La réforme de la sortie de l’indivision successorale du 6 mars 2025 : une simplification en marche

Publié le 10/06/2025
volets clos d'un bâtiment
travelview/AdobeStock

La proposition de loi du 6 mars 2025, présentée par Louise Morel, vise à résoudre le contentieux abondant de l’indivision successorale et des biens vacants en France. En réponse à la crise du logement, elle introduit des mesures pragmatiques pour accélérer le règlement des successions et faciliter la gestion des biens abandonnés. La proposition de loi suggère une série de solutions pour surmonter les blocages liés aux indivisaires inactifs et inconnus, tout en expérimentant des procédures d’accélération du partage judiciaire.

Res novae1. On s’accorde pour reconnaître que, dans le droit romain, la propriété collective ou indivision était effectivement mal vue, car le système juridique romain privilégiait une propriété privée indivisible. Dans les législations de tradition romano-germanique, il y avait une préférence pour des biens appartenant à une seule personne, car la possession individuelle garantissait un contrôle total sur le bien2. En réalité ce sont les juristes médiévaux qui, à partir des textes du droit romain, ont théorisé une conception absolutiste de la propriété provenant du droit romain3. Les glossateurs n’ont eu de cesse de rechercher à traduire l’exclusivité et l’absolutisme du droit de propriété dans toutes ses dimensions et notamment en reconnaissant à la propriété du sol des vertus cardinales. C’est ainsi qu’au Moyen Âge, Cynus de Pistole l’avait traduite dans la location latine cuius est solum, eius est usque ad caelum et ad inferos4. Cela dit, l’indivision était une réalité juridique, notamment dans le cadre des successions où plusieurs héritiers pouvaient se retrouver à partager un bien. De tradition, il n’existe pas d’indivision dans l’hypothèse d’un démembrement de propriété entre le nu-propriétaire et l’usufruitier5. Si besoin était, la jurisprudence sur le partage de biens démembrés suffirait à le rappeler dans les termes suivants : « Mais attendu qu’il n’y a pas d’indivision quant à la propriété entre l’usufruitier et le nu-propriétaire qui sont titulaires de droits différents et indépendants l’un de l’autre ; qu’ainsi, par suite de la vente simultanée et pour un même prix de l’immeuble appartenant pour l’usufruit à M. Christian et pour la nue-propriété à ses deux enfants, l’usufruitier a, sur le prix total, un droit propre à la portion correspondant à la valeur de son usufruit »6. Ainsi, il est juste de dire que, s’appuyant sur un héritage juridique du droit romain, les codificateurs napoléoniens rédigèrent notamment des mesures facilitant la sortie de l’indivision, que ce soit par voie amiable ou judiciaire. Une proposition de loi visant à simplifier la sortie de l’indivision est étudiée par les parlementaires7.

I – Une proposition de loi audacieuse pour résoudre la crise de l’indivision successorale et de l’abandon des biens

Pour répondre à la crise du logement, la législation actuelle doit être révisée afin de proposer des solutions pratiques et efficaces. C’est dans ce contexte que la proposition de loi déposée par Louise Morel (MoDem) s’inscrit, en cherchant à résoudre les enjeux de l’indivision successorale et des biens vacants (A). Ainsi, en explorant d’une part les causes profondes de cette problématique, puis en offrant d’autre part des solutions novatrices pour y remédier, cette réforme entend réconcilier les impératifs sociaux et juridiques8 (B).

A – Un contexte de crise du logement et des biens vacants à l’origine d’une nécessaire réforme

Force est de constater que le paysage immobilier français est frappé de plein fouet par une crise du logement liée à une inflation galopante, exacerbée par les biens vacants, dont une part importante est issue de successions en indivision9. La proposition de loi répond ainsi à une problématique sociale et juridique d’ampleur, visant à alléger le fardeau de ces indivisions interminables et à revitaliser les zones urbaines sinistrées par l’abandon10. C’est ainsi que, depuis 2022, le secteur du bâtiment traverse une crise du logement neuf. Selon les dernières données du service statistique des ministères chargés de l’Environnement, de l’Énergie, de la Construction, du Logement et des Transports, 194 710 logements ont été commencés entre janvier et septembre 2024, contre 227 790 au cours des neuf premiers mois de l’année 2023 (-15 %) et 295 865 sur la même période en 2022 (-34 %). Sur deux ans, la baisse est deux fois plus forte dans l’individuel pur (-52 %) que dans le collectif hors résidence (-26 %)11.

