Chronique de QPC (juillet – décembre 2020)

Publié le 14/02/2022

Chronique de QPC (juillet – décembre 2020)

La présente chronique porte sur les questions prioritaires de constitutionnalité rendues publiques par le Conseil constitutionnel entre le 1er juillet et le 31 décembre 2020. Cette étude, placée sous l’égide de l’Institut de recherche juridique interdisciplinaire (IRJI François-Rabelais – EA 7496) de l’université de Tours, a été écrite, pour la partie générale, par Pierre Mouzet, maître de conférences HDR en droit public, qui assume la responsabilité de la chronique ; et, pour les commentaires de la partie jurisprudence, par François Brunet, professeur de droit public, Véronique Tellier-Cayrol et Gwenola Bargain, maîtres de conférences en droit privé et sciences criminelles, Corinne Manson et Patrick Mozol, maîtres de conférences HDR en droit public.

Introduction

C’était écrit : on a fait maigre en 2020. Mais, s’il n’y eut plus d’audience QPC après le 3 décembre, c’est aussi qu’il fallait compter avec le retour du contentieux électoral, sénatoriales obligent : ce sont là deux de nos vingt décisions du semestre, dont une dès septembre. Ce qui ne l’était pas, c’est la diversité des matières – finalement peu de procédure pénale (4 décisions sur 18 ; 5 en ajoutant la diffamation), très peu de droit fiscal (2 décisions, comme pour la protection sociale), mais beaucoup de droit administratif (urbanisme, commande publique, fonction publique, etc., 7 décisions au total, dont 3 concernant les collectivités locales), pour une seule décision en droit commercial ou bien en procédure civile – et la forte proportion des censures, qui atteignent le tiers (outre l’unique réserve d’interprétation affichée1). Le principe d’égalité justifie ainsi cinq déclarations d’inconstitutionnalité2, contre une pour le droit au recours3 ; surtout, l’idée de dignité humaine, il est vrai mâtinée cette fois des articles 9 (s’agissant de personnes en détention provisoire) et 16 de la déclaration de 1789, fonde à nouveau une censure en QPC, avec la décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 20204.

Cette affaire-ci, seule déclaration d’inconstitutionnalité à effet différé du semestre5, est d’autant plus originale qu’en visant trois lois différentes (modifiant le Code de procédure pénale) elle embrassait l’ancien (20 ans), l’intermédiaire (11 ans) et le récent (1 an et demi). Ce dernier cas de contrôle a posteriori – qui n’apparaît pas corrélé aux pourvoyeurs de QPC, c’est-à-dire à la matière du procès – pallie plus nettement que les autres l’absence de contrôle a priori, comme une sorte de prolongement juridictionnel de la dispute parlementaire ; a fortiori quand la saisine du juge n’intervient que quelques semaines après la promulgation, comme ici, à nouveau, pour l’état d’urgence sanitaire6. Une petite moitié des 18 décisions concerne ainsi une loi de moins de 18 mois7, une grosse moitié de 3 à 20 ans, une seule un texte vieux de plusieurs générations8. Le critère de l’âge des dispositions querellées, parfois sous un prisme formaliste9, s’est désormais enrichi d’un nouveau cas : l’ordonnance non ratifiée à l’expiration du délai d’habilitation, cas qui pallie… l’incompétence du juge, abandonnée avec le revirement du 28 mai 2020 (QPC n° 2020-843).

Clarifiée le 3 juillet (QPC n° 2020-851/852) puis le 19 novembre 2020 (QPC n° 2020-866) et encore appliquée le 4 décembre (QPC n° 2020-869), cette nouvelle interprétation des articles 38, alinéa 3, et 61-1 de la Constitution avait surpris. Ce n’était pas, en effet, une « question nouvelle » au sens de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067, c’est-à-dire une demande d’interprétation ! Celle-ci ressurgit pourtant, justement dans la décision n° 2020-869 QPC, à l’endroit de la « souveraineté partagée » de la Nouvelle-Calédonie ou, dit le Conseil d’État, du « caractère irréversible de la répartition des compétences découlant de l’article 77 de la Constitution », question qu’il qualifia, en même temps, de « sérieuse ». On ne saurait sans excès parler à son endroit de « grande décision », cette distinction honorifique voire pédagogique dont on cherche toujours un critère fiable de science constitutionnelle10. Les professeurs Bonnet et Gahdoun semblent considérer qu’une mauvaise décision ne saurait être « grande », qui critiquent vivement la solution de la QPC n° 2020-858/859 du 2 octobre11. Sans doute celle-ci reflète-t-elle le clivage entre souverainistes et européistes au sein du Conseil12. Un exercice de science constitutionnelle consisterait à tenter d’en identifier d’autres : culture privatiste versus culture publiciste, par exemple ?

Sur 18 décisions, exactement la moitié – mais six des sept censures – proviennent de renvois du Conseil d’État. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a regroupé des QPC à deux reprises, de sorte que la Cour de cassation a procédé au total à 11 renvois ; 6 (pour 4 décisions) de la chambre criminelle, deux de la 2e chambre civile et un pour chacune des autres formations (sauf la 3e chambre civile), un ratio très ordinaire. De la fin mai à la mi-octobre 2020, hors questions identiques, le Quai de l’Horloge a refusé seulement 51 QPC (judiciaires) mais le Palais-Royal également 51 QPC (administratives), selon le tableau des décisions de non-renvoi du site internet du Conseil constitutionnel. Le niveau très bas du semestre s’explique donc par des taux eux-mêmes faibles de 15 % de renvois (9 sur 60), exceptionnellement semblables dans les deux ordres de juridiction.

Les non-renvois sont parfois extrêmement intéressants. Le Conseil d’État a par exemple jugé que l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 n’a « ni pour objet ni pour effet » de permettre à qui a déjà présenté une QPC en première instance de s’affranchir des conditions selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté « devant le juge d’appel puis, le cas échéant, devant le juge de cassation », ce dernier ne pouvant donc en être saisi seul et directement13. Ou encore, s’agissant de l’injusticiabilité des actes de gouvernement, que « l’incompétence de toute juridiction [sic] pour connaître des actes qui ne sont pas détachables de la conduite des relations extérieures de la France » ne procède pas du Code de justice administrative, de sorte que ses dispositions ne peuvent être regardés comme applicables au litige au sens de l’article 23-514.

On ne confondra pas « non-renvoi », qui est un refus, et « absence de renvoi », qui correspond au contentieux électoral propre au Conseil constitutionnel. Cette saisine directe, ignorée du système constitutionnel, a été codifiée à l’article 16-1 du Règlement applicable à la contestation des élections des députés et des sénateurs (décision n° 2013-126 ORGA du 22 février 2013), lequel reporte au règlement intérieur du 4 février 2010 ; si refus il y a, il se traduit alors par un non-lieu à statuer. Ces QPC discrètes, si on ose les appeler ainsi, posent le problème de l’identification des contrôles de constitutionnalité. Il conviendrait en effet que le Conseil constitutionnel mette encore de l’ordre dans l’enregistrement de ses décisions, en les répertoriant toutes comme « QPC ». Certes, l’opération est faite pour la contestation des élections législatives ou sénatoriales, ainsi qu’en témoigne encore la décision n° 2020-5684 « SEN/QPC » du 11 décembre 2020. Mais ce n’est le cas ni pour l’élection présidentielle15, ni pour les référendums16, ni pour les décisions et observations classées « ELEC », comme ce semestre en témoigne. La 22e requête de M. Stéphane Hauchemaille (sur une période de 20 ans, la jurisprudence Hauchemaille ayant été inaugurée avec le référendum sur le quinquennat) est à la fois une décision de rejet, d’incompétence du Conseil et, donc, de non-lieu à statuer sur la QPC soulevée : on reviendra, au début de la partie « Jurisprudence » (II), sur cette décision n° 2020-29 ELEC du 17 septembre 2020 et son procès constitutionnel (I) raté.

I – Le procès constitutionnel

Le président Valéry Giscard d’Estaing est décédé le 2 décembre (date ô combien constitutionnelle !) 2020 mais chacun sait qu’il boycottait la QPC. Le Conseil constitutionnel n’a pas pour autant siégé au complet, même en n’entendant là que les membres nommés, comme il se doit, puisque 11 des 20 décisions ont été rendues à huit conseillers et 2 décisions (à la même audience) à sept, sans que l’on en connaisse officiellement la raison17 : vie ordinaire d’une institution.

La typologie des requérants n’est guère originale non plus : retour au partage quasi égal entre personnes physiques et morales. Sur les 22 QPC du semestre (4 ayant été jointes), et même si les QPC électorales ne peuvent émaner que d’un candidat ou un électeur, 12 proviennent d’une (10) ou plusieurs (2) personnes physiques ; mais l’une a été posée par les élus du groupe Union calédonienne au Congrès de Nouméa (n° 2020-869 QPC) et une autre par le dirigeant d’une compagnie punie d’une amende (n° 2020-867 QPC), un type comparable à cet égard à l’unique saisine mixte (n° 2020-865 QPC). Il est vrai que les entreprises sont cette fois surreprésentées : sur les 9 requêtes provenant exclusivement de personnes morales, une seule le fut d’une collectivité locale (n° 2020-862 QPC) et une seule de syndicats (n° 2020-860 QPC), toutes les autres d’une société commerciale ou d’un groupement d’entreprises (n° 2020-861 QPC).

Plus remarquable est la question du contradictoire. Non que les intervenants – au surplus assez rares, dans 6 décisions seulement : autre société ou autres groupements côté « QPC personnes morales », pour une moitié ; pour l’autre, associations de défense des droits humains et, surtout, organisations professionnelles d’avocats – ajoutent à l’argumentaire18, car ils se contentent plutôt de le rejoindre19. Le plus notable est en effet qu’on aura vu ce semestre plus souvent intervenir, ou (puisque le mot « intervention » est pris) s’ingérer, ces « parties au litige à l’occasion duquel la QPC a été posée », qui sont toutes clairement ici des contributrices en défense de la loi20 : ce sont, dans ces 7 décisions, quatre fois une personne publique ou chargée d’une mission de service public21. Et, quoique les notes en délibéré aient cette fois disparu, les « secondes observations », en réplique donc, se systématisent, ici dans 14 (dont 13 fois des requérants) des 18 décisions22 ; notons en outre ce « grief susceptible d’être relevé d’office » dans la décision, de conformité, n° 2020-864 QPC (avec les « observations en réponse » et de la requérante23 et de la partie au litige a quo). Si, ce semestre, tous les avocats des requérants ont plaidé, il n’y avait toutefois aucune représentation dans les affaires n° 2020-860 QPC et 2020-869 QPC24, soit une proportion étonnante d’une sur dix25.

