Quand l’appelant confond vitesse et précipitation
Encourt la caducité de sa déclaration d’appel l’appelant qui notifie ses conclusions à un avocat non constitué par l’intimé plutôt que de les signifier à l’intimé dans le délai de l’article 908 du Code de procédure civile augmenté d’un mois par l’effet de l’article 911 du même code – la constitution ultérieure dudit avocat n’étant pas de nature à régulariser la situation. Par ailleurs, l’exception de force majeure qui permet de neutraliser le prononcé d’une telle sanction s’entend d’un « événement insurmontable ». Ce nouvel arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation revient sur la discipline procédurale à observer pour les praticiens à hauteur d’appel et fait un premier pas s’agissant de la définition de l’exception de force majeure inscrite à l’article 910-3 du Code de procédure civile.
Cass. 2e civ., 27 févr. 2020, no 19-10849
1. Qu’il effraie l’avis de caducité avec demande d’observations adressé par le conseiller de la mise en état à raison du caractère irrégulier de la notification des conclusions d’appel ou de la déclaration d’appel elle-même… Il effraie pour plusieurs raisons, bien connues des praticiens. D’abord, le conseiller de la mise en état n’est pas habilité à faire preuve d’une quelconque clémence dans le prononcé de cette sanction, sauf l’exception de « force majeure » de l’article 910-3 du Code de procédure civile (CPC)1 (qui risque malheureusement de démontrer toute son utilité en ces temps troublés de pandémie). Les appels à la proportionnalité et l’invocation de la convention EDH sont aujourd’hui traités par les juridictions comme des gesticulations inutiles. Ensuite, si le conseiller de la mise en état suscite les observations des parties, c’est essentiellement voire uniquement afin de respecter le principe du contradictoire ; sa religion est généralement déjà faite sur la question. Troisième raison d’avoir peur de cette caducité de la déclaration d’appel : le prononcé de cette sanction a des conséquences radicales indiquées à l’article 911-1 du CPC, dont l’interdiction de former un nouvel appel principal contre le même jugement à l’égard de la même partie2. Enfin, dernière raison, il est parfois difficile sinon impossible de régulariser, par exemple en déposant une nouvelle déclaration d’appel destinée à prendre le relais de l’ancienne déclaration en sursis3. La caducité de la déclaration d’appel est bel et bien la hantise du praticien qui s’aventure dans les contrées hostiles de la procédure d’appel.
2. C’est pourquoi les praticiens sont enclins à procéder rapidement… voire précipitamment. Le récent arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 février 2020 disposant d’une large publication (PBI) vient illustrer ce point.
3. Une société Carax interjette appel d’un jugement d’un conseil de prud’hommes dans une affaire l’opposant à Mme X. L’appelant remet au greffe ses conclusions le 30 juin 2017 et les notifie simultanément à celui qui avait été l’avocat de son adversaire devant la juridiction de première instance. L’intimée constitue ce même avocat le 30 août 2017, soit postérieurement à la notification des conclusions d’appel ; habile, elle soulève un incident de caducité de la déclaration d’appel devant le conseiller de la mise en état, arguant de ce que les conclusions d’appelant ne lui auraient pas été signifiées dans le délai de l’article 908 du CPC, augmenté d’un mois en application de l’article 911 du même code. Le conseiller lui donne raison et constate la caducité de la déclaration d’appel par ordonnance du 14 février 2018. L’appelant défère l’ordonnance prononçant la caducité à la cour d’appel, laquelle confirme purement et simplement l’ordonnance par arrêt du 19 septembre 2018. L’appelant mécontent forme un pourvoi, dont, au vrai, le sort pouvait être deviné, au regard du rigorisme procédural qui règne à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
4. Le pourvoi n’en est pas moins adroitement tourné, s’agissant au moins des deuxième et troisième branches du moyen unique.
Par la première branche, l’appelant tente ce que bien d’autres ont tenté avant lui : faire tomber la rigueur de la procédure d’appel avec représentation obligatoire en criant à la disproportion de la sanction, par l’invocation de l’article 6, § 1, de la convention EDH et la prohibition du formalisme excessif qu’il renferme. Cette argumentation n’avait aucune chance de prospérer4.
Dans la deuxième branche du moyen, l’appelant se fonde encore sur l’article 6, § 1, de la convention EDH mais développe une argumentation plus originale. À son estime, le but poursuivi par cette rigueur procédurale, qui est « d’obliger l’appelant à faire connaître rapidement ses moyens à la partie qui n’a pas constitué avocat », est nécessairement atteint lorsque « l’appelant a signifié ses conclusions avant l’expiration du délai à l’avocat mandaté par l’intimé, quand bien même celui-ci n’aurait-il pas régularisé son acte de constitution avant cette signification ». Ayant perdu tout intérêt, la caducité ne serait selon lui pas encourue. L’argumentation prenant appui sur la ratio legis est habile. Elle l’est d’autant plus que la Cour de cassation l’a elle-même déjà mobilisée dans son principe s’agissant de la notification de la déclaration d’appel à l’avocat de l’intimé (v. infra).
Par la troisième branche du moyen, l’appelant reproche à la cour d’appel un défaut de réponse à conclusions, en ce qu’il avait vainement plaidé devant celle-ci que la caducité de la déclaration d’appel devait être écartée pour cause de force majeure sans qu’une condition d’extériorité doive être vérifiée.
5. Plusieurs problématiques sont soumises à la Cour de cassation, abstraction faite de la première branche du moyen, qui sera logiquement mise à l’écart sur le fondement de l’article 1014, alinéa 2 du CPC. Au regard des articles 908, 910 et 911 du CPC, l’appelant peut-il ainsi anticiper sur la constitution d’un avocat pressenti en adressant ses conclusions à ce dernier ? Par ailleurs, comment faut-il entendre la notion de « force majeure » inscrite à l’article 911-3 du CPC ?
