Stabiliser la fiscalité des dons

Publié le 02/12/2022
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Baisse des dons, recentrage de la générosité sur des actions ciblées, importance des mesures fiscales : la générosité des Français doit continuer à être encouragée dans à un cadre législatif pérenne.

L’édition 2022 du Baromètre annuel d’Apprentis d’Auteuil fait le point sur la générosité des Français. Intitulé cette année : « La solidarité à l’épreuve des crises », cette édition met en évidence, après une année record en 2020, un certain essoufflement des dons. Pourtant, les crises successives ne cessent de frapper les jeunes et les familles les plus fragiles. Deux ans et demi de pandémie, une guerre à l’Est de l’Europe et une envolée des prix : leurs besoins sont immenses, les soutiens urgents.

Des dons en baisse ?

Le nombre de Français qui ont réalisé au moins un don en 2021 reste stable (48 %, – 1 point), voire progresse chez les hauts revenus (80 %, + 3 points), indique l’édition 2022 du baromètre d’Apprentis d’Auteuil. Mais le montant moyen déclaré (274 €) est en baisse de 31 % par rapport à 2020 (385 €), qui avait constitué une année record, en raison de l’élan de solidarité liée à la pandémie. Le montant moyen déclaré en 2021 est également en baisse de 8 % par rapport à 2019 (300 €), marquant un essoufflement des dons. Le constat est similaire pour les contribuables, qui affichent les plus hauts revenus. Ces derniers ont donné en moyenne 2 191 € en 2021, soit 11 % de moins qu’en 2020 (2 463 €). « Les Français ont massivement répondu à l’appel de la crise sanitaire, commente Stéphane Dauge, directeur communication et ressources d’Apprentis d’Auteuil. Mais fin 2021, les inquiétudes liées à la baisse du pouvoir d’achat ont certainement pesé sur les dons ». Un quart des donateurs prévoit de moins donner en 2022. Un recul qu’ils justifient principalement par la baisse de leur pouvoir d’achat (57 %) et la peur de l’inflation (36 %).

Une mobilisation soutenue pour l’Ukraine

Cependant, la guerre en Ukraine a éveillé un nouvel élan de générosité chez les Français. 46 % d’entre eux ont réalisé ou projettent de faire un don pour les réfugiés ou victimes du conflit cette année. Cette proportion monte à 73 % pour les hauts revenus. Mais cet élan se réalise au détriment d’autres causes. En effet, 14 % des sondés envisagent de donner moins à d’autres causes, un chiffre qui monte à 32 % pour les plus hauts revenus. « Nos concitoyens montrent une fois de plus qu’ils sont au rendez-vous lorsqu’une crise survient, analyse Stéphane Dauge. Mais dans un contexte anxiogène où se succèdent les crises profondes, il est essentiel que les plus fragiles d’entre nous ne soient pas doublement pénalisés ». En tête des causes auxquelles les Français souhaitent consacrer leurs efforts, on retrouve comme les années passées : la santé et la recherche médicale (32 %), devant l’aide aux personnes démunies et les situations d’urgence (27 % pour chacun de ces causes), la défense des animaux (20 %) et l’enfance, la jeunesse et l’éducation (17 %). La question de l’avenir de la jeunesse est au cœur du plaidoyer porté par la fondation Apprentis d’Auteuil. « Elle demeure une préoccupation partagée par l’ensemble de la population. Nous allons évidemment poursuivre la sensibilisation de nos futurs gouvernants et parlementaires », souligne Stéphane Dauge.

