La récupération de l’allocation de solidarité aux personnes âgées

Dans cette décision, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise que pour que l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) soit récupérée sur les héritiers, encore faut-il démontrer que la personne auprès de laquelle la CARSAT exerce la récupération est bien héritière du bénéficiaire de l’ASPA.
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation1, il est question de la récupération de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). À l’origine, c’est sous le régime de Vichy que fut mise en place l’allocation aux vieux travailleurs salariés2 afin de donner aux « vieillards »3 un complément de ressources à leurs pensions de retraite, marquant ainsi la création du premier minimum social4. Cette allocation a été par la suite englobée au sein du minimum vieillesse5 composé alors de plusieurs prestations non contributives (allocation aux vieux travailleurs non-salariés, allocation de vieillesse agricole, secours viager, allocation aux mères de famille, …). Puis, en 20046, une ordonnance vient simplifier ce système en substituant à toutes ces prestations une allocation unique : l’ASPA, dont le montant varie selon que le demandeur est seul ou en couple, quel que soit son mode de conjugalité7. L’originalité de cette prestation sociale est qu’elle est récupérable sur l’actif net successoral de son bénéficiaire. C’est sur ce point que va naître un contentieux dans l’affaire qui nous intéresse : une personne avait bénéficié de l’ASPA entre le 24 mars 2007 et le 5 août 2013, date de son décès. En décembre 2019, la CARSAT va se tourner vers sa petite-fille pour récupérer la somme de 189,87 €. Cette dernière conteste alors et le litige est porté devant le tribunal judiciaire de Marseille. La juridiction, statuant en dernier ressort, fait droit à la demande de la CARSAT, estimant que les textes des articles L. 815-13 et suivants du Code de la sécurité sociale fondaient le droit à récupération. La petite-fille du bénéficiaire de l’ASPA va alors former un pourvoi en cassation et obtient la cassation et l’annulation du jugement. Pour la Cour régulatrice, la qualité d’héritière de la petite-fille n’était pas démontrée, les premiers juges s’étant contentés de relever qu’elle était héritière de sa mère décédée en 2015 elle-même seule héritière du bénéficiaire de l’ASPA et que la déclaration de succession du bénéficiaire de l’ASPA avait été établie la même année que le décès de sa fille, unique héritière, soit en 2015. Cet arrêt est l’occasion de rappeler les conditions d’ouverture de l’ASPA, celles-ci ayant été durcies en 2023 (I), avant de revenir sur le mécanisme de récupération de cette prestation sociale (II).
I – Les conditions d’ouverture de l’allocation de solidarité aux personnes âgées
Comme tout minimum social, l’ASPA n’est attribuée que si les ressources du demandeur ne dépassent pas un certain plafond, variable en fonction de sa situation conjugale. En réalité, ce plafond est fixé au montant de l’ASPA ; l’ASPA venant ainsi compléter les pensions de retraite jusqu’à concurrence de son montant. La liste des ressources prises en compte est fixée à l’article R. 815-22 du Code de la sécurité sociale et comprend notamment tous les avantages invalidité et vieillesse dont bénéficie l’intéressé mais également des revenus professionnels, des revenus des biens mobiliers et immobiliers et des biens dont il a fait donation dans les 10 ans précédant la demande8. Par ailleurs, pour prétendre à l’ASPA, il est nécessaire d’avoir fait valoir l’ensemble de ces avantages vieillesse, l’ASPA intervenant à titre subsidiaire. De plus, l’ASPA est soumise à une condition d’âge : le principe est que le demandeur doit être âgé d’au moins 65 ans9, ce qui ne correspond pas à l’âge légal de départ à la retraite. Cela signifie qu’une personne qui demanderait à bénéficier de sa retraite à l’âge de 62 ou 64 ans selon son année de naissance10 ne pourrait pas obtenir de complément de ressources immédiatement et devra patienter. Toutefois, cet âge seuil peut être abaissé pour les personnes qui auraient été contraintes de prendre leur retraite de manière anticipée (retraite anticipée pour handicap), qui sont en situation de handicap ou d’invalidité leur permettant de bénéficier de manière anticipée à leurs avantages vieillesse11 ou encore pour ceux qui ont un statut particulier lié au contexte de guerre dans lequel a été introduit le minimum vieillesse (ancien déporté, interné, ancien combattant ou prisonnier de guerre). Si l’ASPA est ouverte aux personnes de nationalité étrangère, il faut néanmoins que le ressortissant étranger soit européen, ou soit réfugié, apatride, ait combattu pour la France ou bénéficiaire de la protection subsidiaire, ou soit titulaire depuis au moins 10 ans d’un titre de séjour autorisant à travailler12 pour y prétendre. Enfin, l’ASPA est soumise à une résidence stable et régulière sur le territoire français, quelle que soit la nationalité du demandeur13. C’est cette condition qui a été durcie en 2023 : en effet, la notion de résidence permanente en France, déjà utilisée auparavant, s’entendait d’une période sur le territoire français d’au moins 6 mois par année civile. Cette période a été allongée à 9 mois par année civile depuis le 1er septembre 202314, l’objectif visé étant de lutter contre la fraude sociale.