6. Sur la première question, la réponse de la haute cour est particulièrement claire : « La notification de conclusions à un avocat qui n’a pas été préalablement constitué dans l’instance d’appel est entachée d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif légitime poursuivi par le texte, qui n’est pas seulement d’imposer à l’appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l’intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l’article 909 du CPC pour conclure à son tour. Il en découle que la constitution ultérieure par l’intimé de l’avocat qui avait été destinataire des conclusions de l’appelant n’est pas de nature à remédier à cette irrégularité ». Au regard des articles 908, 910 et 911 du CPC, l’appelant ne peut donc anticiper sur la constitution d’un avocat pressenti en adressant à ce dernier ses conclusions, ceci quand bien même sa constitution serait finalement actée.
Sur la seconde question, la réponse est nettement (et sans doute volontairement) moins claire : la cour d’appel a pu prononcer la caducité dans la mesure où elle a « relevé que l’appelante n’avait notifié ses conclusions dans le délai prévu par l’article 911 du CPC qu’à l’avocat qui avait assisté l’intimé en première instance et que l’appelante ne pouvait ignorer qu’elle n’avait pas reçu l’avis de constitution de son adversaire dans le cadre de l’instance devant la cour d’appel, faisant ainsi ressortir par cette considération que l’appelante ne s’était heurtée à aucun événement insurmontable, caractérisant un cas de force majeure ». La Cour de cassation estime donc que la cour d’appel a bien répondu à l’argumentation développée devant elle par l’appelante relative à la condition d’extériorité de la force majeure… Mais cette dernière condition est-elle finalement requise ? Le commentateur ne saurait l’affirmer d’emblée.
7. In fine, la Cour de cassation adresse par cet arrêt deux messages aux praticiens de la procédure d’appel, qui ont évidemment raison de craindre la sanction de la caducité de la déclaration d’appel. Comment éviter, en amont, le prononcé d’une telle sanction ? L’appelant est invité à respecter scrupuleusement les dispositions des articles 908, 910 et 911 du CPC en n’anticipant pas sur la constitution d’avocat de l’intimé et en adressant donc par voie de signification ses conclusions à l’intimé dans les délais (I). Comment neutraliser, en aval, le prononcé d’une telle caducité ? Pour pouvoir bénéficier de l’exception de force majeure, l’appelant doit caractériser un « événement insurmontable » (II).
I – En amont, ne pas anticiper sur la constitution de l’intimé
8. Comment en vient-on, côté appelant, à anticiper ainsi sur la constitution de l’intimé et à adresser à l’avocat « pressenti » de l’intimé ses conclusions ? Le procédé, étrange on en conviendra, n’est pas absurde (A). Il est néanmoins balayé par la Cour de cassation, sans que l’explication livrée convainque parfaitement (B).
A – Les raisons du procédé
9. Une confusion a tout d’abord pu s’installer dans l’esprit de l’appelant, pensant que l’avocat ayant représenté les intérêts de l’intimé en première instance représentait nécessairement ses intérêts en appel5. Disons-le : une telle confusion serait impardonnable. Une autre explication, plus sérieuse, peut cependant être avancée au soutien de ce procédé curieux qui a consisté pour l’appelant à adresser ses conclusions, non à l’intimée non constituée, mais à l’avocat ayant représenté ses intérêts en première instance.
10. Cette explication se trouve dans le libellé de l’article 911 du CPC : « Sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n’ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat ». Cet article institue un mécanisme à « double détente » pour l’appelant principal se trouvant en présence d’un intimé ne s’étant pas constitué sur la déclaration d’appel : il lui faut signifier ses conclusions à l’intimé non constitué sauf à ce que l’intimé ait avant cela constitué avocat, auquel cas il lui faut notifier ses conclusions à ce dernier.
11. En l’espèce, l’appelant a en quelque sorte décidé de se dispenser de la première étape et de passer directement à la seconde, en notifiant directement ses conclusions à l’avocat pressenti de l’intimé – n’envisageant ne semble-t-il pas un instant que l’intimé pourrait ne pas constituer avocat ou en constituer un autre. Pour économiser le prix d’une signification ? L’on peut plutôt penser que l’appelant nourrissait la conviction que l’avocat pressenti allait tôt ou tard être constitué par l’intimée. C’est pourquoi, au lieu d’attendre cette constitution pour notifier les conclusions audit avocat, l’appelant a préféré les adresser à ce dernier avant même la régularisation de sa constitution – quasiment à titre de « précaution ». Et la constitution dudit avocat par l’intimé, qui paraît donner rétrospectivement raison à l’appelant, garantirait la régularité du procédé, étant au reste entendu qu’il serait pratiquement absurde d’exiger de l’appelant qu’il adresse de nouveau les mêmes conclusions à l’avocat fraîchement constitué de l’intimé.
D’ailleurs, la Cour de cassation n’a-t-elle pas en substance raisonné ainsi pour exclure la sanction de la caducité associée à la notification de la déclaration d’appel à l’avocat de l’intimé, jugeant implicitement inutile pareille formalité ? Pour mémoire, la Cour de cassation a en effet retenu que lorsque l’intimé a constitué avocat, la notification de la déclaration d’appel à ce dernier n’est pas requise à peine de caducité : dans la mesure où cette formalité a pour objectif la constitution de l’intimé et que l’objectif se trouve déjà atteint, il n’est nul besoin de brandir la « massue » de la caducité6. Ici, c’est de l’avis de l’appelant peu ou prou pareil : si les procédures prévues aux articles 908 et 911 du CPC ont pour but la célérité de la procédure, comment reprocher à l’appelant d’avoir adressé ses conclusions en avance à l’avocat ultérieurement constitué par l’intimé ? Surtout, comment lui reprocher de ne pas les avoir de nouveau adressées à l’avocat constitué, qui en avait déjà nécessairement connaissance ? N’y aurait-il pas, là aussi, une disproportion à vouloir prononcer à tout prix la caducité de la déclaration d’appel ? L’argumentation n’est pas absurde ; elle invite surtout à s’intéresser aux véritables raisons qui ont présidé au rejet de ce procédé curieux par la Cour de cassation.
B – Les raisons du rejet
12. Le procédé employé par l’appelant heurte le principe de libre choix du défenseur comme le droit de la représentation, l’avocat pressenti n’étant pas le représentant de l’intimé lorsqu’il se voit notifier les conclusions d’appel. Pourtant, l’explication principale du rejet de ce procédé n’est pas là. Elle ne gît même pas, de l’avis du soussigné, contraire sur ce point à la motivation du présent arrêt, dans la question des délais. L’explication est ailleurs, plus simple en un sens : il en va de la discipline procédurale que les juridictions ensemble le législateur tentent d’imposer aux praticiens de la procédure d’appel.
