L’inclusion du légataire universel parmi les héritiers titulaires de l’action en révocation d’une donation pour ingratitude
La définition de l’héritier constitue un enjeu qui transcende le seul droit des successions. À titre d’exemple, la première chambre civile a défini, le 30 septembre 2020, cette notion en affirmant que le légataire à titre universel pouvait présenter la qualité d’héritier bénéficiaire d’une prime d’assurance-vie. Cette définition souple de la notion d’héritier a suscité de vives réactions en doctrine : la réponse de cette formation sur le terrain du droit des successions était donc attendue. Sans surprise, la première chambre civile affirme le 27 janvier 2021 que le légataire universel est un héritier éligible à la mise en œuvre de l’action de l’article 957 du Code civil concernant la révocation d’une donation pour ingratitude. À rebours de cette prise de position en faveur d’une définition large de l’héritier, la doctrine a milité pour une définition différenciée de l’héritier suivant que l’action en cause soit de nature patrimoniale ou extrapatrimoniale. Le présent arrêt, en ce qu’il concerne une action à la visée à la fois patrimoniale et personnelle, est donc l’occasion parfaite pour s’interroger sur cette position.
Cass. 1re civ., 27 janv. 2021, no 19-18278
1. Le 10 octobre 1981, une mère consent à sa fille une donation par acte authentique portant sur la nue-propriété d’un bien propre et sur la nue-propriété de biens immobiliers composant la communauté ayant existé entre elle et son ancien époux. Le 1er juillet 2016, un arrêt définitif condamna la fille pour des violences commises volontairement sur sa mère le 23 juillet 2014. Cette mère de famille décède en 2016, laissant derrière elle sa fille condamnée pour violences et son petit-fils, institué légataire universel. Ce dernier, agissant en qualité d’ayant-droit de sa grand-mère décédée, décide d’agir contre sa mère en révocation pour ingratitude de la donation consentie le 10 octobre 1981.
La cour d’appel lui dénie la qualité d’héritier nécessaire à la mise en œuvre de l’action en révocation de la donation prévue à l’article 957, alinéa 2, du Code civil. Pour ce faire, la cour d’appel s’inspire d’une proposition doctrinale répandue en considérant que l’aspect à la fois patrimonial et « [personnel] jusqu’à l’intime » de l’action en révocation de la donation faisait obstacle à la reconnaissance de la qualité d’héritier.
Le pourvoi du petit-fils légataire s’articule autour de l’idée que la notion d’héritier doit être entendue au sens de « continuateur de la personne du défunt », ce qui inclut par conséquent aussi bien l’héritier légal que le légataire universel.
Par un arrêt du 27 janvier 2021, pris au visa de l’article 957, alinéa 2, du Code civil, la première chambre civile affirme de manière concise et ferme que le légataire universel a la qualité d’héritier au sens de ce texte1. Ce faisant, la Cour de cassation ne désavoue pas uniquement la cour d’appel. Elle désavoue également une position doctrinale qui consiste à réserver les actions extrapatrimoniales aux seuls héritiers légaux. La nature originale de la présente action en révocation de la donation pour ingratitude incite cependant à s’interroger sur la viabilité de cette position.
Mieux, nous pensons que la position de la jurisprudence et de la doctrine souffre de quelques inconvénients, la première par son extrême concision et la seconde pour son incapacité à accueillir les actions mixtes comme en l’espèce. Aussi, après avoir rappelé la volonté d’extension de la notion d’héritier en jurisprudence (I), nous analyserons les arguments mobilisés en doctrine afin de contenir cette notion d’héritier en matière d’action personnelle (II).
I – L’acception extensive de l’héritier par le juge dans le cadre d’une action à double finalité
2. Avant de retracer la jurisprudence définissant de manière élargie la notion d’héritier (B), il nous faut d’abord voir en quoi la présente action en révocation de donation pour ingratitude est une action mixte (A).