Les deux grandes questions techniques du semestre sont, d’une part, l’achèvement de la prétendue « guerre des ordonnances », simple auto-attribution d’une compétence nouvelle par le Conseil constitutionnel et non pas empiètement sur celles du Conseil d’État, devenue l’affaire de l’année plutôt que du seul premier semestre26 avec sa double reformulation, sur laquelle on reviendra plus loin ; et d’autre part – les visas (des « textes », arrêts inclus) en témoignent – la place des Europes. Elles sont d’ailleurs toutes deux dans la décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020.

La question européenne aura joué à trois égards. La décision n° 2020-866 QPC est ainsi le support d’une attaque frontale contre le refus du contrôle de conventionnalité (§ 3)27 : elle est repoussée en trois lignes finales (§ 22)28, qui contrastent fortement avec la longue motivation des autres querelles. La réserve d’une mise en cause de l’« identité constitutionnelle de la France » apparaît, elle, pour la septième fois en QPC dans la décision n° 2020-857 QPC, précisément sous la rubrique intitulée depuis 2018 : « sur le contrôle exercé par le Conseil ». On sait qu’il ne statue pas sur des textes tirant « les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises » d’une directive29 ou des dispositions d’un règlement30 de l’Union européenne. Or cette première décision du 2 octobre 2020 utilise deux fois les mots « se bornent à », d’abord dans l’usuelle formule de non-lieu (§ 15), puis pour ouvrir une exception (§ 16) : quand l’Union « se borne » à imposer un minimum aux États membres, elle leur confère « une marge d’appréciation pour adopter des dispositions complémentaires » et le juge pourra vérifier qu’elle a été utilisée pour garantir les droits et libertés constitutionnels. L’irrecevabilité ne touche donc que « les seules conséquences nécessaires » d’une norme européenne… Enfin, la décision n° 2020-858/859 QPC, elle aussi du 2 octobre, a été taxée d’« europhobie », on l’a dit plus haut. Dans cette première QPC à mentionner la « convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales » dans ses visas31, le Conseil constitutionnel se prononce sur les dispositions contestées « indépendamment de l’interprétation opérée par la Cour de cassation » – un revirement dans deux arrêts (également aux visas) du même jour que les arrêts de renvoi, le 8 juillet : la chambre criminelle ne s’était donc pas abstenue de surseoir à statuer dans l’attente de sa décision – « pour les rendre compatibles avec les exigences » de la convention, c’est-à-dire de la Cour de Strasbourg, quant à la dignité des détenus. Il lui fallait bien répondre à l’objection du Premier ministre, qui considérait que cette jurisprudence nouvelle privait la question de son sérieux. Mais, si la majeure (§ 9) est purement logique au regard de la jurisprudence IVG32, la conclusion (l’« indépendamment » précité du § 11) ne l’est pas complètement, qui consiste à revenir sur la logique du droit vivant pourtant brandie dans la mineure (§ 10)33. On aura noté, en tout cas, la différence entre les griefs devant le juge de renvoi, lorsqu’il s’agit de prouver la recevabilité de la question34 (A), et les griefs devant le Conseil constitutionnel, lorsqu’il s’agit surtout de convaincre sur le fond (B).

A – Sur la recevabilité

Point de guerre des ordonnances, donc, mais que de maladresses rédactionnelles ! Le Conseil constitutionnel s’y sera repris à deux fois : on se souvient que le revirement du 28 mai 2020 (n° 2020-843 QPC) avait oublié de préciser, à l’endroit des ordonnances non ratifiées mais le délai d’habilitation expiré, qu’il s’agissait de législation « au sens de » l’article 61-135. Or bien qu’expressément correctrice à cet égard (alors qu’elle ne portait elle-même – de manière inédite – que sur une loi d’habilitation), la décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020 ajouta immédiatement que « leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité » (§ 11) : ce « que », qui pourtant visait sans doute le seul contrôle a priori de l’article 61, a légitimement pu être mal (com)pris dans l’autre aile du Palais-Royal… Il fallut attendre le 19 novembre et la première application de la jurisprudence nouvelle à une ordonnance non ratifiée dans la décision n° 2020-866 QPC pour lire une version expurgée et vraisemblablement stabilisée, avec un : « peut donc être contestée par » une QPC (§ 8), précédant la double vérification d’espèce, expiration passée de l’habilitation (§ 9) et domaine législatif du texte contesté (§ 10) : non seulement le Conseil d’État continuera pleinement son office, mais une telle ordonnance pourra désormais subir le même examen par ricochet que la loi promulguée dans le cadre du contrôle a priori de la jurisprudence État d’urgence en Nouvelle-Calédonie36. Novembre est aussi une motivation simplifiée : l’éphémère subdivision spécifique de la décision n° 2020-851/852 QPC de juillet, sobrement intitulée « En ce qui concerne le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur les textes adoptés sur le fondement de l’article 38 de la Constitution »37, était une quasi-dissertation en réponse à la doctrine, à la malfaçon frappante38. Elle rappelait au surplus que le Conseil est totalement libre de la forme qu’il donne à ses « arrêts ».

Si l’autocitation n’est pas dans ses mœurs, il est logique que le Conseil constitutionnel se réfère à l’une de ses précédentes décisions quand il prononce un non-lieu pour chose jugée. C’est singulièrement le cas dans les visas et surtout les motifs de la décision n° 2020-870 QPC du 4 décembre 2020, qui réitère celle du 24 janvier précédent (n° 2019-822 QPC)39, en particulier cette idée qu’un grief nouveau n’est pas une raison suffisante pour rejuger (en l’espèce, rejuger l’article 61-1 du Code de procédure pénale, dont l’abrogation par la décision citée n° 2018-762 QPC du 8 février 2019 avait été différée au 1er janvier). S’il continue de ne pas employer en QPC l’expression « autorité de chose jugée » en évoquant seulement, si l’on ose dire, « l’autorité des décisions visées par [l’article 62 de la Constitution] »40, on sent le Conseil soucieux de voir ses censures appliquées, lui dont la force est simple persuasion morale41. Aucune des deux exceptions prétoriennes à l’irrecevabilité, ici : nul « changement des circonstances » – il n’y en aura pas eu du tout de tout le semestre – et, corrélativement, c’est de « même version » qu’il s’agissait. La requérante soutenait que la précision législative apportée à l’article querellé, le mois suivant sa censure, constituait un tel « changement ». Mais le juge retient la rédaction applicable au litige. Ratione temporis, la loi avait donc déjà été jugée, même s’il eut suffi d’un rien pour engendrer une « nouvelle version »…

On trouve à l’automne un second cas, très différent, où le Conseil constitutionnel se cite ainsi lui-même. Quelle utilité y avait-il à préciser, dans les motifs de cette décision n° 2020-863 QPC du 13 novembre 2020, que l’ordonnance de 1945 dont est issu l’article 54 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la diffamation a été « modifiée par la décision [n° 2019-786 QPC] du Conseil constitutionnel du 24 mai 2019 » (mentionnée aux visas) ? On pourrait y voir une espèce d’automaticité : l’écriture rue de Montpensier fonctionne comme le site Légifrance, qui identifie les « versions » au niveau de l’article et non de l’alinéa. Cependant, le commentaire officiel (p. 9) affiche une nécessité, puisque le « délai de distance » encore formellement intégré au texte de 1881 avait en effet été censuré, de sorte qu’il faut lire celui-ci comme si ces mots n’y figuraient plus. Mais, cette fois, la question de constitutionnalité n’en traitait pas. La nécessité n’était donc aucunement logique. On peut la dire politique : rappeler formellement, dans les deux sens de l’adverbe, l’autorité des décisions du Conseil, là encore.

Quant aux non-lieux à statuer, les figures en sont aussi multiples que les conditions de recevabilité. Outre les hypothèses évoquées plus haut de l’application mécanique de la norme européenne, la « partie au litige » a quo soutenait ainsi, dans la décision n° 2020-864 QPC du 13 novembre 2020, que les griefs de la requérante étaient en réalité dirigés contre la disposition règlementaire applicable. Le Conseil constitutionnel objecte qu’« une telle argumentation n’est pas de nature à remettre en cause la recevabilité [de la QPC], telle que renvoyée par la Cour de cassation » (§ 4). Obscure virgule : articuler les deux propositions de cette manière, c’est mêler l’idée que la stratégie d’inconstitutionnalité relève exclusivement du fond et la règle selon laquelle le Conseil n’est pas juge du renvoi, sans que l’on sache s’il convient de les lier, de les hiérarchiser, ni a fortiori comment.

