La France, épicentre de la justice pour les victimes des prothèses PIP

Publié le 29/06/2021
Calculatrice et stéthoscope posés sur une table, image conceptuelle dela responsabilité médicale
takasu / AdobeStock

Après des années de combat judiciaire, le certificateur allemand TÜV Rheinland, mis en cause dans l’affaire des prothèses mammaires défectueuses PIP, a été condamné à indemniser les victimes par la cour d’appel de Paris, le 20 mai dernier. La cour a reconnu des erreurs dans l’évaluation de ces dispositifs médicaux, après plusieurs décisions de justice contradictoires. Les victimes et les avocats des parties civiles se réjouissent mais le combat n’est pas fini pour autant.

« C’est un jour historique pour les victimes du scandale PIP dans le monde car la cour d’appel de Paris a confirmé la responsabilité de TÜV Rheinland, ce qui signifie que le certificateur allemand a commis des négligences et failli à ses exigences de contrôle », a déclaré Olivier Aumaître, avocat de plus de 20 000 femmes victimes des prothèses défectueuses, lors d’une conférence en ligne qui s’est tenue le 20 mai dernier. Ce dernier, membre de Pipaworld, un collectif d’avocats internationaux spécialisés en contentieux, affaires sanitaires et responsabilité médicale, attendait cette décision de pied ferme après des années de rebondissements judiciaires. En 2013 déjà, le tribunal de commerce de Toulon avait condamné TÜV Rheinland à indemniser l’ensemble des plaignantes, mais cette décision avait été infirmée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2015 avant que son arrêt ne soit lui-même annulé par la Cour de cassation en 2018. Cette dernière avait alors renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris. Ainsi la décision de mai dernier sonne comme une victoire. À ceci près que la cour a restreint cette responsabilité à la période allant du 1er septembre 2006 au 6 avril 2010, excluant ainsi plusieurs centaines de femmes qui s’étaient jointes à la procédure. Mais cette décision ouvre néanmoins la porte aux indemnisations pour de nombreuses autres victimes.

On s’en souvient, cette affaire vieille de plus de 10 ans a fait beaucoup parler d’elle. Par son ampleur, d’abord. Plus de 400 000 femmes dans le monde seraient victimes de ces implants mammaires défectueux pour un million d’exemplaires écoulés entre 2001 et 2010 dans 60 pays différents. Ensuite, par l’écho médiatique particulier qu’elle a pu avoir en France. En effet, la société Poly Implant Prothèse (PIP) a été fondée par le Français, Jean-Claude Mas, en 1991. Ce dernier est décédé en 2019, après avoir été condamné à 4 ans de prison par le tribunal correctionnel de Marseille. Par souci d’économie, ces prothèses étaient remplies, non avec du gel en silicone autorisé, mais avec un gel industriel non conforme, artisanal et bon marché. L’Agence du médicament s’en était rendu compte en mars 2010, alertée par le nombre anormalement élevé de ruptures de ces prothèses, six fois plus que pour les autres types de prothèse.

Derrière leurs écrans, le 20 mai dernier, des victimes du monde entier (Venezuela, France ou Angleterre) ont pu partager leur soulagement, comme Christine, une Française. « Désormais, nous sommes considérées comme les seules victimes », a-t-elle partagé, tout en faisant état de ses inquiétudes concernant sa santé. « Nous avons presque toutes des séquelles identifiées. Pour ma part, j’ai encore du silicone autour des ganglions axillaires et j’aurai peut-être un jour des problèmes. Si aujourd’hui marque une grande victoire, pour notre santé, les choses ne s’arrêtent pas là ». En effet, les femmes ayant subi la rupture ou la fuite de leurs prothèses PIP peuvent souffrir d’une inflammation des ganglions lymphatiques, de problèmes pulmonaires, de douleurs (poitrine, articulations, membres, etc.), de dépression ou encore d’asthénie intense, la liste complète des conséquences médicales restant à établir, précise le site de l’association Pipaworld.

« Si les victimes avaient été des hommes, les choses se seraient passées différemment »

Pour Cédric Joachimsmann, ancien distributeur des prothèses PIP au moment où le scandale a éclaté et devenu manager général de l’association Pipaworld, l’émotion était aussi palpable. Il a rappelé sa rencontre avec Olivier Aumaître, le 17 mai 2010, et ses premiers doutes partagés avec lui. Alors distributeur des implants PIP, il lui demande de rechercher la responsabilité de TÜV dans ce scandale qui avait éclaté six semaines plus tôt, au nom de la société qu’il avait fondée, J&D Medicals, et qui distribuait ces implants en Bulgarie et Roumanie. « Pour moi et plusieurs autres distributeurs, il était certain et évident que TÜV avait failli dans ses contrôles », une faute d’autant plus grave pour des dispositifs médicaux de type 3, c’est-à-dire les plus invasifs, soit environ 10 % des dispositifs médicaux mis sur le marché selon les chiffres de l’Agence américaine du médicament (FDA).

