle laisse la rétroactivité du revirement de jurisprudence produire ses effets, sans que ces derniers soient qualifiés “d’effet d’aubaine” »53.
Sur le second point, concernant la bonne administration de la justice, l’arrêt Czabaj avait pour but de refréner l’afflux massif de recours perpétuels dans le contentieux de la légalité devant les juridictions administratives. En effet, l’admission des recours perpétuels devait générer un contentieux impliquant « une bonne majorité des 2 millions de fonctionnaires retraités »54. À n’en pas douter, le nombre d’actes individuels susceptibles de recours avait pris des proportions démesurées, alors que la capacité de l’administration de rapporter la preuve de la notification de ses décisions ne s’était pas améliorée. Il en va de même concernant l’arrêt Amar55 transposant l’arrêt du 13 juillet 2016 en matière fiscale qui concernait près de 19 000 recours contentieux devant le juge administratif56. Certes, la Cour de cassation ne dit mot, dans les arrêts qui nous intéressent, de la bonne administration de la justice. Toutefois, comme l’a justement relevé l’avocat général57, en matière de contentieux des titres exécutoires émis par les collectivités locales, la « préoccupation d’une bonne administration de l’administration est étrangère à la juridiction judiciaire, qui ne connaît pas de contentieux de la légalité de masse par voie d’action ».
Divergence sur la nature des délais de recours. La question se pose de savoir quelle est la nature du délai de recours contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales. Il ressort de l’article L. 1617-5, du Code général des collectivités territoriales que « l’action dont dispose le débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois ». À la lecture de cette disposition, il s’agit d’un délai de prescription. Or, le délai raisonnable instauré par la jurisprudence Czabaj est un « objet juridique non identifié ». C’est ainsi qu’un auteur a pu noter qu’« il est dans la nature d’un délai de procédure, qui tombe (…) à la façon d’une guillotine (…) d’avoir un délai. Or, ce délai demeure ici indéterminé »58. Pour d’autres auteurs, il s’agit d’un délai de forclusion59, eu égard notamment « au caractère d’ordre public de cette règle du délai raisonnable »60. Pour d’autres auteurs encore, il s’agirait plutôt d’un délai de prescription61. Face à cette incertitude, la Cour de cassation préfère appliquer le délai de prescription légal, tel que prévu par l’article L. 1617-5, 2°, du Code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable aux faits. En effet, « la vocation de droit commun du délai de prescription extinctive »62 permet d’éviter, dans la plupart des situations, le risque que les décisions soient perpétuellement contestables. Dans la pratique, comme le soulignent les hauts magistrats, même en l’absence de délai de recours opposable, l’action en justice reste contrainte par la prescription applicable au droit qu’invoque le demandeur. Il en va également de la forclusion applicable aux voies de recours63, lorsque le jugement en cause n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé. Comme on peut le constater, la crainte qu’une situation juridique puisse indéfiniment être remise en cause est ainsi écartée.
Ainsi, selon la Cour de cassation, les « contestations d’un titre exécutoire, formées devant [les juridictions judiciaires], généralement à l’occasion de l’action en recouvrement, elles interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s’agissant des créances d’une collectivité territoriale ». Tel est également le cas, ajoutent les hauts magistrats, des actions tendant à la décharge d’une imposition et à la restitution de l’indu fondées sur la non-conformité de la règle de droit, dont il a été fait application à une règle supérieure, qui se prescrivent par deux ans, en application de l’article L190 du Livre des procédures fiscales. Il en va de même des actions tendant à la décharge d’une imposition et à la restitution de l’indu qui, lorsqu’elles sont fondées sur une déclaration de non-conformité à la Constitution du texte servant de fondement à l’imposition, sont ouvertes dans les conditions fixées par la décision du Conseil constitutionnel. Il en résulte, conclut la Cour de cassation, que « le risque de contestation d’actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique ». En somme, la Cour de cassation décide d’écarter l’application de la jurisprudence Czabaj de 2016 devant les juridictions judiciaires. Cette éviction est justifiée par la différence de règles applicables et la différence d’approche entre les deux ordres de juridiction. Refusant la transposition de l’arrêt Czabaj, la Cour de cassation choisit de maintenir sa jurisprudence en matière de délai de recours contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales.
II – Le maintien approuvé de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation
À bas Czabaj, vive le Code de procédure civile ! En refusant de s’aligner sur la jurisprudence du Conseil d’État en matière de recours contentieux contre les actes administratifs, la Cour de cassation (ré)affirme l’autonomie des règles du procès civil (A). Cette autonomie se traduit par l’application de l’article 680 du Code de procédure civile que la Cour de cassation érige en principe général. Ce principe général, comme le précisent les arrêts commentés, « s’applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours ». Il en résulte une différence de règles applicables selon la nature de la juridiction saisie, dans un domaine de partage de compétences entre les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif. Dès lors, il convient de s’interroger sur la portée du principe d’autonomie des règles du procès civil (B), notamment au regard principe d’égalité des citoyens devant la justice.
A – La réaffirmation du principe d’autonomie des règles du procès civil
Au nom des exigences du procès équitable. Dans les arrêts commentés, la Cour de cassation énonce clairement que les règles applicables au délai de recours devant les juridictions civiles contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales découlent du Code de procédure civile. À cet égard, « la règle issue de l’article 680 du Code de procédure civile constitue un principe général qui s’applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de [la décision ou de l’acte en cause] et celle des voies et délais de recours »64. Ainsi, comme indiqué plus haut, l’article 680 du Code de procédure civile ne s’applique plus uniquement à « l’acte de notification d’un jugement à une partie », mais également à la notification des actes de l’administration susceptibles d’être contestés devant les juridictions judiciaires. L’application générale de l’article 680 du Code de procédure civile explique le fait que la Cour de cassation en fait une application sévère, notamment lorsque les mentions de l’acte de notification sont insuffisantes. La principale conséquence de l’autonomie des règles du procès civil c’est que toutes les adaptations jurisprudentielles de l’article 680 du Code de procédure civile ont vocation à s’appliquer en matière de délai de recours contentieux contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales. À cet égard, la Cour de cassation a par exemple décidé que ne satisfait pas aux exigences de l’article 680 du Code de procédure civile l’acte de notification qui se borne à indiquer d’une part que la partie peut interjeter appel devant la cour d’appel territorialement désignée dans le délai de 15 jours à compter de la date de signification du jugement et d’autre part qu’elle doit charger un avocat d’effectuer les formalités nécessaires avant l’expiration de ce délai65. Cette solution est parfaitement transposable, mutatis mutandis, à l’acte de notification d’un titre exécutoire émis par une collectivité locale comportant des mentions insuffisantes. L’inopposabilité du délai de recours semble devoir être également retenue en cas de mentions erronées contenues dans une notification superfétatoire66.
