La vacance successorale : un régime sans effet suspensif sur la prescription

Publié le 27/06/2025
La vacance successorale : un régime sans effet suspensif sur la prescription
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L’arrêt du 30 avril 2025 précise que l’ouverture d’une succession vacante n’interrompt ni ne suspend la prescription d’une créance déclarée par un créancier auprès du curateur. Le régime de la vacance impose une déclaration des créances mais n’en garantit pas le paiement sans titre exécutoire. La Cour de cassation confirme que seule une action en justice peut interrompre la prescription. Ainsi, le créancier doit faire preuve de vigilance active, même en présence d’une succession vacante.

Contra non valentem agere non currit praescriptio1. Dans la présente affaire, M. R. est décédé le 2 mars 2013, sans que sa succession ne soit acceptée par un héritier. Par une ordonnance du 5 mars 2015, rendue à la demande du département des Côtes-d’Armor, le président du tribunal de grande instance a constaté la vacance de la succession et désigné la direction régionale des finances publiques (DRFiP) de Bretagne comme curateur de celle-ci. Le 14 avril 2015, le département a déclaré une créance au titre des prestations d’aide sociale versées à M. R., auprès de la DRFiP, curateur. La DRFiP a refusé le paiement, estimant que la créance était prescrite. Après le rejet de sa réclamation préalable, le département a saisi une juridiction de sécurité sociale afin de demander le paiement de sa créance. La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 8 février 2023, a déclaré prescrite la créance du département. Ce dernier a formé un pourvoi en cassation. L’ouverture d’une succession vacante constitue une mesure particulière d’administration des biens d’une personne décédée sans héritier connu ou acceptant. Dans ce régime, un curateur est désigné pour gérer l’actif successoral. Mais la question se pose de savoir si les créanciers peuvent toujours agir pour préserver leurs droits, ou si la procédure de vacance interrompt ou suspend les délais de prescription. Dans l’arrêt rendu le 30 avril 20252, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur un tel différend : un département ayant déclaré une créance d’aide sociale à un curateur de succession vacante s’est vu opposer la prescription, faute d’avoir émis un titre exécutoire. La cour d’appel ayant confirmé cette position, le département forma un pourvoi, soutenant que la vacance empêchait toute action et devait suspendre la prescription. La haute juridiction rejette cette thèse, affirmant que la déclaration de créance auprès du curateur n’interrompt ni ne suspend la prescription, puisque le créancier peut toujours saisir le juge pour obtenir un titre exécutoire. Il s’agissait donc de déterminer la réponse à cette question : l’ouverture d’une succession vacante suspend-elle la prescription de la créance déclarée par un créancier auprès du curateur ? La Cour de cassation répond par la négative, consacrant ainsi la primauté de la vigilance créancière même en présence d’un régime spécial de gestion successorale. Cette solution appelle une analyse en deux temps : une vacance successorale aux effets limités sur les droits des créanciers (I) et une prescription qui continue à courir malgré l’impossibilité de paiement immédiat (II).

I – Une vacance successorale aux effets limités sur les droits des créanciers

La vacance successorale : une gestion encadrée au bénéfice conditionné des créanciers. Ainsi, la distinction entre vacance et déshérence révèle deux régimes successoraux bien différents : tandis que la vacance appelle une gestion provisoire de la succession par l’État à titre conservatoire, la déshérence en consacre l’appropriation définitive au nom de la souveraineté (A). Pourtant, dans l’un comme dans l’autre cas, l’intérêt premier demeure identique : préserver les droits des tiers et, au premier rang d’entre eux, les créanciers de la succession. C’est précisément à cette exigence de protection que répond le régime procédural strict applicable à la vacance successorale, que la loi encadre minutieusement, notamment en matière de déclaration et de règlement des dettes (B).