L’applicabilité au litige est déterminée d’abord par le juge de la suspicion, on le sait, et le juge de l’abrogation peut ainsi n’être saisi que de renvois partiels : c’est ce semestre le cas des arrêts du Conseil d’État dans la QPC n° 2020-855, pour la notification de paiement du forfait de post-stationnement ou les conditions de son recouvrement, ou les QPC n° 2020-860, pour un aspect règlementaire, et n° 2020-862, pour une raison temporelle. Mais il appartient bien au Conseil constitutionnel de restreindre encore le périmètre de sa saisine, par exemple à la possibilité d’allonger les « détentions provisoires » face à l’épidémie de Covid-19, seule effectivement querellée par les requérants ; de sorte qu’une intervention est repoussée (faute d’« intérêt spécial ») qui, parmi les dispositions renvoyées, ne porte « pas sur les dispositions contestées » (n° 2020-851/852 QPC). La décision n° 2020-856 QPC du 18 septembre 2020, elle, illustre un autre cas intéressant : les requérants n’ayant pas présenté de « premières observations » devant lui, le Conseil constitutionnel utilise les griefs produits devant le juge de renvoi pour déterminer les dispositions contestées et dénie aux « secondes observations » – les visas, qui n’en mentionnent que la date, ne les qualifient pas – la faculté de comporter un grief nouveau (en l’espèce emprunté à la Cour de cassation) et, partant, d’élargir le champ de la QPC42. La restriction du périmètre eu égard aux griefs se trouve encore dans les décisions n° 2020-857 QPC (un seul des 10 articles renvoyés de l’ordonnance du 7 mai 2009 sur la commande publique43) ou n° 2020-858/859 QPC sur la cessation des conditions de détention indignes44… en sus de tous les cas où le Conseil constitutionnel identifie précisément le ou les mots à censurer, ou à breveter.

Si toutes les contestations du semestre auront été jugées « sérieuses » par le juge a quo45, l’une posait une question, en plus, « nouvelle », on l’a dit. En l’espèce (n° 2020-869 QPC), elle portait sur ce que l’on peut appeler la « constitutionnalité néo-calédonienne », confrontée au régime d’état d’urgence sanitaire. La « question nouvelle » – martelons qu’il s’agit du jamais interprété et non pas du jamais contrôlé ! – nourrit la normativité de référence. Elle est par construction une condition alternative de recevabilité. Mais, par définition, la question nouvelle pose un problème de fond.

B – Sur le fond

La « constitutionnalité néo-calédonienne » est une idée complexe, intégrée à la Constitution de la République, dissociée de la « pleine souveraineté ». Dans la mesure où l’accord de Nouméa (qui jouit d’une garantie constitutionnelle, exposée dès le célèbre arrêt Sarran de 1998) est grevé d’une finitude prévue, quoique le chemin de l’indépendance soit pavé d’incertitude, cette constitutionnalité d’exception n’est que « dispositions transitoires », comme le dit le titre XIII. Pourtant l’article 77 (que vise seul l’arrêt de renvoi du 28 septembre) parle de transferts définitifs de compétences. C’est là le concept central de la décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre 2020. Le Conseil constitutionnel y rejoint d’abord une position déjà ancienne du Conseil d’État46 selon laquelle la Nouvelle-Calédonie – bien que le principe de libre administration des collectivités territoriales lui soit également applicable, juge-t-il expressément (§ 19) – est régie par les articles 76 et 7747, pour aboutir à cette réponse nouvelle : « La méconnaissance du domaine des compétences ainsi définitivement transférées peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité » (§ 12). Quels « droits et libertés que la Constitution garantit » ? Assurément tous ceux que concrétise, en sus d’une libre administration invocable depuis l’origine48, le principe d’autodétermination des peuples d’outre-mer, comme l’accord du 5 mai 1998… Sans doute, en revanche, le Conseil constitutionnel ne donne-t-il pas entière satisfaction aux requérants puisque sa décision, qui laisse un goût de pétition de principe, valide au nom de « l’ordre public » – dont c’est pratiquement la seule sortie du semestre !49 – ou des « libertés publiques », d’une part l’intrusion de l’État (§ 17)50 et d’autre part l’extension de sa mission (§ 18)51. Mais peut-être l’Union calédonienne a-t-elle obtenu de sa saisine l’essentiel de ce qu’elle en attendait. Car si l’aile Montpensier ne baptise ni ne reconnaît expressis verbis les deux revendications normatives de la requête, le fond constitutionnel de chacune des deux périphrases, principe de non-intervention et principe d’irréversibilité, est bel et bien consacré52.

L’invitation à création normative se retrouve dans deux autres décisions du semestre. Elle est le fait des plaideurs, pas des juges du fond. Les syndicats requérants, dans la décision n° 2020-860 QPC, non seulement invoquaient ainsi tout le concevable53 mais encore priaient le Conseil constitutionnel de reconnaître des principes spécifiques « de pluralisme syndical et de libre concurrence entre syndicats ». Dans la décision n° 2020-866 QPC, un intervenant (l’ordre des avocats au barreau de Paris) a demandé la reconnaissance d’un plaisant néologisme, le « principe de présence », lequel « garantirait la présence physique du justiciable devant le juge » – rêvons de son extension ultérieure à l’enseignement universitaire… – sans non plus obtenir, formellement, satisfaction.

Le semestre n’est cependant pas sans inédit, spécialement ici. Cette décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 juge expressément en effet que « l’organisation d’une audience devant [l]es juridictions [civiles, sociales et commerciales] est une garantie légale des exigences constitutionnelles des droits de la défense et du droit à un procès équitable » (§ 14), fut-elle barrée en l’espèce par l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ou encore la continuité et la célérité de la justice. Seul l’affichage change, toutefois : la possibilité de juger des litiges civils sans audience avait déjà été contrôlée au regard de l’article 16 de la déclaration de 1789 dans la décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.

L’invention normative se manifeste surtout à l’endroit de l’extension expresse par la décision n° 2020-863 QPC du 13 novembre 2020 du « principe de sincérité du scrutin », non pas au contrôle a posteriori54, mais « en matière d’élections professionnelles » : le juge prend soin d’en distinguer la source, la participation des travailleurs du 8e alinéa du préambule de 1946 (§ 15), de celle de la sincérité des « élections politiques » (§ 14), l’article 3 de la Constitution (le mot « sincère » étant déjà déduit du triptyque universel, égal et secret). L’adverbe « notamment » de la ligne suivante (§ 16)55 exigera de lui trouver d’autres fondements : songeons par exemple aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République pour les associations ou, si les élections étudiantes ne sont pas « professionnelles », les universités. Par ailleurs, on aura relevé la manière dont le Conseil constitutionnel appréhende à nouveau ici la liberté d’expression : la « liberté » constitutionnelle, c’est « aussi » la répression de son abus (§ 17)56. En même temps, la décision n° 2020-863 QPC est un cas intéressant de réel contrebalancement des droits humains et, en l’espèce, de confrontation entre droit au recours et droits de la défense : dans cette conciliation entre deux droits tirés de l’article 16 de la déclaration, ordinairement corrélés mais ici concrètement opposés (recours du diffamé, défense du diffamateur), il semble clair que c’est le poids de la liberté d’expression qui offre au second de prévaloir.

Et puis, bien sûr, il y a la fameuse adjuration, qu’on n’ose dire provoquée par l’arrêt de la Cour de Strasbourg J.M.B. c/France du 30 janvier 202057, de la décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 (§ 14) – « il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin » – qui, 10 ans après la première invocation en QPC du principe constitutionnel de dignité58, pose le problème de la carence. Sans doute le Conseil constitutionnel n’est-il point juge de l’application de la loi. Mais encore faut-il qu’il y ait une loi à appliquer. Il manque à l’arsenal français un recours constitutionnel en carence à la portugaise ; même si en l’espèce le Parlement aura répondu presque à temps, on l’a vu, à cet unique « effet différé » du semestre.

Certes, la constitutionnalité n’oblige pas que le législateur et l’incompétence du Conseil constitutionnel ne l’empêche pas de s’adresser au pouvoir réglementaire : on retrouve ainsi, dans la décision n° 2020-861 QPC du 15 octobre 2020 (§ 25), une déclinaison de l’article 8 de la déclaration de 1789 apparue dans la décision n° 2017-630 QPC du 19 mai 2017 (et qui réapparaîtra dans la décision n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021) exigeant aussi bien du gouvernement que du Parlement de fixer les punitions « en des termes suffisamment clairs et précis ». Et il existe la voie prétorienne. Dans la décision n° 2020-857 QPC du 2 octobre 2020 – où affleure l’épineuse question de l’équivalence des protections judiciaire et administrative des justiciables – la requérante soutenait que les concurrents évincés d’un contrat de droit privé de la commande publique étaient dépossédés de leur droit au recours, et en violation du principe d’égalité dès lors qu’une voie supplémentaire est reconnue par la jurisprudence administrative pour les contrats publics59. Or, si le Conseil constitutionnel objecte la lapalissade des finalités et régimes différents des deux types de commande, qu’est-il besoin d’écrire que l’égalité n’est pas méconnue « en tout état de cause », sinon pour regretter la jurisprudence judiciaire60 ?

L’ambivalente expression « en tout état de cause » est également employée dans la décision n° 2020-867 QPC du 27 novembre 2020, mais à l’endroit du grief qui « manque en fait ». Ce n’est pas alors une réponse réservée, mais au contraire l’expression d’une certitude. Le grief manquant « en fait » en vérité manque « en pertinence »61. En l’espèce, la décision n° 2020-867 QPC est presque entièrement consacrée à l’argument de la responsabilité pénale – il faudrait écrire « punitive » ou « répressive » – pour autrui, c’est-à-dire au principe résultant à la fois des articles 8 et 9 de la déclaration de 1789 (ce qui, en l’occurrence, tend à prouver qu’il n’est écrit ni dans l’un ni dans l’autre) selon lequel « nul n’est punissable que de son propre fait ». Ce principe, applicable à toute « punition » au sens constitutionnel, est ici répété pour la onzième fois, depuis la décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, et la septième dans le contrôle a posteriori62. La décision n° 2020-867 QPC du 27 novembre 2020 rappelle par ailleurs in fine que le principe d’égalité devant les charges publiques est inopérant à l’encontre de dispositions instituant une punition63.

Dès lors, dans cette affaire, l’argument de la responsabilité pour autrui était presque un grief unique. Ce n’est, au vrai, le cas que dans 4 de nos 18 décisions, hors contentieux électoral, dont le non-lieu à statuer (QPC n° 2020-870), mais pour deux des sept déclarations de non-conformité64. Le grief unique reste donc, statistiquement, un intéressant indicateur de performance… Le faible nombre de décisions QPC du semestre explique assurément une constitutionnalité invoquée étriquée – on compte, parmi les griefs, 12 fois le principe d’égalité (devant les charges publiques, devant la loi, devant la justice) et 10 fois les droits de la défense, le droit au recours, le « droit au procès équitable », même si surnagent ponctuellement la libre administration locale, la liberté individuelle et la dignité, la vie privée, la liberté syndicale, la liberté d’entreprendre – et une constitutionnalité efficiente, voire efficace, encore plus limitée (au principe d’égalité, dans la plupart des cas, on l’a dit d’emblée, l’unique réserve d’interprétation portant, elle, sur le droit de propriété65). L’économie de moyens joue aussi.

