Clause bénéficiaire testamentaire et loi applicable à la dernière résidence habituelle du défunt

Publié le 02/01/2024
Clause bénéficiaire testamentaire et loi applicable à la dernière résidence habituelle du défunt
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Une personne qui réside cinq mois dans un État de l’Union européenne ne peut bénéficier de l’article 23 du règlement européen permettant de déterminer la dernière résidence habituelle du défunt dans un contexte international.

Cass. 1re civ., 12 juill. 2023, no 21-10905

Mala fides supervenies nocet1. Au cas d’espèce2, M. I. est décédé le 20 novembre 2016, au Portugal, en laissant pour lui succéder ses deux filles, N. et S., nées de sa première union, et son épouse, madame J. Les 21 mai 2014 et 13 janvier 2015, il avait souscrit un contrat d’assurance sur la vie auprès de la société La Mondiale Europartner et désigné comme bénéficiaires, outre madame J., monsieur L. et madame X. et leurs enfants mineurs, C. et P., mesdames R. et A. I. (les consorts L.-X.-I.), mesdames F. et G. E., l’association le Fonds de dotation de contribuables associés et l’association Institut pour la Justice. Alléguant que le de cujus avait sa résidence habituelle en France au jour de son décès, mesdames S. et N. I., représentées par leur mère, madame W., en sa qualité de tutrice, ont assigné madame J. en partage de la succession devant une juridiction française. Elles ont également assigné en intervention forcée les autres bénéficiaires du contrat d’assurance sur la vie. L’assureur est intervenu volontairement à l’instance. Les juges du fond ont considéré que le défunt n’avait pas sa résidence habituelle au Portugal, si bien que la juridiction française était compétente pour trancher le litige. La Cour de cassation rejette le pourvoi en énonçant que la cour d’appel en a souverainement déduit que, à la date de son décès, M. I. avait sa résidence habituelle en France et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision. Le droit international privé des successions continue de défrayer la chronique tant en matière de conflits de lois que de conflits de juridictions. Plus précisément, on sait que, depuis l’application du règlement européen sur les successions internationales, entré en vigueur le 17 août 2015, l’article 4 dudit règlement confère une compétence générale en matière de succession aux juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (I)3. Pour autant, une exception à la compétence générale est prévue par le règlement européen permettant d’utiliser la professio juris dont la désignation de la loi nationale du défunt lui permet de soumettre toute sa succession à la même loi (II).

I – En principe, la succession du défunt est régie par la loi de l’État dans lequel il avait sa dernière résidence habituelle

Loi nationale, domicile et dernière résidence habituelle du défunt. Après des années d’atermoiements, l’article 21 du règlement européen a finalement précisé que, « sauf disposition contraire du règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès » (A), la Cour de cassation rejette le pourvoi en précisant que l’article 23 du règlement européen stipule que, pour « déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession [doit] procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence[,] la résidence habituelle ainsi déterminée dev[ant] révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du (…) règlement » (B).

A – Notion de « dernière résidence habituelle du défunt »

Critère temporel. L’article 23 du règlement européen, en énonçant que « l’autorité chargée de la succession doit procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès (…) en prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence », souhaite laisser une marge d’appréciation au juge du fond en leur permettant de découvrir d’autres critères. Ces critères de base sont d’ailleurs énumérés de manière non limitative, comme en témoigne l’utilisation de l’adverbe « notamment ». Il n’en demeure pas moins vrai que le critère temporel semble essentiel aux yeux de la doctrine qui y voit également un critère objectif4.

Espèce. Dans notre affaire, les juges du fond avaient relevé que le défunt ne s’était installé au Portugal que quelques mois avant son décès5.

Critères subsidiaires dappréciation de la notion de « dernière résidence habituelle du défunt »6. D’autres critères peuventpermettre aux juges du fond d’apprécier la notion de « dernière résidence habituelle du défunt ». En, l’espèce, la cour d’appel a relevé que « celui-ci avait entrepris très tardivement d’apprendre le portugais, qu’au moment de son décès, il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises et que, s’il était propriétaire avec son épouse d’au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France ».

B – Appréciation de la notion de « résidence habituelle du défunt » au regard de la clause bénéficiaire testamentaire

Contrat dassurancevie et droit international privé. On a coutume de dire que le contrat d’assurance-vie est exclu du droit des successions puisqu’il relève du droit des assurances. Selon la directive n° 2002/83/CE, le risque couvert par le contrat d’assurance-vie est le pays de l’engagement, c’est-à-dire où le preneur a sa résidence habituelle7. Il est bien évident que le preneur peut choisir une loi différente de sa résidence habituelle.

Clause bénéficiaire testamentaire et dernière résidence du défunt. En l’espèce, comme le relève un commentateur, « le défunt avait sans doute souhaité voir appliquer la loi portugaise à sa succession afin d’éviter de voir requalifiées les primes versées de manifestement excessives, et plus largement, de favoriser son épouse8 ».