13. Le procédé retenu par l’appelant contrarie le principe du libre choix du défenseur7, étrangement passé sous silence par la Cour de cassation : valider ce procédé reviendrait en effet à forcer indirectement le choix du défenseur pour l’intimé, en méconnaissance de l’article 19 du CPC auquel les praticiens sont fortement et légitimement attachés8. On répondra, partiellement à raison, que l’intimé reste libre de ne pas constituer avocat ou d’en constituer un autre. Il reste que si était validé le procédé qui consiste pour l’appelant à adresser ses conclusions à l’avocat pressenti et non à l’intimé lui-même, ce dernier sera indirectement incité à constituer cet avocat, qui a déjà pris connaissance des écritures, qui a déjà une idée de la réponse à apporter, etc. Par un étrange renversement, c’est quasiment l’appelant lui-même qui dicterait ainsi à l’intimé le choix de son conseil. L’intimé, comme n’importe quel justiciable, doit pourtant demeurer par principe libre du choix de son défenseur.
14. Du point de vue du droit de la représentation, le procédé dérange encore : quoi qu’on en dise, lorsque les conclusions d’appel sont adressées à l’avocat non constitué par l’intimé, le premier ne représente nullement le second, même s’il est par ailleurs son conseil habituel. Stricto sensu, au moment précis de la notification des conclusions d’appel à l’avocat non constitué, l’appelant adresse ses écritures à un tiers absolu. L’on répondra que si au moment de la notification, les écritures sont effectivement communiquées à un tiers absolu, en revanche au moment de la constitution de l’avocat rendu destinataire, les écritures sont de fait portées à la connaissance de l’intimé. Ce qui n’est pas faux et devrait avoir pour effet de régulariser la situation, l’intimé ratifiant d’une certaine façon le procédé a posteriori comme semblent d’ailleurs l’y autoriser les règles du droit commun de la représentation9. À notre sens, cette objection, évacuée sans un mot par la Cour de cassation qui se contente d’évoquer une « irrégularité de fond », est justifiée même si, naturellement, elle eût été sans pertinence si l’intimé n’avait pas constitué avocat ou en avait constitué un autre.
15. Comment in fine expliquer donc le rejet de ce procédé qui, quoique curieux, peut sembler régularisé par la constitution en bonne forme de l’avocat pressenti par l’appelant ? La lecture du présent arrêt laisse à penser que si pareil procédé ne peut être avalisé, c’est essentiellement en raison d’un problème de délais pour conclure de l’intimé. L’argument n’est pourtant, là aussi, que partiellement convaincant.
Aux termes de l’article 909 du CPC, « L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou provoqué ». Si l’on admet le procédé consistant à adresser les conclusions d’appel à l’avocat pressenti de l’intimé, il est vrai que le délai pour conclure de l’intimé courrait paradoxalement contre lui alors même que stricto sensu, il n’a pas juridiquement été rendu destinataire des conclusions d’appel. C’est, nous semble-t-il, l’explication avancée par la Cour de cassation dans le présent arrêt (« La notification de conclusions à un avocat qui n’a pas été préalablement constitué dans l’instance d’appel (…) ne répond pas à l’objectif légitime poursuivi par le texte, qui n’est pas seulement d’imposer à l’appelant de conclure avec célérité, mais aussi de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense, en mettant l’intimé en mesure de disposer de la totalité du temps imparti par l’article 909 du CPC pour conclure à son tour. Il en découle que la constitution ultérieure par l’intimé de l’avocat qui avait été destinataire des conclusions de l’appelant n’est pas de nature à remédier à cette irrégularité »).
Pourtant, ce problème de délais pouvait être simplement résolu par voie prétorienne. Il suffisait en effet de reporter le point de départ du délai pour conclure de l’intimé à la date de la constitution proprement dite pour que le tour soit joué : l’intimé disposerait ainsi de l’intégralité du délai indiqué à l’article 909 du CPC pour conclure ; il disposerait même en un sens d’un délai supplémentaire, i.e. le délai entre la notification des conclusions d’appel à l’avocat non constitué et la constitution en bonne forme de ce dernier. En sorte que serait plus que servi l’objectif de célérité et d’efficacité de la procédure d’appel, si souvent avancé par la Cour de cassation pour en justifier la rigueur – même s’il est vrai que des difficultés substantielles pourraient découler d’un tel procédé (on pense particulièrement au traitement des appels impliquant plusieurs intimés). L’on dira qu’une telle interprétation supposerait de déformer l’article 909 du CPC. Ce n’est pourtant pas le cas : l’article 909 du CPC vise au titre du point de départ du délai pour conclure de l’intimé la « notification des conclusions de l’appelant ». Or si l’on revient à l’étymologie du mot « notifier », nul n’ignore qu’il s’agit de « porter à la connaissance ». Or, de fait, lorsque la constitution intervient, les écritures de l’appelant sont à ce moment précis juridiquement portées à la connaissance de l’intimé représenté par son avocat fraîchement constitué rendu antérieurement destinataire des écritures de l’appelant. En sorte qu’il n’y a techniquement aucun problème à considérer que le point de départ du délai pour conclure de l’intimé est reporté à la constitution proprement dite – pour autant que l’avocat finalement constitué corresponde bien à l’avocat pressenti par l’appelant, à défaut de quoi la caducité de la déclaration d’appel est nécessairement encourue.
