Le secours judiciaire des testaments non datés, ou l’alliance infaillible entre reconstitution et indifférence

Par un arrêt en date du 22 novembre 2023, la Cour de cassation poursuit son allégement du formalisme des actes testamentaires, et particulièrement sur l’exigence de date. Dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, elle rappelle que, en dépit de son absence de date, un testament non daté échappe à la nullité dès lors que les éléments intrinsèques à l’acte, éventuellement corroborés par des éléments extrinsèques, établissent qu’il a été rédigé au cours d’une période déterminée, sauf à démontrer une incapacité de tester du testateur ou l’existence de dispositions testamentaires révocatoires ou incompatibles. Surtout, en contradiction avec certaines positions adoptées par le passé, elle estime qu’une date pré-imprimée sur le support portant testament est un élément intrinsèque à celui-ci.
Cass. 1re civ., 22 nov. 2023, no 21-17524
En dissipant les affres de la mortalité par la stimulation de l’activité présente, la liberté testamentaire se présente assurément comme l’une des plus précieuses libertés accordées à l’individu, ce dernier persistant à exister « dans et par son testament1 ». Touchant au profond même de la condition humaine, elle exprime une pure compassion du législateur qui accorde aux vivants le privilège d’organiser les conséquences de leur mort. Parce qu’il offre le réconfort des dernières volontés, le testament constitue pour l’être présent « une consolation de la mort » prochaine, car si « l’homme teste, c’est parce qu’il cherche à dominer la peur de la mort2 ». Bien que son auteur ne puisse plus veiller à son respect, le testament possède une force mystique, liée à la sacralité de la mort et au devoir de respect envers les défunts. Cependant, la sacralité demeure incomplète en l’absence de rituels, de même qu’un testament ne peut exister sans un formalisme, même lorsqu’il se présente sous sa forme olographe. En dépit de sa simplicité apparente, cette dernière forme testamentaire demeure « l’expression d’un acte solennel et toute violation des exigences légales formelles doit être sanctionnée par une nullité absolue »3. Mais, nonobstant ces risques, il n’en demeure pas moins que le testament olographe est facile d’accès tant il est d’un coût modeste et d’une mise en apparence aisée. Parce qu’il est accessible même aux personnes peu familiarisées avec les subtilités juridiques, il est de loin la catégorie la plus attractive au point qu’il est désormais pratique courante que des notaires fournissent à leurs clients des modèles4. À cela s’ajoute le libéralisme dont fait preuve le juge dans l’appréciation des règles de forme du testament olographe alors que, dans le même temps, il continue à se montrer exigeant à l’égard du formalisme inhérent au testament authentique. Au fil des arrêts, les exigences posées à l’article 970 du Code civil ont subi de nombreux tempéraments, confortant ainsi l’idée d’une « désolennisation » du testament olographe qui devient « la terre d’élection des accommodements », de sorte que les « dernières volontés, ainsi comprises, sont le triomphe de la volonté pure qui ne peut se manifester, ou à peu près, sans une forme équite quelconque, indépendamment de tout formalisme gênant et inutile »5. Cependant, il est bien connu que c’est surtout l’interprétation prétorienne de l’exigence de date qui est empreinte d’une évidente bienveillance. Plus que les autres, la mention de date est source de difficultés liées aux « problèmes d’inexactitude, mais aussi d’incomplétude, d’absence ou d’irrégularité formelle »6, comme en témoigne une nouvelle fois la Cour de cassation dans le présent arrêt du 22 novembre 2023 destiné à recevoir les honneurs de la publication.
