L’existence d’un contrat de séjour chasse la qualification de contrat de louage de choses
Lorsqu’un incendie se déclare dans un établissement accueillant des personnes âgées, la preuve de l’imputabilité du sinistre doit être rapportée. La présomption de responsabilité de l’occupant telle que prévue par l’article 1733 du Code civil n’a pas vocation à s’appliquer puisque la qualification de contrat de séjour exclut celle de contrat de louage de choses.
Cass. 3e civ., 3 déc. 2020, no 19-19670, ECLI:FR:CCASS:2020:C300913
Cass. 3e civ., 3 déc. 2020, no 20-10122, ECLI:FR:CCASS:2020:C300912
La qualification d’un contrat suppose le déploiement d’une méthode rigoureuse. Tantôt distributive, tantôt hiérarchisée en fonction du principal et de l’accessoire, ces méthodes pour tenter d’assimiler le contrat de séjour au contrat de louage de choses n’ont pourtant pas emporté l’adhésion de la Cour de cassation dans ces deux arrêts du 3 décembre 2020.
Les faits de ces affaires présentent de grandes similitudes. Dans la première espèce1, une personne âgée avait conclu en septembre 2008 un contrat de séjour avec un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) exploité par la société Résidence Les Tilleuls et une association en charge de la gestion des logements pour retraités. À la suite de l’incendie du logement de l’occupante en mai 2009, celle-ci décède. Le sinistre s’était déclaré dans la chambre de la résidente sans qu’il soit possible d’en déterminer l’origine. L’EHPAD sollicite alors la réparation de son préjudice et assigne l’assureur de la défunte sur le fondement de l’article 1733 du Code civil. Le texte fixe une présomption de responsabilité du preneur à bail en cas de sinistre causé par un incendie. Dans la seconde affaire2, une association de gestion des logements pour personnes retraitées avait conclu avec une retraitée un contrat de séjour portant sur l’occupation d’un appartement. En juillet 2011, ici encore, un incendie est survenu dans l’appartement de l’occupante causant son décès et s’est, par suite, propagé à d’autres logements ainsi qu’aux parties communes. L’association a assigné l’assureur de l’occupante sur le fondement de l’article 1733 du Code civil afin d’obtenir réparation de son préjudice.
Les juges du fond et respectivement les cours d’appel de Caen et de Reims ont eu à trancher les litiges qui leur ont été présentés. Toutefois, leurs raisonnements ne sont pas en tous points identiques. En effet, si les deux juridictions du fond font prévaloir l’application de l’article 1733 du Code civil et retiennent dans les deux cas d’espèce la responsabilité de l’occupant, les moyens pour y parvenir diffèrent. Ainsi, la cour d’appel de Caen, saisie du premier litige, par une décision en date du 5 septembre 2019, a retenu, pour caractériser la responsabilité de la personne âgée dans la réalisation du sinistre, que l’hébergement en EHPAD contenait différents types de prestations. D’une part, des prestations d’hébergement et, d’autre part, des prestations de services. La cour d’appel a ainsi fait une application distributive des qualifications et, partant, des régimes applicables. Pour les juges du fond, la présomption de responsabilité avait donc vocation à s’appliquer. En revanche, pour parvenir à la même conclusion, la cour d’appel de Reims a emprunté une autre voie. À ce titre, en accordant à l’association de gestion de logements des personnes retraitées l’indemnisation totale de son préjudice, les juges du fond ont assimilé le contrat de séjour à un contrat de bail. Ils retiennent que le contrat de séjour comportait, à titre principal, une mise à disposition d’un logement et, à titre accessoire, des prestations de services complémentaires. Ici encore, les juges ayant retenu la qualification de contrat de bail ont appliqué corrélativement la présomption de responsabilité de l’occupant.
