Tout savoir et tout comprendre sur les bonnes pratiques testamentaires
Le 8 avril prochain, Lextenso proposera une formation sur la rédaction d’un testament, animée par Michel Grimaldi, professeur émérite de droit privé à l’université Paris Panthéon-Assas et président du conseil scientifique du Defrénois – la revue du notariat, Christophe Vernières, professeur de droit privé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, et Gilles Bonnet, notaire parisien expert reconnu en droit de la famille. Une formation destinée aux notaires et aux avocats, qui doivent non seulement veiller à la validité, à la clarté et à la bonne exécution du testament, mais aussi informer le testateur de tous les possibles qui s’offrent à ses dernières volontés. Rencontre.
Actu-Juridique : Pourquoi proposez-vous une formation sur la rédaction d’un testament ?
Michel Grimaldi : Cette formation s’adresse à tous les professionnels concernés par le droit testamentaire. Elle s’adresse évidemment aux notaires, dont le rôle est essentiel en cette matière, non seulement parce qu’ils peuvent seuls recevoir un testament en la forme authentique, mais aussi parce qu’ils assistent très souvent celui qui teste en une autre forme et qu’ils ont mission d’assurer la bonne exécution de tout testament au moment du règlement successoral. Elle s’adresse également aux avocats, qui connaissent des testaments, d’une part, parce que le barreau de la famille développe une activité de conseil et que les avocats peuvent donc être amenés à guider celui qui veut faire son testament, et d’autre part, parce que l’avocat est un acteur incontournable du contentieux testamentaire. Enfin, cette formation peut être utile aux magistrats, qui ont mission de trancher les litiges conformément à la loi et, pour les juges du fond, à la jurisprudence, assez abondante, de la Cour de cassation.
AJ : La pratique du testament est-elle répandue en France ?
Michel Grimaldi : Je ne sais s’il existe des statistiques crédibles… Sans doute, dans la tradition qui est la nôtre, celle des pays de droit continental, le testament n’est-il pas aussi répandu que dans les pays dits de common law. En France, une certaine sagesse invite à faire confiance à la loi pour régler la dévolution de ses biens le jour où l’on ne sera plus là… Néanmoins, la pratique testamentaire est encouragée par les mutations familiales et patrimoniales, par les recompositions familiales, la mobilité des personnes et l’internationalisation des patrimoines. Elle l’est aussi par les larges espaces que les réformes successorales du début de ce siècle ont ouverts à la liberté testamentaire : le recul de l’ordre public permet aujourd’hui ce qui était hier interdit. Mais l’exercice de cette liberté doit être éclairé par le conseil de professionnels au fait des subtilités du droit des successions et des libéralités…
AJ : Quelles sont les conditions de validité d’un testament ?
Michel Grimaldi : Vaste question… Disons schématiquement que ces conditions sont de forme et de fond, qu’elles sont diverses, qu’elles ont évolué du fait de réformes législatives et d’audaces jurisprudentielles, et que le praticien qui conseille dans la rédaction d’un testament ou reçoit le testament doit évidemment bien les connaître toutes. S’agissant des conditions de forme, je donnerai pour seul exemple le testament du non-francophone, qui, depuis une loi du 16 février 2015 et un tout récent arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, rendu le 19 janvier 2025, peut être fait valablement, sous certaines conditions, avec l’assistance d’un interprète. S’agissant des conditions de fond, l’exigence, commune à tous les actes juridiques, d’un consentement sain est d’une importance particulière lorsque le testament est fait par une personne âgée et contient des dispositions dont la contestation est à redouter : des précautions peuvent alors être prises pour dissiper ou du moins diminuer le risque d’une annulation pour absence de discernement.
J’ajoute que les conseils doivent savoir qu’un testament irrégulier au regard de la forme choisie peut parfois être sauvé par la grâce d’une requalification : un testament notarié nul peut valoir comme testament fait en la forme internationale… La jurisprudence, secourable aux dernières volontés, est là-dessus abondante.