En l’espèce, les faits étaient des plus banals. Une femme est décédée, laissant à sa survivance ses deux frères. L’un d’eux s’est prévalu d’un testament olographe le désignant comme légataire universel, signé et rédigé par la défunte au verso d’un relevé de compte bancaire arrêté au 31 mars 2014, mais non daté. S’appuyant sur cette lacune temporelle du testament, le second frère contesta la validité de ce dernier et en réclame la nullité. Décédé en cours d’instance, sa veuve est intervenue volontairement à la procédure. La demande en nullité fut rejetée par la cour d’appel en considération de la date pré-imprimée sur le support utilisé par la testatrice pour rédiger son testament ainsi que de l’adresse de son domicile, laquelle correspondait à celle figurant sur le relevé. La cour d’appel releva également que ces éléments intrinsèques au testament sont corroborés par l’hospitalisation de l’intéressée à compter du 27 mai 2014, et ce, jusqu’à son décès. Une fois la période de rédaction reconstituée, en l’absence de preuve démontrant l’incapacité de tester et faute de dispositions testataires révocatoires ou incompatibles, la validité du testament fut retenue par les juges du fond. La veuve forma alors un pourvoi en engageant le débat sur l’existence d’éléments intrinsèques et extrinsèques de nature à reconstituer la période de rédaction. À vrai dire, en l’absence de datation, l’on comprend aisément que l’efficacité du testament soit suspendue à la validation, ou non, d’un document dépourvu de repère temporel précis.
Dans le sillage de sa jurisprudence antérieure, la haute juridiction rejeta le pourvoi, approuvant ainsi les juges du fond d’avoir validé le testament qui, bien que non daté, est ancré dans un continuum temporel. Combinant la théorie de la reconstitution de la date avec celle de l’indifférence de la date, le présent arrêt ne fait que rappeler les principes déjà solidement intégrés par la jurisprudence antérieure. En effet, dès lors que la phase testamentaire a pu être souverainement délimitée par les juges du fond grâce à des éléments intrinsèques, eux-mêmes corroborés par des éléments extrinsèques (I), un testament non daté n’encourt plus la nullité, surtout lorsque cette dernière tend à compromettre de manière dévastatrice les dernières volontés du testateur en raison d’un vice de forme qui ne tire pas à conséquence (II).
I – La reconstitution temporelle
Aux termes de l’article 970 du Code civil, la validité du testament olographe est subordonnée à l’apposition de la date par le testateur7. Après l’écriture et la signature, le datage constitue la troisième condition du testament olographe. Initialement investi de deux dimensions, l’une temporelle, l’autre spatiale, supposant l’indication du lieu où « une lettre a été écrite, ou un acte a été passé 8 », le datage a évolué pour être communément compris de nos jours comme l’impératif de situer un acte ou un fait dans le temps dans la perspective de déterminer une antériorité ou le point de départ d’un délai. Importante, la délimitation du testament dans le temps se révélerait ardue si la loi n’en faisait pas référence. En effet, il convient de souligner que, bien souvent, la rédaction du testament constitue un acte solitaire engendré par « la contemplation de l’au-delà9 ». En l’absence de datation, la localisation du testament devient une entreprise trop aléatoire et incertaine. Afin d’évacuer cette incertitude, le législateur exige que le testateur date son écrit et cette exigence s’accompagne de deux précisions. Premièrement, par dérogation au principe posé à l’article 1377 du Code civil, la jurisprudence considère que le testament, quoique sous signature privée, fait foi de sa date, de sorte qu’il appartient à celui qui en conteste l’exactitude d’en rapporter la preuve10. Deuxièmement, parce que le datage est requis ad validitatem, l’absence de date emporte incontestablement la nullité absolue du testament pour défaut de respect d’une exigence formaliste, même si ce formalisme tend à la protection d’intérêts privés. En présence d’un testament non daté, toute discussion sur le fond semble alors superflue11. Bien que la date soit exigée à peine de nullité, il convient de relever que la date constitue une notion somme toute relative. Il faut dire que l’on n’a pas manqué de relever que, pris en sa lettre, l’article 970 du Code civil ne vise pas une date complète12. Néanmoins, si l’on envisage la date dans son rôle préventif, la date visée à l’article 970 du Code civil doit être la plus précise qui soit13. À l’image de l’article 38 de l’ordonnance de 1735, la date doit comporter l’indication du millésime, du mois et du quantième14.