16. Pourquoi, in fine, la Cour de cassation a-t-elle rejeté le procédé, y compris dans l’hypothèse a priori la moins problématique où l’avocat pressenti par l’appelant a finalement été constitué par l’intimé ? L’explication gît, une fois encore, dans la discipline procédurale, dans laquelle baigne aujourd’hui la procédure d’appel avec représentation obligatoire. Les textes n’envisagent pas le procédé employé par l’appelant et la Cour de cassation se refuse à faire œuvre d’interprétation ou d’imagination. Au vrai, le soussigné approuve. Le procédé employé est bancal à de trop nombreux niveaux et l’avaliser, y compris en sa forme la moins grave où l’avocat pressenti est finalement constitué, enverrait collectivement un mauvais signal aux praticiens incités à se détourner des textes clairs sur ce point. D’ailleurs, le message expédié par le présent arrêt est en contrepoint limpide : lorsque l’intimé n’est pas constitué, les conclusions d’appel doivent, pour être conformes aux articles 908 et suivants du CPC, être signifiées à l’intimé non constitué – et uniquement à ce dernier – sauf à ce que celui-ci ait finalement constitué avocat, auquel cas elles doivent être notifiées à celui-ci. Ce mécanisme à double détente doit être respecté. Aucun procédé intermédiaire n’est admis, tel que la notification des conclusions d’appel à l’avocat pressenti de l’intimé. Le bon sens dicte d’ailleurs de ne surtout pas procéder ainsi : si, au cas d’espèce, l’intimé a eu le bon goût, si l’on ose dire, de constituer l’avocat pressenti par l’appelant, un autre moins avenant se serait contenté de ne pas se constituer ou de constituer un autre avocat pour que la caducité soit immédiatement et légitimement encourue. Raison supplémentaire de ne pas anticiper sur la constitution de l’avocat de l’intimé. Plus généralement, l’arrêt invite les praticiens de la procédure d’appel à ne pas confondre vitesse et précipitation.
En somme, et même si l’on peut sans doute regretter la rigidité de la procédure d’appel et le caractère presque rigoriste du présent arrêt, il faut en revanche louer sa lisibilité et la prévisibilité qui en découle pour les praticiens de la procédure d’appel, les détournant de procédés procéduraux périlleux et dépourvus de justification impérieuse. Il est en revanche dommage que la décision ne soit pas aussi claire s’agissant de la question de la force majeure.
II – En aval, caractériser un événement insurmontable
17. L’acquis jurisprudentiel relatif à l’exception de force majeure de l’article 910-3 du CPC est en voie de densification (A). La présente décision apporte une certaine contribution au débat relatif à sa définition (B).
A – La force majeure de l’article 910-3 en jurisprudence
18. Les praticiens semblent s’être engouffrés par voie de conclusions dans la brèche ouverte par le décret du 6 mai 2017, qui a inscrit à l’article 910-3 du CPC l’exception de force majeure permettant d’écarter la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions selon le cas. C’est pourquoi la jurisprudence du fond est en voie rapide de densification sur cette question. Plusieurs convictions peuvent être retirées d’un survol de cette jurisprudence naissante. La première impression globale est celle d’une rigueur quasiment absolue : très rares sont les décisions ayant admis de faire jouer l’article 910-3 du CPC, ce qui n’étonnera personne. La seconde impression générale est que les juridictions du fond ne sont pas encore tombées d’accord sur les conditions véritables de la force majeure, spécialement s’agissant de la condition d’extériorité, parfois visée, parfois écartée10. Voilà qui rappellera aux civilistes quelques anciennes hésitations jurisprudentielles et autres querelles doctrinales11. La troisième et dernière impression est que les praticiens font parfois preuve de témérité dans l’invocation de cette exception, ce qui n’est pas sans provoquer l’agacement des juridictions, conseiller de la mise en état d’abord, formation collégiale saisie sur déféré ensuite. Il serait pourtant souhaitable qu’en ces occasions où aucun évènement de force majeure ne peut être identifié, le praticien refrène ses propres ardeurs à invoquer la force majeure lorsqu’il est inenvisageable qu’elle soit retenue, sauf à vouloir braquer définitivement les juridictions sur cette question et à compromettre les cas dans lesquels elle pourrait être efficacement invoquée. Au-delà de ces trois premières impressions, l’analyse plus poussée de cette jurisprudence montre que trois argumentations sont récurremment développées devant les juridictions du fond relativement à la force majeure de l’article 910-3 du CPC : il y a, d’abord, le dysfonctionnement technique du RPVA ; il y a, ensuite, la circonstance médicale ou familiale, appréciée dans le chef de l’appelant/intimé ou de son conseil ; il y a, enfin, l’erreur tout simplement imputable au praticien ou à la partie elle-même que l’un ou l’autre tente néanmoins de travestir en cas de force majeure.
19. Dysfonctionnement du RPVA. Le dysfonctionnement du RPVA est souvent allégué au titre de la force majeure. En ce cas, et plus particulièrement lorsque l’impossibilité de transmettre par RPVA entraîne un dépassement des délais, l’article 910-3 du CPC, qui évoque la force majeure, trouve à s’appliquer aux côtés de l’article 930-1 du même code, qui évoque la cause étrangère12. Quoi qu’il en soit, si le dysfonctionnement du RPVA est souvent invoqué, il est malheureusement beaucoup moins souvent prouvé. Les juridictions exigent à tout le moins la preuve d’une tentative d’envoi13, sinon une véritable preuve du dysfonctionnement local du réseau14, qui ne soit évidemment pas imputable à l’avocat. Même lorsqu’une telle preuve est rapportée, les juridictions du fond n’en vérifient pas moins que l’événement présentait véritablement les caractères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité – n’hésitant pas à sanctionner en cas contraire15. Il échet en tous les cas de rappeler les termes de l’article 930-1 du CPC, trop souvent négligé et que les juridictions rappellent donc au bon souvenir des praticiens : « À peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique. / Lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe ou lui est adressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. En ce cas, la déclaration d’appel est remise ou adressée au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un est immédiatement restitué… ». Pour se prémunir et attester sa bonne foi, mieux vaut en effet adresser le jour même du dysfonctionnement l’acte de procédure par voie papier à la juridiction. À défaut, il arrive que les juridictions sanctionnent16.
