Caractère successoral du droit de retour légal des ascendants privilégiés : transmission implicite de l’option successorale

Lorsque le parent donateur n’a pas exercé le droit de retour des ascendants privilégiés, ce droit se transmet à ses héritiers légaux, qui peuvent ainsi exercer l’option successorale correspondante.
Abrogatio iuris reservatio, pro iure reditus legalis1. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 mars 20252 apporte une importante précision concernant la nature et le devenir du droit de retour légal de l’ascendant donateur après son décès. M. [K] [Y] revendiquait le droit de retour que détenait sa mère défunte sur des biens donnés à leur frère prédécédé. La cour d’appel l’avait déclaré irrecevable. Le droit de retour légal de l’ascendant survit-il au décès de son titulaire pour se transmettre à ses propres héritiers ? C’est précisément la question posée dans l’arrêt d’espèce : la Cour est venue affirmer avec force que le droit de retour légal, en raison de sa nature successorale, se transmet aux héritiers du titulaire qui n’a pas pris parti avant son décès, chacun pouvant alors exercer l’option pour sa part. Par cette décision, la Cour consacre non seulement la transmission posthume du droit de retour, mais impose également une vigilance accrue aux praticiens du droit quant à l’information à donner au donateur sur la portée de ce mécanisme. Cette jurisprudence s’inscrit dans une continuité, tout en précisant les implications d’une règle dont les effets excèdent le simple cadre familial. Dans cet arrêt du 26 mars 2025, la Cour de cassation affirme le caractère successoral du droit de retour légal des ascendants privilégiés. Ainsi, la Cour de cassation reconnaît la nature successorale de ce droit, en en faisant un mécanisme patrimonial qui dépasse la simple faculté personnelle du donateur (I). La Cour consacre également la transmissibilité de ce droit aux héritiers du donateur, à défaut d’exercice de ce dernier avant son décès, introduisant ainsi une nouvelle dynamique dans la gestion du patrimoine transmis par donation (II).
I – L’affirmation de la nature successorale du droit de retour des ascendants privilégiés
L’ancrage patrimonial et l’autonomie successorale du droit de retour légal. La compréhension du droit de retour légal commande, en premier lieu, d’en souligner la finalité patrimoniale, intimement liée au principe de conservation des biens dans la famille (A), avant d’examiner sa qualification comme une option successorale autonome (B).
A – Un droit fondé sur le principe de conservation des biens dans la famille
Raison d’être. Le droit de retour légal des père et mère donateurs, instauré par la loi du 23 juin 2006 et prévu à l’article 738-2 du Code civil, découle de la suppression de leur réserve héréditaire3. Ce droit vise davantage à compenser la perte d’un droit successoral qu’à assurer la conservation des biens dans la famille. Bien que cette approche législative puisse être remise en question sur le plan de son opportunité, elle s’inscrit dans une tendance amorcée par la loi du 3 décembre 2001, qui a favorisé la création de droits « quasi réservataires », par des mécanismes dérogatoires à la dévolution légale4. Le droit de retour légal des parents, qu’énonce la loi avec une précision magistrale, repose sur des conditions rigoureusement définies5. Toutefois, malgré la clarté de son fondement, les effets de ce droit continuent de nourrir de vives controverses, suscitant ainsi un débat intense parmi les juristes, tant sa portée soulève des interrogations profondes6.
Conditions d’application de l’article 738-2 du Code civil. Le droit de retour légal accordé aux parents donateurs n’est accessible que sous des conditions particulièrement strictes. En effet, l’article 738-2 du Code civil dispose que « lorsque les père et mère ou l’un d’eux survivent au défunt et que celui-ci n’a pas de postérité, ils peuvent dans tous les cas exercer un droit de retour, à concurrence des quotes-parts fixées au premier alinéa de l’article 738, sur les biens que le défunt avait reçus d’eux par donation. La valeur de la portion des biens soumise au droit de retour s’impute en priorité sur les droits successoraux des père et mère. Lorsque le droit de retour ne peut s’exercer en nature, il s’exécute en valeur, dans la limite de l’actif successoral ».
