Le prélèvement préciputaire ne constitue pas une opération de partage

Publié le 19/06/2025

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Dans un avis du 21 mai dernier, la Cour de cassation indique que le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant en application de l’article 1515 du Code civil ne constitue pas une opération de partage.

À la demande de la chambre commerciale, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est positionnée sur la nature du prélèvement préciputaire, écartant le droit de 2,5 % applicable aux partages de biens immeubles prévu par l’article 647 du Code général des impôts (CGI) (Cass. 1re civ., 21 mai 2025, n°23-19.780, avis n° 9001).

Le prélèvement préciputaire pour mieux protéger le conjoint survivant

En vertu de l’article 1515 du Code civil « Il peut être convenu, dans le contrat de mariage, que le survivant des époux, ou l’un d’eux s’il survit, sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens ». Ce dispositif lui permet d’être pleinement propriétaire du bien, comme la résidence principale, qui est commun durant le mariage. Pour mémoire, les biens communs tombent dans la succession du défunt, pour la quote-part appartenant au défunt. Quel que soit son régime matrimonial, le conjoint survivant a des droits sur cette succession. En présence d’enfant commun, il peut choisir entre un quart en pleine propriété et la totalité en usufruit de la succession du défunt. En présence d’enfant non commun au couple, les droits du conjoint survivant se limitent au quart des biens en pleine propriété. Toutefois, les époux peuvent, de leur vivant aménager leur régime matrimonial pour accroître la vocation du survivant. À travers une donation au dernier vivant, ou donation entre époux – ils peuvent se transmettre la quotité spéciale entre époux, à savoir : le quart de la succession en pleine propriété, et les trois-quarts en usufruit, la totalité de la succession en usufruit, ou la quotité disponible de la succession en pleine propriété. Une autre technique consiste à inclure une clause de préciput dans leur contrat de mariage. En vertu de cette clause, le conjoint survivant pourra prélever ou un ou plusieurs biens communs déterminés, qui n’entreront donc pas la succession. Ces transferts de propriété ne se heurtent pas à la réserve héréditaire des enfants communs, mais seulement à celle des enfants du défunt issus d’une autre union.

Si son fonctionnement juridique est clair, son traitement fiscal fait l’objet d’incertitude en raison de l’intention de l’administration fiscale de le soumettre au droit de 2,5 % applicable aux partages de bien immobilier. Selon l’article 746 du CGI, « les partages de biens meubles et immeubles entre copropriétaires, cohéritiers et coassociés, à quelque titre que ce soit, pourvu qu’il en soit justifié, sont assujettis à un droit d’enregistrement ou à une taxe de publicité foncière de 2,50 % ».

Le préciput sur deux biens immobiliers

Mariés en 1962, Madame et Monsieur W ont modifié leur régime matrimonial en 2015 afin de prévoir une clause de préciput au profit du conjoint survivant. L’époux est décédé en 2016, laissant pour lui succéder son épouse et leurs trois enfants issus du mariage. En 2016, Madame W a prélevé en toute propriété, à titre de préciput, deux biens immobiliers : la résidence principale du couple et leur résidence secondaire, ainsi que les meubles meublants garnissant chacun des deux biens immobiliers. La déclaration de succession fait état d’un actif brut de succession de 2,7 millions d’euros et de droits de succession à hauteur de 491 016 euros au total. En décembre 2019, l’administration fiscale a adressé à la veuve une proposition de rectification de la déclaration de succession de son époux, aux fins de soumettre au droit de partage de 2,5 % les prélèvements effectués au titre du préciput. En janvier 2020, Madame W a contesté le redressement proposé. En février 2020, la Direction régionale des finances publiques (DRFiP) a rejeté cette contestation, adressant un avis de mise en recouvrement des sommes de 42 804 euros au titre du droit proportionnel de partage, outre 4 280 euros au titre des intérêts de retard à compter de décembre 2016, soit la somme totale de 47 084 euros. En juin 2020, Madame W a fait assigner la DRGiP de Provence-Alpes-Côte d’Azur et du département des Bouches-du-Rhône devant ce tribunal aux fins d’obtenir l’annulation de la décision de rejet du 4 août 2020 et le dégrèvement total des impositions mises à sa charge ainsi que des intérêts de retard. Par jugement en date du 24 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Niort a annulé la décision de rejet du 4 août 2020 de la réclamation de Madame W à hauteur de la somme de 47 084 euros.

Il a considéré que toutes les conditions rendant le droit de partage exigible n’étaient pas réunies. Ces conditions sont les suivantes (BOI-ENR-PTG-10-10) :

– l’existence d’un acte ;

– l’existence d’une indivision entre les copartageants ;

– la justification de l’indivision ;

– l’existence d’une véritable opération de partage.

En l’espèce, le tribunal a jugé que « le préciput a pour objet de permettre au conjoint survivant de prélever des biens communs avant tout partage, biens qui sont réputés lui avoir appartenu dès la dissolution de la communauté, et ce, sans que cette attribution ne s’impute sur ses droits dans le cadre d’un éventuel partage ultérieur. Les biens ainsi prélevés ne feront plus partie de la masse successorale à partager. L’exercice de la clause de préciput n’a donc qu’une fonction de prélèvement par le seul conjoint survivant et non l’allotissement entre plusieurs partageants ».

L’administration fiscale a donc fait appel de ce jugement. La cour d’appel de Poitiers a confirmé la position des premiers juges : « C’est de façon justifiée que le premier juge a jugé qu’il n’existait pas une véritable opération de partage ouvrant droit à taxation supplémentaire » (CA Poitiers, 2e ch., 4 juillet 2023, RG n° 22/01034).

L’administration fiscale se pourvoit donc en cassation. C’est dans ce contexte que la chambre commerciale a sursis à statuer et a sollicité l’avis de la première chambre civile (Cass. com., 16 oct. 2024, n° 23-19.780).

La Cour de cassation distingue préciput et partage

Pour répondre à la question posée : « le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant en application de l’article 1515 du Code civil constitue-t-il une opération de partage ? » -, la cour commence par définir l’opération de partage.

Sauf cas particulier prévu par la loi, elle se définit « comme celle qui, à l’issue du processus permettant de mettre fin à une indivision, contribue directement à la division de la masse indivise, préalablement liquidée, et à sa répartition entre les indivisaires à proportion de leurs droits respectifs. Une telle opération présente nécessairement un caractère amiable ou judiciaire.

Ensuite, elle examine le prélèvement effectué sur la communauté par le conjoint survivant en vertu d’une clause de préciput, au regard des caractéristiques du partage. Selon la cour, « il a, comme le partage, un effet rétroactif. Mais il se distingue de l’opération de partage à plusieurs égards ». La cour relève trois caractéristiques qui distinguent le préciput d’une opération de partage.

– « En premier lieu, s’il s’opère dans la limite de l’actif net préalablement liquidé de la communauté, il intervient, selon les termes mêmes de l’article 1515 du Code civil, avant tout partage.

– En deuxième lieu, s’effectuant sans contrepartie, les biens prélevés en exécution de ce droit ne s’imputent pas sur la part de l’époux bénéficiaire.

– En troisième lieu, son exercice relève d’une faculté unilatérale et discrétionnaire de celui-ci ».

En conséquence, la première chambre civile est d’avis que le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant, en application de l’article 1515 du Code civil, ne constitue pas une opération de partage.

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