20. Circonstance médicale ou familiale. Est presque aussi souvent invoquée l’impossibilité résultant d’une circonstance médicale ou familiale. Elle est parfois appréciée dans le chef du conseil ; d’autres fois dans le chef de la partie elle-même. Les juridictions semblent logiquement considérer que ce n’est pas problématique, tant qu’en a authentiquement résulté une impossibilité de respecter les délais. C’est là, généralement, que le bât blesse, les juridictions faisant montre d’une grande rigueur17. D’autres font néanmoins preuve d’une plus grande ouverture – d’une plus grande humanité diront certains. Ainsi, la cour d’appel de Caen n’a pas hésité à écarter la sanction d’irrecevabilité des conclusions lorsque le conseil de l’intimé a allégué puis prouvé que son frère était décédé dans le délai d’un mois imparti par l’article 905-2 du CPC – lequel événement « imprévisible et irrésistible constitue assurément un cas de force majeure ayant empêché l’avocat de régulariser des écritures dans le délai »18. Nul n’en disconviendra. La cour d’appel de Nancy s’est inscrite dans la même veine en écartant la sanction de la caducité de la déclaration d’appel en présence d’une appelante ayant justifié avoir été hospitalisée un mois et demi durant le délai de l’article 908 du CPC19. La décision semble, une fois encore, équitable. La cour d’appel de Nîmes a adopté une ligne similaire dans une affaire où l’avocat de l’appelant justifiait avoir souffert, à la toute fin de son délai pour conclure, d’une « période d’asthénie intense en lien avec une maladie de spondylodiscite qui a nécessité son hospitalisation » pendant un mois et demi ainsi qu’un arrêt de travail prolongé. Elle en a déduit que « l’indisponibilité totale de l’avocat survenue au cours d’une crise ayant présenté les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure durant la période à laquelle expirait le délai qui lui était imparti pour conclure justifie que soit écartée la sanction de la caducité prévue par l’article 908 » du CPC20. Humaine décision, encore une fois. Comme on le voit, la circonstance médicale (ou familiale c’est selon) reste en tous cas diversement appréciée par les juridictions d’appel, ce qui nourrit une certaine casuistique, sans doute nécessaire.
21. Erreur imputable au praticien ou à la partie qu’il représente. Il est enfin une dernière circonstance, qui ne devrait normalement pas apparaître dans ce bref panorama : il arrive en effet que le praticien ou la partie elle-même tente de travestir son erreur sous le manteau de la force majeure21. Ainsi du conseil ayant adressé ses conclusions d’appel au mauvais avocat, non constitué par l’intimé, et tentant d’incriminer une erreur technique du RPVA22. Ainsi du syndicat des copropriétaires alléguant s’être trouvé privé d’un organe de représentation, ce qui constituerait à le lire un cas de force majeure – alors même qu’« il ne pouvait dès lors en imputer la responsabilité qu’à sa propre passivité ou négligence et non à un cas de force majeure »23. Ces hypothèses n’appellent aucun commentaire, sauf à souligner que de telles pratiques risquent de décrédibiliser durablement l’invocation de la force majeure auprès des juridictions. Réflexion faite, l’invocation de la force majeure par l’appelant dans la présente affaire relève sans doute de cette dernière catégorie, tant on voit mal à quel cas de force majeure pourrait se rattacher la notification des conclusions à l’avocat non constitué de l’intimé – qui paraît procéder du seul fait, fautif sans doute, du conseil de l’appelant. C’est pourquoi, au-delà du cas d’espèce, c’est la problématique juridique qui interpelle : quelles sont finalement les conditions de la force majeure au sens de l’article 910-3 du CPC ? La question de l’extériorité peut tout particulièrement être posée.
B – L’exigence d’un « événement insurmontable » et la condition d’extériorité en question
22. L’examen de la jurisprudence du fond montre que l’hésitation est bien présente, entre une force majeure dont la caractérisation serait réduite à une unique condition d’irrésistibilité ou reposerait sur le triptyque classique irrésistibilité/imprévisibilité/extériorité – avec, évidemment, une voie médiane mobilisant deux conditions, soit l’irrésistibilité et l’imprévisibilité24. Certes, l’intérêt du débat est relatif, la doctrine civiliste ayant démontré de longue date l’interpénétration desdites conditions et leur chevauchement conduisant à des récurrences de raisonnement25. Ainsi, un événement est généralement d’autant moins irrésistible qu’il est prévisible, ce dont il découle que le contrôle de l’irrésistibilité recouvre partiellement celui de l’imprévisibilité. De même, un événement est globalement d’autant moins irrésistible qu’il n’est pas extérieur, ce dont il découle, encore une fois, que le contrôle de l’irrésistibilité recouvre partiellement celui de l’extériorité. Entendant ces arguments, la Cour de cassation a semblé un temps se diriger vers un allégement formel des conditions de la force majeure dans le champ du droit des obligations26. Néanmoins, l’Assemblée plénière a sèchement rappelé le triptyque extériorité/irrésistibilité/imprévisibilité dans deux grands arrêts de la jurisprudence civile27. La réforme du droit des obligations de 2016, ratifiée en 2018, a confirmé cette jurisprudence28. Et la réforme projetée du droit de la responsabilité civile devrait également la conforter, moyennant une appréciation différente mais nécessaire de l’imprévisibilité29. Aujourd’hui, en droit civil, la force majeure est caractérisée par la réunion des trois conditions classiques d’extériorité (cause étrangère), d’imprévisibilité (cas fortuit) et d’irrésistibilité (force majeure). Pourquoi devrait-il en être autrement en procédure civile ? Pourquoi faudrait-il en particulier, comme le suggère l’appelant dans la présente affaire, exclure la condition d’extériorité ?
23. Un argument de texte peut certes être mobilisé : l’article 930-1 du CPC vise effectivement la « cause étrangère » et non la force majeure comme l’article 910-3 du CPC. De là, l’on peut être tenté de déduire de la différence de formulation, une différence de régime30. Mais l’argument tourne court, particulièrement dans la mesure où les deux articles n’ont pas été mis en place par le même texte31, ce qui vient amoindrir l’idée qu’il faudrait prêter une quelconque conséquence à cette différence de formulation32. L’argument pouvait néanmoins être tenté, la Cour de cassation s’étant soigneusement employée à ne pas trancher ce débat dans son arrêt du 14 novembre 201933, premier du genre intéressant la force majeure de l’article 910-3 du CPC – par lequel la haute cour s’est contentée de confirmer l’orientation restrictive déjà observée au fond.