Plus récemment encore67, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que les mentions prévues à l’article 680 du Code de procédure civile ne sont pas limitativement énumérées. Dans cette affaire, pour déclarer l’appel irrecevable, une cour d’appel avait retenu que « l’erreur dans l’identité des parties n’a pas pour effet de rendre irrégulière la notification (…), ces mentions ne figurant pas au nombre de celles prévues par l’article 680 du Code de procédure civile ». Pour casser l’arrêt contesté, la Cour de cassation a estimé que dans une telle situation, il fallait « nécessairement en déduire que le délai d’appel n’avait pas couru ». Cette jurisprudence pourrait également s’appliquer dans l’hypothèse où un titre exécutoire émis par une collectivité locale mentionne exactement l’identité du particulier, mais que l’acte de notification comporte des erreurs sur ce point. Il est particulièrement frappant de constater que la Cour de cassation fonde cette solution sur les dispositions de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, relatives aux exigences du procès équitable. Dès lors, se dévoile l’importance de l’article 680 du Code de procédure civile qui, en garantissant la protection du droit d’accès au juge, rappelle la place qu’occupe ou devrait occuper l’information du destinataire d’un acte administratif ou d’une décision de justice dans notre droit positif68.
Elle rappelle à cette occasion qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme que le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé69. Il en résulte, conclut la Cour, que « la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise certes à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible »70. Cependant, cela ne signifie pas que l’exigence de la mention du délai de recours prévu par l’article 680 du Code de procédure civile découle de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme juge que le droit à être informé par des mentions figurant sur tout acte attaquable, tant des délais que de la computation des délais et que des voies et juridictions de recours disponibles, ne peut être déduit des articles 6 et 13 de la Convention, même si cette obligation, prévue par certaines législations, apporte une garantie supplémentaire facilitant l’exercice des droits des justiciables71. Ainsi, en appliquant l’article 680 du Code de procédure civile, la Cour de cassation réaffirme non seulement l’autonomie des règles applicables au procès civil, mais se range également du côté de la protection des justiciables. Cette protection est – encore plus – nécessaire lorsque ces derniers sont en conflit avec l’État ou les collectivités locales. Mais faut-il de là considérer – comme l’a fait la Cour de cassation dans les arrêts commentés – que l’article 680 du Code de procédure civile est un principe général de la procédure civile ?
L’article 680 du Code de procédure civile : un principe général ? Dans les arrêts commentés, la Cour de cassation indique que « l’article 680 du Code de procédure civile constitue un principe général applicable devant les juridictions judiciaires ». S’agit-il d’une réalité ou d’une erreur de plume ? Autrement dit, la Cour de cassation entend-elle, en employant l’expression « principe général », mettre simplement l’emphase sur l’application générale de l’article 680 du Code de procédure civile ? La question mérite d’être posée, car elle revêt un intérêt épistémologique certain, en effet « l’expression “principe général”, telle qu’elle figure dans le langage du juge ou dans celui du législateur, ne désigne pas un élément particulier du droit positif »72. Or, il est également frappant de constater que certaines juridictions du fond font parfois référence aux « principes généraux de la procédure civile » pour justifier l’application de l’article 680 du Code de procédure civile. Ainsi, dans une affaire, la cour d’appel de Bourges73 précise d’abord que « le délai de recours (…) ne court qu’à compter de la notification, les principes généraux de la procédure civile exigeant que celle-ci soit régulière pour produire tous ses effets », avant même de citer les dispositions de l’article 680 du Code de procédure civile. Cet arrêt de la cour d’appel permet de constater que les juridictions du fond établissent une distinction entre les principes généraux et les règles découlant du Code de procédure civile, les premiers ayant une autorité transcendante, même lorsqu’ils ne sont pas prévus par un texte74.
Quant à la Cour de cassation et à notre connaissance, elle n’a jamais formellement érigé, par le passé, l’article 680 du Code de procédure civile en principe général de la procédure civile. Certes, dans certains arrêts, elle a suivi la démonstration des requérants selon laquelle « il résulte d’un principe général consacré tant par l’article 1er, dernier alinéa, du décret n° 65-29 modifié par les articles 680 et 693 du Code de procédure civile, que toute notification ne mentionnant pas ou mentionnant de manière erronée les délais et voies de recours dont peut faire l’objet la décision notifiée ne fait pas courir le délai d’exercice du recours »75. Mais elle ne reprend pas cette argumentation dans le corps de la décision.
Ainsi, la Cour de cassation va plus loin lorsqu’elle affirme dans les arrêts commentés que l’article 680 du Code de procédure civile constitue un principe général de la procédure civile. Il se pose alors la question de savoir si ce « principe général » se confond avec les « principes directeurs » du procès énoncés aux articles 1er et suivants du Code de procédure civile. En effet, certains auteurs, faute de distinguer ces deux expressions, semblent les tenir pour synonymes76. À supposer que l’article 680 du Code de procédure civile soit un principe directeur du procès, s’agirait-il d’un principe directeur autonome ? En effet, en se basant sur les dispositions du Code de procédure civile, la doctrine reconnaît un nombre limitatif de principes directeurs parmi lesquels ne figure pas le principe général de l’article 680 du Code de procédure civile évoqué par la Cour de cassation. On distingue généralement quatre grands principes directeurs77, à savoir le principe d’initiative, le principe dispositif, le principe de juridiction et le principe de la contradiction (ou plus globalement le principe des droits de la défense)78.
