Rapport de synthèse

Publié le 14/11/2016

Je tiens à remercier les organisateurs de leur confiance, même si la tâche qui consiste à synthétiser 17 rapports est particulièrement ardue. Merci aussi au TGI de Brest et à son président qui nous a offert l’hospitalité pour ce colloque, preuve que doctrine et jurisprudence marchent main dans la main pour arpenter le chemin du droit, en l’occurrence à la recherche du secret. Bravo à tous les intervenants, avec une mention spéciale aux étudiants du Master 2 de Droit privé fondamental, qui m’ont fait l’honneur de me choisir comme parrain de promotion. Sans vouloir les flatter, je pense qu’un profane, en écoutant aujourd’hui les uns et les autres, aurait éprouvé beaucoup de difficultés à discerner les enseignants de leurs étudiants, ce qui n’a rien de péjoratif pour les premiers et révèle qu’ils ont parfaitement rempli leur mission, à savoir ne garder aucun secret sur leurs savoirs et leurs connaissances.

À l’issue de cette très riche journée, il n’est pas exagéré d’affirmer que le secret n’a plus de secret pour nous, tant il est vrai que nous en avons exploré les multiples facettes, dans tous les domaines possibles et imaginables ou presque. Presque, car on aurait pu aussi traiter du secret défense et du secret de la défense, mais, au fond, qu’importe, nous avions déjà beaucoup de grains à moudre. Assez de grains en tous cas pour identifier les fondements, le domaine, le régime, les sanctions du secret, même si certains types de secrets souffrent, comme l’a relevé un intervenant, d’un certain déficit conceptuel.

Après avoir écouté les uns et les autres, le premier sentiment qui vient à l’esprit est que le secret, entendu comme le devoir de se taire, est de moins en moins absolu, de plus en plus relatif. À tel point qu’on a même discuté du point de savoir si, sous les coups de boutoir de l’exigence de transparence, attisés par des affaires récentes sur les paradis fiscaux ou spirituels, et de l’insatiable appétit de la société de l’information, irrigué par la jurisprudence de la CEDH, le devoir de se taire ne devait pas s’effacer désormais au profit du droit de savoir.

Pourtant, je ne pense pas que le fait qu’un principe connaisse de plus en plus d’exceptions permette de conclure à sa disparition. Simplement, il incite à une réflexion plus subtile, plus nuancée, plus approfondie, à laquelle vous vous êtes tous livrés aujourd’hui.

En suivant les pistes que vous avez tracées durant ce colloque, je m’arrêterai successivement, pour en restituer la substance et l’esprit, sur le secret imposé, autrement dit sur le devoir de se taire, puis sur le secret impossible, précisément sur le droit de savoir.

I – Le secret imposé : le devoir de se taire

Comme l’a suggéré Marion Cottet, ce devoir de se taire doit être envisagé sous un double aspect.

D’une part, sous l’angle du débiteur de ce devoir, auquel le secret est imposé sur les confidences qui lui ont été faites dans l’exercice de sa profession.

D’autre part, sous l’angle de son bénéficiaire, de l’auteur desdites confidences, créancier d’un droit subjectif.

Dualité qui rejaillit sur le fondement du devoir de se taire : tantôt l’intérêt général, tantôt l’intérêt privé.

A – L’intérêt général

Imposé aux professionnels pour des motifs d’intérêt général, le devoir de secret a une force certaine. Certes, son domaine a une certaine tendance à se réduire, mais s’il est violé, il est pénalement sanctionné et rares sont les cas dans lesquels la digue de ce devoir d’intérêt général peut céder.

Sans souci d’exhaustivité, on relèvera d’abord les secrets professionnels fondés sur l’ordre social : « Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion, que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié »1.

On doit aussi évoquer, dans cette rubrique, le secret professionnel fondé sur des motifs de santé publique qui s’impose au corps médical. Le médecin, qui a prêté le serment d’Hippocrate, est le gardien des secrets qui lui ont été révélés dans l’exercice de son art.

Il en va ainsi aussi, au nom de l’ordre public processuel, pour les enquêteurs et les magistrats qui, pour des raisons pratiques qui tiennent à l’efficacité de l’enquête et de l’instruction et à la nature inquisitoriale de la procédure pénale, sont soumis à la règle de la non-publicité des actes qui y sont relatifs. Il en va de même quant au secret du délibéré, à la fois obligation personnelle du juge et garantie de son impartialité et de son indépendance.

B – L’intérêt privé

Il s’agit ici d’évoquer le droit subjectif au secret dont peuvent se prévaloir, au nom d’intérêts divers et variés, certaines personnes physiques ou morales, étant entendu qu’en tant que droit subjectif, il doit composer avec les caractéristiques qui lui sont inhérentes.

