Donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit : la dette de restitution en question

Publié le 09/02/2024
Héritage, don, maison, immobilier
tiquitaca/AdobeStock

La loi de finances pour 2024 resserre les conditions de déductibilité des dettes de restitution de l’actif successoral issues d’une donation antérieure de sommes d’argent en nue-propriété. Décryptage d’une mesure envisagée comme ayant vocation à dissuader le recours à des opérations principalement motivées par un objectif d’optimisation fiscale.

Les sénateurs ont adopté un dispositif anti-abus en matière de droits de mutation à titre gratuit portant sur l’usufruit successif, validé par les députés. Prévu à l’article 26 de la loi de Finances pour 2024, le dispositif s’applique aux successions ouvertes à compter de la promulgation de la loi, c’est-à-dire à partir du 29 décembre 2023 (Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023, JORF n° 0303 du 30 décembre 2023).

La donation avec réserve d’usufruit

En présence d’un démembrement du droit de propriété, l’usufruitier dispose du droit de jouir du bien (usus) et d’en percevoir les fruits (fructus) ; quant au nu-propriétaire, il dispose du droit d’en disposer, à terme. Le démembrement de propriété résulte souvent d’une succession (il est alors d’origine légale) ou d’une donation. Dans ce cas, le donateur se réserve l’usufruit du bien et en donne la nue-propriété à ses enfants. Cette technique tout à fait légale permet d’atténuer le montant des droits de mutation à titre gratuit. En effet, les droits de donation sont calculés sur une assiette inférieure à l’assiette qui aurait servi au calcul des droits de la donation en pleine propriété. Les droits sont calculés sur la valeur de la nue-propriété. Cette valeur dépend de l’âge de l’usufruitier. L’usufruit étant un droit viager (il peut être temporaire) qui s’éteint avec le décès de l’usufruitier, plus son âge est avancé, plus son espérance de vie est courte. Partant, plus la valeur de son droit en usufruit est faible.

La loi fixe un barème en fonction de l’âge de l’usufruitier (article 669 du Code général des impôts).

Lorsque l’usufruitier a moins de :

• 21 ans révolus : l’usufruit vaut 90 % de la valeur du bien, la nue-propriété 10 % ;

• 31 ans révolus : l’usufruit vaut 80 % de la valeur du bien, la nue-propriété 20 % ;

• 41 ans révolus : l’usufruit vaut 70 % de la valeur du bien, la nue-propriété 30 % ;

• 51 ans révolus : l’usufruit vaut 60 % de la valeur du bien, la nue-propriété 40 % ;

• 61 ans révolus : l’usufruit vaut 50 % de la valeur du bien, la nue-propriété 50 % ;

• 71 ans révolus : l’usufruit vaut 40 % de la valeur du bien, la nue-propriété 60 % ;

• 81 ans révolus : l’usufruit vaut 30 % de la valeur du bien, la nue-propriété 70 % ;

• 91 ans révolus : l’usufruit vaut 20 % de la valeur du bien, la nue-propriété 80 % ;

• plus de 91 ans révolus : l’usufruit vaut 10 % de la valeur du bien, la nue-propriété 90 %.

Les droits sont dus par le donataire mais l’administration fiscale admet la possibilité pour le donateur de payer les droits de mutation dus en cas de donation entre vifs, sans que cela ne soit considéré comme un supplément de donation.

Au décès de l’usufruitier, les nus-propriétaires reçoivent la pleine propriété du bien et ne doivent s’acquitter d’aucun droit sur l’usufruit, conformément à l’article 1133 du CGI : « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier ».

L’usufruit d’un bien consomptible

Le démembrement peut porter sur un bien immobilier, un portefeuille de valeurs mobilières mais aussi sur une somme d’argent et tout autre bien consomptible, dont il ne peut pas être fait usage sans le consommer. Il est alors question de quasi-usufruit. La donation de la nue-propriété d’une somme d’argent est d’ailleurs expressément prévue par l’article 587 du Code civil. Dans cette situation, l’usufruitier peut consommer la somme d’argent mais il doit, au terme du démembrement de propriété, restituer l’équivalent de ce qu’il a utilisé au nu-propriétaire. Il est débiteur d’une dette de restitution égale au montant de la somme donnée. Selon l’article 587 du Code civil : « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».