A – Le caractère mixte de l’action en révocation d’une donation pour ingratitude
3. Contestation du caractère mixte de l’action en révocation pour ingratitude. Par action « mixte », nous entendons une action intentée par un héritier à des fins à la fois patrimoniales et personnelles. Ce caractère mixte de l’action en révocation d’une donation pour ingratitude a pu être critiqué par les professeurs François Terré et Yves Lequette et par la professeure Sophie Gaudemet2 : contrairement à l’action en inexécution des charges, la nature essentiellement personnelle de l’action en révocation pour ingratitude n’emporte pas d’effet rétroactif à l’égard des tiers ayant acquis des droits sur l’immeuble consenti au donataire3. De cette manière, l’effet patrimonial « limité » de l’action en révocation de la donation pour ingratitude aboutirait à en faire une action personnelle. Pourtant, l’action en inexécution des charges est considérée comme une action patrimoniale mais n’a aucun effet rétroactif sur le tiers acquéreur du bien meuble donné dès lors que celui peut exciper de sa bonne foi. Selon le professeur Michel Grimaldi4, l’action en révocation pour ingratitude est une action patrimoniale par son objet et personnelle par sa finalité. L’introduction de ce caractère personnel n’est pas neutre car il ne faut pas perdre de vue que les actions pour lesquelles la Cour de cassation a adopté récemment une conception extensive de l’héritier sont des actions patrimoniales.
B – Le caractère transversal de la définition élargie de l’héritier
4. L’extension de la définition élargie de l’héritier au-delà du droit des successions. La première chambre civile définit en effet de manière relativement libérale la notion d’héritier. Cependant, la doctrine raisonne souvent sur la notion d’héritier indépendamment de la matière dans laquelle elle s’insère. Deux arrêts récents sur le sujet ont ainsi retenu l’attention des auteurs. Dans un arrêt du 10 février 2016, la première chambre civile admettait déjà qu’un legs démembré, c’est à dire un legs portant sur l’usufruit de l’universalité de la succession, puisse rendre son bénéficiaire « héritier » au sens du droit de l’assurance-vie5. Dans un important arrêt du 30 septembre 2020, la première chambre civile a admis que le terme « héritier » figurant dans un contrat d’assurance sur la vie pouvait renvoyer à un légataire à titre universel6. On serait alors tenté de penser que le présent arrêt n’apporte pas une solution nouvelle au regard de toutes ces décisions récentes de la même formation. Ce serait oublier qu’une même notion juridique peut recevoir une définition différente suivant la matière dans laquelle elle s’insère. L’octroi de la qualité d’héritier au légataire à titre universel pour le versement de la prime d’assurance-vie est en réalité justifié par la logique propre du droit des assurances qui rend la volonté du souscripteur souveraine. De plus, l’idée d’une définition uniforme de la notion d’héritier, en droit des assurances et en droit des successions proposée par une réponse ministérielle7, se heurte à la polysémie du terme « héritier » en droit8. Dans notre présente espèce, le terme « héritier » est un terme légal insusceptible d’être modelé par la volonté du testateur ou des parties à la donation. La présente solution n’avait donc rien d’évident. Pire, elle est même selon nous à contre-courant de la position de la Cour de cassation en matière d’action extrapatrimoniale. L’action en révocation de donation pour ingratitude étant également une action à finalité extrapatrimoniale, on peut penser que la Cour de cassation définit l’héritier de manière large pour les actions personnelles. Pourtant, s’agissant des actions en contestation de paternité, l’avis de l’avocate générale Marilly9 ne manque pas de souligner que la première chambre civile a pu juger que le légataire universel titulaire prévu par l’article 333 du Code civil n’est pas un héritier de celui-ci au sens de l’article 322 du Code civil10. De la sorte, le présent arrêt commenté du 27 janvier 2021 dément les auteurs qui ont tenté de généraliser l’exclusion du légataire universel de toutes les actions de nature extrapatrimoniale.
II – L’acception restrictive de l’héritier par la doctrine dans le cadre des actions à finalité exclusivement personnelle
5. On observe deux mouvements contraires en doctrine au sujet de la détermination de la notion d’héritier : on a pu proposer de limiter les actions extrapatrimoniales tant aux seuls héritiers légaux (A) qu’aux seuls légataires universels (B).
