La nouvelle Charte de présentation des écritures : attention danger !
Responsables de la profession d’avocat et hauts magistrats ont signé le 30 janvier une « Charte de présentation des écritures ». S’ils se réjouissent de cet exemple de coopération fructueuse entre leurs deux professions, l’université quant à elle est plus dubitative, voire franchement critique, quant à la pertinence de ce document. Ainsi Jérémy Jourdan-Marques, professeur à l’Université Lumière Lyon 2, met-il en garde contre les dangereuses ambiguïtés contenues dans ce texte.
Le lundi 30 janvier 2023, la Cour de cassation a annoncé la conclusion d’une toute nouvelle Charte de présentation des écritures, signée par les principaux représentants de la profession d’avocat et des magistrats du siège (1).
Élaborée par un groupe de travail qui s’est réuni à plusieurs reprises pendant un an, cette Charte est accompagnée, en annexes, de trames pour la première instance et l’appel. Comme l’indique le site de la Cour de cassation, elle est « le fruit d’une démarche collaborative directe entre représentants des magistrats et des avocats, s’engageant ainsi pleinement dans les réformes nécessaires au bon fonctionnement de l’institution judiciaire et à la qualité de la justice rendue aux justiciables ».
En elle-même, la Charte fait (à peine) plus de quatre pages. Après un (court) préambule, elle formule quelques (courtes) propositions générales et quelques (à peine moins courtes) propositions particulières. Pour l’essentiel, il s’agit de souligner les étapes essentielles d’un jeu de conclusions (faits et procédure, discussion, dispositif) et de rappeler la distinction entre moyens et prétentions. Les deux annexes qui sont proposées concernent la première instance ainsi que l’appel et modélisent la trame à suivre, du chapeau au dispositif (sur le détail des propositions, M. Barba, Charte de présentation des écritures, Entre droit extra-mou et droit extra-flou, Dalloz Actualité, 2 févr. 2023).
Gare à la confusion entre dispositions obligatoires et facultatives !
D’emblée, la question de la valeur juridique de ce nouveau document se pose. La Charte y répond elle-même : « [les propositions] visent à constituer un guide de bonnes pratiques non contraignant mis à la disposition des juridictions et des barreaux qui souhaiteraient, localement, signer une convention ou un protocole sur cette question ». Rien de plus logique, dès lors que la Cour de cassation juge que les protocoles de procédure locaux n’ont aucune valeur contraignante (Cass. 2e civ., 26 septembre 2019, n° 18-14.708 ; v. égal. : Cass. 2e civ., 19 octobre 2017, n° 16-24.234). Ce qui vaut au niveau local vaut, en toute logique, au niveau national et la Charte ne constitue ainsi qu’un simple recueil de bonnes pratiques.
Reste que les choses ne sont pas si simples. D’une part, seules les « propositions » bénéficient d’un caractère facultatif. La Charte ne retire pas aux exigences textuelles leur caractère contraignant. Il appartient ainsi au lecteur de consulter la Charte en se munissant de son Code de procédure civile, pour réaliser la distinction entre celles des propositions qui sont originales et dépourvues de sanction de celles qui ne constituent qu’un rappel des exigences réglementaires et dont la méconnaissance n’est pas sans conséquence. L’exercice n’est pas toujours évident et un flou est systématiquement entretenu autour de cette question.
D’autre part, il ne faut pas exclure que la Cour de cassation consacre ultérieurement certaines « bonnes idées ». La nature rétroactive de la jurisprudence pourrait alors conduire à sanctionner immédiatement la méconnaissance de la règle nouvellement consacrée. En somme, il est préférable d’être prudent sur la valeur de la Charte et de partir du principe que le droit mou peut subitement durcir.
De dangereuses ambiguïtés
Sur le contenu, deux propositions, a minima, méritent l’attention des praticiens. Premièrement, dans la Charte, il est précisé que le dispositif « ne doit pas contenir des “dire et juger que” et des “constater que” ou “donner acte” hors les cas prévus par la loi ». On sait la tension qui entoure l’utilisation de ces termes au sein du dispositif des conclusions, certaines juridictions refusant d’examiner la moindre prétention introduite par ces mots prohibés. Sauf à privilégier la forme au fond, ce ne sont pas tant les termes introductifs qui importent que l’existence d’une prétention. D’ailleurs, les trames proposées contiennent non seulement une fausse prétention (« Déclarer recevable et bien fondé X en son appel incident de la décision rendue le…par la juridiction de … »), mais également un « juger que » (« JUGER que le droit de visite du père s’exercera librement et à défaut de meilleur accord : etc.… »).
Deuxièmement, l’annexe relative aux conclusions d’appel souligne que « les chefs de jugement expressément critiqués – indiqués dans l’acte d’appel en application de l’article 901 et rappelés après l’exposé des faits et de la procédure selon l’article 954, n’ont pas à être rappelés dans le dispositif selon la Cour de cassation même si cela paraît prudent et didactique de le faire » (le soulignement figure dans l’annexe). Là encore, la question est débattue et certaines cours d’appel n’ont pas hésité à franchir le pas en prononçant l’absence d’effet dévolutif de conclusions dépourvues d’une nouvelle critique des chefs de jugement dans le dispositif.
Ces deux exemples sont révélateurs de l’ambiguïté de la Charte et de ses annexes. Le praticien chevronné sera tenté de s’en désintéresser, tant la qualité de son travail est sans commune mesure avec la modestie des ambitions de la Charte. Reste qu’il ne faudrait pas trouver en son sein les signes annonciateurs de futures évolutions jurisprudentielles, dont la rétroactivité implacable frappera sans distinction.
En définitive, on est inquiet face à la publication de cette Charte et de ses annexes. L’intérêt du document est inversement proportionnel à la communication déployée pour son lancement. Soit on sous-estime le désastre qui se joue en ce moment devant les juridictions civiles, soit la Charte est très en deçà de ce que l’on pouvait attendre d’un tel document (les deux propositions n’étant pas exclusives l’une de l’autre). Dans le premier cas, il est urgent de revoir la formation des praticiens, en partant des bancs de l’université jusqu’à la formation continue en passant – évidemment – par les écoles d’avocat. Dans le second cas, la pauvreté, l’ambiguïté voire la fausseté des préconisations (v. M. Barba, Charte de présentation des écritures, Entre droit extra-mou et droit extra-flou, Dalloz Actualité, 2 févr. 2023) imposaient de ne pas la publier.
(1) Liste des signataires :
- Monsieur Christophe Soulard, Premier président de la Cour de cassation ;
- Maître Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux ;
- Maître Bruno Blanquer, président de la conférence des bâtonniers ;
- Maître Julie Couturier, bâtonnière de Paris ;
- Maître François Molinié, président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ;
- Madame Isabelle Gorce, présidente de la conférence des premiers présidents de cour d’appel ;
- Monsieur Benjamin Deparis, président de la conférence des présidents de tribunaux judiciaires.
Référence : AJU348303