Insertion dans le Code civil d’une responsabilité pour troubles anormaux de voisinage

Publié le 19/08/2024
Insertion dans le Code civil d’une responsabilité pour troubles anormaux de voisinage
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Cette thématique vient d’être abordée dans une nouvelle réforme puisque la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels a été publiée au Journal officiel le 16 avril 2024. Cette réforme a vu le jour grâce à la proposition de loi n° 1602 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2023 dans le but de soutenir notamment les exploitants agricoles et les paysans, certains d’entre eux ayant été attaqués en justice, sans oublier qu’il valait également mieux préserver l’environnement des voisins.

L. n° 2024-346, 15 avr. 2024, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels

Cette nouvelle loi vise les conflits de voisinage et les préoccupations du monde rural et agricole, ces réflexions ayant démarré en 2023 lors du dépôt de la proposition de loi1. Toutefois, avec ce titre lié aux enjeux actuels, on aurait pu s’attendre à d’autres avancées en droit de la responsabilité civile (I), mais le législateur s’est uniquement préoccupé des troubles anormaux du voisinage (II) car de nombreuses personnes habitant en milieu rural, en particulier les agriculteurs, souffrent de conflits de voisinage.

I – La loi du 15 avril 2024 ne prévoit pas d’évolution générale du droit de la responsabilité

Dans le cadre d’une réforme envisageant d’adapter le droit de la responsabilité aux enjeux actuels, de nombreux changements juridiques des règles de la responsabilité civile auraient pu être opérés, puisqu’une personne peut être jugée responsable civilement dans différents types de situations, si bien que les enjeux actuels pouvaient être considérés comme multiples.

Faire évoluer le droit en la matière aurait été d’autant plus pertinent que peu de changements législatifs sont intervenus récemment dans ce domaine alors que le nombre de victimes nécessitant un soutien est important.

En lisant le titre de la loi, qui vise à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels, on pouvait effectivement s’attendre à diverses avancées législatives sur plusieurs thématiques. Néanmoins, le législateur n’a finalement abordé que la responsabilité du fait des troubles anormaux du voisinage.

Il n’empêche que, en raison des enjeux qu’ils suscitent, les troubles anormaux du voisinage constituent un premier pan à modeler dans cette loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.

II – La loi du 15 avril 2024 aborde la responsabilité civile fondée sur les troubles du voisinage

Cette réforme aborde les troubles anormaux du voisinage dans les campagnes ou dans les villes, liés à des nuisances sonores ou olfactives, mais aussi à des travaux ou comportements agressifs quand ces nuisances dépassent un certain seuil de gravité. Elle complète la loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises2, en ayant pour objectif de limiter les conflits entre néoruraux et paysans et en explicitant les affaires dans lesquelles la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage doit être mise en place (A), tout en prévoyant différentes exceptions (B). Ces principes et exceptions sont prévus dans le nouvel article 1253 du Code civil.

A – Le principe de la responsabilité civile pour troubles du voisinage

Le législateur a introduit dans le Code civil un nouveau chapitre concernant les troubles anormaux du voisinage ainsi qu’un nouvel article. La responsabilité civile pour troubles du voisinage est mise en place pour la première fois dans le Code civil car, conformément à l’alinéa 1er de l’article 1253, « le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ». Ce nouveau texte codifie la théorie de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage.

Ce sont toutefois les juges de la Cour de cassation qui ont débuté cette démarche car, en 1986, ils avaient posé le principe général de responsabilité selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage »3. Il était tout de même opportun d’intégrer cette responsabilité dans le Code civil.

Il est essentiel de noter que le législateur évoque une responsabilité de plein droit, signifiant qu’il n’y a pas à prouver de faute pour sanctionner ces conflits, notamment en cas de plainte de néoruraux contre les agriculteurs ou les paysans. En effet, l’absence de faute ne constitue donc pas un moyen d’échapper à une condamnation. C’est l’anormalité du trouble qui entraîne la responsabilité de l’auteur, si bien qu’il importe peu qu’il n’ait pas voulu nuire à son voisin puisqu’il suffit de constater un trouble anormal dans le rapport de voisinage. Toutefois, il faut que le trouble dépasse un certain seuil de gravité pour être considéré comme anormal. Le juge doit donc seulement constater l’anormalité d’un trouble pour que la responsabilité de la personne qui en est à l’origine soit engagée.

B – Les exceptions au principe de la responsabilité civile pour troubles du voisinage

Toutefois, la responsabilité civile n’interviendra pas toujours en ce domaine dans la mesure où de nombreuses exceptions sont prévues dans l’alinéa 2 de l’article 1253 du Code civil, texte qui inscrit dans le Code civil la clause exonératoire de responsabilité en énumérant les trois critères cumulatifs nécessaires à son application : l’antériorité de l’activité, la conformité à la législation et la poursuite de cette activité dans les mêmes conditions.