A – La vacance successorale et le droit de déshérence : étude des mécanismes et implications juridiques

Le droit de déshérence : expression de la souveraineté étatique sur les successions sans maître. L’article 724 du Code civil proclame avec solennité : « À défaut d’héritier, la succession est acquise à l’État ». Ce mécanisme, que la doctrine désigne comme le droit de déshérence, ne confère nullement à l’État la qualité d’héritier. Il s’agit d’un mode spécifique d’acquisition de la succession, fondé non sur un titre successoral, mais sur une prérogative exorbitante du droit commun, émanant directement de la souveraineté étatique. L’État intervient ici non jure haereditario, sed jure coronae, ainsi que l’a clairement affirmé la jurisprudence3. Il en résulte que toute clause testamentaire visant à exclure l’État de la succession est radicalement inopposable à ce dernier4, comme si la volonté du testateur devait ici s’incliner devant l’autorité de la puissance publique. Ce droit de déshérence se distingue donc de la simple curatelle des successions vacantes : l’État ne se borne pas à en gérer l’administration provisoire dans l’attente d’un éventuel héritier ; il revendique ipso jure la titularité définitive des biens demeurés sans maître, conformément à l’article 539 du Code civil, lequel prévoit que les biens vacants ou sans propriétaire appartiennent à l’État. La situation de déshérence peut résulter de diverses hypothèses prévues par les textes. En vertu de l’article 745 du Code civil, elle survient lorsque le défunt ne laisse que des collatéraux au-delà du sixième degré – parents que le droit civil écarte expressément de la dévolution successorale. Elle peut également résulter de la renonciation unanime des héritiers, ou encore de leur forclusion par l’effet de la prescription extinctive applicable à l’option successorale. Lorsque nul ne se présente pour recueillir la succession, ou que tous les héritiers y ont définitivement renoncé, l’abandon juridique de la masse successorale est acté. L’administration des domaines, chargée dans un premier temps d’assurer la gestion des biens vacants, cède alors la place à l’État en tant que propriétaire de plein droit, investi par la loi et la souveraineté. Toutefois, aussi impressionnant soit-il, le droit de déshérence ne se confond pas avec la vacance successorale, laquelle constitue un stade antérieur et provisoire de la dévolution. Si la déshérence consacre l’entrée définitive de l’État dans le patrimoine du défunt, la vacance n’est qu’une situation transitoire, marquée par l’incertitude sur l’existence ou la volonté des héritiers. Or, c’est précisément cette vacance qui se trouvait au cœur du litige soumis à la Cour : aucun héritier ne s’étant manifesté dans les délais requis, l’administration a été conduite à enclencher la procédure de curatelle prévue par l’article 809 du Code civil. Il importe donc de s’attarder sur ce régime particulier, à mi-chemin entre l’indétermination successorale et l’appropriation publique.

La vacance successorale. Sous les auspicesde l’article 809 du Code civil. La loi, en gardienne de l’ordre successoral, érige un rempart contre l’oubli et l’abandon. La succession est dite vacante lorsque nul héritier ne se présente à l’appel du patrimoine, que tous s’en détournent par une renonciation unanime, ou encore lorsque, au terme d’un silence de six mois depuis le décès, les héritiers connus demeurent muets, ni acceptants ni renonçants5. Dans ces situations où l’héritage semble livré à lui-même, il devient impératif d’assurer avec rigueur la conservation et la gestion de l’actif successoral, tout en ouvrant la voie au règlement des créances. C’est alors que s’illustre une procédure d’exception, véritable tutelle d’un patrimoine orphelin : la curatelle de la succession vacante. L’État, dans son bras séculier qu’est le service de France Domaine, s’en voit investi comme un curateur impartial et scrupuleux6.

Espèce. Dans notre affaire, par ordonnance du 5 mars 2015, rendue sur requête du département des Côtes-d’Armor, le président d’un tribunal de grande instance a constaté la vacance de la succession de M. R., décédé le 2 mars 2013, et a confié sa curatelle à la DRFiP de Bretagne.

B – La vacance successorale : un régime qui impose une déclaration mais restreint le paiement

Espèce. La requête comportait une déclaration de créance d’un montant de 74 710,76 €, relative aux aides sociales versées au défunt. En qualité de curateur, le département a procédé à la déclaration de cette créance auprès de la DRFiP de Bretagne le 14 avril 2015. Par la suite, cette déclaration a été renouvelée le 29 juin 2018. Cependant, le 24 juin 2019, le curateur a opposé un refus de règlement au motif que la créance était prescrite. Il s’agissait donc de déterminer si l’ouverture d’une succession vacante suspend la prescription de la créance déclarée par un créancier auprès du curateur.