Dans ces deux affaires, il a été demandé à la Cour de cassation de s’interroger sur l’application de la présomption de responsabilité de l’occupant du logement en cas d’incendie. Or cette question en appelle nécessairement d’autres, notamment celle de la nature du contrat de séjour.
Avant de détailler plus amplement cet aspect, il convient de préciser que les deux décisions ont été censurées par la haute juridiction. En effet, aucun des deux raisonnements ne trouve grâce auprès de la Cour de cassation, qui écarte l’application de l’article 1733 du Code civil et, partant, la présomption de responsabilité des occupantes. En effet, faute de contrat de bail, les disposions qu’il contient ne peuvent être invoquées. Mais plus fondamentalement, il est ici question de réaffirmer la singularité du contrat de séjour. Ce contrat est ainsi exclusif de la qualification de contrat de bail (I) et comporte des dispositions qui en font une figure aux colorations propres (II).
I – Le contrat de séjour, exclusif de la qualification de contrat de bail
Les indices de qualification. Tous les contrats sont spéciaux. Pour qualifier chaque situation, il faut naturellement bien connaître les contrats en question. À cet égard, il existe des contrats bien identifiés et d’autres qui résultent de la fusion de contrats existants. Enfin, d’autres contrats « sur mesure » ne sont que des créations de la pratique et répondent à des besoins ponctuels. Les méthodes de qualification sont, par ailleurs, variées. La méthode unitaire suppose de tenir compte de l’obligation caractéristique ou de l’économie générale de la convention. À défaut, souvent l’on classera la figure contractuelle dans la catégorie des accords sui generis. Mais à la croisée des chemins existe une méthode que nous qualifierons de mixte. Ici, il sera opportun de retenir soit la qualification dominante, comme ce pourra être le cas lorsqu’une prestation se distinguera clairement, soit la qualification distributive, dès lors qu’il sera possible de distinguer clairement les prestations. Pour ce qui retient l’attention, la cour d’appel de Caen a opté pour une qualification distributive, en retenant que le contrat de séjour consiste en une prestation d’hébergement et d’autres prestations. Dans ce raisonnement, l’hébergement est considéré comme un élément du contrat de louage de choses et, par voie de conséquence, soumis aux dispositions régissant le contrat de bail en ce compris la présomption de responsabilité de l’occupant. Pour le reste, c’est-à-dire les prestations de services et de soins, cela peut relever du contrat de séjour. La Cour de cassation n’a pas suivi cette méthode de qualification distributive. À l’inverse, la cour d’appel de Reims a choisi d’appliquer une autre méthode de qualification, par distinction entre ce qui relève du principal et ce qui est de l’ordre de l’accessoire. Ainsi, suivant ce raisonnement, elle considère que le principal du contrat qui lie l’occupante à l’association qui gère des logements pour personnes retraitées est la mise à disposition d’un logement et d’une cave à titre exclusif en contrepartie d’une redevance. Le surplus, c’est-à-dire les prestations complémentaires tenant aux services de repas, le dispositif d’alarme ou les animations n’étant que facultatives sont, par conséquent, accessoires. Cette vision conduit naturellement les juges du fond à retenir la qualification de contrat de louage de choses et les conséquences qui lui sont traditionnellement attachées, telles que la présomption de responsabilité en cas d’incendie prévue par l’article 1733 du Code civil. Dans ces deux cas de figure, la Cour de cassation a censuré ces raisonnements et préfère la qualification de contrat de séjour exclusivement.