Bien que la ratio legis impose une interprétation stricte du contenu de l’exigence légale de date, elle admet paradoxalement une approche plus nuancée quant à la sanction de son irrespect. Depuis longtemps, la jurisprudence admet que le testament dont la date ne satisfait pas aux prescriptions légales peut échapper à la nullité pourvu que celle-ci, qu’elle soit incertaine ou inexacte, puisse être reconstituée a posteriori au moyen d’éléments intrinsèques éventuellement étayés par des éléments extrinsèques « dans lesquels la preuve doit avoir son principe et sa racine »15. La nature de l’irrégularité est sans incidence, de sorte que la reconstitution peut concerner aussi bien une omission partielle, résultant d’ambiguïtés, de lacunes ou d’erreurs involontaires, qu’une omission totale16. Toutefois, la reconstitution n’est envisageable qu’en présence d’éléments intrinsèques, c’est-à-dire puisés dans l’acte testamentaire lui-même. De cet examen, trois situations peuvent découler17. La première est celle où le testament ne comporte aucun élément intrinsèque permettant de reconstituer la date, rendant ainsi impossible la reconstitution de la date. La seconde est celle où le testament renferme des éléments intrinsèques qui, pris isolément, suffisent à faire ressortir la date avec une évidence absolue, éliminant ainsi le besoin de recourir, en outre, à des éléments extrinsèques. Enfin, lorsque les éléments intrinsèques sont impuissants à reconstituer seuls la date, ils doivent être corroborés par des éléments extrinsèques.
Selon les juridictions, ces éléments intrinsèques découlent des mentions écrites par le testateur lui-même ou résultent d’autres indications figurant sur le document18. En ce sens, les éléments intrinsèques émergent nécessairement soit de l’apparence, soit du contenu même du testament. Quant aux éléments extrinsèques, ils correspondent aux faits ou circonstances de la cause de nature à compléter le caractère suffisant des éléments intrinsèques à condition que ces faits ou circonstances trouvent dans l’acte testamentaire lui-même « leur principe et leur origine19 ». Sous-tendue par l’idée que, pour apprécier la validité d’un testament, une date incomplète équivaut à une absence de date, la jurisprudence exigeait classiquement une reconstitution complète et précise de la date, même en cas d’inexactitude résultant d’une simple inadvertance20. Cependant, cette exigence d’une datation totale a progressivement disparu pour laisser place à « une simple localisation temporelle des dernières volontés21 ». Dès 1983, rompant avec ses solutions antérieures exigeant une date précise, la Cour de cassation admet qu’un testament doit échapper à la nullité, malgré l’omission du quantième, dès lors que ni l’incapacité du testateur ni l’existence d’un testament ultérieur et incompatible n’ont été débattues entre les parties22. La haute juridiction poursuit son infléchissement en précisant que « le caractère incomplet de la date n’entraîne pas la nullité du testament »23. Toutefois, l’indifférence de la date ne fut admise que dans l’hypothèse où seul le quantième fait défaut. Ainsi, le testament sur lequel aucune date n’avait été portée est sujet à nullité. Encourt également la nullité le testament olographe qui ne portait que le millésime de l’année, rendant ainsi impossible la reconstitution de la date24, et ce, même en l’absence d’allégations relatives à un défaut de capacité de tester ou à l’établissement ultérieur d’un testament révocatoire.
Cependant, depuis une quinzaine d’années, cette rigueur prétorienne n’est plus de mise puisqu’il est désormais de principe « qu’en dépit de son absence de date, un testament olographe n’encourt pas la nullité dès lors que des éléments intrinsèques à l’acte, corroborés par des éléments extrinsèques, établissent qu’il a été rédigé au cours d’une période déterminée »25. Afin de prévenir l’anéantissement de dispositions testamentaires, il suffit à présent de mettre en évidence une période, plus ou moins étendue, au cours de laquelle le testament avait été rédigé. La détermination de cette séquence doit avoir pour point de départ un élément intrinsèque à l’acte, en particulier l’une de ses énonciations, et peut être étayée consécutivement par des éléments extrinsèques qui autorisent une délimitation plus pertinente. En pratique, il s’agit d’inscrire dans un laps de temps plus ou moins bref26 la phase testamentaire, en spécifiant un début et une fin.
Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation se contente de réitérer les règles dégagées depuis l’arrêt du 10 mai 2007 tout en affinant les modalités de reconstitution de la période de rédaction. Les critiques soulevées par le pourvoi portent sur deux aspects propres à l’utilisation de la méthode éprouvée de la date reconstituée par la cour d’appel : l’attribution de la qualité d’éléments intrinsèques à la date imprimée sur le papier portant testament et l’absence d’éléments extrinsèques.
Le premier grief n’est guère étonnant au regard des dispositions de l’article 970 du Code civil qui, en imposant une écriture manuscrite de tout le testament, exigent que la date émane de la main du testateur. À première vue, en l’absence d’intervention du disposant, une date imprimée s’avère impuissante à valider l’écrit testamentaire. Ce constat était autrefois en accord avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait approuvé la décision des juges du fond refusant de valider un testament rédigé sur la page datée d’un agenda mais dépourvue de date manuscrite27. Certes, une date imprimée constitue assurément un élément intrinsèque à l’écrit testamentaire « mais elle n’en est pas un qui contienne “le principe et la racine” de celle du testament »28. Néanmoins, une telle observation est désormais complètement démentie par le présent arrêt qui admet ouvertement qu’une date pré-imprimée sur le support utilisé par le testateur pour rédiger son testament peut revêtir le caractère d’un élément intrinsèque à celui-ci.
Bien qu’une date imprimée sur le papier portant testament ne soit pas le fruit de l’intervention manuscrite du testateur, l’on peut expliquer la solution retenue par la haute juridiction en relevant que le support sur lequel est imprimée la date litigieuse et les dispositions testamentaires forment un tout indivisible. En raison de l’unité matérielle entre le contenant et le contenu, il est légitime de considérer que le support sur lequel les dispositions testamentaires sont écrites et la date pré-imprimée sont physiquement et intellectuellement liés, formant ainsi un document unique. De plus, les juges du fond ont relevé que la testatrice avait pris soin d’indiquer sur son testament l’adresse de son domicile, laquelle concordait avec celle figurant sur le papier contenant les dispositions testamentaires litigieuses. Parce que l’espace est au service du temps, cette concordance spatiale suggère que la date pré-imprimée, bien que non manuscrite, est indissociable de la substance du testament, faisant ainsi partie intégrante du cadre temporel dans lequel les dernières volontés du testateur ont été exprimées.
Quant au second grief, il est à noter que les juges du fond ont relevé que la testatrice fut hospitalisée à compter du 27 mai 2014, soit postérieurement à la date pré-imprimée sur le relevé bancaire. Cet indice temporel, résultant de circonstances extérieures à l’acte testamentaire, permet de circonscrire plus pertinemment la période de rédaction. En effet, si les éléments intrinsèques précédemment énoncés servent à marquer le début de la période de rédaction, et donc à vérifier la capacité de tester de la testatrice, la date d’hospitalisation de cette dernière ainsi que celle de son décès sont de nature à déterminer la fin de ladite période. Ainsi, la date d’hospitalisation de la testatrice apporte un complément naturel aux éléments intrinsèques en ce qu’elle permet d’établir que le testament a été nécessairement rédigé avant cette hospitalisation et au cours de laquelle aucun autre testament révocatoire ou incompatible n’avait été rédigé. Dans cette perspective, l’on comprend ainsi aisément la position de la Cour de cassation qui approuve les juges du fond d’avoir retenu cette circonstance de la cause comme élément extrinsèque.