La déclaration de créances n’est pas un acte interruptif de prescription. C’est ainsi que le de cujus décède le 2 mars 2013, laissant une dette d’un montant de 74 710,76 €, correspondant à des aides sociales versées par le département. Le département, créancier, déclare sa créance auprès du curateur de la succession vacante le 15 mars 2015, soit un peu plus d’un an après le décès. Le 29 juin 2018, le département renouvelle cette déclaration de créance. Le 24 juin 2019, le curateur refuse le règlement de la créance au motif qu’elle était prescrite. Le 24 juin 2019, le curateur rejette la demande de paiement du département, au motif que la prescription quinquennale applicable à la créance7 est acquise depuis le 1er janvier 2019. En effet, bien que la créance ait été régulièrement déclarée, aucun acte interruptif de prescription (tel qu’une assignation en justice ou une demande en référé) n’a été accompli dans le délai de cinq ans. La déclaration de créance, à elle seule, n’interrompt pas le cours de la prescription.

II – Une prescription qui continue à courir malgré l’impossibilité de paiement immédiat

La prescription, implacable en l’absence de titre exécutoire. Si l’impossibilité d’agir peut en principe suspendre la prescription, encore faut-il que cette impossibilité soit caractérisée au sens de l’article 2234 du Code civil. En l’absence d’un tel empêchement, la prescription continue à courir, ce qui impose au créancier d’agir en justice pour préserver ses droits. C’est précisément ce que rappelle la Cour de cassation à travers l’exigence d’un titre exécutoire (A), faute de quoi la créance se trouve irrémédiablement atteinte par la prescription (B).

A – La possibilité d’obtenir un titre exécutoire comme rempart contre la prescription

Les créances dispensées de la déclaration à la succession dans le cadre de l’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net. Il convient de rappeler que, dans le cadre de l’acceptation d’une succession à concurrence de l’actif net, certaines créances sont dispensées de déclaration, notamment lorsqu’elles sont déjà connues ou incontestables8. Toutefois, ce principe ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce, dès lors que le litige portait non sur la déclaration de créance au passif successoral, mais sur la prescription affectant une créance que le département n’avait pas fait reconnaître en justice dans les délais requis.

Le régime des délais applicables aux titres exécutoires. Le créancier titulaire d’un titre exécutoire contre une personne décédée peut en poursuivre l’exécution à l’encontre de ses héritiers, qui en assurent la continuation. Il lui est alors possible d’être payé tant sur les biens de la succession que sur le patrimoine personnel des héritiers. En toute hypothèse, cette faculté suppose que les héritiers aient préalablement accepté la succession9. On sait que la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 a notamment introduit un régime spécifique de prescription applicable aux titres exécutoires, désormais codifié à l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution10. Selon ce dispositif, « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ». Il en résulte que le délai quinquennal prévu à l’article 2232 du Code civil ne s’applique pas à cette prescription spéciale11.

Espèce. Le régime des délais applicables aux titres exécutoires, tel que rappelé, trouve une illustration majeure dans l’arrêt rapporté. En effet, l’arrêt du 30 avril 2025 confirme que le créancier titulaire d’un titre exécutoire contre une personne décédée peut poursuivre son exécution tant sur les biens de la succession que sur le patrimoine personnel des héritiers, à condition que ces derniers aient accepté la succession. Cette décision illustre ainsi la continuité de la personne du défunt par les héritiers et la portée du titre exécutoire dans ce contexte. Par ailleurs, l’arrêt rappelle l’importance du cadre légal introduit par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, codifié à l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, qui impose un délai de prescription de dix ans pour l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3. Cette prescription spéciale, plus longue que le délai quinquennal de droit commun prévu à l’article 2232 du Code civil, s’applique strictement, comme l’a souligné la Cour dans sa motivation, afin d’assurer la sécurité juridique des créanciers tout en encadrant rigoureusement l’exercice de leur droit. Ainsi, par son arrêt du 30 avril 2025, la Cour de cassation consolide le régime dérogatoire de prescription applicable aux titres exécutoires et précise les conditions dans lesquelles les héritiers peuvent être tenus au paiement, renforçant la protection du créancier tout en respectant les garanties des héritiers.

