Notification du nantissement de compte-titres au teneur du compte : la Cour de cassation persiste et signe
Selon la Cour de cassation, « nonobstant toute clause contraire du contrat de nantissement, le nantissement est valable et opposable aux tiers, par le seul effet de cette déclaration, sans qu’aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise ». L’arrêt étudié confirme ainsi l’indifférence de la notification du nantissement de compte-titres au teneur du compte nanti, que laissait entrevoir la jurisprudence antérieure. L’analyse adoptée semble critiquable en ce qu’elle méconnaît la physionomie du nantissement de compte-titres, dont le régime est entièrement élaboré autour de l’intervention du teneur de compte. Permettre que ce dernier soit tenu dans l’ignorance de la constitution d’un nantissement perturbe en effet grandement le fonctionnement de la sûreté.
Cass. com., 30 nov. 2022, no 20-23554
1. Le nantissement de compte-titres, que l’on appelait jadis le gage de compte d’instruments financiers, est une sûreté prisée de la pratique qui suscite traditionnellement peu de contentieux. Son régime demeure pourtant parcouru par quelques incertitudes, au vu desquelles on se prend à regretter que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’ait pas permis une réforme significative de la matière1. L’arrêt sous examen en fournit l’illustration. En l’espèce, une banque avait consenti à une société un prêt in fine destiné à financer partiellement l’acquisition de plusieurs centaines de milliers d’actions d’une autre société. Ce prêt, d’un montant supérieur à dix millions d’euros, était garanti par un nantissement de compte-titres, une cession de créances et un cautionnement. À la suite de la condamnation de l’emprunteur défaillant, la banque assigna en paiement la caution, qui répliqua en invoquant sa décharge sur le fondement de l’article 2314 du Code civil – siège du bénéfice de subrogation. Déboutée par les juges du fond, qui la condamnèrent au paiement de la somme due, la caution obtint finalement gain de cause devant la Cour de cassation. La haute juridiction censure en effet le raisonnement des juges du fond en leur reprochant de n’avoir pas recherché si, en s’abstenant d’exercer son droit sur le compte-titres à la date de la défaillance de l’emprunteur, la banque n’avait pas fait perdre à la caution un droit dont elle aurait pu bénéficier dans le cadre de son recours subrogatoire. C’est toutefois sur un autre point de l’argumentation mobilisée par la caution que se porte notre attention.
2. Faisant flèche de tout bois, la demanderesse au pourvoi entendait également contester la validité du nantissement de compte-titres. En substance, elle prétendait que le nantissement n’avait pu être « réalisé », c’est-à-dire, si l’on fait fi de cet emprunt malheureux à la terminologie légale antérieure à l’ordonnance du 15 septembre 2021, « constitué » (C. mon. fin., art. L. 211-20, I), faute d’avoir été porté à la connaissance du teneur du compte. À adhérer à ses vues, on comprend que la banque créancière aurait commis une faute en ne s’assurant pas de la constitution régulière du nantissement, via sa notification au teneur de compte, la privant ainsi d’un droit dont elle aurait pu bénéficier par subrogation. Sur ce point, l’analyse n’emporte pas la conviction de la Cour de cassation, qui rappelle que selon l’article L. 211-20, I, du Code monétaire et financier, dans sa rédaction alors en vigueur, le nantissement d’un compte-titres est réalisé, tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte, comportant les énonciations fixées par l’article D. 211-10 du Code monétaire et financier. Selon la Cour de cassation, « il résulte de ces dispositions que, nonobstant toute clause contraire du contrat de nantissement, le nantissement est valable et opposable aux tiers, par le seul effet de cette déclaration, sans qu’aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise ». Par conséquent, la régularité de la constitution de la sûreté ne pouvait être mise en doute, peu important qu’elle n’ait pas été notifiée au teneur du compte nanti. Se trouve ainsi confirmée l’indifférence de la notification du nantissement de compte-titres au teneur du compte au stade de la constitution d’une telle sûreté (I). Or, compte tenu de la physionomie du nantissement de compte-titres, cette analyse prête le flanc à la critique (II).