La technique de l’économie de moyens est utilisée ce semestre dans toutes les décisions de censure totale (sauf, par hypothèse, les affaires à grief unique). On est donc, en 2020, avec 9 censures sur 12, bien au-delà de la fréquence de 40 % de toutes les déclarations d’inconstitutionnalité en QPC constatée les 10 premières années… Si elle consiste à faire prévaloir un argument (un grief ou un motif, peu importe), l’économie de moyens ne fait pas pour autant primer un principe. Elle n’est pas une hiérarchisation normative : c’est une préférence logique, voire stratégique. On peut la dire politique, si l’on veut, ou même morale, parfois. Elle n’est juridique que dans ses effets, pas dans ses causes.

La pluralité des arguments du Conseil constitutionnel n’est pas l’exact négatif de l’économie de moyens. Certes, celle-ci ne préjuge pas de tel ou tel défaut supplémentaire, tandis que celle-là recense au contraire tous les éléments rendant la disposition inconstitutionnelle. Mais leurs finalités respectives sont sans rapport : la pluralité des arguments est un guide adressé au législateur pour corriger son dispositif. D’un côté, le Conseil évite de se lier en jugeant trop : l’économie de moyens offre de la souplesse à sa jurisprudence. De l’autre, il se dispense d’avoir à juger encore : la pluralité des arguments permet de ne pas encombrer le prétoire, en évitant d’être à nouveau saisi d’une même législation, insuffisamment modifiée. Sans doute le juge n’y est-il en rien obligé, contrairement au principe qui veut que, s’il souhaite écarter tous les griefs, il doive s’appliquer à l’exhaustivité. Mais c’est là de bonne politique. On en trouve une illustration dans la décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020 censurant l’obligation de paiement préalable du forfait de post-stationnement avant tout recours contentieux, d’abord parce que la loi ne garantissait pas que la somme à payer ne soit pas « d’un montant trop élevé » (§ 7), ensuite parce qu’elle n’avait prévu « aucune exception » (§ 8) : il paraît clair qu’un seul des deux arguments eut suffi à la déclaration d’inconstitutionnalité ; mais il n’est pas moins opportun que le législateur remédie d’emblée aux deux maux, d’autant plus que ce contentieux est de ceux qui encombrent le Conseil d’État.

On pourrait ainsi inscrire cette démarche jurisprudentielle parmi les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité ! Ils sont parfois bien différents, souvenons-nous en. Outre le problème de la responsabilité de l’État, pas encore concrétisé66, il convient en effet de distinguer plusieurs situations. D’une part, les dispositions peuvent n’être plus en vigueur. Mais, d’autre part, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être jugée applicable « à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication » de la décision. C’est le cas ce semestre pour la décision n° 2020-854 QPC du 31 juillet 2020. Il est clair qu’alors le requérant a gagné, comme si la loi querellée à raison était encore en vigueur. La situation est la même en cas de censure à effet immédiat, sans nuance (décisions n° 2020-855 QPC, n° 2020-856 QPC, n° 2020-860 QPC et n° 2020-868 QPC), la plus fréquente ce semestre. En revanche, le requérant aura perdu en cas de censure sèche à effet différé (décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 202067). Et l’on n’oubliera pas le « reçu-collé » de la QPC : le requérant qui avait constitutionnellement raison… mais n’en tirera aucun bénéfice ! C’est ainsi le cas de la victime de l’« inconstitutionnalité blanche », qualification qui suppose les deux conditions réunies : des dispositions plus en vigueur et une décision du Conseil constitutionnel refusant toute rétroactivité à sa censure, comme dans la QPC n° 2020-862 du 15 octobre 202068. La jurisprudence, ce n’est pas seulement interpréter : c’est aussi trancher.

Pierre MOUZET

II – La jurisprudence

Si les élections municipales du printemps avaient suscité quelques querelles constitutionnelles finissant en QPC, le renouvellement partiel du Sénat en septembre aura engendré son propre contentieux constitutionnel : c’est le retour des « QPC électorales » stricto sensu, à savoir directement posées au Conseil constitutionnel, sans filtrage par un juge du renvoi. L’une, on l’a vu, a été clairement identifiée rue de Montpensier : cette décision n° 2020-5684 SEN/QPC du 11 décembre 2020 n’apporte certes pas grand-chose, la QPC ayant été « rejetée » (pour irrecevabilité) « faute de préciser la disposition législative qui est contestée » ; puisque le candidat-requérant soutenait « que l’existence de deux modes de scrutin pour l’élection des sénateurs méconnaîtrait le principe d’égalité », il lui eut sans doute suffi de viser les articles L. 294 et L. 295 du Code électoral. On peut comprendre que le Conseil constitutionnel s’agace de recours pouvant paraître fantaisistes dans un contentieux (à son échelle) de masse. Pour autant, il est étonnant qu’aucune référence à la possibilité de régulariser une telle requête ne soit faite : la question était-elle si inintéressante ? Quant à la seconde question de constitutionnalité, celle de la décision n° 2020-29 ELEC du 17 septembre 2020, on n’en saura rien, si ce n’est qu’elle portait sur les articles LO 276 et L. 279 du même code (le renouvellement du Sénat par moitié et la répartition des deux séries et des sièges). Le Conseil constitutionnel, en effet, en avait été saisi par M. Hauchemaille à l’occasion de sa requête dirigée contre une partie du mémento à l’usage des candidats ; or il n’y vit qu’une « circulaire se bornant à reproduire les dispositions législatives applicables », de sorte que n’étaient pas remplies les conditions lui permettant, lui juge électoral, « de statuer avant la proclamation des résultats ». Mais au fond peu importe : saluons l’homme – c’est, rappelons-le, la 22e décision portant son nom en tout juste 20 ans – et l’œuvre, car le propre de la jurisprudence Hauchemaille, cette compétence exceptionnelle du Conseil ici encore rappelée69, a été de permettre, 10 ans avant l’entrée en vigueur de la QPC, un plein contrôle de constitutionnalité ouvert aux citoyens et préalable aux scrutins. C’est cette jurisprudence, dont la décision du 17 septembre 2020 nous rappelle par contraste la vitalité, qui permettrait, par exemple, à tout électeur ou toute électrice de saisir en amont le Conseil constitutionnel si un président de la République décidait un jour de lancer une révision constitutionnelle par le biais de l’article 11 de la Constitution70.

Mais venons-en à quelques décisions QPC renvoyées les unes, d’abord, par la Cour de cassation (A), les autres ensuite par le Conseil d’État (B) et laissons là nos frustrations.

A – Les QPC renvoyées par la Cour de cassation

Les décisions seront juxtaposées mais les thématiques seront croisées. On y verra en effet quelques variations autour de la détention provisoire mais aussi sur ces fameuses ordonnances non ratifiées. On y lira, au fond, quelques illustrations de la portée d’une formule comme le « au sens de », cette quintessence du raisonnement juridique. Dans la langue qu’est le droit, ses différentes spécialités ou ses multiples branches sont des accents.

Pierre MOUZET

La détention provisoire et la pandémie virale (Cons. const., 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC). Si la pandémie a illustré les contradictions au sein des discours politiques et des explications médicales, elle a également obscurci la compréhension des normes juridiques et des décisions rendues sur ces dernières71. La décision du Conseil constitutionnel du 3 juillet 2020 s’inscrit dans cette complexification.

Le Conseil constitutionnel était saisi, pour la première fois, de deux QPC relatives à une disposition d’une loi d’habilitation : l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 permettant au gouvernement de prendre des mesures d’adaptation relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires. Sur le fondement de cette loi, l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 a pris deux séries de mesures opposées : d’un côté, des mesures permettant de limiter les entrées en détention et de faciliter l’élargissement des détenus par des sorties anticipées72 ; d’un autre côté, des mesures prévoyant la possibilité de prolonger les détentions provisoires de plein droit, sans intervention du juge. Cette possibilité, prévue à l’article 16 de l’ordonnance, a suscité de fortes critiques et une jurisprudence quelque peu « baroque »73.

Le 3 avril 2020, le Conseil d’État considéra que cette disposition ne portait pas « une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales »74.

Le 26 mai 2020, la Cour de cassation imposa le contrôle par un juge en se reposant sur l’article 5 de la Convention européenne et précisa que la prolongation n’est régulière « que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend, dans un délai rapproché courant à compter de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention ». Dans le même temps, elle transmit deux QPC portant sur l’article 11 de la loi du 23 mars 2020.

Face aux critiques, la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire mit fin à la prolongation de plein droit des détentions provisoires.

Dans sa décision du 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a accepté d’examiner l’article 11 de la loi d’habilitation. Il n’était pas saisi de l’ordonnance, laquelle ne rentrait pas dans son contrôle. En effet, le Conseil se reconnaît compétent pour contrôler les dispositions d’une ordonnance non ratifiée75, à la double condition que ces dispositions interviennent dans des matières relevant du domaine législatif et que le délai de ratification fixé ait expiré ; or ici, le délai de ratification expirait le 25 juin.

Sur le fond, rappelant les termes de l’article 66 de la Constitution et la nécessité d’une intervention, « dans le plus court délai possible », du juge judiciaire en cas de privation de liberté (§ 12), il constate que l’habilitation accordée avait pour objet de permettre « aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19 (…), d’une part, l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder 3 mois en matière délictuelle et 6 mois en appel ou en matière criminelle, et d’autre part, la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat » (§ 13). Dans ses prescriptions, la loi d’habilitation ne prévoit pas l’interdiction du contrôle du juge, ce que relève le Conseil : « les dispositions contestées n’excluent pas toute intervention d’un juge lors de la prolongation d’un titre de détention provisoire venant à expiration durant la période d’application de l’état d’urgence sanitaire » (§ 14). S’il en profite pour rappeler que le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle s’impose au gouvernement (§ 15), il ne peut que décider de la conformité de l’article 11 de la loi d’habilitation.