La déduction des dettes de la succession de l’usufruitier

Cette dette de restitution vient au passif de la succession de l’usufruitier. Il s’agit d’une dette déductible conformément à l’article 768 du CGI : « Pour la liquidation des droits de mutation par décès, les dettes à la charge du défunt sont déduites lorsque leur existence au jour de l’ouverture de la succession est dûment justifiée par tous modes de preuve compatibles avec la procédure écrite ».

Mesure anti-abus

C’en est fini de la déductibilité de la dette de restitution de l’actif successoral du quasi-usufruitier. Le nouvel article 774 bis du CGI prévoit une liquidation des droits de mutation par décès sur la valeur de cette dette de restitution, dus par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier. Les sénateurs ont voulu limiter le recours à ce type d’opérations « principalement motivées par un objectif d’optimisation fiscale » estiment-ils. « Alors que la somme d’argent démembrée n’a été soumise lors de la mutation entre vifs aux droits de donation qu’à raison de la valeur de la nue-propriété, la déduction de l’actif successoral de cette dette pour son montant total en pleine propriété constitue une incohérence qu’il convient de corriger », indique l’exposé des motifs de l’amendement à la source de la mesure.

Les auteurs de la mesure avancent un autre argument. « La donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit s’apparente à une absence de transfert de propriété. Alors que le nu-propriétaire dispose d’un droit réel sur le bien donné dans le cadre d’une donation avec réserve d’usufruit ordinaire, le nu-propriétaire d’une somme d’argent ne détient qu’une créance de restitution à l’égard du quasi-usufruitier, sur son patrimoine. Ce dernier peut donc aliéner la somme d’argent et la consommer comme un propriétaire, alors que le nu-propriétaire ne dispose pas de cette somme en tant que telle ». En prenant cette mesure dans la loi, le gouvernement apporte donc ici son soutien à l’administration fiscale, qui, en la matière, a été désavouée par un avis du Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) du 11 mai 2023, (aff. n° 2022-15 et 2022-16). Sandrine Quilici, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Norman K., explique qu’« Au sujet d’une donation d’une somme d’argent avec réserve de quasi-usufruit, l’administration considère que la donation est fictive faute de dessaisissement du donateur. De son point de vue, cette opération n’aurait d’autre objet que de créer un passif successoral chez l’usufruitier. Or, dans son avis, le Comité a considéré que l’opération ne constituait pas un abus de droit à hauteur des liquidités effectivement détenues par la donatrice à la date de la donation. Il a validé l’opération dès lors que la somme d’argent est bien présente dans le patrimoine du donateur au moment de la transmission de la nue-propriété ».

Le périmètre de la mesure

La loi prévoit plusieurs situations dans lesquelles le dispositif n’a pas vocation à s’appliquer. « En visant uniquement « les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit », la loi exclut du dispositif un certain nombre de situations », explique Sandrine Quilici. Si l’usufruit du conjoint survivant portant sur des sommes d’argent (articles 757 et 1094-1 du Code civil) est expressément exclu de ce dispositif, ne sont également pas visés les quasi-usufruits mis en place dans les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie, puisque dans ce cas, il n’y a pas de donation avec réserve d’usufruit. Enfin, ne sont pas non plus concernées les stipulations de quasi-usufruit sur les distributions de réserves, puisque les organes de direction de la société ne peuvent pas être confondus avec ses associés ».

Par ailleurs, la loi exclut également les dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal. « Les moyens de preuve risquent de s’avérer difficiles à apporter en pratique. Qu’est ce qui peut justifier que les titulaires de droits démembrés préfèrent constituer un quasi-usufruit plutôt que de stipuler un remploi du prix de cession dans l’acquisition d’autres biens eux-mêmes démembrés ? À cet égard, la convention de quasi-usufruit devra être rédigée avec précision et causée, en indiquant ses raisons d’être. Par ailleurs, il peut être pertinent de prévoir la possibilité de rembourser la créance de manière anticipée ».

Un risque de double imposition

En pratique, les droits déjà acquittés par le nu-propriétaire lors de la donation avec réserve d’usufruit seront imputés sur les droits de mutation par décès auxquels il est assujetti. Dans le cas où les droits déjà acquittés seraient supérieurs aux droits dus à raison du décès de l’usufruitier, le surplus ne fera l’objet d’aucune restitution. « Cette disposition peut créer des situations de double imposition », indique Sandrine Quilici. « Tel sera le cas si les sommes dont la nue-propriété a été transmise ont été investies par l’usufruitier et que l’objet de cet investissement se retrouve à l’actif successoral ».

Plan
X