Droit viager au logement du conjoint survivant : nouvelles précisions sur la manifestation tacite de sa volonté d’en bénéficier

Publié le 29/02/2024
Droit viager au logement du conjoint survivant : nouvelles précisions sur la manifestation tacite de sa volonté d’en bénéficier
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Le maintien dans le logement, le paiement de factures d’entretien et d’assurance et l’emploi d’un salarié dans l’année du décès ne manifestent pas de manière non équivoque la volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit viager au logement.

Cass. 1re civ., 25 oct. 2023, no 21-23999

Issu de la promotion successorale du conjoint survivant au début du XXIe siècle, son droit viager au logement continue de susciter des interrogations, en témoigne l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 octobre 2023 à propos de la manifestation de volonté d’en bénéficier.

L’affaire opposait un conjoint successible, qui continuait d’occuper à titre de résidence principale le logement des époux, au fils du défunt issu d’une précédente union, qui contestait cette jouissance. Diverses difficultés survenues lors du règlement de la succession amenèrent la veuve à assigner en justice son beau-fils. Dans un arrêt du 12 août 2021, la cour d’appel de Bourges estima que cette dernière avait formulé dans l’assignation, signifiée dans l’année du décès, une demande tendant à bénéficier du droit d’usage et d’habitation sur le domicile des époux et qu’elle avait en outre manifesté tacitement sa volonté de s’en prévaloir en réglant des factures d’entretien et d’assurance du logement et en y employant un salarié. Contestant l’existence d’une telle demande dans l’assignation et soutenant que les paiements effectués par la veuve ne manifestent pas sa volonté tacite de bénéficier du droit viager au logement, le fils du défunt se pourvoit en cassation.

La question se posait de savoir si le conjoint survivant avait bien manifesté sa volonté, de manière expresse ou tacite, de bénéficier de son droit viager au logement dans l’année du décès. La première chambre civile de la Cour de cassation y répond par la négative dans un arrêt du 25 octobre 20231. Au visa des articles 764 et 765-1 du Code civil, elle casse et annule sur ce point l’arrêt de la cour d’appel de Bourges, après avoir relevé l’absence d’une telle demande dans l’assignation et affirmé que la manifestation tacite de volonté ne peut résulter du seul maintien dans les lieux.

La solution n’est pas totalement nouvelle mais apporte d’intéressantes précisions sur les modalités de la manifestation de volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit viager au logement. L’article 764 du Code civil octroie, en effet, au conjoint successible un droit d’habitation sur le logement effectivement occupé à titre d’habitation principale au décès ainsi qu’un droit d’usage sur le mobilier le garnissant, qui lui permettent de se maintenir dans son cadre de vie jusqu’à sa mort s’il le souhaite. Peu importe que le logement soit commun aux époux, indivis entre eux, propre ou personnel au défunt ; il suffit qu’il appartienne aux époux ou dépende totalement de la succession. Ce droit viager, indépendant de ses ressources et de ses besoins, a considérablement élargi la protection du logement du conjoint survivant, qui ne bénéficiait antérieurement que d’un droit de jouissance gratuite pendant une année à compter du décès au titre des effets d’ordre public du mariage2.

Cependant, son régime juridique soulève de nombreuses difficultés, parmi lesquelles figure celle posée par l’article 765-1 du Code civil. Cette disposition impose au conjoint de le demander dans le délai d’un an à partir du décès mais sans préciser les modalités de cette demande, suscitant ainsi des interrogations sur la forme requise. L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 octobre 2023 présente l’intérêt d’apporter de nouvelles précisions sur ce point. Il confirme que le conjoint peut manifester de manière expresse ou tacite sa volonté de bénéficier du droit viager au logement dans l’année du décès (I) mais se montre strict sur l’appréciation d’une manifestation tacite (II).

I – Confirmation de l’absence de formalisme imposé pour la manifestation de volonté du conjoint de bénéficier du droit viager au logement

La question du droit viager au logement se posait en l’espèce car le conjoint survivant était en concours avec un enfant issu d’une autre union du défunt. Sa vocation successorale légale était, par conséquent, d’un quart de la succession en pleine propriété3, celui-ci n’ayant pas la possibilité d’opter pour la totalité de la succession en usufruit – laquelle lui aurait permis de continuer à vivre dans le logement à ce titre – car cette option suppose qu’il soit en concours avec un enfant commun au couple. Les conditions d’existence du droit viager au logement étaient réunies, puisqu’il ne faisait pas de doute que le défunt ne l’en avait pas privé et que le conjoint successible occupait effectivement à titre d’habitation principale au décès le logement dépendant de la succession.