Le premier impératif dont peut se prévaloir le bénéficiaire d’un droit subjectif au secret pour le faire respecter, est l’intimité de sa vie privée qui se décline en plusieurs droits :

  • droit à l’intimité de sa vie personnelle, sentimentale et familiale qui garantit la protection de celle-ci contre toute révélation faite sans l’autorisation du titulaire de ce droit ;

  • droit au respect de la vie privée matrimoniale : chaque époux peut, en principe, conserver des secrets, tant avant le mariage que pendant celui-ci ; en mariage, trompe qui peut, qu’il s’agisse de son futur conjoint ou de son conjoint actuel. Le mariage n’empêche pas les époux de conserver leurs jardins secrets. Le pluriel que le mariage emporte n’exclut pas le singulier que le secret incarne ;

  • droit au respect de l’intimité de la vie privée professionnelle, comme l’a affirmé la chambre sociale de la Cour de cassation, le 2 décembre 2001 : « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de sa vie privée », laquelle emporte le secret des correspondances. L’employeur ne peut donc pas, en principe, exploiter à des fins probatoires ou disciplinaires des messages émis ou reçus par son salarié depuis sa messagerie professionnelle ou personnelle ;

  • droit au respect de la vie privée et familiale du donneur de gamètes qui, au nom de la paix des familles, peut refuser de révéler son identité et qui est protégé par la règle de l’anonymat.

Autres motifs d’intérêt privé sur lesquels repose le droit au secret et le devoir de se taire, la protection économique de l’entreprise via le secret des affaires qui garantit la protection des savoir-faire et des secrets techniques contre une concurrence par trop intrusive et déloyale.

Les entreprises peuvent elles-mêmes assurer une telle protection en insérant dans les contrats qu’elles concluent une clause de confidentialité susceptible de couvrir toutes les phases du processus contractuel et qui portent sur les secrets communiqués de la négociation du contrat à la période post-contractuelle. On ajoutera que la réforme du droit des contrats, de la preuve et du régime des obligations impose un tel devoir de confidentialité qui s’appliquera en l’absence de clause. On évoquera aussi la directive européenne sur le secret des affaires qui définit le secret en question, le dote d’un régime précis et renforce donc opportunément la protection des savoir-faire et des informations commerciales.

Aujourd’hui, quels que soient les impératifs sur lesquels il repose, le secret imposé, le devoir de se taire, est soumis aux coups de boutoir de la société de l’information, à l’exigence de transparence à laquelle aspire toute société démocratique et que revendique la pression médiatique.

Dans des hypothèses de plus en plus nombreuses, le devoir de se taire cède face au droit de savoir et le secret devient alors impossible.

II – Le secret impossible : le droit de savoir

Les cas dans lesquels le devoir de se taire s’efface sont en définitive assez fréquents, notamment parce qu’il doit composer avec d’autres libertés et droits fondamentaux, avec lesquels il est placé dans un rapport hiérarchique d’égalité. C’est alors au juge de décider qui du devoir de se taire ou du droit de savoir doit alors l’emporter. Droit de savoir qui repose soit sur des motifs d’intérêt général, soit sur des motifs d’intérêt privé, fondements qui constitueront un critère pour le juge en vue de résoudre le conflit entre ce droit et le devoir de se taire.

A – L’intérêt général

Première illustration du déclin du devoir de se taire face au droit de savoir, l’impératif de vérité judiciaire et l’émergence d’un droit à la preuve, traduction conceptuelle d’un droit processuel à la manifestation de la vérité, dont la mise en œuvre s’opère fatalement au détriment des secrets en général et du secret des correspondances en particulier.

Le secret baisse aussi pavillon en droit positif face à la liberté d’expression et au droit du public à l’information. À cet égard, on ne peut manquer de relever l’application discriminatoire de l’article 9 du Code civil : le statut, la célébrité, la notoriété de la personne dont la vie privée est révélée sans son autorisation semble constituer aujourd’hui un fait justificatif pour l’auteur de l’atteinte. Parce que la personne dont la vie privée est objectivement violée est un homme politique qui occupe des hautes fonctions, le juge considère que la révélation s’inscrit dans un débat d’intérêt général et absout l’organe de presse qui a fouillé dans la vie privée de la victime de l’atteinte pour doper ses ventes.

Des révélations sur la santé d’une personne ont même été considérées comme licites, parce que la personne en question était un homme d’État et que ces informations étaient opportunes au regard des responsabilités qu’il assurait et de sa capacité à les exercer dans le futur.