En refusant d’invalider des testaments sur le fondement d’un formalisme aussi rigide qu’inefficace, la Cour de cassation cherche à dissuader les manœuvres procédurales de ceux qui, par divers artifices et notamment sur la question de la date, cherchent à obtenir la nullité d’un testament qui ne correspond pas à leurs intérêts. L’arrêt commenté témoigne une fois de plus que, dès lors qu’il est datable, c’est-à-dire qu’il porte en lui, au moins dans son principe, la période de sa confection, éventuellement consolidée par des circonstances de la cause, un testament sans date ou comportant une date incomplète n’est pas a priori nul, sauf à démontrer que sont en jeu des intérêts de fond que la forme tend à protéger.
II – L’indifférence temporelle
La doctrine majoritaire enseigne classiquement que l’exigence de date dans un testament olographe présente une utilité double : vérifier la capacité de disposer à cause de mort du disposant et hiérarchiser les testaments concurrents. Dès lors qu’aucune de ces deux questions n’est soulevée in casu, il n’y a plus alors lieu à annulation du testament non daté ou incomplètement daté. En effet, il convient de rappeler que le formalisme testamentaire présente une finalité protectrice de la liberté de tester du disposant. Il la renforce intrinsèquement en attirant l’attention du testateur, et il la consolide pour l’avenir, en préservant les dispositions prises d’éventuelles contestations29. Or, dès lors qu’il n’est pas soutenu que le testateur ait été frappé d’une incapacité de tester ni qu’il ait rédigé un autre testament incompatible ou révocatoire durant un laps de temps déterminé, reconstitué à partir d’éléments intrinsèques et extrinsèques très librement appréciés, on comprend la lecture compréhensive de l’article 970 du Code civil adoptée par les tribunaux. En raison de la constance de l’intention du testateur durant cette période, ils répugnent à annuler un testament non daté pour un vice de forme qui, en l’absence de conséquences préjudiciables à la liberté testamentaire, est dépourvu d’intérêt. Annuler le testament en raison de l’absence ou l’incomplétude de la date, alors que ni l’incapacité ni la révocation ne sont même alléguées, constituerait alors un excès inutile de rigueur formaliste, pour ne pas dire un détournement. Ainsi, le revirement opéré par la Cour de cassation en 1983 a été interprété par la doctrine de l’époque comme un glissement « d’un formalisme abstrait, c’est-à-dire coupé de sa fonction – généralement protectrice – vers un formalisme causé, qui ne serait pas exigé s’il est par ailleurs établi que les intérêts que la forme est censée sauvegarder ne se trouvent pas atteint en l’espèce »30. Ce recours à la théorie du formalisme causé est nuancé par un autre auteur qui relève que l’évolution jurisprudentielle en la matière marque simplement un rejet du formalisme aveugle qui serait sanctionné là où les intérêts de fond que la forme tend à protéger ne font l’objet d’aucun débat31. En ce sens, soit l’allégation est faite que le testateur était incapable ou qu’il a rédigé un testament ultérieur incompatible ou révocatoire. Le testament litigieux non daté est alors nul pour vice de forme, de sorte que la preuve de sa régularité ou sa postériorité, qui ouvrirait un débat sur sa date, est irrecevable, car dénuée d’intérêt, sauf à ce que le légataire reconstitue la date. Soit aucune de ces allégations n’est soutenue et, la date devenant indifférente, son caractère lacunaire n’est pas sanctionné.
