Droits de succession : héritiers réservataires et légataire universel
Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 1er juin 2023 valide le sort des héritiers réservataires en concurrence avec un légataire universel lui-même réservataire, face à leur obligation de payer les droits de successions dans les six mois du décès même s’ils n’ont pas reçu leur indemnité de réduction en valeur.
Le paiement des droits de succession n’est pas chose aisée pour les héritiers, d’autant plus lorsqu’ils n’entrent pas en possession du bien. Le Conseil constitutionnel vient de leur fermer la possibilité d’obtenir des délais de paiement supplémentaires (Cons. const., 1er juin 2023, n° 2023-1051, JORF n°0126 du 2 juin 2023).
Les héritiers sont toujours obligés de payer les droits dans les 6 mois
Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC adressée par la Cour de cassation au sujet de l’obligation des héritiers réservataires de payer les droits de succession dans les six mois du décès, même s’ils n’ont pas perçu les sommes imposables. En cause : la situation où le légataire universel du défunt a également la qualité d’héritier légal. Elle conduit à ce que le légataire soit tenu de verser aux héritiers réservataires une indemnité correspondant à la portion du legs excédant leur réserve héréditaire. Cependant, le versement de cette somme dépend de la seule diligence du légataire universel. Les héritiers réservataires ne sont pas toujours en mesure d’en disposer au moment où ils doivent s’acquitter des droits de succession. Deux héritières soulevaient l’inconstitutionnalité de la loi au motif de sa méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 selon lequel lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource.
Une succession conflictuelle
Les requérantes à l’origine de la QPC sont deux héritières. Décédé en octobre 2012 Monsieur R. laissait pour héritiers deux filles d’un premier mariage et un fils d’un second mariage ainsi que sa seconde épouse, qu’il avait par ailleurs instituée légataire universel par testament en 1986.
Les deux filles n’avaient pas déposé de déclaration de succession dans le délai prévu à l’article 641 du CGI, ni acquitté les droits de succession correspondants. Après avoir contesté la déclaration de succession déposée par la seconde épouse, elles l’avaient assignée, ainsi que leur demi-frère, devant le tribunal judiciaire afin de faire valoir leurs droits de réserve héréditaire. À cette occasion, elles avaient demandé au juge la désignation d’un mandataire successoral. Le 25 janvier 2017, un accord transactionnel avait été signé entre les parties, fixant l’actif net successoral et déterminant le montant des indemnités de réduction dues par la seconde épouse légataire universel à chacun des trois héritiers réservataires.
Le 31 janvier 2017, après avoir perçu leurs indemnités, les deux filles avaient acquitté auprès de l’administration fiscale les droits de succession correspondants. Le 6 mars 2017, la seconde épouse et le fils avaient déposé une déclaration de succession et ce dernier avait payé les droits de succession correspondant à ses indemnités de réduction.
Le 4 avril 2017, l’administration fiscale avait notifié aux trois enfants une proposition de redressement fondée sur les articles 1840 E et 1709 du CGI (CGI, art. 1840 E et CGI, art. 1709) dont il résulte le principe de solidarité des cohéritiers pour le paiement des pénalités et indemnités de retard. Considérant qu’ils n’avaient pas respecté le délai de six mois pour déposer la déclaration de succession et payer les droits afférents, l’administration leur avait demandé de payer des indemnités de retard et une pénalité de 10 %.
Le 16 août 2017, l’administration fiscale avait émis un avis de recouvrement des sommes correspondantes, que les trois enfants avaient contesté. Cette réclamation avait été implicitement rejetée.
Le 4 mars 2019, le fils avait saisi le tribunal judiciaire afin d’obtenir le dégrèvement des droits de succession dont il s’était acquitté. Dans le cadre de cette procédure, il avait assigné en intervention forcée ses deux sœurs afin que, dans le cas où les pénalités et indemnités de retard seraient confirmées, elles soient tenues de payer leur part. À l’occasion de cette procédure, les sœurs avaient soulevé une QPC devant le juge de la mise en état.
Les textes civils et fiscaux en question
La QPC transmise par la Cour de cassation était la suivante : « Les dispositions de l’alinéa 1er de l’article 724 du Code civil combinées à celles des articles 641 et 1701 du Code général des impôts, en ce qu’elles imposent le règlement des droits de succession avant l’enregistrement de la déclaration de succession, soit dans un délai de six mois à compter du décès, et conduisent à ce qu’en présence d’un légataire universel cumulant cette qualité avec celle d’héritier, les héritiers réservataires soient tenus de verser des droits de succession au titre de biens qui ne leur sont pas transmis et dont ils n’auraient pas reçu la contre-valeur imposable, indépendamment de leur volonté, portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 selon lesquelles chaque citoyen contribue aux charges publiques à raison de ses facultés ? » (Cass. com., 5 avril 2023, n° 23-40.001).