Le refus de l’assimilation. Dans la lignée de ses décisions précédentes et notamment de l’arrêt rendu le 1er juillet 19983, la Cour de cassation réaffirme que, en vertu de l’article L. 311-4 du Code de l’action sociale et des familles, le contrat de séjour ne peut être assimilé au contrat de louage de choses. En effet, le contrat de séjour n’est pas soumis aux règles du Code civil et demeure régi par convention, c’est-à-dire par l’accord de volontés des parties en présence. Le contrat de louage est par ailleurs défini à l’article 1709 du Code civil, qui dispose que « le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ». À cette définition est attaché un régime et en particulier une responsabilité en cas de sinistre. Plus prosaïquement, en cas d’incendie, une présomption de responsabilité pèse sur le preneur. À cet égard, l’article 1733 du Code civil édicte une présomption simple de responsabilité du locataire pour tout incendie « à moins qu’il ne prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine ». Ainsi, en pareille hypothèse, le locataire ne peut échapper à sa responsabilité qu’à la condition de démontrer une de ces causes d’exonération. Par conséquent, le contrat de louage n’est pas une convention d’occupation précaire4. Il n’est pas non plus assimilable au contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire5. En effet, le bail d’habitation est soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989. Ce texte conditionne la sous-location à un accord écrit du propriétaire6. Or le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire déroge à cette règle, si bien qu’aucun accord n’est nécessaire. Par ailleurs, cet accord de volonté est librement déterminé par les parties qui décident, notamment, du montant de la contrepartie financière modeste puisque la loi ne fixe ni plancher ni plafond. Il n’est pas plus comparable à un contrat de séjour. Dans ce dernier cas, en dépit des similitudes tenant à la mise à disposition d’un logement au sens d’un hébergement, tout oppose le contrat de bail au contrat de séjour, à commencer par certaines dispositions protectrices du locataire. En effet, le contrat de bail protège le locataire âgé qui se voit reconnaître, depuis la loi du 1er septembre 1948 et son article 13 bis, sous conditions d’âge et de ressources fixées par arrêté, un droit au maintien dans les lieux. Ce mécanisme a été réaffirmé par la loi du 6 juillet 19897. Le bailleur qui s’opposerait au renouvellement du bail de son locataire âgé de 65 ans et plus devrait, lors de la reprise, proposer une solution de relogement correspondant aux besoins du preneur âgé et limitée géographiquement8. Ce dispositif a été étendu de manière rétroactive aux baux conclus sous l’empire de la loi antérieure9. Le contrat de louage de choses ne peut donc être assimilé au contrat de séjour puisque ce dernier présente des spécificités qui lui donnent une coloration propre.
II – Le contrat de séjour, figure aux colorations propres
Les contours du contrat de séjour. La loi du 2 janvier 200210 est venue imposer à tous les établissements médico-sociaux le recours à des contrats de séjour. L’ambition du législateur était clairement de s’assurer du consentement libre et éclairé des personnes âgées. Dans le même temps, l’objectif était de renforcer cette démarche contractuelle. À cet égard, les dispositions relatives aux clauses abusives ont fait une entrée remarquée avec la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation11 et permettent, notamment, de ne pas facturer des services non réalisés en cas de départ ou de décès. Depuis 2002, ce contrat a été largement développé et donne aujourd’hui lieu à des contentieux, comme avec les deux arrêts soumis à commentaire.
Le contrat de séjour est un contrat nommé et régi par les dispositions de l’article L. 311-4 du Code de l’action sociale et des familles. Par conséquent, les dispositions du Code civil n’ont pas vocation à s’appliquer, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans ces deux affaires. Le texte de l’article, modifié par l’article 38 de l’ordonnance du 11 mars 202012, précise qu’un « contrat de séjour est conclu ou [qu’]un document individuel de prise en charge est élaboré avec la participation de la personne accueillie ». Il s’agit donc d’un contrat de gré à gré et sur mesure. Le texte poursuit en affirmant que « le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de l’accompagnement dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet d’établissement ou de service. Il détaille la liste et la nature des prestations offertes ainsi que leur coût prévisionnel ». L’on perçoit à la lecture du texte que ce contrat est éminemment personnel et coloré d’une dimension éthique forte. À cet égard, lors de la signature du contrat de séjour, un livret d’accueil, auquel est annexé une charte des droits et libertés, est remis à la personne âgée.
