Extinction des paiements successoraux effectués en vertu d’un jugement exécutoire par provision

Publié le 25/01/2023
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Les paiements des créances effectués en vertu d’un jugement exécutoire par provision s’éteignent de sorte que celles-ci ne sont plus soumises à l’obligation de déclaration à la succession.

Cass. 1re civ., 12 oct. 2022, no 20-21016

Cum viribus1. En l’espèce2, par acte reçu le 18 août 2008 par monsieur [S], notaire, [P] [V] a donné à bail à monsieur et madame [Z] un immeuble à usage de commerce et d’habitation. Les locataires ont assigné la bailleresse en exécution de travaux et en réparation des préjudices causés par des désordres affectant les locaux loués. Un jugement du 15 septembre 2014, revêtu de l’exécution provisoire, a notamment condamné [P] [V] à faire réaliser des travaux et à payer mensuellement à monsieur et madame [Z] des indemnités de jouissance. [P] [V], qui avait interjeté appel de cette décision, est décédée le 13 avril 2017, en laissant pour lui succéder sa fille, madame [A]. Par déclaration du 4 avril 2018, publiée le 6 du même mois, celle-ci a accepté la succession à concurrence de l’actif net. Monsieur et madame [Z] ont assigné l’association calvadosienne pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (ACSEA), en qualité de tuteur de madame [A], venant aux droits de [P] [V], en reprise d’instance devant la cour d’appel. L’ACSEA, ès qualités, a assigné en garantie monsieur [S] et son successeur, la société d’exercice libéral à responsabilité limitée Marie [N]. La cour d’appel déclare irrecevables comme éteintes toutes les demandes formées par monsieur et madame [Z] contre la succession de [P] [V] et, après avoir constaté le défaut de déclaration de créances dans le délai imparti, retient que, les condamnations prononcées par le tribunal n’étant pas définitives, il importe peu que certaines aient été exécutées. La Cour de cassation censure les juges du fond aux visas des articles 792, 1234, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et 1342, alinéa 3, du Code civil en précisant que, alors que les paiements effectués en vertu du jugement exécutoire par provision avaient éteint les créances correspondantes de monsieur et madame [Z], de sorte que ceux-ci n’étaient pas soumis à l’obligation de les déclarer à la succession, la cour d’appel a violé les textes susvisés. L’acceptation de la succession à concurrence de l’actif est organisée selon une procédure stricte qui nécessite notamment une procédure de déclaration des créances enfermée dans un bref délai (II). Pour autant, le fait que le créancier du défunt ait obtenu des paiements effectués en vertu du jugement exécutoire par provision le dispense de l’obligation de déclarer ses créances à la succession (I).

I – Les paiements effectués en vertu du jugement exécutoire par provision éteignent les créances successorales

Droit des obligations, droit judiciaire privé et droit des successions. Parce que les donations appartiennent à la catégorie des contrats unilatéraux, le droit des successions emprunte également des règles au droit des obligations, telles que le paiement (B). En l’espèce, les paiements effectués en vertu du jugement exécutoire par provision avaient éteint les créances correspondantes de monsieur et madame [Z] (A).

A – Jugement exécutoire par provision

Article 514 du Code de procédure civile. Selon l’article 514 du Code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. En l’espèce, un jugement du 15 septembre 2014, revêtu de l’exécution provisoire, a notamment condamné [P] [V] à faire réaliser des travaux et à payer mensuellement à monsieur et madame [Z] des indemnités de jouissance. La Cour de cassation ne semble pas avoir été convaincue par cet argument. Peut-être lui a-t-il semblé difficile d’imposer une autre solution que celle retenue pour trancher le nœud gordien qui est de savoir si le jugement exécutoire par provision fait obstacle à la déclaration des créances conformément à l’article 792 du Code civil ?

Jurisprudence. Dans la même veine, la Cour de cassation a censuré les juges du fond au visa de l’article 792, alinéa 2, du Code civil en considérant :

« Attendu qu’il résulte de ce texte qu’il incombe aux créanciers de la succession de déclarer leurs créances dans un délai de quinze mois à compter de la publicité nationale dont fait l’objet l’enregistrement de la déclaration d’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net ;

Attendu que, pour accueillir la demande en paiement du liquidateur, l’arrêt retient que la société Y… H… disposait, avant le décès de K… Z…, d’un titre exécutoire à son encontre constitué par le jugement assorti de l’exécution provisoire, de sorte que l’actif de la succession était amputé des condamnations prononcées par le tribunal ;

Qu’en se déterminant ainsi, par un motif inopérant au regard de l’obligation faite au créancier de déclarer sa créance dans le délai qui s’impose à lui, la cour d’appel a privé sa décision de base légale »3.