Point de départ du délai décennal d’exécution des décisions de justice revêtues de l’autorité exécutoire. Le délai de dix ans imparti pour poursuivre l’exécution forcée d’une décision juridictionnelle ne commence à courir qu’à compter du moment où ladite décision acquiert la qualité de titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Tel est le cas une fois la décision signifiée à la partie condamnée et revêtue de la formule exécutoire, conformément aux exigences procédurales12.

B – Une créance prescrite faute de démarche judiciaire conservatoire

Rédaction de la demande du titre exécutoire. En s’abstenant d’émettre un titre exécutoire ou de saisir le juge compétent dans les délais, le département a laissé le délai de prescription courir sans interruption. Il ne pouvait donc se prévaloir de la seule déclaration de créance pour conserver son droit. La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel, qui a estimé que la créance du département était prescrite et que ses demandes étaient irrecevables.

Dans le cas présent, il convenait d’introduire une demande de titre exécutoire devant le tribunal judiciaire compétent, conformément aux règles de procédure, ainsi qu’il sera précisé ci-dessous.

Conclusion. Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme l’exigence de diligence à l’égard des créanciers d’une succession vacante. Elle réaffirme que le mécanisme de déclaration de créance n’est pas exclusif de l’exercice des voies judiciaires et que la prescription continue à courir, sauf empêchement légal véritable d’agir. Il en résulte une obligation de vigilance accrue pour les collectivités publiques et créanciers en général, qui ne peuvent se retrancher derrière la procédure successorale pour justifier leur inaction.

Notes de bas de pages

  • 1.
    La prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir.
  • 2.
    M. Jaoul, « L’ouverture de la vacance de la succession n’a pas d’effet suspensif sur la prescription des créances », Dalloz actualité, 21 mai 2025 ; M. Jaoul, « La déclaration de créance dans le cadre d’une succession vacante ne suspend pas la prescription », JCP N 2025, n° 21, ; M. Lecuirot, « L’ouverture d’une succession vacante n’entraîne pas la suspension de la prescription », Lamyline actualités.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 6 avr. 1994, n° 92-13.462 : JCl. Civil Code Synthèse vo Option de l’héritier, recel, vacance et déshérence, 7 mai 2024, A. Sériaux et S. Mazeaud-Leveneur.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 3 mars 1965, n° 63-11.221 : JCl. Civil Code, Synthèse, vo Option de l’héritier, recel, vacance et déshérence, 7 mai 2024, A. Sériaux et S. Mazeaud-Leveneur.
  • 5.
    JCl. Civil Code, n° 47, vo Option de l’héritier, recel, vacance et déshérence, 7 mai 2024, A. Sériaux et S. Mazeaud-Leveneur.
  • 6.
    JCl. Civil Code, Synthèse n° 47, vo Option de l’héritier, recel, vacance et déshérence, 7 mai 2024, A. Sériaux et S. Mazeaud-Leveneur.
  • 7.
    C. civ., art. 2224.
  • 8.
    P.-L. Niel, « Extinction des paiements successoraux effectués en vertu d’un jugement exécutoire par provision », Actu-juridique.fr 25 janv. 2023, n° AJU007i5.
  • 9.
    D. Cholet, Rép. pr. civ. Dalloz, vo Exécution des jugements et des actes, avr. 2022 (actualisation mars 2025) n° 133.
  • 10.
    O. Salati, « Nouvel article 3-1 de la loi du 9 juillet 1991 : la prescription des titres exécutoires », Procédures 2008, alerte 45 cité par D. Cholet, Rép. pr. civ. Dalloz, vo Exécution des jugements et des actes, avr. 2022 (actualisation mars 2025) n° 133.
  • 11.
    O. Salati, « Nouvel article 3-1 de la loi du 9 juillet 1991 : la prescription des titres exécutoires », Procédures 2008, alerte 45 cité par D. Cholet, Rép. pr. civ. Dalloz, vo Exécution des jugements et des actes, avr. 2022 (actualisation mars 2025) n° 133.
  • 12.
    Cass. 2e civ., 5 oct. 2023, n° 20-23.523 : D. Cholet, Rép. pr. civ. Dalloz, vo Exécution des jugements et des actes, avr. 2022 (actualisation mars 2025) n° 137.
  • 13.
    P.-L. Niel, « La disqualification de l’assurance-vie en donation indirecte permet la récupération des aides sociales perçues par le souscripteur », Actu-Juridique.fr 9 juin 2022, n° AJU000m4.
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