AJ : Vous insistez sur la nécessaire « clarté » du testament…
Michel Grimaldi : Les dispositions de dernière volonté doivent en effet être très clairement exprimées, pour cette évidente raison qu’au moment de leur exécution le testateur ne sera plus là pour les expliciter. D’où la nécessité d’employer le mot juste et donc de maîtriser le « vocabulaire testamentaire ». Ainsi, lorsqu’un individu veut léguer tous ses biens à deux personnes, physiques ou morales, il peut les instituer toutes deux légataires universels ou instituer chacune d’elles légataire à titre universel d’une moitié de sa succession. Or, selon la formulation retenue, le résultat sera parfois différent… De même, il est usuel de trouver dans un testament un legs « de la quotité disponible ». Or c’est une expression ambiguë et souvent mal comprise : le testateur qui a plusieurs enfants et auquel il a été dit que la quotité disponible de sa succession est du quart peut croire que, par un legs ainsi libellé, il gratifie le légataire du quart des biens qu’il laissera à sa mort, alors qu’en réalité il institue un légataire universel ayant vocation à les recevoir tous… Enfin, lorsqu’un père ou une mère décide de répartir ses biens entre ses deux enfants, en attribuant par exemple un appartement à chacun d’eux, il peut le faire sous forme de legs d’attribution, que les enfants seront libres de repousser pour se partager la succession autrement, ou par un testament partage, qui s’imposera aux enfants dès lors qu’ils acceptent la succession.
AJ : Les notaires et avocats ne maîtrisent-ils pas toutes ces subtilités ?
Michel Grimaldi : Les notaires et avocats connaissent bien sûr ces questions. Mais l’ambition de cette formation est de faire le point sur les dernières évolutions législatives et jurisprudentielles, et de proposer des clauses de nature à éviter les difficultés comme celles qui viennent d’être évoquées.
AJ : Quel est le rôle d’information des conseils en matière de testament ?
Michel Grimaldi : Je voudrais ici revenir sur un point, déjà évoqué. Le testateur doit être informé de toutes les libertés nouvelles créées par les réformes successorales, notamment par la loi du 23 juin 2006.
Exemple : Les libéralités dites graduelles ou résiduelles, qui ont été validées ou consolidées par la réforme de 2006, permettent au disposant de léguer ses biens à deux personnes qui en jouiront successivement, la seconde au décès de la première. Or ce sont des libéralités dont les avantages civils et fiscaux, notamment en présence d’un enfant handicapé, justifient qu’elles soient portées à la connaissance du testateur.
Autre exemple : La réforme de 2006 permet au légataire de cantonner la libéralité : de n’accepter le legs que pour partie (l’un des trois tableaux légués). Or le testateur peut légitimement estimer que son legs est à prendre ou à laisser. Et c’est pourquoi la loi lui permet de retirer au légataire la faculté de cantonnement. Mais encore faut-il qu’il soit informé et de cette faculté et de la liberté qu’il a de l’écarter…
Dernier exemple : S’agissant de la protection de la réserve, la loi de 2006 a généralisé la réduction en valeur. Quand un legs porte atteinte à leur réserve, les enfants ne peuvent plus exiger une réduction en nature qui leur permettrait de recueillir une partie des biens légués : désormais le légataire recueille la propriété de tous ces biens et les réservataires doivent se satisfaire d’une indemnité de réduction. Or il se peut que le testateur souhaite que ses enfants aient leur réserve en nature. Il doit alors le dire dans son testament…
Bref, il faut informer convenablement le testateur des nouvelles dispositions de la loi, afin, que s’il le peut, qu’il les écarte ou les tempère si elles ne lui conviennent pas.
AJ : Vous attirez également l’attention des conseils sur certaines incertitudes de la loi qui peuvent être dissipées par testament…
Michel Grimaldi : Il y a en effet des cas dans lesquels les dispositions des réformes successorales sont controversées et contiennent une part d’incertitude. Or ce sont souvent des dispositions dont la portée peut être clarifiée par testament. Un exemple : lorsque le conjoint survivant est en présence d’enfants, communs ou non, et qu’il hérite d’un quart en propriété, on se demande s’il faut prendre en compte, dans le calcul de ce quart, les donations-partages qui ont pu être faites aux enfants. Le de cujus peut régler la question, dans un sens ou dans l’autre, par testament.
AJ : Quel est le rôle des conseils en matière d’exécution du testament ?
Michel Grimaldi : Le praticien qui intervient dans le règlement successoral doit veiller, au décès du testateur, à la bonne exécution du testament. Il lui appartient d’informer très précisément le légataire les formalités qu’il doit accomplir pour obtenir l’exécution de son legs. Ainsi, il doit lui dire s’il doit demander la délivrance de son legs et, le cas échéant, insister sur le délai dans lequel il doit le faire : délai qui a été divisé par six – ramené de trente à cinq ans – par la réforme de la prescription réalisée par la loi du 17 juin 200. Le conseil est essentiel, puisque, faute de former sa demande dans le délai prévu, le légataire perd le bénéfice de son legs. Aussi bien le praticien qui y manque s’expose-t-il à voir sa responsabilité engagée.
Référence : AJU017c3