B – Le paiement éteint la dette

Le paiement. La preuve du paiement, qui est un fait juridique, peut être rapportée par tous moyens, comme l’estime la Cour de cassation. Un éminent auteur analyse « la nature juridique du paiement comme un fait juridique, indépendant de la volonté des « parties » puisque c’est la loi (C. civ., anc. art. 1234, devenu art. 1342), et non la volonté du débiteur et du créancier, qui fait produire à l’exécution de l’obligation son effet extinctif »4. Force est de constater que l’ordonnance du 10 février 2016 consacre tacitement la thèse du fait juridique puisque le nouvel article 1342-8 du Code civil dispose que le paiement se prouve par tout moyen.

Sujets du paiement : accipiens, solvens. On s’accorde pour reconnaître que « le nouvel article 1342-2 confirme les règles existantes relatives au bénéficiaire du paiement, et notamment la classique distinction entre le créancier (le titulaire du droit de créance) et l’accipiens (celui qui reçoit le paiement), tandis que le nouvel article 1342-3 pose le principe de la validité du paiement fait de bonne foi à un créancier apparent »5.

Distinction entre les dettes et les charges successorales. L’acceptation à concurrence de l’actif net (ACAN) a pour effet de limiter uniquement l’obligation aux dettes successorales, c’est-à-dire aux dettes contractées par le défunt et qui ne sont pas trouvées éteintes par la mort de leur débiteur6. En d’autres termes, les charges successorales ne sont pas déduites de l’actif successoral car elles sont nées après le décès du de cujus. Ne sont déductibles de l’actif successoral que les dettes du défunt.

Au cas d’espèce, il s’agissait d’un bail à monsieur et madame [Z] d’un immeuble à usage de commerce et d’habitation. On rappellera qu’un jugement du 15 septembre 2014, revêtu de l’exécution provisoire, a condamné [P] [V] à faire réaliser des travaux nécessaires et à payer à monsieur et madame [Z] des indemnités de jouissance mensuelles. Ces créances de condamnations payées sont éteintes mais, étant incertaines car non définitives, elles n’avaient pas à être déclarées à la succession, en vertu de l’article 792 du Code civil. Nous avons résumé dans le tableau suivant les différentes créances éteintes soumises à l’obligation de les déclarer à la succession.

Nature des créances successorales

Extinction

Non-extinction

Dette certaine et définitive

Déclaration à la succession (C. civ., art. 792)

Créances de condamnation payées (espèce)

Extinction des créances de condamnation payées

_

Créances de condamnation payées mais incertaines car non définitives

Créances non soumises à l’obligation de les déclarer à la succession

Créances non payées

Créances éteintes

_

_

Soumises à l’obligation de les déclarer à la succession

Créances bénéficiant d’une sûreté

_

Créances assorties d’une sûreté réelle échappant à l’extinction

_

Pas d’obligation de les déclarer à la succession (créancier privilégié)

II – Les créances dispensées de la déclaration à la succession dans le cadre de l’ACAN

Dispense de déclaration des créances à la succession. Selon la Cour de cassation, monsieur et madame [Z] n’étaient pas soumis à l’obligation de déclarer les créances querellées à la succession puisque ces dernières étaient éteintes dans le cadre d’une succession ayant fait l’objet d’une ACAN (A). Ce faisant, l’extinction des créances a été jugée conforme à la Constitution par les Sages de la rue Montpensier (B).

A – L’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net

Intérêt d’accepter la succession à concurrence de l’actif net : ACAN. La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités, a modernisé l’ancienne règle de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire par la nouvelle disposition de l’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net. En effet, l’article 791 du Code civil dispose dorénavant : « L’acceptation à concurrence de l’actif net donne à l’héritier l’avantage : 1° d’éviter la confusion de ses biens personnels avec ceux de la succession ; 2° de conserver contre celle-ci tous les droits qu’il avait antérieurement sur les biens du défunt ; 3° de n’être tenu au paiement des dettes de la succession que jusqu’à concurrence de la valeur des biens qu’il a recueillis ». Déclarer accepter la succession à concurrence de l’actif net limite de cette façon la poursuite des créanciers successoraux aux biens héréditaires recueillis et mettant à l’abri leur patrimoine personnel7. En d’autres termes, les legs particuliers de sommes d’argent ou de « choses de genre » ne peuvent être délivrés que jusqu’à hauteur de l’actif successoral net, soit intra vires successionis8, c’est-à-dire dans les limites des forces de la succession, tant et si bien que les héritiers n’y sont pas tenus sur leurs biens personnels9. De plus, l’article 814-1 du Code civil dispose que, en toutes circonstances, l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net peut demander au juge de désigner toute personne qualifiée en qualité de mandataire successoral à l’effet de le substituer dans la charge d’administrer et de liquider la succession. À lire ce texte, le juge n’a plus la faculté, prévue à l’article 813-1 du Code civil, mais le devoir de désigner un mandataire successoral lorsqu’un héritier qui a accepté à concurrence de l’actif net le demande10. Dans notre affaire, il était soutenu que les créances dont le paiement a été obtenu en exécution d’un jugement rendu contre le de cujus n’ont pas à être déclarées à la succession lorsque celle-ci a fait l’objet d’une ACAN, peu important les éventuels recours formés contre le jugement.