A – Cantonnement des actions extrapatrimoniales aux héritiers légaux
6. Position en faveur du fondement « moral » du droit des successions. Dans son importante contribution à la qualité d’héritier, Yassila Ould Akouche a pu démontrer avec force qu’une telle qualité préexiste à l’acceptation de la succession. Cette auteure propose également, de manière tout aussi originale, que la succession extrapatrimoniale du défunt, c’est-à-dire la transmission de biens ne composant pas le patrimoine héréditaire, puisse échoir exclusivement aux héritiers légaux par le sang, ceci à l’exclusion des légataires institués par la volonté de ce dernier11. Il pourra s’agir notamment des actions liées à l’état des personnes (une personne exerce une action en recherche de paternité contre le défunt). C’est également la situation des héritiers du défunt poursuivant une requête en adoption déjà engagée par le défunt de son vivant. Cette action extrapatrimoniale est refusée au légataire universel car n’étant pas héritier « au sens de l’article 353, alinéa 3, du Code civil, il n’a pas la qualité pour présenter une requête d’adoption »12. Nous pensons que cette position, à l’évidence tournée vers la défense d’un fondement « moral » du droit des successions13 désormais de plus en plus menacé, présente plusieurs inconvénients. Deux arguments peuvent être opposés à cette thèse. Le premier est d’ordre purement juridique. Pour plusieurs auteurs, les souvenirs de famille sont des biens extrapatrimoniaux et ne ressortissent pas exclusivement de l’ordre de l’extrapatrimonial (la jurisprudence nomme un dépositaire parmi les membres de la famille alors que le dépôt ne peut porter que sur un bien et non une personne)14. Pour ces biens d’une nature particulière, il s’agit d’actions mixtes pour lesquelles la distinction action patrimoniale/action extrapatrimoniale est insuffisante. En second lieu, un arrêt du 17 décembre 1996, de la première chambre civile de la Cour de cassation15, a pu admettre la dévolution du droit moral d’un auteur au légataire universel. Quand bien même l’on adhérerait à l’idée qu’un souvenir de famille puisse relever exclusivement de la sphère extrapatrimoniale de la succession, l’idée d’une dévolution de ces biens familiaux aux seuls héritiers légaux n’a donc rien d’évident. De plus, nous pensons que cet argument d’ordre moral peut précisément être renversé par un autre argument d’ordre moral. Si les héritiers sont défaillants dans cette volonté de sauvegarder l’honneur du défunt, pourquoi refuser la conservation de la mémoire de ce dernier au légataire sous prétexte qu’il ne peut prétendre à être héritier en raison des liens familiaux ? Si le défunt a fait le choix d’investir comme légataire un étranger au détriment des membres les plus proches de sa famille, c’est peut-être parce qu’il le tenait comme le meilleur représentant de ses dernières volontés.