24. Dans le présent arrêt, la Cour de cassation ne répond pas spécialement s’agissant de la condition d’extériorité. En revanche, elle exige la caractérisation d’un « événement insurmontable ». Il est vrai qu’elle semble, par cette expression, particulièrement insister sur l’irrésistibilité de l’événement, que la doctrine a pris l’habitude d’atomiser en deux sous-conditions : l’inévitabilité des causes et l’insurmontabilité des conséquences34. Ce n’est cependant pas à dire qu’elle exclut là radicalement la condition d’extériorité de l’équation : le procédé est parfaitement classique dans la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la force majeure dans le champ du droit des obligations, qui consiste à passer sous silence une voire deux conditions de la force majeure, sans en exclure la pertinence de principe. Sur ce point, les praticiens doivent s’inspirer de l’expérience civiliste et considérer que, malgré le silence de la Cour de cassation, la force majeure de l’article 910-3 du CPC impose la caractérisation des conditions classiques de l’extériorité, de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité – tout en gardant à l’esprit que cette dernière condition est maîtresse, ce que l’expression d’« événement insurmontable » employée par la Cour de cassation vient finalement et uniquement rappeler.
Notes de bas de pages
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1.
CPC par la suite. V. infra n° 17 et s. sur CPC, art. 910-3.
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2.
Dans les procédures couvertes par le décret du 6 mai 2017 (ce qui n’est certes pas le cas de l’espèce commentée).
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3.
D’autres fois, spécialement lorsque l’arrêt d’appel n’a pas été notifié (ou lorsque l’arrêt de cassation n’a pas été notifié s’agissant d’une procédure sur renvoi), c’est évidemment possible. Une cour d’appel a d’ailleurs récemment avalisé le procédé s’agissant d’une déclaration de saisine : CA Saint-Denis-de-la-Réunion, 5 juill. 2019, n° 18/00110 (« Avant même que la décision constatant la caducité de la déclaration de saisine ne soit intervenue, la société SOFEXI a saisi la cour d’une nouvelle déclaration de saisie formulée par voie électronique le 26 janvier 2018 portant sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 septembre 2017/Les dispositions de l’article 911-1 alinéa 3 qui prévoient que la partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie, ne font pas référence à la caducité prononcée sur le fondement de l’article 1037-1 du Code de procédure civile. En outre l’article 1037-1 ne renvoie qu’aux dispositions des articles 905, 911, 911-2 et 916 du Code de procédure civile. Enfin au jour où la cour a été saisie la caducité de la première saisine n’avait pas été prononcée mais a été prononcée depuis/Par conséquence la demande de la société PROFIMA tendant à l’irrecevabilité de la saisine invoquée sur le fondement de l’article 911-1 ne peut prospérer/La saisine de la société SOFEXI sera déclarée recevable ».).
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4.
V. sur cette question notre article, avec les références y visées : « Réflexions sur la caducité de la déclaration d’appel », obs. ss. Cass. 2e civ., 5 sept. 2019, n° 18-21717 et CE, 13 nov. 2019, n° 412255 : publié dans HAL.
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5.
Confusion entretenue par le fait que ledit avocat représentait l’intimée dans le cadre d’une procédure devant le Premier président : v. Laffly R., « Notification des conclusions en appel : à fond la forme ! », Dalloz Actualité, à paraître.
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6.
Cass. 2e civ., avis, 12 juill. 2018, n° 18-70008 : Dalloz actualité, 12 sept. 2018, obs. Laffly R. ; Gaz. Pal. 31 juill. 2018, n° 330c0, p. 75, obs. Amrani-Mekki S. Ce raisonnement a été opportunément étendu au cas de la notification de la déclaration de saisine par certaines juridictions d’appel : CA Paris, 22 nov. 2019, n° 19/15844 (« Bien que l’article 1037-1 ne le précise pas, au contraire de l’article 905-1 en ce qui concerne la déclaration d’appel, la signification de la déclaration de saisine aux autres parties à l’instance ne se conçoit que dans l’hypothèse où celles-ci n’ont pas déjà constitué avocat dans le délai de 10 jours de la notification de l’avis de fixation par le greffe/En effet, l’objectif poursuivi par le législateur, qui est de favoriser un traitement accéléré de la procédure tout en assurant le respect du principe de la contradiction, est atteint lorsque l’ensemble des parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation a constitué avocat dans ledit délai, de sorte qu’il devient inutile de procéder à la notification par acte d’huissier, c’est-à-dire à la "signification" de la déclaration de saisine, prévue par l’article 1037-alinéa 1 (sic), du CPC/Adopter la position inverse reviendrait à imposer un formalisme excessif constitutif d’une atteinte disproportionnée au droit à un recours effectif ».).
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7.
On rappellera ici le libellé de l’article 19 du CPC : « Les parties choisissent librement leur défenseur soit pour se faire représenter, soit pour se faire assister suivant ce que la loi permet ou ordonne. ». Sur ce texte, le principe qu’il renferme et sa signification dans le cadre de l’assurance de protection juridique : Cerveau B., « Protection juridique : libre choix de l’avocat », Gaz. Pal. 28 sept. 2000, n° A0094, p. 4. Les juges européens ont apporté leur pierre à l’édifice : Andriantsimbazovina J., « L’impossibilité de choisir en connaissance de cause son avocat méconnaître le droit à un procès équitable et le droit à l’assistance d’un avocat », obs. ss CEDH (gde ch.), 20 oct. 2015, n° 25703/11, Gaz. Pal. 28 nov. 2015, n° 248s3, p. 17 ; Brunel G., « La CJUE étend aux procédures non juridictionnelles la liberté de choix de l’avocat par l’assuré », obs. ss CJUE, 7 avr. 2016, n° C-460/14, RGDA juin 2016, n° 113m3, p. 329.
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8.
Comme l’a récemment montré la résistance opposée par la profession à un certain amendement relatif à l’intervention des assureurs protection juridique dans la négociation des honoraires… résistance heureuse puisqu’elle a été entendue, conduisant au retrait dudit amendement le 13 février 2020.
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9.