Il en ira différemment dans sa décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021. Cette fois saisi de l’ordonnance – le délai de ratification ayant expiré – le Conseil a pu conclure à l’inconstitutionnalité de son article 16, la liberté individuelle ne pouvant « être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible » (§ 4).

Le 5 mars 202176, le Conseil d’État considérera – enfin – que l’article 16 de l’ordonnance, méconnaissant l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (il s’aligne ainsi sur la décision de la Cour de cassation du 26 mai), est entaché d’illégalité. Que de temps perdu inutilement en pratique alors qu’il aurait pu le faire dès le 3 avril 2020 !

Véronique TELLIER-CAYROL

La détention provisoire et la dignité humaine (Cons. const., 2 oct. 2020, n° 2020-858/859 QPC). Le Conseil constitutionnel était saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale. L’article 137-3 impose que l’ordonnance de placement ou de prolongation de la détention provisoire précise le motif de la détention en se fondant sur les articles 144 et 144-1 : la première de ces dispositions limite le recours à la détention provisoire aux crimes et délits punis d’au moins 3 ans d’emprisonnement ; la seconde énumère sept motifs susceptibles de justifier la détention provisoire. Si ces motifs ne sont plus réunis, ou si la durée de la détention excède une durée raisonnable, la personne est remise en liberté. Rien, dans le Code de procédure pénale, ne prévoyait que des conditions matérielles indignes constituent un obstacle au placement, au maintien ou à la prolongation de la mesure de détention. Le caractère indigne des conditions d’exécution de la détention, laquelle s’effectue trop souvent dans des maisons d’arrêt « zéro étoile »77, ne permettait pas d’obtenir une remise en liberté.

Dans son désormais célèbre arrêt quasi pilote JMB et autres c/ France du 30 janvier 202078, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France sur le fondement des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 13 (droit à un recours effectif) en considérant que les conditions indignes imposées aux requérants détenus étaient contraires à la convention et que les intéressés ne disposaient pas d’un recours préventif pour y mettre fin.

Procédant à un contrôle de conventionnalité, la chambre criminelle reconnaît, dans ses deux arrêts de revirement en date du 8 juillet 2020, que des conditions indignes de détention peuvent être un obstacle au placement ou au maintien en détention provisoire, indiquant qu’il appartient au juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, de faire vérifier les allégations de conditions indignes de détention formulées par un détenu sous réserve que celles-ci soient suffisamment « crédibles, actuelles et personnelles »79. Dans le même temps, elle transmet au Conseil constitutionnel deux questions posées dans les mêmes termes et relatives aux articles 137-3, 144 et 144-1.

C’est ce contrôle de conventionnalité qui a été invoqué par le représentant du Premier ministre qui soutenait que la mise en conformité du droit positif par la nouvelle interprétation de la Cour de cassation rendait inutile l’intervention du Conseil. Il pouvait, certes, s’appuyer sur un arrêt rendu par la chambre criminelle le 14 mai 2019 : la cour avait également interprété une disposition législative à la lumière du droit européen mais avait décidé de rejeter en conséquence la QPC posée, cette dernière devenant sans objet80. Cette fois-ci, le Conseil est saisi et écarte, fort heureusement, l’argument du Premier ministre, rappelant au passage que la Constitution se trouve au sommet de la hiérarchie des normes (§ 8)81.

Sur le fond, le Conseil constitutionnel indique qu’« il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin » (§ 14). Or le respect de la dignité des personnes placées en détention provisoire n’est pas suffisamment mis en œuvre. En premier lieu, le référé devant le juge administratif ne permet pas de garantir qu’il soit mis fin à la détention indigne (§ 15). En second lieu, le Conseil relève que, si la personne placée en détention provisoire peut à tout moment former une demande de mise en liberté, le juge ne peut y donner suite que dans les cas prévus à l’article 144-1, c’est-à-dire lorsque la détention excède une durée raisonnable ou lorsque la détention n’est plus justifiée par l’une des causes énumérées à l’article 144, ou à l’article 147-1, c’est-à-dire en cas de pronostic vital engagé ou d’état de santé incompatible avec le maintien en détention. En conséquence, il n’existe, en droit français, aucun recours devant le juge judiciaire qui permette au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire (§ 16).

Fondée sur le préambule de la Constitution de 1946 selon lequel la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle, et sur les articles 9 et 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, l’abrogation du second alinéa de l’article 144-1 est prononcée, avec effet différé au 1er mars 2021.

En attendant l’intervention du législateur rendue nécessaire par cette décision d’abrogation, la Cour de cassation a pu indiquer que « l’appréciation du caractère indigne des conditions de détention en cas de surpopulation carcérale relève d’un ensemble de facteurs devant être globalement envisagés »82 : ensemble de facteurs qui peut résulter de différents constats, tels qu’une cellule infestée de punaises et de cafards, l’absence de chaise, une saleté repoussante des douches et un sous-dimensionnement de la cour de promenade (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 20-84886), l’impossibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, une aération indisponible, l’absence d’accès à la lumière et à l’air naturels, une défaillance du chauffage et le non-respect des exigences sanitaires de base (Cass. crim., 15 déc. 2020, n° 20-85461).

Les conditions indignes ne frappant pas uniquement les personnes placées en détention provisoire, mais également les personnes condamnées à des peines privatives de liberté, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de confirmer, sans surprise, sa décision du 2 octobre 2020 quelques mois après. Dans sa décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021, la même solution a été retenue, cette fois à propos des détenus condamnés.

Avec un peu de retard sur le délai posé par le Conseil, la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention83 a créé une procédure visant à faire reconnaître et cesser l’existence de conditions indignes de détention (CPC, art. 803-8 nouv.) : tout détenu peut faire contrôler sa situation carcérale, par le juge des libertés et de la détention s’il est en détention provisoire, par le juge de l’application des peines s’il est condamné. Le juge peut alors décider du transfèrement vers un autre établissement, de la remise en liberté immédiate (sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique), ou du bénéfice d’une mesure d’aménagement (CPC, art. 707).

Véronique TELLIER-CAYROL

Du rififi chez les juges des ordonnances (Cons. const., 19 nov. 2020, n° 2020-866 QPC). Opérant un revirement de jurisprudence, le Conseil constitutionnel a décidé en mai 2020 de considérer que les dispositions d’une ordonnance non (encore) ratifiée, lorsqu’elles interviennent dans le domaine législatif et dès lors que le délai d’habilitation est expiré, méritent d’être « regardées comme » des dispositions législatives « au sens de » la procédure QPC (Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC, Force 5). Revirement, puisque de telles dispositions étaient jusqu’alors regardées comme des dispositions réglementaires, insusceptibles comme telles de faire l’objet d’une QPC84. S’il est une leçon dans cette affaire, c’est bien que tout est question de perspective…

C’est ce revirement que la décision commentée entérine (une deuxième fois, puisqu’il l’avait déjà été une première fois : Cons. const., 3 juill. 2020, n° 2020-850/851 QPC) et affine quelque peu. La logique même d’un tel revirement, qui renvoie à une alternative binaire – dispositions législatives ou réglementaires ? Définition matérielle ou organique ? – témoigne de ce que la nature hybride des ordonnances de l’article 38 de la Constitution n’est pas près d’éteindre le feu des discussions juridiques, qu’elles soient juridictionnelles ou doctrinales. Le Conseil a semblé vouloir démentir tous les jugements louant l’état stabilisé du droit positif et troubler la quiétude des analystes, en remettant – contre toute attente – l’ouvrage sur le métier. Ce faisant, la nouvelle jurisprudence a soulevé quelques passions politiques, suscité nombre d’interprétations – parfois hâtives et donc discutables – et posé un certain nombre d’interrogations. Ces quelques lignes entendent revenir sur deux d’entre elles.

Contrôle démocratique. La première porte sur la portée précise de la nouvelle jurisprudence, dont il a été dit qu’elle revenait à supprimer l’exigence d’une ratification – qui plus est expresse depuis 2008 – par le Parlement pour qu’une ordonnance puisse ne pas demeurer réglementaire (on ne reviendra pas ici sur l’éventuelle caducité prévue à l’article 38). Néanmoins, pour qu’une ordonnance puisse acquérir valeur formelle de loi, l’intervention d’une… loi reste la voie procédurale prévue par le constituant et cette procédure n’a pas été supprimée par la nouvelle jurisprudence. On peut, pour s’en convaincre, prendre au mot le juge constitutionnel : il s’agit de faire en sorte que les dispositions d’une ordonnance non ratifiée soient « regardées comme [législatives] au sens de ». Rien de moins, mais rien de plus. Nous sommes là face à une qualification comme le droit en regorge : une fiction de langage opérée pour les besoins d’une cause, en l’occurrence la mise en œuvre de la QPC. En d’autres termes, ce n’est peut-être pas une loi à proprement parler, mais il convient de faire comme si.

Bien entendu, les circonstances dans lesquelles la décision « renversante » du 28 mai 2020 a été rendue ont pu troubler. La nouvelle qualification avait-elle pour unique fin de permettre une QPC ou était-elle vouée à éviter une prévisible censure, qui n’a précisément été évitée que par ce revirement ? Si ces doutes initiaux ne sont plus admis au regard des précisions apportées depuis lors par le Conseil constitutionnel, le spectateur désabusé sursaute : qu’il s’agisse d’une fiction, fort bien. Mais cette loi entre guillemets n’est-elle pas une entourloupe destinée à atténuer la portée politique d’une mutation considérable de notre droit ? Le Conseil ayant considéré qu’une ordonnance non ratifiée pouvait être regardée comme une loi au sens de… l’article 7 de la charte de l’environnement (28 mai 2020), tout comme au sens de la QPC (depuis lors), faut-il s’attendre à ce qu’il juge à l’avenir qu’une ordonnance non ratifiée doit être regardée comme une loi au sens – par exemple – de l’article 10 de la Constitution (« le président promulgue les lois… ») ou encore de son article 24 (« le Parlement vote la loi ») ? En définitive, est-il prouvé que le Conseil n’a pas remis en cause une procédure démocratique essentielle, qui confie au Parlement seul le soin d’ériger une norme au rang législatif ? C’est pour répondre sur ce point que l’on pense devoir insister sur la spécificité de l’opération de qualification juridique : « dispositions législatives » oui, mais seulement au sens de la QPC, c’est-à-dire pour l’exercice d’un contrôle juridictionnel. Pour le moment, il n’est question que de cela.