Cependant, contrairement au droit temporaire au logement, qui lui confère de plein droit un droit de jouissance gratuite, le droit viager au logement n’est pas automatique ; le conjoint doit manifester sa volonté d’en bénéficier dans le délai d’un an à compter du décès, conformément à l’article 765-1 du Code civil. Cette exigence montre la volonté du législateur de laisser au conjoint survivant le choix de s’en prévaloir sans que les autres héritiers ne puissent l’en empêcher ou s’y opposer ; seul le défunt peut l’en priver par testament authentique, ce droit n’étant pas d’ordre public. Le délai d’un an à compter de l’ouverture de la succession lui accorde une période de réflexion, qui lui permet de se renseigner sur ses droits et les conséquences de son choix avant de se prononcer. Il peut néanmoins paraître trop court à l’égard d’un conjoint non informé ou négligent, mais sa brièveté tend aussi à ne pas perturber tardivement la liquidation de la succession.

La difficulté vient cependant du silence de l’article 765-1 du Code civil sur le formalisme requis pour que le conjoint fasse valoir sa volonté de bénéficier du droit viager au logement. La question divisa la doctrine au lendemain de la loi du 3 décembre 2001, les uns interprétant le texte comme exigeant une demande expresse, les autres admettant au contraire la possibilité d’une manifestation tacite. La Cour de cassation a mis fin à l’incertitude en optant pour la solution la plus souple depuis un arrêt de la première chambre civile du 13 février 20194, posant en règle de principe que la manifestation de volonté du conjoint de bénéficier du droit viager au logement peut être tacite. Cette interprétation favorable au conjoint survivant est renouvelée dans l’arrêt commenté. Elle évite en particulier que son silence gardé dans l’année du décès soit systématiquement interprété comme une renonciation à son droit viager au logement. Cette faveur, conforme à l’absence de formalisme particulier exigé par la loi, peut se comprendre au regard du devoir alimentaire entre époux, englobant le besoin essentiel de se loger, qui perdure par le biais du droit viager au logement au-delà de la mort5.

Néanmoins, que la manifestation de volonté du conjoint soit expresse ou tacite, elle doit être établie dans l’année du décès. Dans un arrêt de la première chambre civile du 11 mai 2016, la Cour de cassation a accepté qu’elle puisse résulter d’une mention dans la déclaration de succession envoyée aux services fiscaux6. Une telle manifestation de volonté respecte le délai d’un an imposé par l’article 765-1 du Code civil, puisque la déclaration de succession doit, en principe, être déposée dans les six mois à compter du décès intervenu en France métropolitaine ou dans l’année du décès dans les autres cas7. Dans l’arrêt commenté du 25 octobre 2023, la cour d’appel de Bourges se réfère au contenu d’une assignation en justice datant juste d’un an après le décès du mari. L’argument ne surprend pas car il avait permis dans l’arrêt du 13 février 2019, étayé par d’autres indices, de caractériser la manifestation tacite de volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit viager au logement. Néanmoins, la situation est différente dans l’arrêt commenté car le fils du défunt démontra que la veuve n’avait en réalité pas formulé une telle demande dans ladite assignation, contrairement à ce qui avait été retenu par la cour d’appel. Sa décision est, par conséquent, cassée sur ce point pour violation de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer les termes clairs et précis de l’écrit qui lui est soumis. Néanmoins, ce motif paraît confirmer qu’une assignation en justice puisse, dans certains cas, contenir l’expression de la volonté du conjoint de bénéficier du droit viager au logement. L’absence de formalisme imposée par la loi pourrait permettre d’étendre la solution à tout acte de procédure la formulant.

Cependant, dans tous les cas, la demande doit être suffisamment précise et univoque afin qu’il n’y ait pas de doute sur son fondement. Il en ira ainsi si le conjoint survivant demande expressément dans un acte à bénéficier de son droit d’usage et d’habitation jusqu’à son décès. Faute d’exigence légale, la forme expresse semble pouvoir résulter de tout acte, notarié ou sous signature privé, en particulier de l’acte de notoriété, d’un acte d’acceptation de la succession contenant une mention spécifique ou même d’une lettre recommandée en ce sens. Cependant, faute de volonté expresse énoncée sans ambiguïté dans un acte écrit, les modalités d’une manifestation tacite de volonté suscitent des interrogations, auxquelles la Cour de cassation répond avec une certaine exigence.