Le secret de la vie privée matrimoniale connaît lui aussi quelques failles. D’une part, avant le mariage, le droit de se taire du futur conjoint s’efface quand son silence emporterait une erreur déterminante dans l’esprit de son futur époux portant sur ses qualités substantielles : impossible de taire, par exemple, une grave maladie, surtout si elle est contagieuse, alors au contraire que la femme n’est pas obligée de révéler qu’elle n’est pas vierge. L’ordre public matrimonial neutralise le droit au secret qui s’incline face aux obligations impératives souscrites par les époux : aide, assistance, respect, fidélité…

Autre cas dans lequel le devoir de se taire cède face au droit de savoir, celui qui repose sur la paix publique. Ainsi, en est-il du secret de la confession quand le prêtre a reçu de son fidèle une information qui permettrait de prévenir la commission d’une infraction ou qui porte sur un mauvais traitement infligé à un mineur de moins de 15 ans. Le prêtre sera alors confronté à un dilemme cornélien : respect du droit laïc ou respect du droit canon, puisque s’il révèle ces confidences, il sera exclu de la religion catholique, tandis que s’il ne les dénonce pas, il sera pénalement responsable.

Pour des raisons de santé publique, le médecin peut être délivré du devoir de se taire qui lui est, en principe, imposé. Il peut être ainsi autorisé à divulguer le dossier médical de son patient dans l’intérêt d’autrui. Par ailleurs, de manière indirecte, la création du dossier médical électronique fait courir un risque non négligeable pour le secret éponyme, pour peu que la sécurisation de ce fichier ne soit pas assurée de façon suffisamment efficace.

« Parce qu’une justice cachée est suspecte », il existe depuis déjà un certain temps une tendance lourde à propos du secret de l’enquête et de l’instruction, lesquels seraient devenus des « secrets de polichinelles ». Et il est vrai que, comme l’actualité le révèle périodiquement, les violations de ces secrets sont légion, à tel point qu’on serait fondé à penser que ces secrets, alors même qu’ils sont pénalement sanctionnés, sont de simples leurres, d’autant qu’ils sont menacés par l’exigence de procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention EDH.

Reste que si ces secrets ont du plomb dans l’aile, le secret de l’instruction demeure vivace, grâce au secret dans l’instruction « qui vient corriger les ratés du secret de l’instruction. En manipulant le temps et l’espace de l’instruction, le juge d’instruction va pouvoir faire régner un secret qui va lui être bénéfique, voire même indispensable, au bon déroulé de son instruction et des actes qu’il va prendre »2. J’en finirai avec cette première série d’hypothèses dans lesquelles le devoir de se taire est évincé par le droit de savoir et par l’exigence de transparence en évoquant les limites du secret bancaire, appréhendé à l’aune de la mondialisation de l’économie et de ses dérives : paradis fiscaux, blanchiments de capitaux, etc.

L’opacité bancaire et fiscale doit composer avec une certaine éthique des affaires qui va dans le sens d’un renforcement de la responsabilisation sociale des opérateurs économiques et de l’exigence de transparence.

B – L’intérêt privé

Quand il repose sur un intérêt privé, le devoir de se taire ne saurait être intangible et absolu.

On peut ainsi envisager que la force du secret de la défense dépend de la fonction qu’il exerce pour son client : absolu, quand l’avocat exerce sa mission de défense, le devoir de secret pourrait n’être que relatif quand celui-ci exerce ses missions d’assistance et de consultation. Encore faudrait-il alors que la levée du secret soit nécessaire à la défense d’un droit fondamental et soit indispensable, faute d’autres modes de preuve disponibles, à la manifestation de la vérité judiciaire.

Le droit de savoir de l’enfant a conduit à tempérer très sensiblement le droit au secret de sa mère qui, pour une raison ou une autre, avait accouché sous X.

Quant au droit au secret du donneur de gamètes, fondé sur la paix des familles, il se heurte au droit au respect de la vie privée de l’enfant né d’une procréation médicalement assistée. Et si la CEDH était saisie de cette question et qu’elle devait trancher entre les intérêts en conflit, il est possible, sinon probable, qu’elle privilégierait l’intérêt de l’enfant.

Enfin, on doit retenir que la vie privée du salarié et le secret des correspondances qu’il peut invoquer à propos des messages émis ou reçus à partir de ses messageries professionnelles et personnelles a subi quelques atteintes jurisprudentielles lors de ces toutes dernières années. Ainsi, le secret peut être levé et le droit de savoir de l’employeur satisfait quand les messages causent un trouble objectif à l’entreprise, en raison de leur contenu, ou quand ils sont dénués de tout rapport avec l’exercice de la profession du salarié.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Garçon E., « Code pénal annoté », S. 1952, art. 378.
  • 2.
    Infra, Pellen A., Le point de vue du juge d’instruction.
LPA 14 Nov. 2016, n° 119w0, p.85

Référence : LPA 14 Nov. 2016, n° 119w0, p.85

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