Survie des parents donateurs. Le droit de retour légal, privilège exclusif du parent donateur, se voit réserver toute l’étendue de sa portée par le législateur, écartant ainsi les autres ascendants de cette prérogative7. Bien que certains auteurs, tel que le professeur Michel Grimaldi, aient tenté une interprétation divergente8, il apparaît sans conteste que ce droit peut être exercé même lorsque le parent donateur recueille la totalité de la succession du défunt de manière ab intestat9.
Succession ordinaire et succession anomale. Comme le souligne, à juste titre, Mélanie Jaoul : « En présence de biens concernés par un droit de retour légal, on va alors scinder la succession en deux : d’une part, on va traiter les biens qui ne relèvent pas du droit de retour légal et qui relèvent de la succession dite “ordinaire” soumise aux règles de dévolution de droit commun, et d’autre part, on va traiter les biens objet du droit de retour légal qui constituent la succession dite “anomale” soumise aux règles de dévolution particulières qui la régissent »10. L’exemple suivant permet d’illustrer cette idée.
Sur les biens que le défunt avait reçus d’eux par donation. L’exercice du droit de retour légal présuppose que le de cujus ait reçu une donation entre vifs de la part de son père ou de sa mère. Peu important la nature de la donation entre vifs, si ce n’est le cas du droit de retour légal en cas de donation-partage conjonctive ou avec soulte.
Les autres conditions d’application. L’absence de descendance et du droit de retour légal ne posent pas de problèmes majeurs.
B – Une option successorale autonome
Principes dégagés de l’arrêt. Le droit de retour légal des ascendants privilégiés constitue une option successorale propre, indépendante de l’option successorale classique prévue par le Code civil. En l’espèce, la disparition de la mère, investie du droit de retour mais demeurée silencieuse quant à son option, opère, par l’effet même de la loi, la transmission de cette prérogative à ses héritiers, appelés à l’exercer chacun selon la mesure de ses droits successoraux11. De plus, on sait que droit de retour légal de l’ascendant privilégié était de nature successorale depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation en 201512.
II – La transmissibilité du droit de retour légal des ascendants privilégiés à défaut d’exercice par son titulaire
La transmission du droit de retour légal : principes et bonnes pratiques. Le droit de retour légal des ascendants privilégiés, en raison de sa nature successorale, est régi par des règles strictes qui encadrent son exercice et, dans certaines situations, sa transmission. Lorsqu’un bénéficiaire de ce droit ne l’exerce pas avant son décès, il existe une possibilité de transmission passive de ce droit à ses héritiers, ce qui entraîne des conséquences importantes tant sur le plan théorique que pratique. La jurisprudence et les textes du Code civil ont précisé les conditions dans lesquelles cette transmission se réalise, garantissant ainsi une certaine prévisibilité et sécurité juridique. Cette section se divise en deux parties. La première portera sur la manière dont la transmission passive du droit de retour est encadrée par les principes du droit commun des successions (A). La seconde abordera les pratiques recommandées à suivre dans le cadre du droit de retour légal, notamment pour prévenir toute ambiguïté et assurer une gestion claire de ce droit par les héritiers (B).
A – Une transmission passive encadrée par le droit commun des successions
L’option successorale se transmet passivement. Ainsi, la Cour de cassation a validé la transmission passive de l’option successorale lorsque l’héritier appelé à succéder décède sans avoir exercé son choix. La nature successorale du droit de retour légal des ascendants privilégiés entraîne donc l’octroi d’une option distincte, s’ajoutant à celle dont peut bénéficier le titulaire en raison de sa qualité d’héritier légal.
