Réserve héréditaire : une meilleure protection dans les successions internationales

Publié le 16/12/2021

Illustration d'un couple âgé devant une maisondevantAfin que les successions internationales ne puissent plus faire échec aux droits des héritiers réservataires, la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021 réintroduit un droit de prélèvement sur les successions internationales depuis le 1er novembre 2021.

La bataille à laquelle se sont livrés les héritiers de Johnny Hallyday n’aura pas inspiré que les médias et particulièrement la presse people, mais également le législateur sur le fond du sujet, celui du contournement de la pièce maîtresse de la loi successorale française, notamment par le recours aux trusts anglo-saxons : la sacro-sainte réserve héréditaire.

Ainsi, il a paru nécessaire au législateur de renforcer la protection de la réserve héréditaire dans le cadre des successions internationales. Ce qu’il a fait dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République adoptée en août dernier (L. n° 2021-1109 du 24 août 2021 JORF n° 0197 du 25 août 2021). Son article 24 ajoute deux nouvelles dispositions au Code civil applicables depuis le 1er novembre 2021.

La réserve héréditaire et l’ordre public

Le mécanisme de la réserve héréditaire consiste à réserver une quotité du patrimoine du défunt à ses descendants, et à défaut de descendants, à son conjoint survivant, que la transmission s’effectue par donation ou testament. L’article 913 du Code civil détermine ainsi la portion du patrimoine successoral dont le défunt ne peut disposer librement – la quotité disponible – en fonction du nombre de ses enfants. Ainsi, s’il laisse un enfant, la quotité disponible représente la moitié de ses biens, l’autre revenant à l’enfant. S’il laisse deux enfants, la quotité disponible représente le tiers de son patrimoine, les deux enfants ayant vocation à recevoir un tiers chacun. À partir de trois enfants, la quotité disponible ne représente plus qu’un quart du patrimoine, les enfants se partageant les autres trois-quarts. Lorsque la succession ne comprend pas de descendant, et que le défunt laisse un conjoint survivant, celui-ci détient des droits sur le quart des biens du défunt.

Commune à la plupart des droits de tradition civiliste, la réserve héréditaire peut être mise en échec, en cas de conflit de loi, par l’application d’une législation étrangère qui l’ignore. Le règlement européen Successions du 4 juillet 2012, entré en vigueur le 17 août 2015, pose les règles de compétence du juge et de la loi applicable pour régler une succession présentant un élément d’extranéité.

La loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction permettait de faire obstacle à l’application de la loi étrangère défavorable par l’instauration au profit des héritiers réservataires d’un droit de prélèvement du montant de la réserve sur les biens situés en France. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel en 2011 au motif qu’elle opérait une différence de traitement entre héritiers français et étrangers sans rapport direct avec l’objet de la loi, à savoir protéger la réserve héréditaire et l’égalité entre héritiers garanties par la loi française (Déc. n° 2011-159 QPC du 5 août 2011).Les regards se sont donc tournés vers le juge : a-t-il le pouvoir d’écarter l’application d’une loi étrangère, méconnaissant la réserve héréditaire, au nom de l’ordre public international français ?

Par deux arrêts rendus en 2017, la Cour de cassation a jugé qu’« une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », à savoir si les descendants se trouvent en situation de précarité économique (Cass. 1er civ., 27 sept. 2017, n° 16-17198 et n° 16-13151).

Réintroduction d’un droit de prélèvement sur les successions internationales

La loi réintroduit la possibilité pour les héritiers réservataires lésés dans le cadre d’une succession internationale de prélever l’équivalent de leurs droits à réserve sur les biens du défunt qui sont situés en France.

L’article 913 du Code civil prévoit désormais que « lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci ».

Ainsi, la nouvelle disposition du Code civil ne peut trouver à s’appliquer que si le défunt ou l’un de ses enfants est ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou y réside habituellement, s’il existe des biens, mobiliers ou immobiliers, sur le territoire français, d’une valeur suffisante pour exercer le droit de prélèvement compensatoire.

Mais cette possibilité ne peut être mise en œuvre qu’aux conditions encadrant l’exception d’ordre public international prévues par l’article 35 du règlement européen Successions qui autorise un juge à écarter une loi étrangère applicable à la succession si celle-ci est « manifestement contraire à l’ordre public international du for ». Cela suppose qu’un juge français, compétent par application du règlement européen Successions, puisse faire appliquer le prélèvement compensatoire en cas de contentieux. Ensuite, cela suppose que la loi étrangère applicable à la succession ne comprenne aucun mécanisme réservataire protecteur et aboutisse à déshériter intégralement un enfant ou à réduire sa part de succession.

Obligation de conseil du notaire

L’autre volet de l’article 24 renforce l’obligation d’information et de conseil du notaire à l’égard des héritiers réservataires au moment du règlement de la succession. Selon la nouvelle disposition l’article 921 du Code civil : « lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible ».

Pour mémoire, les héritiers réservataires peuvent chacun exercer une action en réduction des donations ou legs qui dépasseraient la quotité disponible et empièteraient sur leurs droits respectifs (article 921 du Code civil). Or bien souvent les héritiers ignorent cette possibilité, c’est pourquoi le législateur a renforcé le rôle de conseil du notaire chargé de la succession, désormais tenu d’une obligation formelle d’informer chaque héritier potentiellement concerné par cette possibilité de réduction, avant de lui faire signer l’acte de partage.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er novembre 2021 et s’appliquent aux successions ouvertes à compter de cette date, y compris si des libéralités ont été consenties par le défunt avant cette entrée en vigueur.

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