Faut-il dès lors admettre l’existence d’un cinquième principe directeur, à savoir le principe de la notification des jugements ? Nous ne le pensons pas, car il est possible de voir dans l’article 680 du Code de procédure civile une déclinaison du principe plus global des droits de la défense tel que théorisé par Henri Motulsky79. C’est ainsi qu’un auteur estime que « pour le législateur, le principe des droits de la défense implique l’obligation d’organiser un système rationnel de voies de recours »80. De ce point de vue, l’article 680 du Code de procédure civile contribue à l’information, qui est une condition de l’effectivité des droits de la défense. Assurément, « il n’est pas contesté que l’existence d’un recours contre une décision de première instance concourt aux droits de la défense, pour autant, ce droit ne saurait être effectif en l’absence d’information des parties sur la nature du recours ouvert et sur les délais pour l’exercer »81. On comprend alors pourquoi la Cour de cassation considère en l’espèce que « transposer la solution dégagée par le Conseil d’État pourrait conduire à étendre cette règle à tous les délais de recours, ce qui remettrait en cause l’application [du] principe général » découlant de l’article 680 du Code de procédure civile. Elle érige donc l’article 680 du Code de procédure civile en principe général auquel il n’est pas permis de déroger, pour barrer la voie à l’aménagement prétorien du délai de recours en cas de notification irrégulière. Plus important encore, la Cour de cassation voit dans l’application des dispositions du Code de procédure civile une garantie de l’équilibre des droits des parties. En effet, les règles du procès ne sauraient profiter à la partie qui, par maladresse ou mauvaise foi, dissimulerait les informations indispensables à l’exercice des droits de la défense. Tel serait par exemple le cas lorsque l’administration, fut-elle locale, n’indique pas au particulier les délais et voies de recours contre les actes qu’elle édicte. Il n’échappera pas à l’analyste que l’argumentation de la Cour de cassation sur l’équilibre des droits des parties est très brève, voire laconique. C’est qu’en réalité la Cour de cassation estime – même si elle ne veut pas le dire – que le délai prétorien de recours en cas de notification irrégulière d’un acte administratif individuel, tel qu’instauré par la jurisprudence Czabaj, ne garantit pas l’équilibre des droits des parties. La prudence de la Cour de cassation sur ce point force l’admiration, car l’un des outils indispensables aux dialogues des juges est la courtoisie. Mais cela ne l’empêche pas de marteler que « le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d’accéder au juge ». Il convient à présent de s’interroger sur la portée du principe d’autonomie des règles du procès civil en matière de recours contre les titres exécutoires émis par les collectivités territoriales.
B – La portée du principe d’autonomie des règles du procès civil
De l’exaltation de la différence ? Le principal enseignement des arrêts commentés est qu’il ne faut pas rechercher à tout prix et à tous les prix une convergence de la jurisprudence : « Si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu’il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres ». Tel est le cas en l’espèce et nous l’avons démontré plus haut. On serait tenté de voir dans la démarche de la Cour de cassation une certaine exaltation de la différence, à l’heure où des voix s’élèvent plutôt en faveur du dialogue des juges82. Ainsi, un auteur estime que les deux ordres de juridiction doivent « entretenir et renforcer la confiance qui existe déjà entre [eux] dans nombre de cas, mais qui est trop souvent intermittente ou distendue »83. Mais la confiance n’exige pas l’unanimité, pas plus que la divergence n’exclut la confiance. Et, à la lecture des arrêts qui nous intéressent, il n’apparaît pas que la Cour de cassation exalte ou exacerbe la différence. En effet, les arrêts du 8 mars 2024 mettent clairement en évidence les risques objectifs d’une transposition devant les juridictions de l’ordre judiciaire de la jurisprudence Czabaj du Conseil d’État. Ils insistent également sur les spécificités des contentieux que connaissent les deux ordres de juridiction, même s’ils ont une compétence partagée dans certaines matières. Nous avons relevé que les motifs qui peuvent justifier l’application de la jurisprudence Czabaj devant l’ordre administratif sont étrangers à l’ordre judiciaire. La convergence de la jurisprudence n’est donc pas une fin en soi. Elle doit certes être recherchée, mais pas dans l’absolu, car les aménagements procéduraux qui sont compréhensibles devant le juge naturel de la légalité des actes administratifs ne sont pas toujours tolérables devant le juge naturel des libertés84. Dans la matière qui nous occupe, à savoir le recours contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales, l’absence de convergence conduit à ce que, faute de notification régulière de l’acte et selon le juge compétent, le délai d’exercice de l’action peut être d’un an ou de quatre ans, à compter du jour où son destinataire en a eu connaissance.