À vrai dire, peu importe la justification retenue, le testament dépourvu de date précise n’est sujet à nullité que si sont en cause l’incapacité de tester ou l’existence de dispositions testamentaires incompatibles. Or, de l’avis de certains auteurs, la date ne se limite pas à ces deux utilités. À ce titre, il a été avancé l’exigence de date traduirait « un animus testandi, comme la signature et, à cet égard, elle est irremplaçable »32. En l’absence de date, les dispositions rédigées en prévision de la mort ne sont que les aspirations ou les chimères d’un testateur solitaire. Parce qu’elle permet de situer le testament dans le temps, avant l’éternité, la date constitue « non pas une formalité exigée pour elle-même, mais le moyen de préciser, au point de vue chronologique, le moment où le testament a reçu sa perfection juridique »33. Marquant le passage du projet à l’acte définitif, la date signe « l’affirmation testamentaire elle-même, elle est une déclaration de volontés, valant affirmation du testament et réalisation de l’acte juridique. C’est par elle que le testateur donne aux volontés rédigées et signées par lui la valeur de volontés testamentaires »34. Dans cette optique, la date est alors considérée comme « une formalité substantielle du testament sans laquelle la volonté de disposer ne peut naître »35. Pourtant, une telle interprétation de l’exigence de date paraît discutable dès lors que l’on considère que le temps est une notion qui échappe au scripteur. Lorsque ce dernier rédige ses dernières volontés, il se confronte à l’éternité avec la conscience de sa finitude et la nature éphémère de la vie. Face à l’incertitude, la date apparaît pour lui comme une modalité futile et vaniteuse. Bien souvent, le testateur écrit à un moment où sa pensée est hésitante sur un support vierge et « que la date est apposée (…) comme pour lancer la main »36. Mais surtout, selon une formule particulièrement nette, seule la signature, attestant le passage de l’intention à la résolution, est « la marque de l’approbation personnelle et définitive par le testateur du contenu de l’acte et de la volonté de s’en approprier les termes »37. Il ressort donc de la jurisprudence que la date, d’une part, et l’écrit et la signature, d’autre part, ne sont pas des exigences de nature et d’importance égales. La date ne vise ni à authentifier l’identité du testateur ni à vérifier la réalité de ses intentions, de sorte que si elle est « la matérialisation d’un consentement, elle ne l’est que très indirectement »38.
Dès lors que l’apposition de la date ne constitue pas une formalité qui scelle l’engagement, il n’y a pas lieu de prononcer la nullité en l’absence de problème de capacité ou de testament concurrent. Hors le cas spécifique du mineur, la question de la capacité n’a vocation à se poser qu’en présence d’une insanité d’esprit du testateur ou d’un régime de protection. Quant aux situations de révocation ou d’incompatibilité, la question de la nullité ne se pose que si les testaments concernés ont été rédigés au cours de la même période de rédaction retenue pour le testament olographe non daté. Évidemment, il appartient à celui qui entend contester la validité du testament non daté d’apporter la preuve de l’incapacité à tester ou l’existence de dispositions du testament incompatibles. En l’espèce, faute de démonstration de l’incapacité de la testatrice à tester durant la période qui court du 31 mars 2014, correspondant à la date pré-imprimée sur le support portant testament, jusqu’à son décès, ou de l’existence d’autres dispositions testamentaires, la Cour de cassation approuve donc assez logiquement les juges du fond d’avoir estimé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer la nullité du testament en raison de son absence de date. De ce point de vue, force est de constater que l’arrêt commenté n’est qu’un simple avatar des jurisprudences du 10 mai 2007 et 5 mars 2014.
Avec l’arrêt du 22 novembre 2023, la Cour de cassation confirme ainsi son assouplissement de l’exigence formelle de date posée à l’article 970. Se pose la question de savoir si cet infléchissement de la jurisprudence ne sonnerait pas la fin imminente de l’exigence de date, susceptible d’être suppléée par des équipollents ? L’évolution jurisprudentielle en la matière, loin d’être contra legem, mérite d’être saluée dès lors qu’elle opère une juste distinction entre le contenu de l’exigence légale et sa sanction effective. En préférant consacrer l’annulabilité d’un testament non daté plutôt qu’une nullité de plein droit, la jurisprudence contemporaine, appuyée par la doctrine majoritaire, s’emploie à préserver l’exercice de la liberté testamentaire au lieu et place de velléités procédurales dépourvues de tout intérêt. Pour autant, bien que cet infléchissement du formalisme constitue un moyen de défense supplémentaire à une action en nullité pour irrégularité en faveur des légataires, le testateur ne doit succomber à cette tentation consistant à négliger la datation de son testament. En raison des incertitudes inhérentes à l’avenir, le testateur ne doit pas céder à cette facilité offerte par les tribunaux et doit, à chaque fois qu’il lui est possible, préciser la date de confection de son testament ou du moins la période de rédaction. Étant donné que sa lucidité peut décliner au fil du temps, surtout aux abords de sa propre fin, ou encore que l’envie de formuler de nouvelles dispositions pourrait surgir, envie susceptible d’être contredite par la faculté d’oubli, le testateur doit mesurer tout l’intérêt de dater précisément son testament ou du moins de préciser autant que possible la période de rédaction, idéalement la plus courte possible. Ainsi, à l’aube de l’incertitude, par les précisions apportées, le testateur pourra assurer l’efficacité de ses dernières volontés par ses légataires, les rendant aussi mémorables que durable le respect dû aux défunts.