Impôt sur le revenu et réduction Coluche

En application de l’article 200 du Code général des impôts (CGI), les dons consentis par les particuliers aux dons aux associations et organismes d’intérêt général ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant pris en compte dans la limite de 20 % du revenu imposable, la réduction, dite IR-Don. Si le montant des dons dépasse la limite de 20 % du revenu imposable, l’excédent est reporté sur les 5 années suivantes. Le taux de la réduction d’impôt est porté à 75 % pour les dons aux organismes d’aide aux personnes en difficulté, dans la limite de 546 € de versement (plafond pour l’imposition 2019). Au-delà de cette limite, la réduction d’impôt passe au taux de droit commun de 66 %. Dans le cadre de la seconde loi de finances rectificative pour 2020, du 25 avril 2020, les parlementaires ont rehaussé ce plafond des dépenses éligibles à la réduction d’impôt sur le revenu accordée au titre des dons en faveur des associations et organismes d’aide aux personnes en difficulté. Pour l’imposition des revenus de 2020, les dons sont exceptionnellement pris en compte dans la limite de 1 000 €. Cette mesure a été prorogée pour 2021. Et la loi de finances pour 2022 l’a étendue aux années 2022 et 2023. Actuellement, 85 % des Français disposant de hauts revenus s’estiment bien informés sur les avantages fiscaux liés aux dons, donations et legs à des organismes caritatifs. Et 7 des sondés sur 10 savent que le plafond de déduction de 75 % sur l’impôt sur le revenu a été augmenté à 1000 € depuis 2020. Plus d’un tiers des répondants déclarent que cela a eu un impact sur le montant de leurs dons.

Imputer son don sur son IFI

Autre possibilité, imputer les dons effectués sur sa facture d’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Le dispositif IFI-Don, prévu à l’article 978 du CGI consiste en une réduction d’impôt de 75 % des dons en numéraires ou titres d’entreprise cotées effectués aux profits d’associations d’intérêt général et de fondations reconnues d’utilité publique, dans la limite de 50 000 euros par an. Le montant maximum des dons imputables est donc de 66 667 euros. Dans le cas où le montant de la réduction d’impôt excède cette limite, la fraction non imputée de cette réduction ne peut donner lieu ni à remboursement au titre de la même année, ni à report sur l’impôt dû au titre des années suivantes. Il en va de même lorsque le montant de la réduction d’impôt excède celui de la cotisation d’IFI. Précisons que la réduction d’impôt est appliquée sur le montant d’IFI déterminé avant application, le cas échéant, des règles relatives au plafonnement de l’imposition prévues à l’article 979 du CGI. Pour un même montant de don, il n’est pas possible de cumuler la réduction IFI-Don avec le dispositif IR-Don. Toutefois, il est possible de ventiler le montant d’un don en affectant une partie de ce don sur son IFI et en ventilant le solde sur son impôt sur le revenu. Dans tous les cas, les redevables bénéficiant de ces dispositifs ne sont pas tenus de joindre de justificatifs à leurs déclarations d’impôts. Toutefois, ils doivent conserver les pièces justificatives attestant le total du montant et la date des versements, ainsi que l’identité des bénéficiaires, à la disposition de l’administration en vue de répondre à une demande éventuelle de sa part dans le cadre de l’exercice de son droit de contrôle.

L’impact de la fiscalité sur les dons

« Cette connaissance, qui a eu un impact crucial sur la générosité, a mis deux ans à s’installer. Ce qui illustre l’importance de préserver – dans les années à venir – une stabilité de la fiscalité sur les dons », analyse Stéphane Dauge. L’essor de la philanthropie en France est en effet fortement corrélé avec la fiscalité attractive qui s’applique aux dons des particuliers comme à ceux des entreprises. Les dons déduits de l’impôt sur le revenu ont augmenté de + 70 % en 10 ans (entre 2005 et 2015, Observatoire de la philanthropie – Fondation de France, avril 2018). 15 % des foyers français sont concernés, ce qui constitue un phénomène de masse même si en réalité les foyers déclarant plus de 60 000 euros de revenus annuels représentent 20 % des donateurs et 40 % du montant des dons déclarés. La progression du don n’apparaît pas seulement liée à l’augmentation du nombre de foyers déclarant des dons (+ 20 % sur la période), mais également au fait que chaque foyer donne plus qu’avant. La contribution moyenne a augmenté de 44 % au cours de cette dernière décennie, passant de 320 à 460 euros. Surtout, la croissance totale de la masse des dons est très fortement liée à la croissance du revenu imposable total qui a été de 28 % sur la période, pour une progression de plus d’un quart de la part des dons déclarés dans l’utilisation du revenu.