I – L’indifférence de la notification du nantissement au teneur du compte-titres
3. Comme le rappelle l’arrêt étudié, le nantissement d’un compte-titres est « réalisé » (« constitué », dira-t-on plus exactement, depuis l’ordonnance du 15 septembre 2021), tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, « par une déclaration signée par le titulaire du compte » comprenant un certain nombre d’énonciations (C. mon. fin., art. L. 211-20). Cette déclaration joue ainsi le rôle d’une condition de validité inter partes et d’opposabilité aux tiers de la sûreté2. Faute de satisfaire à ce formalisme assez précis, le nantissement n’est « pas réalisé »3. Quant à déterminer la nature exacte de la sanction applicable, la nouvelle rédaction de l’article L. 211-20, I, qui utilise désormais le terme « constitué », laisse accroire que la sûreté encourt alors la nullité. On a beaucoup glosé sur la signification exacte de cette déclaration. En son sens premier, le terme désigne « un acte “réceptice” » et, par conséquent, la communication d’une information, tant il est vrai qu’« on déclare toujours à quelqu’un »4. À raisonner de la sorte, la date de la déclaration, dont dépendent la validité et l’opposabilité du nantissement, devrait correspondre à sa réception par le teneur du compte nanti, chargé de son administration5. Ce faisant, seule la communication de la déclaration de nantissement au teneur de compte entérinerait la constitution de la sûreté.
4. Répandue en doctrine, cette analyse paraissait toutefois mise à mal par la Cour de cassation, à la suite d’un arrêt du 20 juin 2018 affirmant que « la constitution en gage d’un compte d’instruments financiers est réalisée, tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, par la seule déclaration de gage signée par le titulaire du compte »6. L’interprétation de cet arrêt était cependant incertaine. En effet, la référence à la seule « personne morale émettrice » pouvait laisser penser que la déclaration de nantissement devait tout de même être notifiée au teneur du compte dans l’hypothèse où les qualités d’émetteur et de teneur de compte sont dissociées7, ce qui est toujours le cas lorsque les titres revêtent la forme de titres au porteur (C. mon. fin., art. R. 211-2) ou en présence de titres au nominatif administré (C. mon. fin., art. R. 211-4)8. D’un autre côté, on pouvait aussi soutenir que « la Cour de cassation exclurait ainsi la nécessité d’une notification, non seulement à l’émetteur, mais aussi et surtout au teneur de compte »9.
5. L’arrêt étudié a le mérite de clarifier cette controverse : en énonçant expressément que le nantissement de compte-titres est valable et opposable aux tiers, « par le seul effet de [la] déclaration, sans qu’aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise », la Cour de cassation confirme en effet l’interprétation large qui avait été suggérée par plusieurs auteurs dès 201810. La notification de la déclaration de nantissement au teneur du compte nanti n’est donc pas nécessaire à la constitution de la sûreté, pas davantage qu’elle ne l’est à son opposabilité aux tiers. La sûreté est ainsi valable et opposable erga omnes de manière tout à fait occulte, sans qu’il ne faille la notifier à qui que ce soit. La prise de position portée par l’arrêt est d’autant plus nette que la Cour de cassation prend le soin de préciser qu’elle s’impose « nonobstant toute clause contraire du contrat de nantissement », signe qu’il s’agit là d’une règle impérative, à laquelle il est interdit de déroger conventionnellement11. Clairement énoncée, la solution n’échappe pas pour autant à la critique.
II – La méconnaissance de la physionomie du nantissement de compte-titres
6. L’analyse selon laquelle la constitution du nantissement de compte-titres ne requiert pas sa notification au teneur du compte semble avoir les faveurs de la profession bancaire, qui y voit un gage de sécurité et d’efficacité de la sûreté pour son bénéficiaire12. Ces préoccupations ne nous paraissent pourtant guère ménagées par la solution retenue par la Cour de cassation, qui méconnaît la physionomie du nantissement de compte-titres. Force est en effet de constater que son régime est intégralement « construit » autour de l’intervention du teneur de compte13. Par conséquent, admettre que la sûreté puisse être constituée sans avoir été portée à la connaissance de ce dernier perturbe indéniablement la mise en œuvre d’une telle garantie.