La singularité du contrat de séjour. Ce contrat comporte bien des spécificités qui l’éloignent du contrat de louage de choses. En définitive, seul l’aspect hébergement les rapproche, comme ce pourrait être le cas d’un simple contrat d’hôtellerie. Mais, en l’espèce, la décision de la Cour de cassation tient précisément à signifier ces particularismes. Il n’est dès lors pas permis de procéder à une qualification distributive qui consisterait à distinguer le volet hébergement du volet services. Les deux dimensions sont solidaires et constituent une figure contractuelle bien distincte. À titre d’exemple, il convient d’observer le consentement de la personne âgée lors de la signature du contrat de séjour pour se persuader que, dans l’esprit du législateur, l’hébergement et les prestations qui l’entourent sont indissociables. Ainsi, au jour de la conclusion du contrat, des garanties entourent le consentement de la personne âgée. Elle peut par exemple être assistée d’un tiers de confiance13. Mais, plus fondamentalement, elle doit être entendue seule par le directeur de la structure14. Dès lors, ce dernier, avec le concours du médecin coordonnateur, doit rechercher le consentement du futur résident. La participation de la personne âgée est une condition essentielle, si bien que, à défaut, le contrat encourt la nullité. Le texte issu de la loi du 28 décembre 2015 portant adaptation de la société au vieillissement15 ne précise pas autre chose que la recherche de la volonté de séjourner en établissement. Pour autant, la personne donne son accord à la fois à l’hébergement et aux services de soins, aux prestations d’animation ou de sécurité. Ce consentement est global, il forme un tout indivisible et ne distingue pas en fonction des différentes prestations. Du reste, le directeur se contente de rechercher le consentement de la personne sans être pour autant tenu de l’obtenir. Toutefois, pour ce qui retient l’attention dans le cadre des présentes affaires, il convient de remarquer, à travers les garanties offertes par la loi lors de la signature du contrat de séjour, que le consentement donné est un accord pour le tout et non pour un hébergement qui serait distinct des soins. La personne âgée donne son accord pour entrer en établissement et pour bénéficier des services proposés. La qualification du contrat de séjour est donc unitaire et, partant, insusceptible d’être tronquée ou partagée. C’est en somme ce que rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt censurant les juges du fond qui s’étaient essayés à des qualifications tantôt distributives, tantôt hiérarchisées. En tout état de cause, le contrat de séjour reste un contrat spécial qui ne se confond pas avec le louage de chose.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 3e civ., 3 déc. 2020, n° 20-10122.
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2.
Cass. 3e civ., 3 déc. 2020, n° 19-19670.
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3.
Cass. 3e civ., 1er juill. 1998, n° 96-17515.
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4.
Cass. 3e civ., 29 avr. 2009, n° 08-13308.
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5.
CCH, art. L. 631-17 : « Contrat par lequel une personne âgée de 60 ans et plus, propriétaire ou locataire, s’engage à louer ou à sous-louer une partie de son logement à une personne de moins de 30 ans moyennant une contrepartie financière modeste. »
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6.
L. n° 89-462, 6 juill. 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 6 ; TI Paris, 24 oct. 2018, n° 11-18-211247.
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7.
L. n° 89-462, 6 juill. 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 15.
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8.
L. n° 48-1360, 1er sept. 1948, art. 13 bis.
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9.
Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n° 16-20475 : D. 2017, p. 2426.
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10.
L. n° 2002-2, 2 janv. 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale.
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11.
L. n° 2014-344, 17 mars 2014, relative à la consommation.
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12.
Ord. n° 2020-232, 11 mars 2020, relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique.
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13.
CASF, art. L. 311-5.
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14.
CASF, art. L. 311-4.
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15.
L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement : P. Berthet, A. Dionisi-Peyrusse, A.-L. Fabas-Serlooten et N. Levillain, « Vieillissement de la population : le point sur la réforme », AJ fam 2016, p. 90 et s.