II – Maintien d’une appréciation stricte de la manifestation tacite de volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit viager au logement

Dans l’arrêt du 13 février 2019, la volonté tacite du conjoint survivant a pu être déduite d’un faisceau d’indices, tirés non seulement de son maintien dans les lieux depuis le décès, mais aussi d’une assignation en justice précisant son souhait de conserver le logement « conformément à la loi » et d’un projet d’acte notarié le mentionnant. Cependant, cette décision laissait en suspens la question de savoir si la seule occupation des lieux suffisait à caractériser la volonté tacite du conjoint. Un arrêt de la première chambre civile du 6 mars 20198 sembla implicitement y répondre par la négative en cassant la décision des juges du fond reconnaissant le droit viager du conjoint occupant le logement du couple sous réserve de le mentionner dans la déclaration fiscale de succession, au motif que le conjoint n’avait pas demandé à en bénéficier dans le dispositif de ses conclusions. Néanmoins, sa portée restait incertaine car la veuve n’occupait, en l’espèce, qu’une partie de l’habitation du couple. Le doute a toutefois été levé par un arrêt du 2 mars 20229, dans lequel la première chambre civile de la Cour de cassation affirme expressément que le simple maintien dans les lieux du conjoint ne suffit pas. La même formule est reprise dans l’arrêt du 25 octobre 2023. La solution peut paraître sévère pour le conjoint mais est justifiée juridiquement, l’occupation du logement pouvant avoir un autre fondement, en particulier son droit de jouissance gratuite pendant l’année du décès, mais elle pourrait aussi résulter d’une attribution préférentielle.

L’arrêt commenté s’inscrit ainsi dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation refusant de poser une présomption de demande du conjoint basée sur sa seule occupation des lieux et lui imposant de prouver différemment qu’il a bien manifesté sa volonté de bénéficier de son droit viager au logement dans l’année du décès. Reste cependant à savoir comment. C’est sur ce point que l’arrêt commenté apporte d’intéressantes précisions, en indiquant que le fait d’avoir entretenu le logement occupé et d’y avoir employé un salarié depuis le décès ne suffit pas à caractériser la volonté non équivoque du conjoint de bénéficier du droit viager au logement, contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’appel de Bourges. La précision est importante car la situation est en pratique fréquente. Il faut donc désormais attirer l’attention sur le fait que la volonté du conjoint ne peut résulter du seul cumul de l’occupation et de l’entretien du logement depuis le décès. La solution peut sembler sévère, même si elle se justifie également par le fait que ces actes pouvaient être accomplis à un autre titre. En l’espèce, il est cependant très probable que la veuve souhaitait bénéficier de son droit viager au logement dès l’ouverture de la succession, mais faute de demande expresse ou de preuve suffisante de sa manifestation tacite de volonté, elle s’en trouve privée. Le résultat est non seulement vraisemblablement contraire à son souhait mais aussi à celui du défunt, qui ne l’avait pas privé de ce droit.

S’il est désormais certain que le maintien dans les lieux doit être corroboré par d’autres éléments, il ressort clairement de l’arrêt commenté qu’ils ne doivent pas être équivoques et doivent attester de manière explicite la volonté du conjoint de bénéficier du droit viager au logement, ce qui rend d’autant plus difficile la preuve de la manifestation tacite de sa volonté. Ainsi, après s’être montrée souple en admettant que la manifestation de volonté du conjoint puisse être expresse ou tacite, la Cour de cassation se montre plutôt sévère dans l’appréciation de cette dernière. Ce positionnement peut paraître contraire à l’esprit de loi en ce qu’il limite in fine la protection du cadre de vie du conjoint survivant. Il permet cependant d’éviter le caractère systématique du droit viager au logement du conjoint survivant qui n’en a pas été privé par le défunt. Le choix n’est, en effet, pas anodin dans la liquidation de la succession. Si sa volonté d’en bénéficier est effectivement établie, il peut continuer à vivre dans le logement, mais la valeur de son droit s’impute sur ses droits successoraux ; si elle est inférieure, il peut prendre le complément sur les biens existants, mais si elle est supérieure, il n’est pas tenu de récompenser la succession10. Dans tous les cas, le droit viager du conjoint limite les droits des autres héritiers. En revanche, s’il ne peut pas se prévaloir de son droit viager, le conjoint qui continue de vivre dans les lieux au-delà de son année de jouissance gratuite peut devoir une indemnité d’occupation envers l’indivision. Il pourrait toutefois en demander l’attribution préférentielle dans le partage successoral ; celle-ci serait de droit s’il en remplit les conditions11 mais à charge éventuellement de payer une soulte12.

