Pour quelles raisons certains héritiers renoncent-ils à une succession ?
Jusqu’au 1er janvier 2007, la renonciation à une succession par un héritier en ligne directe était la conséquence de son caractère déficitaire ou plus rarement d’une mésentente avec le défunt. Depuis cette date, elle constitue un outil permettant de procéder à un saut de génération. Parfois, elle permet au renonçant de nuire à l’œuvre libérale de son auteur.
Selon l’article 805, alinéa 1er, du Code civil, « l’héritier qui renonce est censé n’avoir jamais été héritier ». Dans le Code civil de 1804, la renonciation à une succession était généralement guidée par la volonté de ne pas supporter les dettes du défunt, parfois par une mésentente avec celui-ci. Depuis le 1er janvier 2007, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme du droit des successions, la renonciation permet de réaliser un saut de génération, dès lors qu’elle a lieu en ligne directe. Toutefois, cette réforme n’exclut pas que la renonciation soit utilisée dans le but de nuire aux gratifiés du de cujus.
Il sera donc question ici des trois causes justifiant une renonciation à une succession en ligne directe : le souhait de ne pas supporter les dettes du défunt (I), la volonté de procéder à un saut de génération (II) et, parfois, l’intention de porter atteinte aux dernières volontés du défunt (III).
I – Renoncer pour ne pas supporter les dettes du défunt
Dans la très grande majorité des hypothèses, les enfants du défunt renoncent à sa succession afin de ne pas être tenu au passif successoral qu’ils savent supérieur à l’actif brut.
À l’exception de l’hypothèse où la renonciation intervient au terme du délai de prescription de dix ans, propre à l’option successorale (C. civ., art. 780), la renonciation doit normalement être expresse dans la mesure où, selon l’article 804 du Code civil, « la renonciation à une succession ne se présume pas »1.
Pour être opposable aux tiers, cette renonciation est adressée au greffe du tribunal judiciaire dans le ressort duquel la succession s’est ouverte ou, depuis le 1er novembre 20172, reçue par le notaire en charge du règlement de la succession. Celui-ci procède alors à sa publicité en adressant, dans le mois qui suit la renonciation, une copie de l’acte au tribunal compétent.
La renonciation à la succession emporte des conséquences assez simples.
Le renonçant ne recueille aucun élément d’actif, mais n’est pas tenu au passif successoral3. Toutefois, la rupture avec le défunt n’est pas totale. Ainsi, l’héritier renonçant peut défendre son auteur contre une action en recherche de paternité4, ou poursuivre les atteintes portées à sa mémoire. De surcroît, l’article 806 du Code civil prévoit que le renonçant est « tenu à proportion de ses moyens au paiement des frais funéraires de l’ascendant ou du descendant à la succession duquel il renonce ». Cette solution, issue de la loi du 23 juin 2006, confirme une jurisprudence antérieure bien établie, laquelle se fondait sur l’obligation alimentaire due aux ascendants5. En revanche, si le défunt avait manqué gravement à ses obligations envers le renonçant, celui-ci n’est pas tenu au paiement des frais funéraires6. Comme toutes les branches de l’option successorale, la renonciation a un effet rétroactif, l’héritier renonçant étant censé ne jamais avoir été héritier. Par ailleurs, l’article 808 du Code civil dispose que « les frais légitimement engagés par l’héritier avant sa renonciation sont à la charge de la succession ». Il s’agit des frais liés à l’ouverture de la succession et à son administration provisoire.
Conformément à l’article 805, alinéa 2, du Code civil, « sous réserve des dispositions de l’article 845, la part du renonçant échoit à ses représentants ; à défaut, elle accroît à ses cohéritiers ; s’il est seul, elle est dévolue au degré subséquent »7. Partant, lorsqu’un héritier renonce, il peut être représenté par ses propres enfants si la succession est dévolue en ligne directe ou dans l’ordre des collatéraux privilégiés. En l’absence de représentation, la part successorale revient aux cohéritiers du renonçant. À défaut de cohéritiers, la succession est dévolue aux héritiers du degré subséquent. Lorsque tous les successibles ont renoncé à la succession, elle est vacante (C. civ., art. 809 et s.).