Notes de bas de pages
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1.
P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, 10e éd., 2022, LGDJ, Droit civil, p. 293, n° 374, EAN : 9782275093901.
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2.
C. Bahurel, Les volontés des morts. Vouloir pour le temps où l’on ne sera plus, 2014, LGDJ, Thèses, Bibliothèque de droit privé, p. 11, n° 12, EAN : 9782275044644.
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3.
D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuités du droit. Autour de Michelle Gobert, 2004, Economica, p. 455.
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4.
B. Beignier et A. Teni, « Le testament et le testament olographe. Modèle fourni et conservation assurée. Possible responsabilité ? Prudence… », Dr. famille 2018, étude 12.
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5.
L. Josserand, « La désolennisation du testament », DH 1932, p. 75.
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6.
D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuités du droit. Autour de Michelle Gobert, 2004, Economica, p. 463 et 464.
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7.
Cass. 1re civ., 11 janv. 1984, n° 82-16749 : Bull. civ. I, n° 15.
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8.
Dictionnaire de l’Académie française, cité par D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuités du droit. Autour de Michelle Gobert, 2004, Economica, p. 468.
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9.
M. Grimaldi, « La jurisprudence et la date du testament olographe », Defrénois 1984, n° 33387, p. 19.
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10.
Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, n° 00-21761 :Bull. civ. I, n° 221 :JCP G 2003, I 180, n° 8, note R. Le Guidec.
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11.
M. Grimaldi, « La jurisprudence et la date du testament olographe », Defrénois 1984, n° 33387, p. 20.
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12.
D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuités du droit. Autour de Michelle Gobert, 2004, Economica, p. 464.
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13.
D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuités du droit. Autour de Michelle Gobert, 2004, Economica, p. 464.
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14.
Cass. 1re civ., 25 nov. 1975, n° 74-13467 : Bull. civ. I, n° 344.
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15.
Cass. 1re civ., 24 juin 1952 : D. 1952, p. 613 ; JCP 1952, II 7119, note P. Voirin ; RTD civ. 1952, p. 531, note R. Savatier.
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16.
Cass. 1re civ., 11 oct. 1955 : JCP 1955, II, n° 8994.
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17.
V. Zalewski, note ss Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n° 13-14093 : Bull. civ. I, n° 31, LPA 22 mai 2014, p. 7.
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18.
JCl. Notarial formulaire, fasc. 40, § 75, v° Testament, 2023, B. Magois et D. Montoux.
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19.
Cass. 1re civ., 4 févr. 1981 : JCP G 1982, II 19715, note P. Rémy.
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20.
Cass. 1re civ., 2 févr. 1971 : Bull. civ. I, n° 40 ; JCP G 1971, II 17000, note M. D. ; Defrénois 1971, n° 30009-97, p. 1322, note J.-L. Aubert ; Journ. not. 1972,n° 50563, p. 573, note R. Guimbellot.
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21.
M. Nicod, note ss Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n° 13-14093, Bull. civ. I, n° 31, Defrénois 15 juin 2014, n° DEF116j6.
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22.