B – L’extinction des créances et l’article 2 de la Déclaration de 1789

Décision n° 2016-574/575/576/577/578 du 5 octobre 2016 : l’extinction des créances est-elle conforme à la Constitution ? Répondant à cette question11, le Conseil constitutionnel considère que « les dispositions contestées, en ce qu’elles prévoient l’extinction définitive de la créance non déclarée dans le délai légal, sont susceptibles d’entraîner une atteinte au droit de propriété des créanciers de la succession. Toutefois, d’une part, en adoptant ces dispositions, le législateur a cherché, en assurant l’efficacité de l’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net, à faciliter la transmission des patrimoines. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. D’autre part, des garanties sont offertes aux créanciers, qui disposent d’un délai de quinze mois pour déclarer leurs créances. Ce délai court à compter de la date de la publicité nationale de la déclaration d’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net. En outre, les créances assorties d’une sûreté réelle échappent à l’extinction. Par ailleurs, en vertu du dernier alinéa de l’article 800 du Code civil, l’héritier qui a omis, sciemment et de mauvaise foi, de signaler l’existence d’une créance au passif de la succession est déchu de l’acceptation à concurrence de l’actif net. Compte tenu de l’objectif poursuivi et des garanties prévues, le législateur n’a pas, par les dispositions contestées, porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 2 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté ».

Conclusion. Force est de conclure que le Conseil constitutionnel estime que le délai de 15 mois pour déclarer les créances ne porte pas une attente disproportionnée au droit de propriété, au grand dam de certains auteurs qui considèrent au contraire que « la référence à l’article 792 du Code civil a deux inconvénients : la longueur du délai (15 mois) et son point de départ, fixé à la publicité d’une hypothétique acceptation à concurrence de l’actif net »12. Point trop n’en faut !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Avec force.
  • 2.
    A.-L. Lonné-Clément, « Déclaration de créances à la succession acceptée à concurrence de l’actif net : quid de créances faisant l’objet de condamnations non définitives, mais exécutées ? », 21 oct. 2022, https://lext.so/sUEDzb ; Q. Guiguet-Schielé, « Les créances non-définitives et la succession acceptée à concurrence de l’actif net », Dalloz actualité, 10 nov. 2022.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 22 mars 2017, n° 15-25545, P.
  • 4.
    N. Catala, La nature juridique du paiement, 1961, LGDJ, préf. J. Carbonnier ; S. Benilsi, Rép. civ. Dalloz, v° Paiement, 2019, n° 1.
  • 5.
    A. Maffre-Baugé, « La réforme du droit des contrats regroupe les règles relatives au paiement », Éditions législatives, 30 sept. 2016, https://lext.so/Jacw4l.
  • 6.
    JCl. Liquidations – Partages – Encyclopédies, fasc. 110, V° Acceptation successorale – Acceptation à concurrence de l’actif net – Effets, N. Levillain.
  • 7.
    C. civ., art. 791 : JCl. Liquidations – Partages – Encyclopédies, fasc. 100, V° Acceptation successorale – Acceptation à concurrence de l’actif net – Conditions, dernière mise à jour 15 janv. 2021.
  • 8.
    JCl. Liquidations – Partages – Encyclopédies, fasc. 46, V° Partage – Partage de succession – Masse passive – Charge du passif.
  • 9.
    V. Bonnet, H. Bosse-Platière et A. Mullot-Thiébaud, Rép. civ. Dalloz, v° Obligation alimentaire – Obligations alimentaires qui découlent du lien matrimonial, 2020, actualisation 2022, n° 182.
  • 10.
    J. Mestre, « Mandat judiciaire », Le Lamy Sociétés Commerciales, 2022, n° 121.
  • 11.
    J.-F. Barbièri, « Créances successorales : le Conseil constitutionnel et la première chambre civile contre le bon sens », LPA 21 déc. 2016, n° LPA122f8.
  • 12.
    JCl. Notarial Formulaire – Encyclopédies, fasc. 810, V° Partage – Acquisition ou attribution de biens personnels.
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