La renonciation à la succession n’est pas définitive. En effet, « tant que la prescription du droit d’accepter n’est pas acquise contre lui, l’héritier peut révoquer sa renonciation en acceptant la succession purement et simplement, si elle n’a pas été déjà acceptée par un autre héritier ou si l’État n’a pas déjà été envoyé en possession » (C. civ., art. 807, al. 1er). Si tel est le cas, l’acceptation pure et simple de la succession rétroagit au jour de son ouverture (C. civ., art. 807, al. 2), étant entendu qu’elle peut résulter aussi bien d’une acceptation expresse que d’une acceptation tacite. Néanmoins, cette rétroactivité de l’acceptation ne remet pas en cause les droits acquis par les tiers sur les biens de la succession, ni les actes accomplis par le curateur à la succession vacante.
II – Renoncer pour procéder à un saut de génération
La représentation des renonçants à une succession est admise depuis le 1er janvier 2007 (C. civ., art. 754, al. 1er), conférant à la réserve héréditaire le caractère d’une réserve de souche8. Pour rappel, l’article 751 du Code civil définit la représentation comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »9. On sait que la représentation joue à l’infini en ligne directe descendante (C. civ., art. 752). En revanche, pour qu’il y ait représentation, plusieurs souches sont nécessaires10. Ainsi, si un grand-père laisse un fis prédécédé et deux petits-enfants, ces derniers viendront à la succession de leur propre chef11.
En outre, afin d’éviter une rupture d’égalité entre les enfants du renonçant, les enfants conçus avant l’ouverture de la succession dont le renonçant s’est exclu doivent rapporter à la succession de ce dernier les biens dont ils ont hérité en ses lieu et place, s’ils viennent en concours avec d’autres enfants conçus après l’ouverture de la succession (C. civ., art. 754, al. 2)12.
Le taux de la réserve héréditaire et de la quotité disponible est fixé en fonction du nombre d’enfants (C. civ., art. 913 – C. civ., art. 913-1). D’ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 913 du Code civil précise que l’enfant renonçant n’est pas pris en compte pour le calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible sauf13 :
• s’il est représenté ;
• s’il est tenu du rapport d’une libéralité en application de l’article 845 du Code civil.
Par conséquent, l’enfant qui renonce à une succession est représenté par ses propres enfants, de sorte que la renonciation permet de procéder à un saut de génération utile lorsque le renonçant n’est pas dans la nécessité financière de percevoir sa part successorale.
Lorsque le fils unique du défunt renonce à la succession ou qu’il est prédécédé, ses enfants viennent à celle-ci de leur propre chef. La réserve héréditaire s’élève alors à la moitié de la succession et la quotité disponible à l’autre moitié. La renonciation de l’enfant unique permet également un saut de génération, mais il ne s’opère pas par le biais de la représentation.
Sur le plan fiscal, l’abattement de droit commun se répartit entre les petits-enfants venant par représentation (CGI, art. 779). Il en va de même en présence d’un enfant unique renonçant, la doctrine administrative étant sur ce point favorable au contribuable puisqu’elle admet une forme de « représentation fiscale » malgré l’existence d’une souche unique14. Enfin, chacun des petits-enfants doit bénéficier de la totalité du barème des droits de succession en ligne directe sans qu’il soit nécessaire de tenir compte des tranches déjà entamées par une donation reçue du renonçant et objet du rappel fiscal (CGI, art. 777)15.
III – Renoncer pour nuire aux intérêts des gratifiés du défunt
Toutefois, la renonciation peut être guidée par l’intention de nuire aux intérêts d’un légataire institué par le défunt, dans deux hypothèses, lesquelles impliquent l’existence d’une souche unique et, partant, l’absence de représentation du renonçant. Il s’agit des hypothèses de la renonciation à une succession par un enfant unique ayant reçu une donation rapportable (A) ou ayant consenti à une renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR) (B).