Distinction entre la loi du contrat et la loi de la masse successorale. Il convient d’être prudent lorsqu’il s’agit d’articuler certaines règles nationales de droit international privé avec d’autres règles de conflit de loi. Pour s’en convaincre, citons un auteur qui énonce avec brio : « Pour savoir si l’assurance-vie intègre la masse successorale, l’autorité française applique la loi régissant le contrat, tandis que l’autorité brésilienne met en œuvre la loi régissant la succession. En application du droit français, l’assurance-vie est légalement exclue de la masse, alors qu’en droit brésilien son inclusion est favorisée par la jurisprudence face au silence des textes »9.

II – Désignation de la loi nationale par le de cujus

Principe sacré de lautonomie de la volonté. Selon l’article 22, paragraphe 1, du règlement européen du 4 juillet 2012, « une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ». En l’espèce, le choix de la loi applicable dans un contexte de succession internationale aurait permis d’éviter le litige en soumettant la clause bénéficiaire testamentaire à la loi portugaise (A). Pour autant, il convient d’être vigilant sur les montages frauduleux (B).

A – Professio juris

Origine de la professio juris. Connue dans certains pays comme la Suisse, la Corée du Sud ou encore Monaco10, la professio juris11, recommandée par la pratique notariale et soutenue par la majorité de la doctrine, a été consacrée par l’article 22, paragraphe 1, du règlement du 4 juillet 201212. Il arrive parfois, en effet, que le notaire soit requis par un successible afin de liquider une succession internationale présentant un élément d’extranéité, c’est-à-dire une succession qui est en contact, ne serait-ce que partiellement, avec un ordre juridique étranger. Le congrès des notaires de France qui s’est déroulé à Nantes en 2005 et consacré, sous le titre des « Familles sans frontières », aux transmissions patrimoniales transfrontalières et à la mobilité des personnes physiques dans l’espace intracommunautaire a affirmé son attachement à un système de conflit de lois en matière successorale unitaire et a pris parti pour une professio juris encadrée13. En effet, c’est autour du concept d’innovation que la pratique notariale française, à propos des successions transfrontalières dans l’espace intracommunautaire, tend à substituer la règle actuelle du droit international privé français en faveur d’un critère de rattachement objectif unique et admettre la professio juris qui constitue un instrument de prévisibilité permettant au testateur de régler sa succession en toute sérénité, sans avoir à craindre l’interférence des règles de conflits pouvant contrecarrer son projet de transmission patrimoniale dans un cadre transfrontalier14.

La désignation de la loi applicable encadrée. L’article 22, paragraphe 1, du règlement du 4 juillet 2012, en permettant de déroger à la compétence générale de la dernière résidence habituelle du défunt, restreint le choix à la désignation de la loi nationale du défunt en l’autorisant à soumettre toute sa succession à la même loi15. On rappellera que, avant l’entrée en vigueur du règlement Successions (PE et Cons. UE, règl. n° 650/2012, 4 juill. 2012), la règle de conflit utilisable par le juge du for était le système scissionniste. Ainsi, en cas de succession internationale, le juge appliquait la loi du dernier domicile du défunt aux biens meubles et la lex rei sitae aux immeubles.

Espèce. Il semble évident que, pour appliquer le procédé de la professio juris en l’espèce, le défunt aurait dû changer de nationalité et choisir la nationalité portugaise.

B – Le dévoiement du procédé de la professio juris

Le de cujus a plusieurs nationalités16. D’aucuns estiment : « Lorsque le défunt avait plusieurs nationalités, l’article 22, paragraphe 1, alinéa 2, place toutes ses nationalités sur un pied d’égalité et lui permet de choisir indifféremment l’une de ses lois nationales »17. Certes, il serait vain de vouloir donner ici une énumération exhaustive des montages tant l’imagination humaine est vaste. Pour autant, comme l’observe un auteur, « dès lors, un ressortissant français pourrait tenter d’obtenir la nationalité d’un État dont le droit des successions offre davantage de souplesse quant à la réserve héréditaire. Il y aurait dans ce cas une manipulation du facteur de rattachement et on pourrait caractériser une fraude, empêchant ainsi la professio juris de produire ses effets »18.

Changement de nationalité entre le jour du choix de la loi applicable et celui de son décès (conflit mobile). On enseigne traditionnellement que le conflit mobile en droit international privé « vise l’hypothèse dans laquelle le rattachement se modifie dans les faits avec le temps »19. Plus précisément, il s’agit de celui qui changerait de nationalité entre le jour où il fait son choix et celui de son décès20. Les cas des conflits mobiles se rencontrent en matière de résidence habituelle, du domicile et de la nationalité21.