B – Un cadre législatif novateur pour anticiper l’abandon et faciliter la gestion des successions vacantes

S’inspirant des dispositifs éprouvés en Alsace-Moselle et outre-mer, cette loi entend poser les fondations d’une gestion plus réactive et moins contraignante des successions. Par l’introduction de nouvelles procédures, telles que la création d’une base de données des biens abandonnés, le texte dote les autorités locales d’outils puissants pour reprendre en main les biens laissés à l’abandon, tout en offrant une porte de sortie aux héritiers piégés dans des indivisions bloquées. Face aux blocages engendrés par les indivisions successorales et l’abandon des biens, la proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale introduit une approche résolument pragmatique et novatrice. En s’inspirant des dispositifs en vigueur en Alsace-Moselle ainsi que du modèle ultramarin, notamment la loi Letchimy de 2018, le législateur entend doter l’État et les collectivités d’outils leur permettant d’agir plus efficacement sur le sort des biens vacants et des successions enlisées12.

La loi du 27 décembre 2018, dite Letchimy, visait à accélérer le règlement des successions restées en suspens depuis plus de dix ans en simplifiant les procédures de vente et de partage des biens concernés. Bien que ce dispositif spécifique se distingue par des conditions assouplies et une efficacité renforcée, le recours au droit commun conserve toute sa pertinence, voire son indispensabilité13.

L’article 4 de la proposition précise « à titre expérimental, pour une durée de cinq ans, dans des ressorts définis par arrêté du ministre de la justice, l’État peut prévoir l’application d’une procédure d’accélération du partage judiciaire. Dans ce cas, par dérogation au second alinéa de l’article 841-1 du Code civil, si l’indivisaire inerte n’a pas constitué un mandataire dans le mois suivant la mise en demeure, il est présumé consentir à ce que l’on procède au partage et que le partage sera obligatoire pour lui ». L’article 4 de la proposition de loi introduit une mesure cruciale et expérimentale visant à surmonter l’un des principaux obstacles au règlement des indivisions successorales : l’inertie de certains indivisaires, qui peut prolonger indéfiniment le blocage d’une succession. En effet, dans de nombreuses situations, un ou plusieurs indivisaires s’abstiennent de participer aux démarches de partage, soit par négligence, soit par désintérêt, soit encore par opposition tacite. Cette absence de collaboration empêche les autres héritiers d’accéder à leur part du patrimoine successoral et maintient les biens dans une situation de paralysie juridique, souvent préjudiciable tant aux cohéritiers qu’aux collectivités locales confrontées à des biens vacants ou en déshérence14.

II – Des solutions concrètes et efficaces pour dénouer les situations d’indivision et restaurer la fluidité du marché immobilier

Pour répondre de manière globale aux défis posés par l’indivision successorale, la proposition de loi du 6 mars 2025 met en place une série de solutions innovantes permettant non seulement de sortir des situations d’indivision complexes, mais aussi d’accélérer le processus de partage amiable ou judiciaire. Après avoir introduit des mécanismes permettant de dénouer les blocages liés à des indivisaires inconnus ou injoignables (A), le texte envisage également des mesures visant à contraindre les indivisaires inactifs, garantissant ainsi une plus grande fluidité dans la gestion des successions (B).

A – Une approche pragmatique et élargie pour sortir des indivisions complexes

L’article 2 de la proposition précise que : « Art. 815-5-2 : Dans les indivisions constituées depuis au moins dix ans et comprenant un indivisaire décédé depuis au moins deux ans dont la succession a été déclarée vacante, lorsque l’identité ou l’adresse d’un ou de plusieurs des indivisaires n’est pas connue, l’aliénation du bien indivis par l’autorité administrative chargée des domaines peut être autorisée par le tribunal judiciaire ». La proposition de loi entend lever les obstacles juridiques en introduisant un mécanisme novateur permettant de sortir des indivisions bloquées, notamment en cas d’indivisaires inconnus ou injoignables. Par l’intervention de la Direction nationale d’intervention domaniale (DNID), la loi mettrait en place un dispositif d’exception, autorisant la vente des biens indivis lorsque la succession est vacante, afin de restaurer rapidement l’ordre dans des situations d’urgence15.