Il faut évidemment conseiller au conjoint qui souhaite bénéficier de son droit viager au logement de formuler une demande expresse dans l’année du décès pour éviter la difficile preuve de la manifestation tacite de sa volonté, dont les modalités restent encore assez floues au lendemain de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 octobre 2023. S’il est certain que le seul comportement du conjoint en tant qu’occupant des lieux est insuffisant et qu’il doit être corroboré par d’autres éléments concordants non équivoques, la question de leur nature reste posée. S’il s’agit d’exiger une déclaration ou une mention suffisamment explicite – sans toutefois qu’elle corresponde à une demande expresse – les hypothèses d’une manifestation tacite de volonté du conjoint seront assez limitées. L’embarras vient certainement de l’ambivalence de la première chambre civile de la Cour de cassation, oscillant entre souplesse quant aux formes possibles – expresse ou tacite – et exigence quant au constat d’une manifestation tacite de volonté. Le dilemme est cependant inhérent à la promotion successorale du conjoint survivant, qui heurte nécessairement les droits des autres héritiers, en particulier ceux d’un enfant d’une autre union, et impose des compromis entre des intérêts divergents.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 25 oct. 2023, n° 21-23999 : Lexbase, Le Quotidien, 21 nov. 2023, brèves, obs. A.-L. Lonné-Clément.
  • 2.
    C. civ., art. 763.
  • 3.
    C. civ., art. 757.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-10171 : Dr. famille 2019, repère 5, note M. Nicod ; Dr. famille 2019, chron. 4, note V. Egéa ; AJ famille 2019, p. 352, obs. N. Levillain ; Dalloz actualité 6 mars 2019, note M. Cottet ; RLDC mai 2019, n° 6190, note S. Torricelli-Chrifi ; LPA 29 avr. 2019, n° LPA144a1, note P.-L. Niel ; Defrénois 3 mai 2019, n° DEF148n9, note S. Gaudemet ; GPL 2 juill. 2019, n° GPL355k5, note P. Gourdon ; La lettre juridique n° 776, 21 mars 2019, obs. A.-L. Nachbaum-Schneider ; RTD civ. 2020, p. 167, obs. M. Grimaldi ; JCP 2020, doctr. 110, note R. Le Guidec.
  • 5.
    V. not. : A.-L. Nachbaum-Schneider, La lettre juridique n° 776, 21 mars 2019.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 15-16116.
  • 7.
    CGI, art. 641.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 6 mars 2019, n° 18-14784 : GPL 2 juill. 2019, n° GPL355k5, note P. Gourdon.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 2 mars 2022, n° 20-16674 : Dalloz actualité 18 mars 2022, note M. Jaoul ; D. 2022, p. 2063, note S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ famille 2022, p. 233, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2022, p. 439, obs. M. Grimaldi ; JCP N 2022, act. 419, note A. Tani ; JCP N 2022, 1161, note V. Zalewski-Sicard ; Dr. famille 2022, comm. 75, note M. Nicod ; RLDC 1er juill. 2022, n° 7148, obs. R. Mésa ; RLDC 1er juill. 2022, n° 7150, obs. C. Hélaine ; La lettre juridique n° 897, 10 mars 2022, obs. A.-L. Lonné-Clément ; La lettre juridique n° 924, 17 nov. 2022, obs. J. Casey ; JCP N 2023, 1083, note R. Le Guidec.
  • 10.
    C. civ., art. 765.
  • 11.
    C. civ., art. 831-2 – C. civ., art. 831-3.
  • 12.
    Le conjoint pourrait toutefois exiger de ses copartageants des délais de paiement pouvant aller jusqu’à dix ans portant sur la moitié de la soulte : C. civ., art. 832-4.
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