On pense en particulier à l’article 1156 du Code civil : « L’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté/Lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité/L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représentant l’a ratifié. » La lettre n’est à l’évidence pas adaptée à la procédure civile puisqu’il s’inscrit dans le droit commun des obligations ; l’esprit est néanmoins bien là, d’une possibilité de ratification a posteriori par le représenté s’agissant des actes accomplis sans pouvoir par le pseudo-représentant. Le droit commun du mandat pourrait également être mobilisé (v. art. 1998 et la jurisprudence associée en particulier).
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10.
V. infra n° 22.
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11.
V. infra n° 22.
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12.
V. par ex. : CA Aix-en-Provence, 5 déc. 2018, n° 18/09177 (« Le dysfonctionnement du système informatique de son conseil invoqué par (l’appelant), dont il ne précise d’ailleurs pas en quoi il a consisté, ni ne justifie qu’il n’est pas imputable à ce conseil, ne saurait constituer un cas de force majeure au sens de l’article 910-3 (du) CPC ni la cause étrangère visée à l’article 930-1 du même code, d’autant que (l’appelant) n’a pas déposé au greffe des conclusions sous forme papier dans le délai de l’article 908. ») – CA Paris, 9 avr. 2019, n° 19/02124.
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13.
CA Chambéry, 30 avr. 2019, n° 18/00621 (« En l’espèce, l’appelante fait état de nombreux dysfonctionnements ayant affecté le RPVA à l’époque de l’appel/Toutefois, aucun élément produit par l’appelante est susceptible de démontrer qu’il y a bien eu un essai d’envoi des conclusions au greffe de la Cour. »).
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14.
CA Paris, 9 avr. 2019, n° 19/02124 (« Le 5 septembre 2017, le conseil de la société MFP devenue… a adressé ses conclusions d’intimé par RPVA et, le 7 septembre 2017, a transmis ses observations par RPVA au conseiller de la mise en état pour lui indiquer les difficultés imprévisibles et étrangères ayant impacté la transmission de ses écritures dont l’existence de difficultés de connexion pour accéder au système RPVA/Ni l’attestation de M. B. indiquant l’existence de problèmes de connexion jusqu’à la fin du mois de septembre 2018 au sein du cabinet du conseil de la société MFP devenue…, d’ailleurs contredite par les connexions du cabinet d’avocats en date des 5et 7 septembre 2017, ni les erreurs d’agenda, ni le départ d’une assistante ne constituent des cas de force majeure, étant précisé, s’agissant des difficultés relatives au système RPVA, qu’il n’a pas été fait usage, à la suite du problème technique invoqué, de la possibilité ouverte par l’article 930-1 du CPC (…) qui précise que pour les cas où un acte n’a pu être transmis par voie électronique pour une cause étrangère, l’acte est établi sur support papier et remis au greffe »).
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15.
V. ainsi, à propos d’un dysfonctionnement affectant vraisemblablement le logiciel de traitement de dossier de l’avocat plaidant et non directement le RPVA : CA Basse-Terre, 10 févr. 2020, n° 19/00729 (« La force majeure ne peut être retenue que lorsque l’événement qui a empêché la remise au greffe des conclusions dans le délai prévu par l’article 908 revêt un caractère imprévisible et irrésistible/En l’espèce, la SCI Perle des Caraïbes se prévaut d’une panne du système informatique de son avocat plaidant qui n’aurait été résolue que le 25 octobre 2018 et qui aurait empêché ce dernier, le 24 octobre 2018, d’accéder aux dossiers de ses clients et de communiquer ses conclusions à l’avocat postulant qui était chargé de les remettre à la Cour via le RPVA/Elle produit à ce titre l’attestation de la société Assist’Pc qui indique que le cabinet principal de Maître…, avocat plaidant, situé à Bondy, est connecté via un réseau privé virtuel à un serveur basé à son cabinet secondaire à Sainte-Rose sur lequel sont enregistrés tous ses fichiers informatiques et que, le 24 octobre 2018, l’ensemble des dossiers clients était inaccessible compte tenu d’une surchauffe de son serveur/La société Assist’Pc atteste, le 25 avril 2019, que les opérations de dépannage n’ont pu être réalisées pour permettre l’accès aux dossiers que le 25 octobre 2018/Cette situation a été confirmée par un ingénieur informatique situé en métropole, dont l’attestation ne remplit cependant aucune des conditions prévues par l’article 2020 du CPC et dont le lien avec le cabinet d’avocat n’est pas précisé/Néanmoins, même si les pièces produites confirment le caractère irrésistible du problème informatique survenu le 24 octobre 2018, la configuration même du système informatique utilisé par Maître… rendait prévisibles les difficultés d’accès aux dossiers clients enregistrés sur un serveur basé en Guadeloupe/Dans ces conditions, il appartenait à l’avocat plaidant de prendre ses dispositions pour que ses conclusions puissent être transmises à l’avocat postulant avant la date limite de leur remise au greffe, étant précisé que cette transmission entre avocats pouvait être faite par tous moyens. Le fait d’attendre le dernier jour pour transmettre ses conclusions l’exposait aux désagréments d’une panne dont le caractère prévisible est parfaitement établi »).
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16.
V. ainsi : CA Chambéry, 30 avr. 2019, n° 18/00621 – CA Paris, 9 avr. 2019, n° 19/02124.
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17.
V. prioritairement : Cass. 2e civ., 14 nov. 2019, n° 18-17839 : Dalloz actualité, 6 déc. 2019 obs. Laffly R ; Procédures 2020, comm. 33 obs. Croze H. ; Gaz. Pal. 28 janv. 2020, n° 369c3, p. 59, obs. Guez M. – v. égal. réc. et quoique la décision soit compréhensible à certains égards : CA Paris, 15 janv. 2020, n° 19/10387.
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18.
CA Caen, 3 juill. 2018, n° 18/00293.
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19.
CA Nancy, 11 avr. 2019, n° 18/01952.
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20.
CA Nîmes, 16 mai 2019, n° 18/04133.
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21.