Cass. 1re civ., 9 mars 1983, n° 82-11259 : Bull. civ. I, n° 95 ; JCP N 1985, II, p. 263, note M. Dagot ; Defrénois 1983, n° 33172, p. 1448, note H. Souleau ; Journ. not. 1983,n° 57419, p. 1145, note E. S. de la Marnierre.
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23.
Cass. 1re civ., 1er juill. 1986, n° 84-17298 : Bull. civ. I, n° 193 ; Defrénois 1986, n° 33791, p. 1120, note M. Grimaldi.
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24.
Cass. 1re civ., 8 mars 1988, n° 86-14944 :Bull. civ. I, n° 71 ; Defrénois 1988, n° 34336, p. 1229, note M. Grimaldi ; JCP N 1989, II, n° 28, p. 218, note J. F. Montredon ; D. 1988, p. 111, note P. Malaurie.
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25.
Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-14366 :JCP N 2007, n° 21, act. 407 ; Defrénois 30 oct. 2007, n° 38666, p. 1432, note M. Beaubrun ; Dr. famille 2007, comm. 131, note B. Beignier ; D. 2007, p. 2135, note M. Nicod ; RTD civ. 2007, p. 604, obs. M. Grimaldi ; AJ famille 2007, p. 315, obs. F. Bicheron ; RJPF 2007/7-8, n° 42, note J. Casey.
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26.
Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n° 13-14093 : Bull. civ. I, n° 31 ; JCP N 2014, n° 12, act. 408, note D. Faucher ; JCP N 2014, n° 19, 1188, obs. G. Chabot ; D. 2014, p. 1133, note G. Raoul-Cormeil ; Dr. famille 2014, comm. 78, note B. Beignier ; LPA 22 mai 2014, p. 7, note V. Zalewski ; Defrénois 15 juin 2014, n° DEF116j6, note M. Nicod.
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27.
Cass. 1re civ., 11 janv. 1984 : JurisData n° 1984-700340 ; JCP N 1984, prat. 9156 ; Defrénois 1984, n° 33387, p. 1119 ; RTD civ. 1985, p. 201, obs. J. Patarin.
-
28.
M. Grimaldi, « La jurisprudence et la date du testament olographe », Defrénois 1984, n° 33387, p. 22.
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29.
M. Nicod, note ss Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n° 13-14093, Defrénois 15 juin 2014, n° DEF116j6.
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30.
H. Souleau, note ss Cass. 1re civ., 9 mars 1983, n° 82-11259 : Bull. civ. I, n° 95, Defrénois 1983, n° 33172, p. 1450. V. déja P. Rémy, note ss Cass. 1re civ., 4 févr. 1981, n° 79-15831, JCP G 1982, II, n° 19715.
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31.
M. Grimaldi, « La jurisprudence et la date du testament olographe », Defrénois 1984, n° 33387, p. 26.
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32.
P. Malaurie, note ss Cass. 1re civ., 8 mars 1988, n° 86-14944 : Bull. civ. I, n° 7, D. 1988, p. 111.
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33.
R. Saleilles, « Des formes du testament olographe. L’article 970 du Code civil français et le § 2231 du Code civil allemand », RTD civ. 1904, p. 92.
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34.
R. Saleilles, « Des formes du testament olographe. L’article 970 du Code civil français et le § 2231 du Code civil allemand », RTD civ. 1904, p. 123.
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35.
J.-P. Waymel, Les formes du testament olographe et le maintien de ces formes jusqu’au décès du testateur, 1966, Montchrestien, p. 108.
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36.
M. Grimaldi, note ss Cass. 1re civ., 1er juill. 1986, n° 84-17298 : Bull. civ. I, n° 193, Defrénois 1986, n° 33791, p. 1124.
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37.
Cass. 1re civ., 18 déc. 1984, n° 83-16152 : Bull. civ. I, n° 341 ; Gaz. Pal. Rec. 1985, pan., p. 224, note M. Grimaldi.
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38.
D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuités du droit. Autour de Michelle Gobert, 2004, Economica, p. 469.
Référence : AJU011q8