B – Une accélération des partages et une expérimentation pour contraindre l’inaction des indivisaires

Dans un souci d’efficacité maximale, l’expérimentation d’un mécanisme novateur d’accélération des partages judiciaires permettra de contraindre les indivisaires inactifs à s’engager dans le processus. Cette mesure, qui pourrait se déployer dans des ressorts juridictionnels définis par arrêté du ministre de la Justice, offre la promesse d’une résolution rapide des conflits successoraux en permettant de présumer le consentement d’un indivisaire inerte après une mise en demeure. Ce mécanisme vise à imposer une dynamique de partage judiciaire, en particulier dans les cas où certains indivisaires se montrent inactifs soit par négligence, soit par refus de participer au processus de partage. En effet, l’article 4 de la proposition de la loi, après la mise en demeure de l’indivisaire inactif, permet de désigner un mandataire, et l’indivisaire sera présumé consentir à la procédure de partage. Cette présomption permet de surmonter l’obstacle créé par l’inaction d’un indivisaire, qui souvent retarde ou empêche la conclusion du partage, et de garantir une décision de partage obligatoire, même contre la volonté de l’indivisaire récalcitrant. Finalement, cette approche novatrice vise à réduire les obstacles à la sortie de l’indivision, assurant ainsi une gestion plus efficace et rapide des biens successoraux.

Ainsi, cette proposition de loi du 6 mars 2025 s’inscrit dans une volonté de modernisation du droit des successions, afin de mieux répondre aux enjeux contemporains de l’immobilier, du logement et de la gestion des biens. Il y a fort à parier que les parlementaires n’apporteront que peu d’amendements à cette proposition de loi, tant elle répond de manière pragmatique et urgente aux défis actuels de l’indivision successorale. L’équilibre trouvé entre la simplification des procédures et la prise en compte des impératifs sociaux et juridiques semble largement salué, et il serait surprenant que des modifications substantielles soient nécessaires pour parvenir à un consensus législatif.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Signifiant littéralement « nouvelles choses » ou « réformes ».
  • 2.
    Quiconque est propriétaire d’un lopin de terre la détient du paradis à l’enfer. JCl. Civil Annexes, art. 517à 521, nos 25 et suiv., vo Biens. Classification tripartite des immeubles. – Immeubles par nature, M.-C. de Lambertye-Autrand et G. Guilhem.
  • 3.
    J.-P. Coriat, La notion romaine de la propriété : une vue d’ensemble, 1995, PUF de Lyon, p. 17-26.
  • 4.
    JCl. Civil art. 517à 521, nos 25 et suiv., vo Biens. Classification tripartite des immeubles. – Immeubles par nature, M.-C. de Lambertye-Autrand et G. Guilhem.
  • 5.
    J. Patarin, « Le droit du nu-propriétaire de la moitié de la masse indivise de provoquer le partage de la nue-propriété à l’encontre du coïndivisaire plein propriétaire de l’autre moitié », RTD civ. 1996, p. 683.
  • 6.
    P. Delmas Saint-Hilaire, « Partage de biens démembrés : précisions jurisprudentielles et législatives », RJPF 2006/12, p. 22.
  • 7.
    P. Januel, « L’Assemblée veut faciliter la sortie des indivisions », Dalloz actualité, 10 mars 2025.
  • 8.
    « Successions et libéralités. L’Assemblée nationale adopte en 1re lecture une proposition de loi pour simplifier la sortie de l’indivision successorale », JCP N 2025, n° 12, act. 442.
  • 9.
    P. Januel, « L’Assemblée veut faciliter la sortie des indivisions », Dalloz actualité, 10 mars 2025.
  • 10.
    « Successions et libéralités. L’Assemblée nationale adopte en 1re lecture une proposition de loi pour simplifier la sortie de l’indivision successorale », JCP N 2025, n° 12, act. 442.
  • 11.
    Rép. min. chargée du Logement auprès du min. de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, n° 2850 : JO Sénat, 30 janv. 2025, H. Maurey.
  • 12.
    « Successions et libéralités. L’Assemblée nationale adopte en 1re lecture une proposition de loi pour simplifier la sortie de l’indivision successorale », JCP N 2025, n° 12, act. 442.
  • 13.
    « De l’articulation de la loi du 27 décembre 2018 avec le droit commun », JCP N 2023, n° 19, note S. Perrin.
  • 14.
    « Successions et libéralités. L’Assemblée nationale adopte en 1re lecture une proposition de loi pour simplifier la sortie de l’indivision successorale », JCP N 2025, n° 12, act. 442.
  • 15.
    P. Januel, « L’Assemblée veut faciliter la sortie des indivisions », Dalloz actualité, 10 mars 2025.
Plan