Contrôle juridictionnel. Le contrôle juridictionnel, justement : le revirement signale-t-il la revanche du contentieux constitutionnel sur le contentieux administratif en matière d’ordonnances ? En tout cas, il paraît appuyer la nouvelle possibilité d’une QPC sur une sorte de parallélisme des formes, à savoir la circonstance que les dispositions en cause de l’ordonnance ne puissent plus être modifiées que par voie législative. Par ailleurs, la décision commentée revient subtilement sur la formule précédemment utilisée, d’après laquelle s’agissant des dispositions regardées comme législatives, « leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut […] être contestée que par une QPC » (Cons. const., 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC, § 11). Foin de négativité ! Selon la formule nouvelle, la même conformité peut « être contestée par » une QPC. Celle-ci n’épuise donc pas les hypothèses de contrôle juridictionnel sur les dispositions en cause. Confirmant l’interprétation officielle de la décision du 28 mai sur ce point, le commentaire de la présente décision ajoute que l’objectif est de ne pas fermer la possibilité d’un contrôle a priori des dispositions d’une ordonnance non ratifiée, lorsque les conditions de la jurisprudence État d’urgence en Nouvelle-Calédonie sont remplies. Autrement dit, la constitutionnalité des énoncés législatifs d’une ordonnance non ratifiée pourrait être contrôlée à l’occasion du contrôle a priori portant sur une loi fraîchement votée modifiant, complétant ou affectant le domaine de ces énoncés. De la sorte, les « dispositions législatives » au sens de l’article 61-1 peuvent être regardées aussi comme « dispositions législatives » au sens de la jurisprudence État d’urgence en Nouvelle-Calédonie elle-même fondée sur l’article 61… On notera que la nouvelle formule, tout en abandonnant une tournure négative, reste maladroite : car si le contrôle a priori par ricochet devait être activé, il ne porterait pas alors exclusivement sur les « droits et libertés » au sens de la QPC… Il faut bien avouer que la formule initiale était la meilleure : il est en effet exact que la conformité aux droits et libertés constitutionnels (si l’on veut bien entendre ici qu’il est question de la QPC) ne peut être discutée « que » par une QPC puisque, par construction, la QPC (n’) est faite (que) pour cela ! Il est vrai toutefois que le contrôle a priori inclut le contrôle en termes de droits et libertés, même s’il ne s’y réduit pas.

Quid des autres cas de contrôle juridictionnel ? La QPC sur une ordonnance non ratifiée suppose remplies deux conditions spécifiques : le délai d’habilitation doit être expiré (ce qui peut survenir en cours d’instance !) et le domaine législatif doit être en cause (la « baguette de sourcier » permettant de séparer le bon grain législatif de l’ivraie réglementaire doit donc être maniée dans ce contentieux). Mais en raison du champ d’application limité de la QPC, les moyens d’inconstitutionnalité non couverts par la procédure de l’article 61-1 doivent pouvoir être examinés par le juge du principal – qu’il s’agisse du juge judiciaire ou du juge administratif.

Ce polymorphisme contentieux a d’ores et déjà été acté par le juge administratif, qui accepte ainsi de prendre le relais, sur le terrain constitutionnel, de la QPC. Dès lors qu’un grief d’inconstitutionnalité ne peut être formulé en termes d’atteinte à un droit ou une liberté, mais plutôt de méconnaissance d’« autres règles » constitutionnelles, le juge administratif confirme rester compétent (CE, ass., 16 déc. 2020, n° 440258, Fédération CFDT des Finances et a.). De façon plus générale, les deux voies contentieuses cohabitent : hormis ce qui relève d’une QPC, le Conseil d’État continue de regarder les dispositions d’une ordonnance non ratifiée comme des mesures réglementaires (encore) soumises au contrôle de légalités (externe et interne) du juge administratif. La nature des moyens soulevés (contestation au regard de telle norme de référence) détermine ainsi, de façon somme toute logique, la nature du contrôle juridictionnel et la façon d’appréhender la norme contrôlée. Le polymorphisme contentieux répond donc au polymorphisme des moyens soulevés. En définitive, le Conseil constitutionnel ne sera allé « chercher » le Conseil d’État que sur son territoire propre, celui de la QPC, pour le réinvestir…

Restait à savoir si, à défaut de QPC, le Conseil d’État s’estimerait incompétent pour statuer sur le moyen tiré de ce que l’ordonnance non ratifiée méconnaît une exigence constitutionnelle qui est un droit ou une liberté au sens de la QPC. Peut-on regarder une disposition comme législative au sens de la QPC si aucune QPC n’est soulevée ? En toute rigueur, l’innovation jurisprudentielle de 2020, qui ouvre une porte, ne saurait obliger à emprunter le dédale procédural de la QPC. L’abandon d’une formule restrictive (« ne peut… que ») aurait pu inciter à retenir une interprétation favorable au choix du requérant. En rétablissant ce qui avait été abandonné, le Conseil d’État a semblé néanmoins interdire tout « court-circuit » de la QPC en matière de contentieux des droits et libertés constitutionnels. Une telle solution préserve assurément l’unicité de la jurisprudence. Mais elle impose au requérant qu’il veille à respecter les réquisits de la QPC, sauf à trouver un équivalent au droit constitutionnel dans les principes généraux du droit administratif ou dans le droit international.

Pour ce qui concerne le côté judiciaire de la force, le juge pénal était déjà compétent pour exercer lui aussi un contrôle de constitutionnalité sur les ordonnances non ratifiées. S’il suit le Conseil d’État, ce contrôle ne sera plus possible qu’en vertu de la QPC (pour les droits et libertés constitutionnels) et par lui-même pour le reste (les règles constitutionnelles de fond n’étant pas toutes des droits ou libertés). Pour le juge civil, les changements semblent plus importants : le contrôle de constitutionnalité étant fermé (à défaut pour ce juge de s’être saisi pleinement des virtualités de la jurisprudence SCEA du Chéneau), il s’ouvre désormais par la voie de la QPC, ce qui est en soi favorable au requérant. Il est douteux néanmoins, vu ses réserves jusqu’ici, que le juge civil s’aventure à exercer un contrôle de constitutionnalité des ordonnances non ratifiées au-delà de la QPC elle-même…

Enfin, les moyens d’inconventionnalité des dispositions non ratifiées de l’ordonnance ne sont pas davantage étouffés par la QPC. Il appartient bien au juge ordinaire d’effectuer un tel contrôle de conventionnalité – ce que le Conseil d’État a également confirmé dans sa décision du 16 décembre 202085. L’on ne sache pas en effet que le Conseil constitutionnel ait l’ambition de revenir sur la jurisprudence IVG. Mais après tout : qui sait ?

François BRUNET

B – Les QPC renvoyées par le Conseil d’État

On ne reviendra pas ci-dessous sur la « constitutionnalité néo-calédonienne » : loin des vastes questions théoriques de philosophie politique, c’est l’autre grand concert de la QPC que notre sélection illustrera ici, celui des affres du quotidien. Car, quel que soit l’état de la querelle doctrinale sur le caractère « concret » du contrôle a posteriori, nul ne contestera l’importance, au-delà des contentieux, dans le monde réel de la vie, du contrôle de constitutionnalité : il suffit d’observer, ici, les droits du propriétaire, les droits des villes au soutien financier de l’État ou encore les droits des fonctionnaires face à la rupture conventionnelle.

La démolition, uniquement si la mise en conformité n’est pas possible (Cons. const., 3 juill. 2020, n° 2020-853 QPC). Le respect des règles d’urbanisme est assuré par les juges administratif, civil et pénal. Le Code de l’urbanisme prévoit plusieurs mécanismes de protection des servitudes d’urbanisme pouvant conduire à la démolition des immeubles. La démolition des immeubles privés pour non-respect des règles d’urbanisme est réservée aux juges judiciaires par les articles L. 480-5, L. 480-13 et L. 480-14 du Code de l’urbanisme86.

L’article L. 480-5 dispose que le juge pénal, en cas d’infraction aux règles d’urbanisme, peut prononcer la démolition d’une construction en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur avec un délai de prescription de six ans. L’article L. 480-13 permet aux tiers lésés qui se prévalent d’un préjudice personnel en relation directe avec la violation des règles de l’urbanisme de saisir le juge civil afin qu’il ordonne la démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé par le juge administratif87.

L’article L. 480-14 – qui est l’objet de la décision commentée – permet aux « communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de plan local d’urbanisme de saisir le tribunal judicaire en vue d’ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé en méconnaissance des règles d’urbanisme ». Le délai de prescription de cette action civile propre aux communes ou EPCI est de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux et donc ouvre aux personnes publiques un délai plus long que celui prévu à l’article L. 480-13 pour les tiers.

La Cour de cassation a jugé que cette action en démolition n’exige pas la démonstration d’un préjudice personnel et direct causé par les constructions irrégulières88 et le juge administratif a considéré qu’un tiers intéressé peut contester la décision du maire ou du président d’un EPCI de refuser de faire usage des pouvoirs que lui confère l’article L. 480-1489. Ces deux décisions confortent la saisine du juge par les communes et EPCI en charge de l’urbanisme.