Les individus ne sont effectivement pas responsables lorsque le trouble anormal provient d’activités antérieures à l’acte ayant transféré la propriété du bien ou octroyé sa jouissance, si ces activités sont conformes aux lois et aux règlements, peu important désormais la nature des activités, alors que, dans l’ancien article L. 113-8 du Code de la construction et de l’habitation, abrogé par la loi, seules étaient visées les activités agricoles, commerciales, industrielles, artisanales, touristiques, culturelles ou aéronautiques4. On pourrait ajouter, par exemple, les activités sportives, militaires ou scolaires. En outre, cette exception concernait précédemment les occupants d’un bâtiment et, désormais, toute personne lésée peut en profiter.

Il ressort de cette réforme importante que la responsabilité ne peut pas être engagée si l’activité à l’origine du trouble a préexisté à l’installation du demandeur et s’est poursuivie en conformité avec la réglementation, de même que si l’activité concernée est antérieure à l’installation de la personne qui se plaint du trouble de voisinage. C’est aussi le cas si l’intéressé respecte le cadre législatif et réglementaire en vigueur, de même que si l’activité se poursuit dans les mêmes conditions. En outre, il ressort de la loi que la responsabilité d’un agriculteur qui modifierait les conditions d’exercice de son activité pour les mettre en conformité avec la réglementation ne pourra pas être recherchée pour trouble anormal de voisinage. Par ailleurs, s’il n’a pas substantiellement modifié la nature ou l’intensité de son activité agricole, il ne pourra pas voir sa responsabilité engagée, sachant que c’est le juge qui précisera s’il s’agit ou non d’une modification substantielle. Ce dernier dispose effectivement d’un pouvoir souverain dans le but d’apprécier le caractère anormal du trouble, notion particulièrement subjective.

Outre l’article 1253 du Code civil, la loi du 15 avril 2024 a également inséré l’article L. 311-1-1 dans le Code rural et de la pêche maritime. Ce texte précise que « la responsabilité prévue au premier alinéa de l’article 1253 n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée ». Il ajoute aussi que « ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions, dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ou dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité ». Ce texte du Code rural met donc en place pour les activités agricoles davantage de cas où la responsabilité ne peut pas être engagée que dans l’ancien article 113-8 du Code de la construction et de l’habitation.

Les exceptions à la responsabilité civile pour troubles du voisinage visent donc à la fois le respect de la législation en vigueur, une antériorité, ainsi que la poursuite de l’activité dans les mêmes conditions, afin de protéger les territoires ruraux trop confrontés aux conflits de voisinage.

Grâce à cette nouvelle réforme protégeant les territoires ruraux, les conditions d’un vivre ensemble équilibré ont été précisées sachant que, lors des travaux législatifs, le bien-vivre ensemble avait été évoqué pour garantir « un équilibre entre le développement des activités économiques et la préservation de l’environnement des voisins de ces activités »5. Surtout, ce texte permet de répondre aux préoccupations du monde rural et de réduire les conflits de voisinage entre les nouveaux habitants d’un territoire et les acteurs économiques, culturels ou encore touristiques. Il est vrai que favoriser le bien-vivre ensemble est une préoccupation constante du législateur, raison pour laquelle la responsabilité repose sur l’existence d’un trouble de voisinage anormal. En effet, nul ne doit exposer autrui ou l’environnement à un risque anormal.

Notes de bas de pages

  • 1.
    P. Januel, « Troubles anormaux du voisinage : vers une protection accrue des agriculteurs », Dalloz actualité, 1er déc. 2023 ; N. Reboul-Maupin, « Une responsabilité pour troubles anormaux de voisinage insérée dans le Code civil : le droit des biens sacrifié sur l’autel de la responsabilité civile ! Quelques réflexions autour du futur article 1253 du Code civil visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels », D. 2024, n° 2, p. 65.
  • 2.
    JO, 30 janv. 2021 ; A. Denizot, « Patrimoine sensoriel : un contresens juridique et historique », RTD civ. 2021, n° 2, p. 490 ; P. Mousseron, « Effet patrimonial et environnement des usages », JCP E 2021, n° 18, p. 41.
  • 3.
    Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, n° 84-16379 : Bull. civ. II, n° 172.
  • 4.
    Il avait été noté dans un arrêt que les activités militaires n’étaient pas visées dans l’ancien article 113-8 du Code de la construction et de l’habitation, Cass. 3e civ., 8 juill. 1992, n° 90-11170 : Bull. civ. III, n° 245.
  • 5.
    Comm. AN, rapp. n° 1912, 22 nov. 2023, sur la proposition de loi.
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