Cependant, allant plus loin, on est en droit de se demander s’il n’existe pas, devant le juge judiciaire, des contentieux où la jurisprudence Czabaj du Conseil d’État pourrait trouver application. Notons que l’un des arguments évoqués par la Cour de cassation pour écarter une telle transposition est le fait que « les juridictions judiciaires n’exercent pas de contrôle de légalité par la voie du recours pour excès de pouvoir ». Mais est-ce toujours le cas ? À n’en pas douter, il y a des hypothèses, au demeurant non négligeables, dans lesquelles le juge civil doit se prononcer au principal sur la légalité de décisions administratives. Peut-on, dans ces cas, envisager l’application de la jurisprudence Czabaj du Conseil d’État ? Plus fondamentalement, la sécurité juridique, au sens de la consolidation des situations juridiques, ne pourrait-elle pas justifier l’application du délai raisonnable dans bien d’autres domaines impliquant un acte administratif et relevant de la compétence du juge judiciaire ? Certes, rien n’est sûr, mais tout n’est pas à exclure, dans la mesure où les arrêts commentés semblent se limiter au recours contentieux contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales. Cela signifie que la Cour de cassation pourrait être amenée à se prononcer sur la transposition ou non de la jurisprudence Czabaj dans ces autres domaines. Il s’agit notamment du contentieux des sanctions prononcées par certaines autorités de régulation85 ou encore du contentieux des titres exécutoires, qu’ils soient délivrés en matière fiscale ou assimilée. L’on peut également ajouter la contestation des décisions prises par un établissement public comme l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) lorsqu’ils relèvent de la compétence du juge judiciaire86. Il en va de même des décisions du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante87, des décisions du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle délivrant ou refusant un titre de propriété industrielle88, des refus d’enregistrement des déclarations de nationalité89 ou encore du refus de délivrance d’un certificat de nationalité française90. La liste peut être rallongée91. Mais, comme on peut le constater, ces matières ne relèvent pas toutes des domaines de compétence partagés entre les deux ordres de juridiction. Dès lors, on est tenté de dire que si la jurisprudence Czabaj a été écartée dans les domaines de compétence partagée, telle qu’en matière de contentieux des titres exécutoires, elle le sera à plus forte raison dans les domaines de compétence exclusive des juridictions judiciaires. En tout état de cause, la tendance tracée par les arrêts commentés ainsi que leur solennité autorisent un certain pessimisme quant à la transposition de la jurisprudence Czabaj dans ces domaines. Encore que, si la Cour de cassation transpose la jurisprudence du Conseil d’État du 13 juillet 2016 aux litiges sus-indiqués, cela risque de conduire des plaideurs à solliciter son application à d’autres contentieux, ainsi que le démontrent les arrêts d’appels contestés en l’espèce.
Les conséquences procédurales de l’autonomie. Au premier abord, la divergence jurisprudentielle en matière de recours contentieux contre les titres exécutoires émis par les collectivités locales est susceptible de porter atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la justice, dans la mesure où les justiciables s’attendent à ce que les règles appliquées à la gestion de leur procédure et la résolution de leur litige soient les mêmes. Cette attente du justiciable est particulièrement forte lorsqu’il s’agit d’une matière dont la compétence est partagée entre les deux ordres de juridiction. Or, la divergence jurisprudentielle observée en matière de contestation d’un titre exécutoire, en cas de notification irrégulière de l’acte en cause, profitera ou non au contribuable selon la juridiction saisie. Au regard des deux tendances jurisprudentielles contraires qui émergent, le justiciable doit faire un choix éclairé au moment d’agir en justice, tout en gardant à l’esprit que les dispositions du Code de procédure civile ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation sont plus protectrices en cas de notification irrégulière d’un acte ou d’une décision de justice. Plus fondamentalement, cette situation amène à se demander s’il existe un droit à la convergence jurisprudentielle. Pour la Cour européenne des droits de l’Homme, le simple constat d’une divergence de jurisprudence ne constitue pas toujours une violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales92. Dès lors, option de juridiction emporte option de législation procédure93. Nous entendons par là qu’en saisissant par exemple le juge administratif, les parties au procès doivent garder à l’esprit qu’on peut leur opposer, le cas échéant, la jurisprudence Czabaj.
Il convient également de s’interroger sur les conséquences procédurales de cette divergence de jurisprudence, notamment lorsque l’auteur du recours a saisi une juridiction incompétente. Cette interrogation n’a rien de surprenant étant donné que, comme nous l’avons vu, la compétence en matière de recours contre les titres exécutoires est partagée par les deux ordres de juridiction. Le Conseil d’État a eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences de la saisine d’une juridiction judiciaire incompétente sur le délai de recours94. Il a jugé en substance que, dans le cas où le titre attaqué ne mentionne pas les délais et voies de recours, le délai de recours contentieux est conservé lorsqu’un administré saisit à tort le juge judiciaire dans le délai raisonnable d’un an. Dans ce cas, l’intéressé doit saisir le juge administratif dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision d’incompétence rendue par le juge judiciaire. Plus récemment, le juge suprême de l’ordre administratif a précisé que la décision du juge judiciaire incompétente, à prendre en compte pour le recours devant le juge administratif dans le délai de deux mois, est celle qui est rendue de manière irrévocable95. Cela englobe donc toutes les décisions de l’ordre judiciaire jusqu’aux arrêts de la Cour de cassation et même les décisions rendues par les juges du fond qui ne sont plus susceptibles de pourvoi en cassation en raison de l’expiration du délai de pourvoi en cassation96. On se serait attendu que la saisine de juge judiciaire incompétent puisse avoir pour conséquence d’interrompre le délai raisonnable de recours, mais cela remettrait en cause l’objectif de sécurité juridique et de bonne administration de la justice. En effet, lorsque l’incompétence du juge judiciaire est irrévocable, le particulier n’a pas d’excuse à différer la saisine du juge administratif, étant donné qu’il sait désormais que ce dernier est seul compétent pour statuer sur son litige. En tout état de cause, un véritable dialogue des juges amènerait par exemple le juge judiciaire qui se déclare incompétent pour connaître du litige d’informer les justiciables sur le juge administratif compétent ainsi que les délais de recours. Quid lorsque le juge incompétent saisi est le juge administratif ? La situation ne pose pas a priori de difficulté particulière, au regard de la solution qui découle des arrêts commentés. En effet, le juge judiciaire peut être saisi à tout moment – sous réserve du respect le cas échéant du délai de prescription – aussi longtemps que la notification de l’acte est entachée d’irrégularité, notamment lorsqu’il ne contient pas l’indication des délais de recours. Ainsi, la saisine du juge administratif incompétent n’a aucune incidence sur le délai de recours devant le juge judiciaire compétent.
« Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours me viendra–t–il » ?97 Au regard de tout ce qui précède, force est de constater l’existence d’une divergence de jurisprudence en matière de délai de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales. Cette divergence a ses racines dans l’arrêt Czabaj de 2016 du Conseil d’État qui, en l’absence de notification régulière d’un acte administratif individuel, instaure un délai raisonnable de recours. Cette divergence est entretenue par la jurisprudence récente des juridictions suprêmes de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Certes, il est vrai que la convergence jurisprudentielle qu’induit le dialogue entre les juges n’est pas une fin en soi. Mais il faut également reconnaître que la divergence de jurisprudence peut être un facteur d’insécurité pour les justiciables. D’où la nécessité de s’interroger à nouveau sur le rôle respectif du législateur dans un contexte où, face aux tergiversations des juges, les citoyens ne savent plus à quel saint se vouer. En clair, il nous semble qu’en pareille situation, le secours des justiciables ne peut venir que du législateur. Mais que l’on s’accorde bien !
En soutenant que le secours ne peut venir que du législateur, ne remettons pas en cause l’idée qui a pu être avancée selon laquelle la loi ne peut pas tout prévoir et qu’elle doit pouvoir se laisser compéter par la jurisprudence et les autres sources du droit98. Toutefois, lorsque les paroles du législateur sont claires et ne souffrent d’aucune ambiguïté, le juge devrait se contenter de n’en être que la bouche ! À ce propos, personne ne peut sérieusement objecter que le Conseil d’État a fait œuvre de législateur en instituant le délai raisonnable de recours99, alors que les dispositions de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative sont on ne peut plus claires au sujet de l’obligation de notification régulière des décisions de l’administration. Cette jurisprudence a suscité de nombreuses études doctrinales, majoritairement très critiques, en raison de ses incidences sur l’effectivité du principe constitutionnel de l’accès au juge. Mais rien n’y fait ! En bientôt dix ans (en 2026), la jurisprudence Czabaj a fait l’objet de précisions, d’extensions et de restrictions de son champ d’application qui n’ont eu pour seul véritable mérite que de la rendre davantage floue, voire extra-floue. D’ailleurs, son application immédiate dans une instance a récemment valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales100. Dès lors, n’appartient-il pas au législateur de se saisir de cette question, afin d’entériner, de préciser ou d’infirmer cette œuvre prétorienne critiquée dans son principe et incertaine quant à sa portée ? Il est dans l’intérêt des justiciables que les règles applicables au procès administratif ne dépendent pas d’une jurisprudence controversée.
Quoi qu’il en soit, les arrêts commentés du 8 mars 2024 ajoutent une couche supplémentaire au désaveu que connaît la jurisprudence Czabaj. Toutefois, la porte du dialogue des juges n’est pas définitivement fermée et rien de permet d’exclure que chacune des hautes juridictions mette un peu d’eau dans son vin. D’un côté, le Conseil d’État peut revenir sur sa jurisprudence qui étend le champ d’application du délai raisonnable à l’action en contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales. Allant plus loin, il peut même décider que le délai raisonnable ne s’applique pas dans toutes les matières où il y a un partage de compétence entre les deux ordres de juridictions. D’un autre côté, la Cour de cassation peut transposer la solution de l’arrêt Czabaj dans les cas où le juge judiciaire doit se prononcer sur la légalité d’un acte administratif, dans les conditions d’un recours de plein contentieux (recours de pleine juridiction). Un tel effort permettrait de parvenir à une convergence jurisprudentielle. Mais encore, il convient de se demander si une convergence jurisprudentielle peut avoir pour finalité de neutraliser les dispositions claires et précises d’un texte de loi. Ne s’agirait-il pas plutôt, dans cette hypothèse, d’une « entente jurisprudentielle illicite »101 ? D’un retour au gouvernement des juges102 ? Les mots sont peut-être durs, mais la réalité le serait tout autant. Et, à bien y penser, il est temps de tirer les conséquences de tous ces délais et règles prétoriens qui rajoutent à la complexité du droit et qui font du procès et de la procédure une véritable usine à gaz. Pour conclure et en peu de mots, si la Cour de cassation refuse fermement de transposer le délai raisonnable de recours instauré par la jurisprudence Czabaj du Conseil d’État, c’est très probablement parce qu’au fond, même si elle n’ose pas le dire, ce délai n’a rien de raisonnable…
Notes de bas de pages
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1.
V. interview de B. Louvel, premier président de la Cour de cassation, in Le Monde, 24 mai 2016.
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2.
A. Bruel, « Le temps judiciaire », Vie sociale 2013, p. 87-97.
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3.
F. Mallol, « “Veuillez patienter” : Regard dubitatif sur la qualité et la célérité de la justice administrative », RFDA 2016, p. 775-788 : « Malgré la virulence des critiques adressées à l’institution judiciaire, par les journalistes, par la doctrine, par les acteurs du quotidien, magistrats et avocats en particulier, et bien entendu par les justiciables eux-mêmes, la demande de justice n’a jamais été aussi vigoureuse dans la vie sociale ».
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4.
O. Henrard, « Le délai raisonnable de recours contre une décision individuelle irrégulièrement notifiée », RFDA 2016, p. 927. La Résolution (77) 31 du Conseil de l’Europe, adoptée le 28 septembre 1977, sur la protection de l’individu au regard des actes de l’administration prévoit à l’article V de son annexe que « lorsqu’un acte administratif qui est communiqué par écrit, porte atteinte aux droits, libertés ou intérêts de l’intéressé, il indique les recours normaux dont il peut faire l’objet, ainsi que le délai imparti pour en faire usage ».
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5.
Dans sa version applicable aux faits qui nous intéressent.
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6.
CE, 9 mars 2018, n° 401386 : Lebon T.
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7.
CJA, art. R. 421-5 : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».
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8.
CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763.
-
9.
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560, arrêt Cora.
-
10.
En effet, ces titres étaient fondés sur des dispositions du Code général des impôts censurées par la décision du Conseil constitutionnel.
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11.
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-21230, arrêt City.
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12.
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560, arrêt Cora.
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13.
CA Angers, 14 sept. 2021, n° 18/01572 ; CA Chambéry, 22 juin 2021, n° 20/01613 ; CA Aix-en-Provence, 17 déc. 2020, n° 18/13636.
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14.
CE, 9 mars 2018, n° 401386 : Lebon T.
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15.