7. Le teneur de compte n’est pas simplement l’« agent de publicité » que l’on décrit parfois14. Depuis que le législateur a fait de l’inscription en compte le mode de représentation nécessaire des titres financiers (L. n° 81-1160, 30 déc. 1981, art. 94-II : JO, 31 déc. 1981), il est l’intermédiaire incontournable auquel les titulaires de ces actifs doivent obligatoirement s’adresser pour exercer leurs droits15. Lorsque le compte-titres est nanti, c’est ainsi au teneur du compte qu’il revient de faire respecter les termes du contrat de nantissement, en particulier en ce qui concerne les modalités de disposition des titres prévues par les parties (C. mon. fin., art. D. 211-13). C’est également par l’intermédiaire du teneur du compte que le créancier nanti peut exercer le droit de rétention que lui confère l’article L. 211-20, IV, du Code monétaire et financier16. Or on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité de ce droit de rétention lorsque le nantissement du compte-titres n’a pas été porté à la connaissance du teneur de compte. En effet, le « pouvoir de blocage » que l’on prête communément au créancier nanti ne se traduit en réalité par aucun pouvoir direct sur les titres : tout au plus ce dernier pourrait-il rechercher la responsabilité du teneur de compte exécutant un ordre en contradiction avec les stipulations du contrat de nantissement17. Cependant, lorsque le nantissement du compte-titres n’a pas été porté à sa connaissance, on voit mal comment le teneur de compte pourrait être tenu pour responsable du non-respect des termes de ce contrat18. Dans cette perspective, il est difficile de comprendre comment la sûreté pourrait fonctionner en demeurant occulte du point de vue du teneur du compte19.
8. L’absence de notification de la sûreté au teneur de compte pose une autre difficulté en cas de conflit entre le créancier nanti et les ayants cause à titre particulier du constituant, voire d’autres créanciers qui prétendraient exercer des droits sur les titres : qui, si ce n’est le teneur du compte, pourrait trancher un tel conflit, en se fiant précisément à la date à laquelle le nantissement a été porté à sa connaissance 20? À cet égard, comme l’explique Charlie Lledo, « appliquer la solution retenue par la Cour de cassation aboutit à inciter à l’antidate, le nantissement étant totalement occulte »21. Les rédacteurs de l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. En effet, la reconnaissance de la possibilité de nantir successivement un même compte-titres s’accompagne de la précision selon laquelle « le rang des créanciers est réglé par l’ordre de leur déclaration », à charge pour « le titulaire du compte ou le créancier nanti [de notifier] successivement chacun des nantissements au teneur de compte » (C. mon. fin., art. L. 211-20, I bis). La formule a beau être maladroite22, elle atteste du rôle crucial du teneur de compte dans le fonctionnement du nantissement de compte-titres, et, corrélativement, de l’importance que la constitution d’une telle sûreté soit portée à sa connaissance.
9. Tout dans la physionomie du nantissement de compte-titres concourt à en subordonner, sinon la validité, du moins la pleine efficacité à l’information du teneur de compte. C’est la solution qui avait été retenue par l’avant-projet de réforme établi par la commission Grimaldi en 2005 (avant-projet, art. 2367 : « La déclaration prend effet à l’instant de sa réception par le teneur du compte sur lequel sont inscrits les instruments financiers nantis ») et c’est encore celle qu’il convient de prôner, au lendemain d’une réforme qui, à ce sujet, fait figure d’occasion manquée23.
Notes de bas de pages
-
1.
Sur les apports de la réforme en matière de nantissement de compte-titres, v. M. Julienne, « La réforme du nantissement de titres financiers », RTD fin. 2021, n° 3, p. 15 ; v. également H. Synvet et M. Julienne, « Les sûretés sur actifs financiers », D. 2022, p. 290, spéc. n° 12.
-
2.
M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., 2019, Sirey, n° 1004 ; A. Couret et a., Droit financier, 3e éd., 2019, Dalloz, n° 1425.
-
3.
Cass. com., 23 janv. 2019, n° 16-20582, PB : JCP E 2019, 1124, note D. Legeais ; JCP G 2019, doctr. 470, n° 26, obs. P. Delebecque ; BJB mai 2019, n° BJB118f4, note D. Robine.
-
4.
A. Gaudemet, Les dérivés, thèse, 2010, Economica, préf. H. Synvet, n° 370 ; v. déjà D. R. Martin, « Du gage d’actifs scripturaux », D. 1996, p. 263, spéc. n° 14.
-
5.
C. Albigès et M.-P. Dumont, Droit des sûretés, 8e éd., 2022, Dalloz, n° 531 : « La date de constitution correspond à la date de réception de la déclaration par le teneur du compte » ; v. déjà H. de Vauplane et J.-P. Bornet, Droit des marchés financiers, 3e éd., 2001, Litec, n° 67 ; P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., 2016, Dalloz, n° 675 ; F. G. Trébulle, L’émission des valeurs mobilières, thèse, 2002, Economica, préf. Y. Guyon, n° 725.
-
6.
Cass. com., 20 juin 2018, n° 17-12559 : Bull. civ. IV, n° 73 ; JCP G 2018, doctr. 1221, n° 22, obs. P. Delebecque ; JCP E 2018, 1422, note D. Legeais ; D. 2018, p. 1884, obs. P. Crocq ; RDC mars 2019, n° RDC115v8, note M. Julienne.