A – La renonciation à une succession par un enfant unique ayant reçu une donation rapportable
Selon la première partie de l’article 848 du Code civil, lorsqu’un petit-enfant vient à la succession de l’un de ses grands-parents de son propre chef, alors il ne doit pas le rapport de la donation faite à son parent, enfant unique du défunt prédécédé16. En conséquence, la donation faite au parent prédécédé s’impute sur la quotité disponible, réduisant ainsi la liberté de disposer à titre gratuit du de cujus.
Le raisonnement est le même lorsque l’enfant unique renonce à la succession de son auteur. La donation qu’il a reçue s’impute sur la quotité disponible, l’excédent étant réductible (C. civ., art. 919-1, al. 2). En effet, l’héritier renonçant, fils unique du défunt, est censé n’avoir jamais été héritier (C. civ., art. 805), de sorte que les libéralités qu’il a reçues s’imputent sur le disponible, même s’il laisse des descendants. Cette renonciation de l’enfant unique est préjudiciable aux éventuels légataires. Le raisonnement aurait été tout autre si le renonçant avait des frères et sœurs puisque la libéralité reçue se serait imputée sur la part de réserve de la souche, du fait de la représentation (C. civ., art. 754, al. 3).
Par conséquent, une solution consiste à stipuler dans l’acte de donation une clause de rapport en cas de renonciation, comme le permet l’article 845 du Code civil17. Certes, l’insertion d’une telle clause apparaît curieuse puisqu’il n’y a pas lieu à rapport et partage en présence d’un seul enfant. La clause doit néanmoins être conseillée car elle impose l’imputation de la donation sur la part de réserve fictive du renonçant, et subsidiairement sur la quotité disponible, l’excédent étant réductible (C. civ., art. 919-1). Par ce biais, le de cujus conserve la faculté de disposer de la quotité disponible.
Cependant, la validité de cette clause peut être discutée en présence d’une souche unique, puisque les petits-enfants qui viennent de leur propre chef à la succession seront lésés de tout ou partie de leur réserve héréditaire18. Pour autant, par l’effet de clause de rapport en cas de renonciation, le renonçant et ses enfants se verront attribuer a minima la réserve de la souche unique, ce qui permet de considérer que la clause présente un intérêt évident.
B – La renonciation à une succession par un enfant unique ayant consenti à une RAAR
Jusqu’à la loi du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, un héritier réservataire ne pouvait renoncer à demander la réduction d’une libéralité excessive qu’à compter de l’ouverture de la succession du disposant. Pour faciliter la transmission de l’entreprise ou assurer au mieux la protection d’un enfant handicapé, le législateur a introduit un nouveau pacte familial prévu aux articles 929 à 930-5 du Code civil, généralement qualifié « RAAR ». Il s’agit d’un pacte sur succession future autorisé par la loi19, lequel doit répondre à des conditions de fond et de forme strictes.
Cependant, il soulève une difficulté lorsque l’acte a été consenti par un enfant unique. En effet, le renonçant doit nécessairement être un « héritier réservataire présomptif » du disposant (C. civ., art. 929), l’article 930-5 du Code civil précisant à cet égard que « la renonciation est opposable aux représentants du renonçant ». La solution prévue par ce texte est logique : il ne faudrait pas que l’enfant ayant consenti à la RAAR renonce à la succession du disposant, afin d’y être représenté, de sorte que ses propres enfants puissent invoquer leur part de réserve dans sa totalité20.
Or, lorsque l’enfant unique consent à une RAAR, la représentation successorale est exclue. En conséquence, lorsque celui-ci est décédé au jour du décès du disposant, ou renonce à la succession, ses propres descendants pourraient contester l’efficacité de la RAAR au motif qu’elle ne leur serait pas opposable, dans la mesure où ils viennent à la succession du disposant de leur propre chef et non par représentation. À l’inverse, on pourrait rétorquer que l’esprit du texte invite sans doute à retenir que, dans une telle hypothèse, la RAAR consentie par l’enfant unique est opposable à ses descendants dans la mesure où l’on voit mal ce qui expliquerait une différence de traitement des petits-enfants du disposant selon qu’il y ait ou non une pluralité de souches21.