CA Colmar, 5 sept. 2019, n° 17/05248 ; CA Aix-en-Provence, 11 déc. 2018, n° 16/13096 ; CA Aix-en-Provence, 5 juin 2018, n° 16/17646.
-
16.
Il semble évident que ce délai raisonnable n’est pas applicable devant les juridictions judiciaires lorsque la contestation ne porte pas sur un acte administratif, CA Rouen, 17 juin 2021, n° 19/04884 ; CA Rennes, 31 mars 2021, n° 20/00748. V. également, CA Versailles, 13 sept. 2018, n° 17/02609.
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17.
Cass. 2e civ., 8 janv. 2015, n° 13-27678 : Bull. civ. II, n° 4. Il convient de noter que cette jurisprudence est antérieure à la jurisprudence Czabaj du Conseil d’État de 2016.
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18.
Cour de cassation, audience filmée : Délai de contestation d’un titre de paiement émis par l’État / Cour de cassation, consulté le 2 mai 2024.
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19.
Les arrêts commentés feront l’objet d’une publication au rapport annuel de la Cour de cassation et au Bulletin de l’assemblée plénière.
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20.
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560, arrêt Cora.
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21.
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-21230, arrêt City.
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22.
CE, 8 avr. 1998, n° 171548 ; CE, 2 juill. 1999, nos 167641 et 176626 ; CE, 27 nov. 2000, n° 207896 ; CE, 27 juin 2005, n° 259368.
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23.
CE, 13 juill. 2016, n° 387763.
-
24.
M. Guyomar et B. Seiller, Contentieux administratif, 6e éd., 2021, Dalloz, p. 366, n° 708.
-
25.
CJA, art. R. 421-5.
-
26.
B. Seiller, « La jurisprudence Czabaj s’applique même aux décisions d’espèce notifiées », note sous CE, 8-3, 25 sept. 2020, n° 430945 : GPL 26 janv. 2021, n° GPL395c5.
-
27.
B. Seiller, « La jurisprudence Czabaj s’applique au rejet implicite d’un recours gracieux », note sous CE, 3-8, 12 oct. 2020, n° 429185 : GPL 26 janv. 2021, n° GPL395c3 ; « L’application de la jurisprudence Czabaj aux décisions implicites relevant du plein contentieux », note sous CE, 7-2, 3 juin 2020, n° 428222 : GPL 13 oct. 2020, n° GPL388k4. V. également CE, 7e et 2ech. réunies, 3 juin 2020, n° 428222.
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28.
CE, 16 déc. 2019, n° 419220.
-
29.
CE, 9 mars 2018, n° 401386 : Lebon T.
-
30.
B. Seiller, « La jurisprudence Czabaj ne s’applique pas au rejet implicite des réclamations fiscales », note sous CE, 9-10, 8 févr. 2019, n° 406555 : GPL 11 juin 2019, n° GPL353p5. Dans le même sillage, CE, avis, 8-3, 21 oct. 2020, n° 443327. V. également, B. Seiller, « La jurisprudence Czabaj ne s’applique pas aux actions en responsabilité », note sous CE, 17 juin 2019, n° 413097 : GPL 8 oct. 2019, n° GPL359y2.
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31.
CE, 5 avr. 1996, n° 116594.
-
32.
CE, 22 févr. 2017, n° 395184.
-
33.
CE, 22 févr. 2017, n° 395184, rendu au visa de la CEDH.
-
34.
C. Broyelle, Contentieux administratif, 9e éd., 2021-2022, LGDJ, Manuel, n° 513, p. 384.
-
35.
La notification du jugement vaut mise en demeure préalable à l’exécution forcée (CPC, art. 503). Il est également le point de départ des délais de recours ainsi que le point de départ, deux mois après, de la majoration de 5 points du taux légal applicable aux intérêts moratoires (C. mon. fin., art. L. 313-3, al. 1er). La notification régulière fait obstacle à l’application du délai de forclusion prévu par l’article 528-1 du Code de procédure civile (Cass. ass. plén., 7 oct. 2011, nos 11-11509 et 10-30191 : Bull. ass. plén., n° 7).
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36.
CPC, art. 693, qui prévoit la nullité (nullité de forme soumise à l’article 114 du Code de procédure civile).
-
37.
Cass. 2e civ., 17 juill. 1975, n° 74-12426 : Bull. civ. II, n° 224 ; Cass. 2e civ., 7 mars 1979, n° 77-14476 : Bull. civ. II, n° 70.
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38.
Cass. 2e civ., 13 nov. 2014, n° 13-24547.
-
39.
Cass. 2e civ., 19 mai 1998, n° 96-16706 : Bull. civ. II, n° 157 ; Cass. 2e civ., 14 févr. 2008, n° 06-20988 : Bull. civ. II, n° 33.
-
40.
Dalloz action, Droit et pratique de la procédure civile, 2021-2022, § 272.26.
-
41.
Sur la question, P.-C. Kamgaing, Les délais de procédure. Essai d’une théorie générale, thèse de doctorat, université Côte d’Azur, 2022.
-
42.
CE, 22 févr. 2017, n° 395184, avis du rapporteur public : « il n’y a pas, pour les décisions juridictionnelles, le fondement textuel qui justifie, pour les décisions administratives, qu’une notification comportant des mentions manquantes ou erronées sur les voies et délais de recours soit regardée comme irrégulière et ne fasse donc pas courir les délais (…). L’article R. 421-5 du Code de justice administrative, selon lequel les délais de recours ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la décision de notification, ne vise que les décisions administratives et ne trouve pas d’équivalent pour les décisions juridictionnelles, même si la pratique des juridictions est d’accompagner la notification des jugements et arrêts d’indications sur les voies et délais de recours. Il n’est rien dit de tel aux articles R. 751-1 et suivants régissant la notification du jugement, et il est seulement ajouté (…) à l’article R. 811-2, que le délai d’appel court à compter de la notification réalisée conformément à ces dispositions ».
-
43.