Cette situation résulte de la combinaison de plusieurs textes, civils et fiscaux. Le premier concerne les modalités de saisine, c’est-à-dire du pouvoir du successeur de se substituer au défunt et d’appréhender en lieu et place de ce dernier les biens héréditaires en accomplissant tous les actes matériels et juridiques sur ces biens, sans avoir à effectuer de formalités préalables. L’article 724 du Code civil, alinéa 1, prévoit que « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ». À l’inverse, le légataire universel, en présence d’héritiers réservataires, n’a pas la saisine des biens et est tenu de demander (à celui qui a la saisine du bien) la délivrance du legs pour pouvoir prendre possession des biens légués (article 1104 du Code Civil). Toutefois, s’il est également héritier, le légataire est, du fait même de sa qualité d’héritier, saisi de l’ensemble des biens et n’a donc pas à demander la délivrance de son legs. Le légataire universel ayant également la qualité d’héritier est seul saisi de plein droit de l’ensemble de la succession. Il doit indemniser les héritiers réservataires par le versement d’une indemnité de réduction en valeur.
Ainsi « l’héritier réservataire ne dispose d’aucun droit réel sur les biens du défunt qui ne lui sont pas transmis, mais seulement d’une créance à l’égard du légataire universel, consistant en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve », indique la Cour de cassation dans son arrêt de renvoi de la QPC. Cette indemnité est en principe payable au moment du partage, sauf accord entre les cohéritiers.
La loi fiscale encadre le paiement des droits de succession. Tous les héritiers sont soumis, de façon générale, à des obligations déclaratives et au paiement de droits de mutation à titre gratuit. En vertu de l’article 800 du Code général des impôts (CGI), les héritiers, légataires ou donataires sont tenus de souscrire une « déclaration détaillée », qui doit notamment comporter la détermination des personnes qui vont hériter ainsi que l’énumération et l’estimation détaillée de tous les biens de la succession, qu’ils soient imposables ou exonérés (actif), ainsi que l’énumération et le montant des dettes du défunt (passif).
L’article 641 du CGI en fixe le délai : « Les délais pour l’enregistrement des déclarations que les héritiers, donataires ou légataires ont à souscrire des biens à eux échus ou transmis par décès sont : de six mois, à compter du jour du décès, lorsque celui dont on recueille la succession est décédé en France métropolitaine ; d’une année, dans tous les autres cas ».
Enfin, l’article 1701 du CGI : « Les droits des actes et ceux des mutations par décès sont payés avant l’exécution de l’enregistrement, de la publicité foncière ou de la formalité fusionnée, aux taux et quotités réglés par le présent code. Nul ne peut en atténuer ni différer le paiement sous le prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s’il y a lieu. À défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière, le dépôt est refusé ». À défaut de remplir ces formalités et d’acquitter ces droits, l’héritier s’expose au paiement des indemnités de retard et à une majoration de droits dus.
Pour la Cour de cassation, la question posée a présenté un caractère sérieux au regard de l’exigence de prise en compte des facultés contributives telle qu’elle résulte de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Celle-ci implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource.
Une créance certaine, qui entre dans l’appréciation des capacités contributives de l’héritier
Au soutien de ce grief, les requérantes faisaient valoir que, dans le cas où un légataire universel du défunt a également la qualité d’héritier légal et est ainsi tenu de verser aux héritiers réservataires une indemnité correspondant à la portion du legs excédant leur réserve, le versement de cette somme dépendrait de la seule diligence du légataire universel. Ainsi, les héritiers réservataires ne seraient pas toujours en mesure d’en disposer au moment où ils doivent s’acquitter des droits de succession. La question posée aux Sages revenait à savoir si les héritiers réservataires sont imposés sur des revenus dont ils ne disposent pas, au sens de sa jurisprudence.
Le Conseil constitutionnel a écarté les griefs d’inconstitutionnalité qui lui étaient présentés et a déclaré les dispositions litigieuses conformes à la Constitution.
Tout d’abord, il s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation pour souligner que « l’héritier réservataire dispose, en vertu de la loi, d’une créance à l’égard du légataire universel qui consiste en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve ». Il en tire la conséquence que « dès l’ouverture de la succession, l’héritier réservataire dispose d’une créance certaine à l’égard du légataire universel ».
Il considère ensuite que « la circonstance que, dans certains cas, le versement effectif de l’indemnité à l’héritier réservataire pourrait être retardé du fait du comportement du légataire universel est sans incidence sur l’appréciation des capacités contributives de l’héritier à raison de l’actif que constitue cette créance, qui est certaine ».
Pour les Sages, le fait, pour l’héritier, de ne pas avoir perçu les sommes correspondant à l’indemnité de réduction au moment où il est tenu de s’acquitter des droits de succession ne signifie nullement qu’il ne dispose pas de cette ressource au sens de l’exigence qui résulte de l’article 13 de la Déclaration de 1789.
Au surplus, le Conseil constitutionnel rappelle que les héritiers réservataires peuvent bénéficier de certaines voies de droit générales et particulières. Disposant en principe d’un délai de six mois à compter du jour du décès pour déclarer la succession et payer les droits de mutation afférents, ils ont la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des procédures de droit commun pour garantir et recouvrer leur créance. Par ailleurs, ils disposent également de la possibilité de demander au juge civil la désignation d’un mandataire successoral à l’effet d’administrer provisoirement la succession en raison de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou de plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale.
Référence : AJU010a6