Les réformes de la législation fiscale comportent un risque réel de diminution des dons. Cela a été le cas lors de la réforme de l’ISF et de la création de l’IFI. Depuis 2007 et la loi TEPA, les personnes assujetties à l’ISF avaient la possibilité de déduire de leur ISF jusqu’à 75 % des dons effectués à certains organismes, en particulier les fondations reconnues d’utilité publique. La réduction ISF était massivement utilisée. D’après le baromètre Dons ISF/2015 publié par Apprentis d’Auteuil, 17 % des contribuables recouraient exclusivement au dispositif ISF Don. Et d’après le baromètre Dons ISF/2017 publié par Apprentis d’Auteuil, 91 % des donateurs ont déduit une partie du montant de leurs dons de leur impôt sur le revenu et 50 % de leur impôt de solidarité sur la fortune. L’attachement des personnes assujetties à l’ISF à ces dispositifs était marqué. Ils étaient 87 % à considérer ce mécanisme utile. Ils étaient également nombreux à le trouver facile à mettre en œuvre (83 %) et surtout financièrement intéressant (74 %). Pour 93 %, ce dispositif constituait une opportunité de reprendre la main sur leur impôt et de décider de son affectation.

Réforme fiscale et diminution des dons

Avec le passage de l’ISF à l’IFI alors même que la réduction d’impôt a été préservée, l’élan philanthropique soutenu par une fiscalité sur mesure s’est essoufflé. Apprentis d’Auteuil, a enregistré en 2018 une baisse de 19 % de sa collecte auprès du grand public. Ces chiffres sont dus, notamment à un manque d’information des donateurs. En 2018, plus d’un tiers (37 %) des anciens assujettis à l’ISF se considéraient mal informés sur le nouvel impôt sur la fortune immobilière et près de la moitié (44 %) s’estimait mal informée sur les modalités de réduction d’impôt pour dons. Ainsi, moins d’un assujetti à l’IFI sur deux (49 %) savait qu’il pouvait toujours réduire autant son impôt en donnant à certains organismes caritatifs. Le passage à la retenue à la source pour l’impôt sur le revenu a également été un facteur de baisse des dons. Depuis le 1er janvier 2019, l’impôt sur le revenu est prélevé directement sur les salaires, les pensions ou les allocations perçues par chaque contribuable. Dès l’annonce de la mise en place du prélèvement à la source, les acteurs de la philanthropie se sont inquiétés de ses conséquences sur le dispositif IR-Don et sur la collecte. L’édition 2019 du baromètre de la Fondation Apprentis d’Auteuil met en évidence que 27 % des sondés attribuent la baisse de la collecte observée cette année à cette réforme. Pourtant les mécanismes de la déduction d’impôts pour don aux associations d’intérêt général ont été préservés. Les associations d’intérêt général continuent à envoyer les reçus fiscaux relatifs aux dons selon les procédures habituelles. Les crédits et réductions d’impôts restent calculés sur la base des dépenses mentionnées dans la déclaration de revenus et versés avec une année de décalage : les dons versés en 2021 font l’objet d’une réduction d’impôt en 2022, ceux versés en 2022 seront déduits en 2023. Cependant, un acompte est versé dès la mi-janvier pour certains crédits et réductions d’impôts, dons aux œuvres compris, s’ils sont récurrents. Ainsi, chaque année en janvier, un acompte correspondant à 60 % du montant de l’année précédente est reversé aux contribuables. Le solde, ou l’intégralité s’il n’y a pas eu d’acompte, est reversé à l’été, en fonction des dépenses déclarées au printemps.

Stabiliser les dispositifs fiscaux

La crise sanitaire a éclaté dans un contexte de baisse de collecte des dons et legs. Pour les acteurs du secteur de la philanthropie, cette baisse des dons observée en 2019 est largement imputable aux réformes fiscales et au temps nécessaire pour que les contribuables s’approprient les nouvelles règles. Dans le contexte actuel de crise, il paraît donc plus que jamais essentiel de stabiliser la législation relative aux dons afin de favoriser le fléchage de l’impôt vers le soutien de causes chères aux donateurs.

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