Contra, P.-C. Kamgaing, Les délais de procédure. Essai d’une théorie générale, thèse de doctorat, université Côte d’Azur, 2022.
-
44.
Pour application, Cass. 2e civ., 8 janv. 2015, n° 13-27678 : Bull. civ. II, n° 4.
-
45.
Notamment au moyen d’une saisie administrative à tiers détenteur.
-
46.
Une telle interprétation ne serait pas sans précédent : « La décision de la commission de recours amiable des organismes de Sécurité sociale constituant le préalable nécessaire à la saisine de la juridiction de sécurité sociale, la notification de cette décision, qui fait courir le délai de deux mois dans lequel doit être formé à peine de forclusion le recours contentieux, est assimilable, par ses effets, à la notification d’une décision juridictionnelle et doit en conséquence indiquer, de manière très apparente, pour la garantie des droits des assurés, le délai du recours et ses modalités d’exercice » (Cass. soc., 19 sept. 1991, n° 89-16002 ; Cass. soc., 4 mars 1993, n° 87-18960 ; Cass. soc., 27 nov. 1997, n° 96-12751).
-
47.
V. rapport de la conseillère, sous Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12562, p. 11.
-
48.
CE, 8 avr. 1998, n° 171548. Le Conseil d’État était même allé plus loin. Revenant en partie sur la théorie de la connaissance acquise, il a distingué la connaissance de la décision de celle des modalités de recours contre elle en jugeant que si la formation d’un recours administratif contre une décision établit que l’auteur de ce recours a eu connaissance de la décision qu’il a contestée au plus tard à la date à laquelle il a formé son recours, une telle circonstance est par elle-même sans incidence sur l’application des dispositions de l’article R. 104 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (devenu l’article R. 421-5 du Code de justice administrative), qui subordonnent l’opposabilité des délais de recours contentieux à la mention des voies et délais de recours dans la notification de la décision (CE, 13 mars 1998, n° 120079 : Lebon T).
-
49.
Rapport de Mme Isola sous Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560.
-
50.
En l’espèce, était applicable le délai de quatre ans qui conditionne la recevabilité de l’action en recouvrement des collectivités territoriales (CGCT, art. L. 1617-5, 3°).
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51.
Rapport public, concl. sur CE, 18 mars 2019, n° 417270.
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52.
CJCE, 29 nov. 2001, n° C-366/99 ; puis par CE, 29 juill. 2002, n° 141112.
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53.
Avis avocat général, Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560.
-
54.
O. Henrard, concl. sur CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763 : RFDA 2016, p. 927 et s.
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55.
CE, 31 mars 2017, n° 389842.
-
56.
J.-P. Looten, « Délais de recours : les contribuables aussi doivent agir dans un délai "raisonnable" », Les Nouvelles Fiscales juin 2017, p. 4 (CE, 31 mars 2017, n° 389842, ministre des Finances et des Comptes publics c/ M. Amar).
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57.
Avis avocat général, Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560.
-
58.
L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Délai de recours : point trop n’en faut », AJDA 2016, p. 1629.
-
59.
C. Broyelle, Contentieux administratif, 2022-2023, LGDJ, p. 123 ; F. Poulet, « Sécurité juridique et fermeture du prétoire », AJDA 2019, p. 1088 ; J.-P. Looten, « Délais de recours : les contribuables aussi doivent agir dans un “délai raisonnable” », Les Nouvelles Fiscales, 1er juin2017 ; L. Crusoé, « Délai de recours devant le juge administratif : l’action en justice contre une décision individuelle ne peut être exercée perpétuellement », RDT 2016, p. 718 ; M.-C. Rouault, « Le principe de sécurité juridique s’oppose à ce qu’un recours juridictionnel soit formé au-delà d’un délai raisonnable. De l’infini à un an… voire plus », AJCT 2016, p. 572.
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60.
J.-C. Bonichot, P. Cassia et B. Poujade, Les grands arrêts du contentieux administratif, 2022, Dalloz, p. 840.
-
61.
V. Haïm, « Délai raisonnable ou déni de justice ? Réflexion sur cinq ans de jurisprudence Czabaj », AJDA 2021, p. 2143.
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62.
Expression empruntée à M. l’avocat général (avis sous Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560, Cora, p. 13). V. également, B. Plessix, « La prescription extinctive en droit administratif », RFDA 2006, p. 375.
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63.
CPC, art. 528-1.
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64.
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12560, arrêt Cora, § 23 ; Cass. ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-21230, arrêt City, § 22.
-
65.
Cass. 2e civ., 3 déc. 2015, n° 14-24909 : Bull. civ. II, n° 267.
-
66.
Cass. ass. plén., 8 avr. 2016, n° 14-18821 : Bull., ass. plén., n° 1.
-
67.
Cass. 2e civ., 13 avr. 2023, n° 21-21242, PB.
-
68.
Notons toutefois que, si de nombreux textes, législatifs ou réglementaires, prévoient qu’une décision doive mentionner les voies et délais de recours, cette obligation ne procède ni d’une exigence constitutionnelle, ni d’une exigence conventionnelle.
-
69.
Parmi tant d’autres, v. les arrêts Edificaciones March Gallego S.A. (CEDH, 19 févr. 1998, n° 28028/95, § 34) et Pérez de Rada Cavanilles, (CEDH, 28 oct. 1998, n° 28090/95, § 44).
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70.
CEDH, 26 oct. 2000, n° 43269/98, § 22 et 23, Leoni c/ Italie.
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71.
CEDH, 23 mai 2016, n° 17502/07, Avotins c/ Lettonie, § 123 ; CEDH, 4 juill. 2000, n° 51717/99, décision sur la recevabilité, Sté Guerin automobiles c/ 15 États de l’Union européenne.
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72.
M. de Béchillon, La notion de principe général en droit privé, 1998, PUAM.
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73.
CA Bourges, 13 sept. 2012, n° 12/00316.
-
74.
À rapprocher des principes généraux du droit.
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75.
Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-14160 : Bull. civ. IV, n° 71 ; Cass. com., 4 juin 2002, n° 98-19511 : Bull. civ. IV, n° 99 ; Cass. com., 7 janv. 2014, n° 12-21286 : Bull. civ. IV, n° 2.