V. outre les décisions citées ci-dessous : CA Amiens, 14 nov. 2019, n° 19/03624 (« L’envoi de conclusions erronées dont la seule responsabilité incombe à celui qui les transmet ne saurait constituer un cas de force majeure/Ainsi (l’appelant) admet que son conseil a, lors de l’envoi du fichier effectué une fausse manœuvre. Il ne saurait qualifier cette fausse manœuvre d’imprévisible alors qu’elle émane de lui ni d’irrésistible dans la mesure où si un message ne peut être supprimé du RPVA, rien ne s’opposait à ce qu’il corrige ce qu’il qualifie de "fausse manœuvre" par un message ultérieur comportant ses conclusions d’appel. »).
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22.
CA Paris, 3 juill. 2019, n° 19/02844.
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23.
CA Basse-Terre, 13 mai 2019, n° 18/01284.
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24.
V. par ex. au sein de la même juridiction, à quelques mois d’intervalle : CA Basse-Terre, 10 févr. 2020, n° 19/00729 (« La force majeure ne peut être retenue que lorsque l’événement qui a empêché la remise au greffe des conclusions dans le délai prévu par l’article 908 revêt un caractère imprévisible et irrésistible ») – CA Basse-Terre, 13 mai 2019, n° 18/01284 (« La force majeure est quant à elle établie en présence d’un évènement répondant à des conditions cumulatives d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. »). Cette même juridiction a un temps étrangement considéré qu’il n’appartenait pas à la cour saisie sur déféré d’apprécier la force majeure au sens de l’article 910-3 du CPC, partant de la lettre de ce dernier (CA Basse-Terre, 3 déc. 2018, n° 18/01026 : la demande tendant à obtenir le bénéfice de l’article 910-3 « ne relève donc pas de la compétence de la cour ») ; elle en est visiblement et heureusement revenue – V. au reste : CA Caen, 3 juill. 2018, n° 18/00293 (qui n’évoque qu’un évènement « imprévisible et irrésistible ») – CA Nîmes, 16 mai 2019, n° 18/04133 (qui évoque uniquement les caractères « d’imprévisibilité et d’irrésistibilité »).
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25.
V. parmi une littérature abondante : Genicon T., « Caractères de la force majeure : l’imprévisibilité est bien requise », obs. ss. Cass. 1re civ., 30 oct. 2008, n° 07-17134, RDC 2009, p. 62.
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26.
V. l’ensemble des références dans la contribution citée ci-dessus.
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27.
Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, nos 02-11168 et 04-18902 : GAJC, n° 183-184 ; RDC 2006, p. 1083, obs. Laithier Y.-M. et RDC 2006, p. 1207, obs. Viney G. ; JCP G 2006, II 10087, note Grosser P. ; Defrénois 30 août 2006, n° 38433, p. 1212, obs. Savaux E. ; Contrats conc. consom. 2006, comm. 152, note Leveneur L. ; RLDC 2006, n° 2129, note Mekki M. ; LPA 6 juill. 2006, p. 14, note Le Mageresse Y. ; RTD civ. 2006, p. 775, obs. Jourdain P. ; D. 2006, p. 1577, note Jourdain P. ; D. 2006, p. 1933, obs. Brun P. ; D. 2006, p. 2645, obs. Fauvarque-Cosson B. et Noguéro D. L’on dira que la condition d’extériorité n’est pas visée en tant que telle dans ces décisions (même si elle l’est dans les communiqués associés) ; c’est surtout qu’elle n’était pas en discussion ; c’est pourquoi l’on peut penser après d’autres que cette disparition est plus apparente que réelle – V. d’ailleurs : Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-17726 (qui vise en matière contractuelle la « survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ») – Cass. 3e civ., 23 mars 2017, n° 16-12870 (qui vise en matière délictuelle la « cause extérieure, imprévisible et irrésistible »).
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28.
L’article 1218 alinéa 1er du Code civil dispose aujourd’hui : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » Il est vrai que le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance de février 2016 retient que ce nouveau texte n’exige pas l’extériorité, ce qu’a redit la circulaire du 4 août 2017 jointe au décret du 6 mai 2017 (« La notion de force majeure a ainsi été privilégiée par rapport à celle de cause étrangère, en cohérence avec la nouvelle définition de la force majeure en matière contractuelle dans le Code civil, issue de la réforme du droit des contrats à l’article 1218 du Code civil, qui ne fait plus référence à l’extériorité de l’événement mais à son caractère incontrôlable dans sa survenance et ses conséquences. ») ; il est pourtant loisible de penser avec Chénédé F. que « l’exigence d’un événement "échappant au contrôle du débiteur", qui correspond très exactement à la condition d’extériorité, est (…) inscrite dans le texte » (Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2016, Dalloz, p. 178, n° 28.22).
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29.
En effet, l’article 1253, alinéa 2 du projet de mars 2017 se lit : « En matière extracontractuelle, la force majeure est l’événement échappant au contrôle du défendeur ou de la personne dont il doit répondre, et dont ceux-ci ne pouvaient éviter ni la réalisation ni les conséquences par des mesures appropriées. » L’imprévisibilité semble cette fois « fondue » dans l’irrésistibilité. L’extériorité a quant à elle été rétablie par rapport à l’avant-projet d’avril 2016 (« En matière extracontractuelle, la force majeure est l’événement dont le défendeur ou la personne dont il doit répondre ne pouvait éviter la réalisation ou les conséquences par des mesures appropriées. »).
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30.
Conforté partiellement d’ailleurs en cela par la circulaire du 4 août 2017 adjointe au décret du 6 mai 2017, où l’on peut lire : « Le décret introduit la notion de "force majeure" en procédure civile. Cette notion a été privilégiée par rapport à celle de "cause étrangère" déjà utilisée. (…) La notion de "cause étrangère" dans le Code de procédure civile insiste surtout sur l’extériorité de l’événement par rapport à celui qui doit faire la diligence. ».
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31.
L’article 910-3 du Code civil a en effet été mis en place par le décret du 6 mai 2017, c’est-à-dire bien ultérieurement à l’article 930-1 et sa « cause étrangère » en vigueur depuis 2011.
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32.
Ceci nonobstant donc la circulaire précitée, qui ne lie à l’évidence pas le juge.
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33.
Cass. 2e civ., 14 nov. 2019, n° 18-17839.
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34.
Ce que la réforme de 2016 a consacré via le rapport au président de la République et ce que la réforme projetée de la responsabilité civile devrait formellement redire (v. ci-dessus les formulations proposées).