B – Cantonnement des actions extrapatrimoniales au légataire universel
7. Position en faveur du fondement économique ou volontariste du droit des successions. Le doyen Bernard Beigner a soutenu l’idée que seul le légataire universel est le continuateur de la personne du défunt en pareille situation16. Cependant, nous pensons que si cette position inverse restitue l’exacte réalité du schéma familial, elle possède l’un des inconvénients déjà cités : le légataire universel peut tout à fait faillir dans l’estime que lui portait le défunt. Aussi, afin de parer à cet inconvénient, nous pensons qu’en matière d’actions extrapatrimoniale ou mixte comme dans l’espèce commentée, la notion d’héritier doit être entendue de la façon la plus large possible, c’est-à-dire comme incluant les héritiers légaux et les légataires universels. Cette proposition est de plus en phase avec la volonté actuelle de réduire dans de plus justes proportions la réserve héréditaire et de redonner une plus grande efficience à la volonté du de cujus. De plus, le doyen Bernard Beigner a pu démontrer que le principe de la continuation de la personne du défunt par son héritier ne fait pas obstacle à la renonciation de celui-ci à la succession patrimoniale17. Il s’en déduit que l’héritier renonçant conserve le droit d’exercer les actions extrapatrimoniales du défunt et d’administrer la succession extrapatrimoniale. Comme le rappelle de manière imaginée la Cour de cassation, la renonciation à la succession d’un défunt « n’a pas pour effet de faire disparaître les liens du sang pouvant exister entre l’enfant » et son père18. Dans ces conditions, comment accorder l’exercice exclusif des actions extrapatrimoniales du défunt à un héritier renonçant ne disposant d’aucun droit sur les biens composant la succession alors qu’un légataire de l’universalité de la succession institué par la volonté du défunt lui-même ne peut perpétuer l’honneur de celui-ci ? Plus fondamentalement, nous pensons que la notion d’héritier ne doit pas être définie en fonction de la nature de l’action litigieuse mais bien plutôt en fonction de la branche du droit dans laquelle celle-ci s’insère (la définition de l’héritier ne peut être la même en droit des successions et en droit des assurances). Seule une définition hiérarchisée permet de concilier fondement moral et fondement volontariste du droit des successions. L’article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle définit l’héritier suivant un système par pallier : si le droit de divulgation des œuvres posthumes d’un auteur ne peut être exercé par l’exécuteur testamentaire, ce sont d’abord les héritiers par le sang (descendants, conjoint, puis héritiers ayant reçu une partie de la succession) ou, à défaut, les légataires universels qui pourront exercer ce droit extrapatrimonial. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce système ?
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 1re civ., 27 janv. 2021, n° 19-18271, rapp. Mme Poinseaux, av. MmeC. Marigny : RJPF 2021, n° 3, obs. C.-M. Plégion-Zika ; JCP G 2021, 175, obs. V. Zalewski-Sicard.
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2.
F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet,Droit civil. Les successions. Les libéralités, 4e éd., 2013, Dalloz, Précis, p. 532, n° 600.
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3.
C. civ., art. 958, al. 1 (réd. Ord.,10 juin 2010).
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4.
M. Grimaldi, Droit civil. Libéralités. Partages d'ascendants, 2000, Litec, n° 1426.
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5.
Cass. 1re civ., 10 févr. 2016, n° 14-27057 : RLDC 2016, n° 136, note G. Chauchat-Rozier.
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6.
Cass. 1re civ., 30 sept. 2020, n° 19-11187 : RJPF 2020, n° 12, note C.-M. Plégion-Zika ; Defrénois 11 févr. 2021, n° 168k9, p. 28, obs. D. Noguero.
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7.
Rép. min. n° 44/814 : JOAN Q, 28 juill. 2009, p. 7515.
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8.
C.-M. Plégion-Zika, note sous Cass. 1re civ., 30 sept. 2020, n° 19-11187 : RJPF 2020, n° 12.
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9.
C. Marilly, avis sous Cass 1re civ., 29 janv. 2021.
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10.
Cass. 1re civ., 10 avr. 2014, n° 13-12480.
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11.
Y. Ould Aklouche, La qualité d'héritier, thèse, t. 56, Defrénois, Doctoriat et Notariat, préf. M. Nicod, postface R. Le Guidec, p. 431, n° 830.
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12.
Cass. 1re civ., 17 mars 2010 :D. 2010, Actu., p. 892.
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13.
F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet,Droit civil. Les successions. Les libéralités, 4e éd., 2013, Dalloz, Précis, p. 5, n° 6.
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14.
A. Tardif, « L'indivision perpétuelle », LPA 20 juill. 2020, n° 154p1, p. 9.
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15.
Cass. 1re civ., 17 déc. 1996, n° 94-18985 : LPA 4 juin 1997, p. 29, obs. X. Daverat ; D. 1997, p. 445, note J. Ravanas.
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16.
B. Beigner, note sous Cass. 1re civ., 17 déc. 1996 : JCP G 1997, II 22888.
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17.
B. Beigner, L'honneur et le droit, thèse, t. 234, 1995, LGDJ, préf. J. Foyer, p. 236.
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18.
Cass. 1re civ., 12 déc. 1973 : DS 1975, Jur., p. 137, note A. Breton.