Quand il se rend compte du problème, il invite pourtant TÜV à négocier. « Nous connaissions les chirurgiens, nous connaissions les autres fabricants d’implants. Nous aurions alors pu organiser le remplacement rapide des implants PIP et ce à moindre coût. Nous avions fait le calcul à l’époque, cela aurait coûté 600 € par patiente », explique-t-il. Mais le certificateur ne donne pas suite, nie sa responsabilité et ne prend pas en compte les mises en garde de Cédric Joachimsmann qui estime que « Cela va faire l’effet d’une bombe pour [leur] crédibilité et [leur] image ». Résultat : l’affaire des prothèses PIP est devenue le « plus grand procès collectif du monde ».

Olivier Aumaître est lui aussi persuadé que le certificateur était « pleinement en pouvoir de vérifier et de contrôler » les implants, afin d’éviter « tout problème », rappelant qu’aucun « dispositif médical ne peut être mis sur le marché s’il compromet la santé des patients ». Or les prothèses PIP ont constitué « une fraude pas très compliquée » à mettre au grand jour, consistant à remplacer le gel silicone autorisé par du gel industriel. Les quantités achetées comparées aux quantités réellement nécessaires auraient dû alerter TÜV sur un risque d’emploi de mauvais gel. « En 2004, PIP n’a pas acheté une goutte de gel conforme », a-t-il ainsi précisé. Au lieu de sanctionner ces pratiques, le certificateur a « autorisé la mise sur le marché des implants », en permettant à la société française d’apposer le marquage CE, sachant que, pour les chirurgiens, obtenir cette certification était la meilleure garantie que le produit était sérieux et inoffensif.

« TÜV a donc fait le choix délibéré de nier ses responsabilités et de mener la guerre aux patientes et surtout de laisser le gel silicone industriel ronger le corps et l’âme de centaines de milliers de femmes », estime Cédric Joachimsmann. De garantie d’innocuité, TÜV est « devenu auteur de violences contre les femmes. Si les victimes avaient été des hommes, les choses se seraient passées différemment ». En tant que manager général de Pipaworld, il dit recevoir tous les jours des appels « de victimes détruites physiquement et mentalement ».

Les chiffres sont édifiants : les experts mandatés par la cour ont acté que 100 % des patientes PIP [sur les 20 000 représentées par Pipaworld, NDLR] subissent un préjudice d’anxiété permanent et les deux-tiers ont des complications. La moitié a subi une rupture d’implants. En plus de la liste établie par l’association, Cédric Joachimsmann évoque la prépondérance de maladies auto-immunes, ou des poitrines « complètement détruites », le comble pour les femmes qui étaient en reconstruction mammaire après un cancer ou celles qui avaient juste choisi de subir cette opération pour coller aux injonctions esthétiques d’une société patriarcale. De plus, phénomène inquiétant, un sondage empirique a révélé que 20 % des enfants allaités par des femmes ayant eu des prothèses PIP présenteraient des troubles autistiques, contre 2 % pour la population générale. « Nous appelons les autorités sanitaires à se rapprocher de nous pour mener une étude épidémiologique qui permettrait d’infirmer ou confirmer ces soupçons ». De façon générale, « les victimes n’ont pas été prises au sérieux, considérées comme des bimbos », a-t-il lâché, dépité par les réactions spontanées qu’il a pu entendre, les comparant à celles qui peuvent apparaître dans les affaires de viol, où les victimes sont perçues comme coupables.

« Le plus grand procès collectif du monde »

Afin de couvrir les frais de santé passés ou futurs (retraits de prothèses, coûts de prise en charge médicale, dommages, fuite, etc.), c’est une compensation financière évaluée entre 20 000 et 70 000 € qui pourrait être versée aux victimes. En prenant en compte leur nombre total, le fonds d’indemnisation pourrait atteindre les 500 millions d’euros à la charge de TÜV Rheinland. « Les juges sont maintenant convaincus que TÜV est le seul responsable » et le « seul moyen d’obtenir une compensation », PIP ayant fait faillite en mars 2010, quelques jours avant la révélation du scandale, explique Olivier Aumaître. Le certificateur, de son côté, conteste cette décision de justice et affirme qu’il ne revenait pas à un certificateur de détecter une fraude. « Cette décision est en contradiction avec la décision de la Cour de justice de l’Union européenne de 2017 (CJUE, 16 févr. 2017, n° C-219/15) et de la cour d’appel de Versailles de janvier 2021 », a-t-il estimé, dans un communiqué.

Aujourd’hui, par le retentissement de cette affaire, c’est la justice française qui est sous le feu des projecteurs, puisque c’est dans l’Hexagone que se concentrent l’ensemble des démarches judiciaires », précise Olivier Aumaître. « Même si elles ont reçu les implants dans d’autres pays, quelle que soit la nationalité des femmes, elles peuvent se joindre à notre action ». Pour l’avocat, il est « temps pour TÜV de capituler avec dignité ».

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