Pour ces raisons, le rapport de travail relatif à la réserve héréditaire, dirigé par madame le professeur Pérès et maître Potentier, propose une modification de l’article 930-5 du Code civil, laquelle rendrait opposable la RAAR à tous les descendants du renonçant qu’ils viennent à la succession du disposant par représentation ou de leur propre chef22. Dans l’attente d’une modification du texte, on pourrait craindre que la jurisprudence, se fondant sur sa lettre et non sur son esprit, refuse d’opposer la RAAR aux descendants de l’enfant unique y ayant consenti23, ce qui serait fortement dommageable24.
Notes de bas de pages
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1.
M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., 2020, LexisNexis, n° 506.
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2.
Par application de L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
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3.
En cas de doute sur la solvabilité de la succession, une acceptation à concurrence de l’actif net est possible (C. civ., art. 787 et s.). En outre, si elle a été acceptée purement et simplement, l’héritier peut obtenir la décharge d’une dette dont il avait des motifs légitimes d’ignorer l’existence (C. civ., art. 786, al. 2).
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4.
Cass. 1re civ., 12 déc. 1973, n° 72-10366 : D. 1975, p. 137, note A. Breton.
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5.
Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-18967 – Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 03-10679.
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6.
Cass. 1re civ., 31 mars 2021, n° 20-14107 : JCP N 2021, 1254, note B. Beigner ; DEF 10 mars 2022, n° DEF206p8, note S. Gaudemet.
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7.
JCl. Code civil, art. 804 à 808, fasc. unique, nos 15 et s., Successions – L’option de l’héritier – La renonciation à la succession, 2015, A. Sériaux.
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8.
S. Gaudemet, « La représentation successorale au lendemain de la loi du 23 juin 2006 », Defrénois 30 sept. 2006, n° 38447, p. 1366, nos 22 et s.
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9.
M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., 2020, LexisNexis, nos 150 et s.
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10.
M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., 2020, LexisNexis, n° 160.
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11.
Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-17556 : JCP N 2014, 1279, note M. Nicod ; RTD civ. 2013, p. 875, note M. Grimaldi ; Defrénois 2015, n° 7, p. 387, note. B. Vareille.
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12.
M. Grimaldi, « La représentation de l’héritier renonçant », Defrénois 15 janv. 2008, n° 39698, p. 25, n° 8.
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13.
M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., 2020, LexisNexis, n° 321.
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14.
BOI-ENR-DMTG-10-50-80, 30 juin 2022, § 330.
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15.
En ce sens, M. Nicolas, « Représentation successorale et rappel fiscal : pour une interprétation stricte de l’article 777 du CGI », JCP N 2023, n° 12, 1058.
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16.
Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-17556.
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17.
H. Leyrat, « Concilier la donation à un enfant unique avec la préservation de la quotité disponible », DEF 13 janv. 2022, n° DEF203r5.
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18.
JCl. Code civil, art. 912 à 930-5, fasc. 30, spéc. n° 25, Imputation des libéralités, 2022, C. Brenner.
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19.
M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., 2020, LexisNexis, n° 907.
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20.
JCl. Code civil, art. 912 à 930-5, fasc. 50, spéc. n° 49, Renonciation anticipée à l’action en réduction, 2022, C. Brenner.
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21.
S. Gaudemet, note ss Cass. 1re civ., 17 avr. 2019, n° 17-11508 et Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-18736, DEF 23 janv. 2020, n° DEF156e1.
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22.
C. Pérès et P. Potentier, La réserve héréditaire, 2020, Panthéon-Assas, p. 176 (rapp. remis au garde des Sceaux le 13 déc. 2019).
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23.
V., en ce sens, M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., 2020, LexisNexis, n° 910, note 415.
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24.
H. Leyrat, « Quelques difficultés persistantes autour de la renonciation anticipée à l’action en réduction », DEF 3 mars 2022, n° DEF204p6.
Référence : AJU013a9