II – L’allocation de solidarité aux personnes âgées, une avance récupérable
De la même façon que l’aide sociale pouvant être octroyée aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap15, l’ASPA est une prestation construite comme une avance et par là même récupérable. Il s’agit du seul minimum social fonctionnant de cette manière ; la récupération de l’allocation supplémentaire d’invalidité ayant été abrogée depuis 202016. Cependant, l’ASPA ne sera récupérable que sur la partie de l’actif net successoral qui excède un certain montant – de 39 000 €, ce seuil est passé à 100 000 € le 1er septembre 202317 – et seulement pour une partie des sommes allouées annuellement au bénéficiaire18. Dans l’affaire commentée, le montant réclamé par la CARSAT était particulièrement faible puisque le titre émis à l’encontre de la petite-fille du bénéficiaire s’élevait à 189,87 €. En principe, ce titre aurait dû être émis contre la succession et non sur la prétendue héritière du bénéficiaire et donc être envoyé au notaire ou, à défaut de notaire, à la banque auprès de laquelle le bénéficiaire détenait un compte. La difficulté est qu’un temps assez long s’était écoulé entre le décès du bénéficiaire intervenu en août 2013 et l’émission du commandement de payer (déc. 2019). Il est donc légitime de penser que la succession avait été clôturée et liquidée. D’où l’envoi du commandement de payer directement à la prétendue héritière du bénéficiaire de la prestation sociale. Or, c’est bien sur ce point que la Cour de cassation va opérer son contrôle : s’il est possible de récupérer l’ASPA sur les héritiers du bénéficiaire dans la limite de la part effectivement perçue, encore faut-il que ces héritiers aient bien la qualité d’héritier. Or, en l’espèce, la CARSAT ne démontrait pas la qualité d’héritière de la petite-fille mais se contentait de s’appuyer sur le fait que la mère de celle-ci était décédée la même année que la déclaration de succession effectuée pour le bénéficiaire de l’ASPA et qu’elle était la seule héritière du bénéficiaire de l’ASPA. Il ne s’agit pas d’une impossibilité de récupérer sur les petits-enfants qui est édictée par la Cour de cassation mais d’un rappel lié à la preuve de la qualité d’héritier non rapportée ici. Notons que la contestation de la petite-fille aurait pu s’accompagner d’un autre argument, à savoir que pour effectuer la récupération sur la succession, la CARSAT dispose d’un délai de cinq ans à compter du décès du bénéficiaire19 ; la décision de récupération aurait donc dû être notifiée au plus tard le 5 août 2018.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 2e civ., 16 nov. 2023, n° 22-12092.
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2.
Loi du 14 mars 1941, relative à l’allocation aux vieux travailleurs salariés : JO, 15 mars 1941.
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3.
H. Chaput, K. Julienne et M. Lelièvre, « L’aide à la vieillesse pauvre : la construction du minimum vieillesse », RFAS 2007/1, p. 57.
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4.
D’autres minima sociaux existent comme l’Allocation Supplémentaire d’Invalidité, l’Allocation aux Adultes Handicapés, l’Allocation de Solidarité Spécifique ou encore le Revenu de Solidarité Active.
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5.
Loi n° 56-639 du 30 juin 1956, portant institution d’un fonds national de solidarité : JO, 1er juill. 1956.
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6.
Ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004, simplifiant le minimum vieillesse : JO, 26 juin 2004.
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7.
Depuis le 1er janvier 2024, l’ASPA est de 1 012,02 €/mois pour une personne seule et de 1 571,16 €/mois pour un couple.
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8.
La méthode d’évaluation de ce capital dormant est fixée à l’article R. 815-25 du Code de la sécurité sociale.
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9.
CSS, art. R. 815-1.
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10.
CSS, art. L. 161-17-2.
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11.
Il s’agit des personnes justifiant d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 50 % ou qui ont été reconnues inaptes au travail et définitivement atteint d’un taux d’incapacité de 50 % soit généralement les individus bénéficiant de l’Allocation aux Adultes Handicapés ou d’une pension d’invalidité de 2e ou 3e catégorie (CSS, art. L. 351-8).
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12.
CSS, art. L. 816-1.
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13.
CSS, art. L. 815-1.
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14.
CSS, art. R. 111-2. Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023, de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 : JO, 15 avr. 2023 et décret n° 2023-754 du 10 août 2023, portant application des articles 18 et 25 de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 relatifs à la revalorisation des minima de pension, à la pension d’orphelin, à l’allocation de solidarité aux personnes âgées et à l’assurance vieillesse des aidants : JO, 11 août 2023.
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15.
CASF, art. L. 132-8.
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16.
Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019, de finances pour 2020 : JO, 29 déc. 2019.
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17.
CSS, art. L. 815-13.
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18.
CSS, art. D. 815-3.
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19.
Il s’agit de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil.
Référence : AJU012f2