La question posée au Conseil constitutionnel porte sur la nature de la sanction prononcée par le juge judiciaire. Deux arrêts, rendus en 2017 et en 2019, jugent que la sanction demandée par la commune ou l’EPCI (démolition ou remise en état) s’impose au juge civil dès lors que les conditions posées par l’article L. 480-14 sont réunies90.

En l’espèce, une cour administrative d’appel confirme un refus de permis de construire en mentionnant qu’il n’était pas établi qu’une action civile en démolition ne pouvait plus être engagée par la commune sur le fondement de l’article L. 480-14. Le requérant saisit le Conseil d’État et soutient que l’article L. 480-14 porte atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. La haute juridiction fait droit à la demande de transmission de cette QPC au Conseil constitutionnel91.

Le Conseil constitutionnel confirme la distinction, appuyée sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (Sporrong et Lönroth, 1982)92, reprise par les juges administratifs93 et judiciaires94, entre les « privations » de propriété, soumises au respect de l’article 17, et les « atteintes » au droit de propriété qui relèvent de l’article 2. Il juge que l’action en démolition prévue par l’article L. 480-14 « ne constitue qu’une conséquence des restrictions apportées aux conditions d’exercice du droit de propriété par les règles d’urbanisme. Elle n’a pour objet que de rétablir les lieux dans leur situation antérieure à l’édification irrégulière de la construction concernée » et par conséquent relève de l’article 2. Appliquant au contentieux de l’urbanisme le principe de proportionnalité, il juge « que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi »95. Il affirme que « l’action en démolition est justifiée par l’intérêt général qui s’attache au respect des règles d’urbanisme » et que les règles sont proportionnées au regard des conditions posées par l’article L. 480-14 pour engager l’action en démolition. Mais il ajoute : « Toutefois, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit de propriété, être interprétées comme autorisant la démolition d’un tel ouvrage lorsque le juge peut, en application de l’article L. 480-14, ordonner à la place sa mise en conformité et que celle-ci est acceptée par le propriétaire ». Cette décision revient sur la jurisprudence du juge judiciaire qui considérait que le choix de la sanction appartenait au demandeur (commune ou EPCI). Certes, une jurisprudence constante affirme que la régularisation juridique d’une construction fait obstacle à ce qu’une démolition soit décidée96 mais ici une notion plus large est utilisée, la mise en conformité, appréciée par le juge civil. Cette décision rejoint le mouvement de régularisation des autorisations d’urbanisme encouragé par de nombreux textes législatifs97 et par le juge administratif lui-même98 et pose, comme le relève Élise Carpentier, la question de la marge d’appréciation laissée aux juges99.

L’objectif semble être une nouvelle fois d’éviter la démolition. Comme l’écrivent Albert Carton et Matthieu Pouramède, « se dessine en législation et en jurisprudence un désir de mesure, entre proportionnalité et subsidiarité de la sanction de démolition »100. D’autant que si la décision commentée affirme que les dispositions de l’article L. 480-14 en elles-mêmes ne méconnaissent pas « le droit au respect de la vie privée ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit », la possibilité d’invoquer l’article 8 de la CEDH reste ouverte aux requérants dont l’immeuble pourrait être soumis à démolition101. Ainsi, la sécurisation des constructions pour ne pas dire leur intangibilité (pour reprendre un terme qui était réservé aux ouvrages publics) réduit comme peau de chagrin l’action en démolition qui reste pourtant la plus dissuasive des sanctions pour imposer le respect des règles d’urbanisme.

Corinne MANSON

La dotation d’intercommunalité, encore et… en vain (Cons. const., 15 oct. 2020, n° 2020-862 QPC). Nouvelle application du principe d’égalité devant les charges publiques, la décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, a été l’occasion pour le Conseil constitutionnel de rappeler que si, conformément au principe d’égalité devant les charges publiques dont peuvent se prévaloir les collectivités territoriales et leurs établissements publics102, le législateur a la faculté de traiter en matière financière plus favorablement (ou inversement) certaines collectivités dans le cadre d’un régime transitoire103, il ne peut laisser perdurer dans le temps une inégalité résultant d’une différence de traitement dont l’établissement ne trouve qu’une justification transitoire104.

Afin d’associer les collectivités territoriales à l’effort budgétaire de redressement des comptes publics, la loi de finances pour 2014 institua un mécanisme de minoration de la dotation d’intercommunalité des EPCI à fiscalité propre à hauteur d’un montant total de 252 millions d’euros. Établie au titre de la contribution au redressement des finances publiques (CRFP), cette minoration reposait sur une logique de solidarité et de péréquation horizontale entre les EPCI à fiscalité propre en ce qu’elle était répartie au prorata des recettes réelles de fonctionnement de chacun desdits établissements. Imputée sur le montant de la dotation intercommunale attribuée à tout EPCI à fiscalité propre, elle prenait ainsi la forme d’un prélèvement « individualisé » destiné à faire en sorte que chaque établissement contribuât à hauteur de ses richesses. Pour garantir en toute situation le paiement de la CRFP, le législateur avait en outre prévu un second mécanisme applicable dans l’hypothèse, dite de « DGF négative », où le montant de la contribution se révélait supérieur à celui de la dotation d’intercommunalité qu’un EPCI à fiscalité propre était susceptible de recevoir. Un prélèvement spécifique était alors opéré, à hauteur du solde à acquitter, sur les compensations d’exonérations dues à l’établissement ou, à défaut, sur le produit de sa fiscalité versée mensuellement par l’État. Dans le cadre de la réforme de la dotation d’intercommunalité, la loi de finances pour 2019105 intégra directement la CRFP dans la masse globale de ladite dotation par le jeu d’une minoration, à hauteur du montant de la contribution de l’année précédente, de l’enveloppe nationale à répartir entre les différents EPCI à fiscalité propre. Avec le dispositif nouvellement établi, ces derniers étaient appelés à subir, dans une logique de mutualisation cette fois, la même quote-part de minoration au titre de leur dotation intercommunale.

Parallèlement, la disparition du prélèvement spécifique sonnait comme une dispense potentielle des établissements placés dans une situation de « DGF négative » de contribuer à l’effort de redressement des finances publiques. C’est pourquoi le législateur décida, avec l’article 250 de la loi de finances pour 2019, de reconduire à l’identique, de manière annuelle et pérenne, le prélèvement spécifique opéré en 2018 tel que défini au troisième alinéa de l’article L. 5211-28 du Code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi de finances pour 2017106. Un seul aménagement fut prévu en la matière via un système de réévaluation du montant du prélèvement spécifique pour les EPCI ayant vu leur périmètre évoluer d’une année sur l’autre. C’est précisément la pérennisation de ce dernier mécanisme qui fut à l’origine de la décision du Conseil constitutionnel du 15 octobre 2020.

En application de l’article 250 de la loi de finances pour 2019, un arrêté interministériel du 9 octobre 2019 fixa la liste des EPCI faisant l’objet d’un tel prélèvement et, comme en 2018, il fut prélevé la somme de 791 992 € sur le produit de la fiscalité de la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire. Celle-ci forma un recours pour excès de pouvoir contre ledit arrêté et souleva à cette occasion une QPC à l’encontre de l’article 250 précité et de l’article L. 5211-28 du Code général des collectivités territoriales dans sa rédaction antérieure. À la suite du renvoi opéré par le Conseil d’État107, le Conseil constitutionnel, saisi de la question, estima que celle-ci portait sur le premier alinéa du paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019 en ce que la requérante reprochait à cette disposition de maintenir de manière pérenne, pour les seuls EPCI à fiscalité propre qui y étaient assujettis en 2018, le prélèvement acquitté cette année-là au titre de la CRFP, à hauteur d’un montant invariablement identique ne rendant plus compte des caractéristiques démographiques ou financières des EPCI en cause. Il en eut alors résulté une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, issue de l’établissement d’une différence de traitement injustifiée entre les EPCI à fiscalité propre selon que ces derniers étaient assujettis ou non à ce prélèvement en 2018, ainsi qu’une charge excessive pour les premiers d’entre eux. Ce dispositif était en outre dénoncé comme de nature à altérer fortement les capacités d’autofinancement des EPCI concernés et, par conséquent, comme attentatoire aux principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales.

Pour apprécier et censurer la disposition législative litigieuse, le Conseil constitutionnel s’est uniquement placé sur le terrain du principe d’égalité devant les charges publiques issu de l’article 13 de la déclaration de 1789. Celui-ci commande que, pour l’entretien de la force publique et l’administration, une contribution commune indispensable doit être également répartie entre tous les citoyens en fonction de leurs facultés. Conformément à sa jurisprudence antérieure108, le juge a rappelé l’impérieuse nécessité pour le législateur d’apprécier ces facultés contributives, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, d’une part en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose, d’autre part en veillant à ce que cette appréciation n’entraîne pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. En l’occurrence, la différence de situation instaurée entre les EPCI reposait uniquement sur la circonstance selon laquelle ils avaient été ou non soumis en 2018 au prélèvement spécifique compte tenu de leur niveau de richesse et des montants de dotation individuelle d’intercommunalité et de CRFP qui en découlaient. Si le législateur avait certes prévu que le montant du prélèvement à acquitter par les EPCI redevables devait être recalculé dans l’hypothèse d’une évolution de leurs périmètres respectifs, aucune autre évolution de la situation, notamment financière ou démographique, des établissements intéressés n’était susceptible de remettre en cause ni leur assujettissement au prélèvement, ni le montant de celui-ci. Par conséquent, le dispositif en question ne pouvait être maintenu qu’à titre transitoire (soit ici dans le cadre de la réforme de la dotation d’intercommunalité) aux fins de s’assurer que les EPCI visés continuent de participer, à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, au redressement des finances publiques. En revanche, compte tenu de l’objet du prélèvement spécifique et faute d’avoir prévu toute autre possibilité d’ajustement qu’un changement de périmètres desdits établissements, le législateur ne pouvait laisser subsister une telle différence de situation sans porter une atteinte caractérisée au principe d’égalité devant les charges publiques. Autrement dit, pour que ledit prélèvement pût être maintenu à titre pérenne, il eut fallu qu’il présentât un caractère évolutif nettement plus marqué ou qu’il reposât sur une différence objective de situation perdurant ou se cristallisant dans le temps109 entre les EPCI à fiscalité propre.