-
76.
M. Douchy-Oudot, « Les principes généraux de la procédure et l’esprit du Code de procédure civile face aux transformations opérées par le décret Magendie », in L’appel et la procédure d’appel au XXIe siècle, entre présent et à venir, mai 2014, Pau : https://hal.science/hal-04015425/document ; F. Bachand, « Les principes généraux de la justice civile et le nouveau Code de procédure civile », Revue McGill 2015, p. 231-459.
-
77.
V. Bolard et M. Pierrat, Les principes directeurs du procès civil en droit comparé à l’aune de la pensée de Motulsky, Journées multilatérales de l’Association Henri Capitant, 2019, Dalloz ; Contra, M. De Boisséson, J. Madesclair et C. Fouchard, Le droit français de l’arbitrage, 2023, LGDJ, nos 196 et s, EAN : 9782275040486.
-
78.
On peut donc penser que la Cour de cassation a préféré l’expression « principe général de procédure civile » parce que la notification des actes de procédure, et notamment l’indication des voies et délais de recours, ne fait pas partie des principes directeurs prévus par le Code civil.
-
79.
H. Motulsky, « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense dans le procès civil », in Mélanges en l’honneur de Paul Roubier, t. 2, 1961, Dalloz, p. 175 et in Écrits, 2010, Dalloz, p. 60. Pour l’auteur, le principe des droits de la défense inclut le principe du contradictoire.
-
80.
C. Tirvaudey, « L’information des droits de la défense dans le procès civil », LPA 30 avr. 2019, n° LPA138u2.
-
81.
C. Tirvaudey, « L’information des droits de la défense dans le procès civil », LPA 30 avr. 2019, n° LPA138u2.
-
82.
J.-M. Sauvé, « Le dualisme juridictionnel : synergies et complémentarités », sept. 2016, consultable sur le site du Conseil d’État, https://lext.so/lRve3A.
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83.
J.-M. Sauvé, « Le dualisme juridictionnel : synergies et complémentarités », sept. 2016, consultable sur le site du Conseil d’État, https://lext.so/lRve3A.
-
84.
C. Pouly, « Le juge des libertés, une garantie de façade », Plein droit, n° 94, 2012/3, p. 6-9.
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85.
Tel est le cas des décisions de l’autorité de la concurrence (C. com., art. L. 464-7 et C. com., art. L. 464-8) ; les décisions et mesures conservatoires prises par le comité de règlement des différends et des sanctions siégeant au sein de la Commission de régulation de l’énergie (C. énergie, art. L. 134-24).
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86.
La cour d’appel de Paris a récemment fait application du délai raisonnable institué par le Conseil d’État : CA Paris, 4 oct. 2023, n° 22/20175 ; CA Paris, 15 juin 2023, n° 22/20603 (pourvoi C2320771). Toutefois, puisque cela relève de la matière fiscale, il est probable que la Cour de cassation ne suive pas ce raisonnement.
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87.
D n° 2001-963, 23 oct. 2001, art. 22.
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88.
CPI, art. L. 411-4.
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89.
C. civ., art. 26-3.
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90.
CPC, art. 1045-2.
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91.
On peut encore mentionner les décisions de la DREETS fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts ou encore la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux (C. trav., art. L. 2313-5 ; C. trav., art. L. 2314-13 ; C. trav., art. R. 2313-2 et C. trav., art. R. 2314-3).
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92.
CEDH, 20 oct. 2011, n° 13279/05, § 67, Nejdet Sahin et Perihan Şahin c/ Turquie : « Le simple constat d’une divergence de jurisprudence ne saurait en soi constituer un motif autonome pour conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention. En effet, encore faut-il que la Cour apprécie cette divergence à l’aune de ses incidences au regard des principes du procès équitable et, notamment, du principe de la sécurité juridique ».
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93.
Par rapprochement aux systèmes juridiques et judiciaires africains qui connaissent d’une part le droit civil et le droit coutumier et d’autre part les tribunaux civils et les tribunaux de droit coutumier. Ces juridictions se partagent les compétences dans certaines matières. Mais on ne choisit pas le tribunal coutumier pour se voir appliquer les règles du droit civil. Sur la question, P.-E Kenfack, « La gestion de la pluralité des systèmes juridiques par les États d’Afrique noire : les enseignements de l’expérience camerounaise », CRDF 2009, p. 153-160.
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94.
C. Friedrich, « La saisine à tort du juge judiciaire conserve le délai “Czabaj” pour l’ensemble des décisions administratives individuelles », note sous CE, 5 juill. 2023, n° 465478 : Lebon T., lexis 360, 17 juill. 2023 : « Ce délai raisonnable est opposable au destinataire de la décision lorsqu’il saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, dès lors qu’il a introduit cette instance avant son expiration. Ce requérant est ensuite recevable à saisir la juridiction administrative jusqu’au terme d’un délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s’est, de manière irrévocable, déclarée incompétente ».
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95.
CE, 31 mars 2022, n° 453904 : Lebon T ; JCP A 2022, 278.
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96.
CE, 10 janv. 2001, n° 225564 : Lebon.
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97.
Bible, Psaume 121, 1-8.
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98.
J.-E.-M. Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil, 1801.
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99.
F. Julien-Laferrière, « Le juge n’est pas le législateur », AJDA 2016, p. 1769.
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100.
CEDH, 9 nov. 2023, n° 72173/17 et a., Legros c/ France.
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101.
Par référence aux ententes illicites en droit de la concurrence. Sur la notion, M.-A. Frison-Roche et J.-C. Roda, Droit de la concurrence, 2e éd., 2022, Dalloz.
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102.
D. Terré, « Le gouvernement des juges », in Les questions morales du droit, 2007, PUF, spéc. p. 167-191 ; A.-M. Le Pourhiet, « Gouvernement des juges et post-démocratie », Constructif, 2022, p. 45-49.
Référence : AJU013p1