-
7.
D. Legeais, JCP E 2018, 1422, n° 11.
-
8.
Sur les différentes modalités de représentation des titres, v. M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 34e éd., 2021, LexisNexis, n° 1583.
-
9.
M. Julienne, RDC mars 2019, n° RDC115v8, n° 3. Pour une présentation détaillée de cette controverse, v. A. Couret et a., Droit financier, 3e éd., 2019, Dalloz, n° 1427.
-
10.
V. ainsi P. Delebecque, obs. ss Cass. com., 20 juin 2018, n° 17-12559, JCP G 2018, doctr. 1221, n° 22 : « La solution vaut, dans la mesure où l’arrêt ne fait volontairement aucune distinction, que la société émettrice soit ou non le teneur du compte ».
-
11.
P. Deumier, Introduction générale au droit, 6e éd., 2021, LGDJ-Lextenso, n° 23, EAN : 9782275090788 : « Les règles impératives sont les règles dont l’application ne peut être écartée ». Sur cette notion, v. également M. Touchais, La règle impérative. Contribution à l’étude de la dérogation conventionnelle aux lois, thèse, 2019, université de Paris.
-
12.
A. Bac, « La position de la Fédération bancaire française sur le projet de réforme des sûretés », Dr. & patr. mensuel 2005, n° 140, p. 98, spéc. p. 100.
-
13.
A. Couret et a., Droit financier, 3e éd., 2019, Dalloz, n° 1428.
-
14.
D. Legeais, JCP E 2018, 1422, n° 6.
-
15.
T. Gérard, L’intermédiation financière et la théorie de la représentation, thèse, 2021, université de Paris.
-
16.
A. Aynès, Le droit de rétention. Unité ou pluralité, thèse, 2005, Economica, préf. C. Larroumet, n° 96 ; V. Malassigné, Les titres représentatifs. Essai sur la représentation juridique des biens par des titres en droit privé, thèse, 2016, Dalloz, préf. A. Ghozi, n° 275.
-
17.
A. Aynès, Le droit de rétention. Unité ou pluralité, thèse, 2005, Economica, préf. C. Larroumet, n° 93 ; M. Julienne, « La réforme du nantissement de titres financiers », RTD fin. 2021, n° 3, p. 15, spéc. n° 13, p. 17.
-
18.
Sur ce constat, v. également D. Robine, note ss Cass. com., 23 janv. 2019, n° 16-20582, BJB mai 2019, n° BJB118f4, spéc. n° 10 : « On ne peut toutefois, malgré le silence du texte, considérer que le teneur de compte devrait être tenu de faire respecter les droits issus de la sûreté sans avoir reçu la déclaration ».
-
19.
C. Lledo, Essai d’une théorie générale des sûretés réelles, thèse, 2020, Paris II, n° 846. Rappr. P. Théry et C. Gijsbers, Droit des sûretés, 2022, LGDJ-Lextenso, n° 309, EAN : 9782275095004.
-
20.
P. Crocq, obs. ss Cass. com., 20 juin 2018, n° 17-12559, D. 2018, p. 1884 ; v. déjà J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Traité de droit civil. Droit spécial des sûretés réelles, 1996, LGDJ, n° 946, EAN : 9782275015101.
-
21.
C. Lledo, Essai d’une théorie générale des sûretés réelles, thèse, 2020, Paris II, n° 846.
-
22.
M. Julienne, « La réforme du nantissement de titres financiers », RTD fin. 2021, n° 7, p. 16 : « La formule est assez maladroite, qui impose une notification, mais classe les créanciers selon leurs déclarations – dont la question est précisément de savoir si elles produisent effet abstraction faite de leur notification ».
-
23.
Rappr. M. Julienne, « La réforme du nantissement de titres financiers », RTD fin. 2021, n° 8, p. 16, suggérant de « transposer aux titres financiers les solutions retenues en matière d’opérations sur créances (C. civ., art. 1321 et s. et C. civ., art. 2356 et s.) : le nantissement serait un contrat solennel devant comporter un certain nombre de mentions impératives, opposable aux tiers dès sa date d’établissement (celle-ci pouvant se prouver par tout moyen), et rendu opposable au teneur de compte par une notification devant comporter certaines mentions déterminées ». Comp. C. Lledo, Essai d’une théorie générale des sûretés réelles, thèse, 2020, Paris II, n° 846.
Référence : AJU007k1