Conclusion. Force est de conclure en rappelant que la notion de « dernière résidence habituelle du défunt » appelle une autre question, celle du certificat successoral européen. On s’accorde pour reconnaître que le certificat est un acte ou document standardisé, délivré par l’autorité compétente d’un État membre, dans le cadre du règlement d’une succession internationale22. Comme le souligne monsieur Jean Tarrade, le certificat successoral européen (CSE) peut « être utilisé dans tous les États membres – sans légalisation ni apostille –, et d’autre part parce que la France avait désigné le notaire comme seule autorité de délivrance dans notre pays. Pouvant être établi dans toute succession d’une personne ayant sa résidence habituelle en France et ayant des intérêts à l’étranger »23.

Notes de bas de pages

  • 1.
    La mauvaise foi qui survient nuit.
  • 2.
    « Appréciation de la résidence habituelle du défunt au sens du règlement Successions », JCP N 2023, n° 37, act. 931 ; E. de Loth, « Règlement Successions et détermination de la dernière résidence habituelle du défunt : illustration », La Quotidienne, 5 sept. 2023.
  • 3.
    JCl. Droit international fasc. 557-50, Successions. – Droit international privé européen, 2 sept. 2022, M. Revillard.
  • 4.
    C. Latil, « Droit international privé (DIP) – Quelques précisions sur le mode de détermination de la résidence habituelle du défunt au sens du règlement sur les successions internationales », JCP N 2020, n° 7-8.
  • 5.
    « Appréciation de la résidence habituelle du défunt au sens du règlement Successions », JCP N 2023, n° 37, act. 931.
  • 6.
    C. Latil, « Droit international privé (DIP) – Quelques précisions sur le mode de détermination de la résidence habituelle du défunt au sens du règlement sur les successions internationales », JCP N 2020, n° 7-8.
  • 7.
    H. Péroz et E. Fongaro, Droit international privé patrimonial de la famille, 2e éd., 2017, LexisNexis, Pratique notariale, p. 265, n° 740 ; G. Cerqueira, « Assurance – L’assurance-vie dans les successions franco-brésiliennes », JCP N 2022, n° 41-42 ; M. Farge, « Retour sur la détermination de la résidence habituelle des époux », Dr. famille 2023, n° 2, comm. 33.
  • 8.
    « Appréciation de la résidence habituelle du défunt au sens du règlement Successions », JCP N 2023, n° 37, act. 931.
  • 9.
    G. Cerqueira, « Assurance – L’assurance-vie dans les successions franco-brésiliennes », JCP N 2022, n° 41-42.
  • 10.
    Rédaction Lextenso, V. Marmey-Ravau et F. Varin, « La place laissée à l’autonomie de la volonté dans l’anticipation successorale », DEF 16 mai 2019, n° DEF148b8.
  • 11.
    JCl. Droit international fasc. 557-50, v° Successions. – Droit international privé européen, 2 sept. 2022, M. Revillard ; H. Péroz et E. Fongaro, Droit international privé patrimonial de la famille, 2e éd., 2017, LexisNexis, Pratique notariale, p. 265, nos 816 et s.
  • 12.
    M. Goré, « La professio juris », Defrénois 30 août 2012, n° 40568, p. 762.
  • 13.
    E. Jacoby, « Successions internationales, espace communautaire et pratique notariale », Dr. et patr. 2006, p. 150.
  • 14.
    P.-L. Niel, « Innovation juridique et pratique notariale », LPA 21 mai 2014, p. 10.
  • 15.
    M. Goré, « La professio juris », Defrénois 30 août 2012, n° 40568, p. 762.
  • 16.
    M. Goré, « La professio juris », Defrénois 30 août 2012, n° 40568, p. 762 ; H. Péroz et E. Fongaro, Droit international privé patrimonial de la famille, 2e éd., 2017, LexisNexis, Pratique notariale, p. 265, n° 740 et nos 816 et s.
  • 17.
    V. Legrand, « Les effets limités de la professio juris », LPA 24 mai 2019, n° LPA144p8.
  • 18.
    V. Legrand, « Les effets limités de la professio juris », LPA 24 mai 2019, n° LPA144p8.
  • 19.
    J. Clavel-Thoraval, Les indispensables du droit international privé, 2019, Ellipses, p. 512.
  • 20.
    M. Goré, « La professio juris », Defrénois 30 août 2012, n° 40568, p. 762.
  • 21.
    M. Farge, chap. 512, « Détermination du droit applicable », inDroit de la famille 2023-2024, 2022, Dalloz action.
  • 22.
    JCl. Notarial Formulaire, fasc. 150-30, n° 5, v° Successions internationales. – Droit international privé européen – Règlement Successions – Certificat successoral européen, 3 juill. 2019, mise à jour 9 déc. 2022, S. Godechot-Patris et N. Thevenet-Grospiron.
  • 23.
    J. Tarrade, « Le certificat successoral européen a cinq ans », DEF 19 nov. 2020, n° DEF165p3 ; P.-L. Niel, « La publicité foncière des immeubles situés dans l’Union européenne à l’épreuve du certificat successoral européen (CSE) », Actu-Juridique.fr 30 juin 2023, n° AJU008r7.
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