B – Pratique recommandée en matière de droit de retour légal
Bénéficiaire du droit de retour des ascendants privilégiés. Dans l’hypothèse où le bénéficiaire du droit de retour légal n’a pas exercé ce dernier avant son décès, ce droit se transmet alors à ses héritiers. Toutefois, cette transmission s’opère sans qu’il soit nécessaire de caractériser une renonciation tacite en cas de silence de la part du défunt. Il est donc vivement recommandé, dès l’ouverture de la succession, que le bénéficiaire du droit de retour manifeste expressément, par un moyen qui permette de conserver la preuve de sa démarche, sa renonciation à ce droit, s’il décide de ne pas l’exercer. Une telle précaution permettra d’éviter toute ambiguïté. Il convient de souligner que, par nature successorale, ce droit ne peut faire l’objet d’une renonciation avant l’ouverture de la succession15.
Héritier du donateur. Il est impératif de rappeler que toute demande de retour des biens donnés doit être formulée en qualité d’ayant droit, et non en tant que simple personne concernée16. L’héritier du donateur doit en effet agir dans le cadre de ses droits successoraux non dans un intérêt personnel qui serait distinct de sa qualité d’héritier. Cette distinction est primordiale pour préserver la cohérence du régime juridique du droit de retour et éviter toute confusion dans l’exercice de celui-ci17.
Conclusion. En réaffirmant que le droit de retour légal est de nature successorale et qu’il se transmet aux héritiers du titulaire non optant, la Cour de cassation vient poser un jalon important dans l’édifice du droit des successions. L’arrêt apporté clarifie un point jusqu’alors incertain, confirmant une lecture rigoureuse des articles 724, 738-2 et 775, alinéa 2, du Code civil, déjà amorcée dans sa jurisprudence antérieure.
Notes de bas de pages
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1.
J. Aulagnier et a., « L’abrogation du droit de réserve, au profit du droit de retour légal », Le Lamy Patrimoine, n° 690-180.
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2.
M. Jaoul, « Nature successorale du droit de retour légal des ascendants : transmission passive de l’option successorale », Dalloz actualité, 16 avr. 2025.
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3.
G. Paris, Les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du Code civil, thèse, 2012, Paris 2.
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4.
R. Le Guidec et C. Lesbats, Rép. civ. Dalloz, v° Succession : dévolution, 2022, n° 396.
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5.
R. Le Guidec et C. Lesbats, Rép. civ. Dalloz, v° Succession : dévolution, 2022, n° 396.
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6.
R. Le Guidec et C. Lesbats, Rép. civ. Dalloz, v° Succession : dévolution, 2022, n° 396.
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7.
R. Le Guidec et C. Lesbats, Rép. civ. Dalloz, v° Succession : dévolution, 2022, n° 400.
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8.
R. Le Guidec et C. Lesbats, Rép. civ. Dalloz, v° Succession : dévolution, 2022, n° 400.
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9.
R. Le Guidec et C. Lesbats, Rép. civ. Dalloz, v° Succession : dévolution, 2022, n° 400.
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10.
M. Jaoul, « Nature successorale du droit de retour légal des ascendants : transmission passive de l’option successorale », Dalloz actualité, 16 avr. 2025.
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11.
M. Jaoul, « Nature successorale du droit de retour légal des ascendants : transmission passive de l’option successorale », Dalloz actualité, 16 avr. 2025.
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12.
Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, n° 14-21.337, FS-PBI.
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13.
M. Jaoul, « Nature successorale du droit de retour légal des ascendants : transmission passive de l’option successorale », Dalloz actualité, 16 avr. 2025.
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14.
M. Jaoul, « Nature successorale du droit de retour légal des ascendants : transmission passive de l’option successorale », Dalloz actualité, 16 avr. 2025.
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15.
« Transmissibilité du droit de retour légal aux héritiers du donateur », DEF flash 9 avr. 2025, n° DFF214w9.
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16.
« Transmissibilité du droit de retour légal aux héritiers du donateur », DEF flash 9 avr. 2025, n° DFF214w9.
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17.
« Transmissibilité du droit de retour légal aux héritiers du donateur », DEF flash 9 avr. 2025, n° DFF214w9.
Référence : AJU017j9