Patrick MOZOL

Procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique : inégalité de traitement injustifiée entre syndicats (Cons. const., 15 oct. 2020, n° 2020-860 QPC). La décision n° 2020-860 QPC relative à l’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique aurait pu fournir matière à s’intéresser à la « travaillisation » rampante de la fonction publique que traduit notamment l’introduction de la rupture conventionnelle dans l’Administration110.

Le principe même de ce dispositif n’était cependant pas au cœur de la QPC posée par le syndicat des agrégés de l’enseignement supérieur et par le syndicat national des collèges et des lycées. La question invitait plus spécifiquement à s’interroger sur la distinction opérée par le législateur entre les organisations syndicales représentatives et les organisations non représentatives dans le cadre de la procédure. En effet, si la rupture conventionnelle conçue pour la fonction publique prend pour modèle la formule issue du droit du travail, cette déclinaison ne se réalise pas sans quelques particularités. L’idée à l’œuvre est certes identique : il s’agit de garantir, par le biais d’une convention et en contrepartie d’une indemnité de rupture, la cessation définitive des fonctions du travailleur. Le droit du travail s’attache cependant à doubler le consentement du salarié, subordonné à son employeur, du contrôle de l’Administration à travers l’homologation de la convention. Le droit de la fonction publique organise de son côté une procédure distincte en offrant notamment un rôle singulier aux organisations syndicales représentatives garantes en quelque sorte du respect des droits du fonctionnaire. La procédure applicable prévoyait à ce titre que la rupture ne puisse intervenir qu’après la tenue d’un entretien mené par l’autorité hiérarchique ou son représentant. Là où le Code du travail précise que l’assistance peut être assurée par une personne du choix du travailleur au sein de l’entreprise, le législateur avait privilégié dans la fonction publique l’assistance par un conseiller d’une organisation syndicale représentative de son choix (alinéa 10 du paragraphe I de l’article 72 de la loi du 6 août 2019). Cette disposition fait l’objet de la censure du Conseil constitutionnel qui qualifie cette distinction d’inégalité de traitement sans rapport avec l’objet de la loi.

Si la solution n’est pas surprenante, son fondement peut apparaître plus décevant. Les requérants invitaient de façon originale le Conseil à reconnaître des principes de pluralisme syndical et de libre concurrence entre syndicats. Sans s’engouffrer sur cette voie, le Conseil ne fait pas mention pour autant de la liberté syndicale et se fonde uniquement sur le principe d’égalité devant la loi. Les dispositions contestées sont interprétées comme visant avant tout à « accorder une garantie au fonctionnaire durant la procédure de rupture conventionnelle », si bien que le caractère représentatif ou non du syndicat apparaît sans rapport avec l’objet de ces précisions légales. La distinction ainsi opérée entre les syndicats n’a effectivement aucune justification au regard de la fonction remplie par l’exigence de représentativité puisque celle-ci vise avant tout à garantir la capacité de négociation de l’organisation syndicale en raison de sa légitimité.

En ce sens, dans le cadre d’une précédente QPC, le Conseil a précisé que le critère de l’audience conditionnant la représentativité de l’organisation « tend à assurer que la négociation collective soit conduite par des organisations dont la représentativité est notamment fondée sur le résultat des élections professionnelles » (Cons. const., 7 oct. 2010, n° 2010-42 QPC). La différence de calcul de cette audience pour les syndicats catégoriels avait également été jugée conforme à la Constitution dès lors que les syndicats non catégoriels se trouvaient dans une situation différente. La présente décision n’offre donc pas d’originalité particulière en censurant les dispositions en cause dès lors que la représentativité apparaissait bien comme un élément indifférent quant à la capacité du syndicat d’assister le travailleur.

Gwenola BARGAIN

Notes de bas de pages

  • 1.
    Fondée sur le droit de propriété protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789 : Cons. const., 31 juill. 2020, n° 2020-853 QPC.
  • 2.
    Trois (décisions nos 2020-856 QPC, 2020-860 QPC et, pour une censure partielle, 2020-868 QPC) via l’article 6 de la Déclaration et deux (décisions nos 2020-854 QPC et 2020-862 QPC) via l’article 13.
  • 3.
    Cons. const., 9 sept. 2020, n° 2020-855 QPC.
  • 4.
    Toutefois, rappelons que le Conseil constitutionnel ne brandit pas le Préambule de 1946 seul : dans la décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, il avait ainsi privilégié l’incompétence négative du législateur ; dans la décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021, il utilise encore, en appui, l’article 16 de la Déclaration de 1789.
  • 5.
    Au 1er mars 2021, soit un délai de 5 mois imparti au Parlement… à qui il en aura fallu six (loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention).
  • 6.
    Cons. const., 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC : loi du 23 mars 2020 ; Cons. const., 4 déc. 2020, n° 2020-869 QPC : lois des 11 mai et 9 juillet 2020.
  • 7.
    Le partage eut été égal si le Conseil constitutionnel avait statué plutôt que décidé un non-lieu dans la décision n° 2020-870 QPC.
  • 8.
    L’ordonnance du 13 septembre 1945 dont est issu l’article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la diffamation en période électorale (Cons. const., 13 nov. 2020, n° 2020-863 QPC).
  • 9.
    Le « syndrome Légifrance » nuit en effet à ce type d’analyse : ainsi, l’ordonnance de septembre 2019 que la décision n° 2020-865 QPC identifie seule avait simplement remplacé « tribunal de grande instance » par « tribunal judiciaire » : c’est donc, en fait, la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, antérieure de 19 ans, qui était en cause.
  • 10.
    Signalons le « point de vue interne » – deux décisions (nos 2020-858/859 QPC et 2020-866 QPC) ont rapidement fait l’objet de traductions (toutes deux en anglais et en espagnol) – et constatons que quatre seulement (la décision n° 2020-858/859 QPC, mais pas la décision n° 2020-866 QPC, et auparavant les décisions nos 2020-851/852 QPC, 2020-855 QPC et 2020-856 QPC) ont été accompagnées d’un communiqué de presse.
  • 11.
    Ils dénoncent « un recul pour les droits des justiciables » – et pourtant cette décision est traduite ! – parce que « les interprétations neutralisantes fondées sur le droit européen sont désormais prohibées » (J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun, « Le Conseil constitutionnel déclare la guerre aux interprétations supranationales de la loi », AJDA 2020, p. 2160 et 2161).
  • 12.
    « Quelle mouche souverainiste a piqué le Conseil constitutionnel ? » s’étonne J. Roux (D. 2021, p. 57), qui parle encore de « parfum sulfureux de repli nationaliste » (p. 58).
  • 13.
    CE, 30 nov. 2020, n° 443970.
  • 14.
    CE, 9 sept. 2020, n° 439520 : AJDA 2020, p. 2373, concl. A. Lallet : l’affaire portait sur le rapatriement d’enfants de Syrie. Adde C. Roux, « La souveraineté du droit nobiliaire », note sous CE, 12 févr. 2021, n° 440401, de Broglie : AJDA 2021, p. 815.
  • 15.
    V. ainsi la décision n° 2017-166 PDR du 23 mars 2017 : nous verrons au printemps 2022 !
  • 16.
    Et pour cause, puisque le dernier scrutin de ce type est antérieur de 5 ans à la QPC…
  • 17.
    Mme Maestracci a ainsi manqué la moitié des 20 décisions, absente jusqu’à la mi-septembre, puis fin novembre-début décembre, et M. Pillet 4 décisions, avec les audiences des 12 et 18 novembre ; en l’absence de M. Fabius, la séance du 10 décembre a été présidée par M. Juppé, doyen d’âge, pour la décision n° 2020-5684 SN/QPC.
  • 18.
    Toutefois, dans la décision n° 2020-866 QPC, ces dernières (et le syndicat de la magistrature) l’ont heureusement fait, car l’avocat de la requérante ne demandait pratiquement au Conseil que de pratiquer un contrôle de conventionnalité…
  • 19.
    Certes, dans la décision n° 2020-861 QPC, le syndicat intervenant ajoute un argument, mais à l’appui des mêmes griefs (une inégalité devant la loi puis une incompétence négative en matière de liberté d’entreprendre).
  • 20.
    On sait que le Conseil parlait initialement de « parties en défense » : la substitution, testée le 24 juin 2016, a été systématisée en avril 2019.
  • 21.
    Décisions nos 2020-853 QPC, 2020-856 QPC, 2020-864 QPC et 2020-867 QPC.
  • 22.
    Dans la décision n° 2020-870 QPC, elles émanent de la seule « partie intervenante » (mais la même avocate plaidera aussi pour la requérante) ; des intervenants en présentèrent aussi dans deux décisions, comme (décisions nos 2020-853 QPC et 2020-854 QPC) le Premier ministre. Point de « premières observations » du requérant dans la décision n° 2020-856 QPC !
  • 23.
    Qui, devant la Cour de cassation, n’évoquait que les droits de la défense ; elle ajoute, devant le Conseil constitutionnel, principe du contradictoire et égalité devant la justice, sans que l’on sache où, quand, pourquoi.
  • 24.
    Rappelons que l’article 3, alinéa 3, du règlement intérieur du 4 février 2010 n’impose pas la représentation des parties et que l’article 10, alinéa 2, ne rend obligatoire le ministère d’avocat que pour les éventuelles interventions orales à l’audience.
  • 25.
    Les requérants sans avocat sont rares : on compte au total 33 QPC, fin 2020, sur 870 – soit moins de 4 % – dont une en 2019, aucune en 2018, deux en 2017, deux en 2016, une en 2015, sept en 2014, trois en 2013, quatre en 2012, sept en 2011 et quatre en 2010.
  • 26.
    V. « Chronique de QPC (janvier-juin 2020) », .
  • 27.
    La requérante dénonçait une méconnaissance de l’article 55 de la Constitution « dans la mesure où » l’on aurait contrevenu « aux principes consacrés » par l’article 6 CEDH.
  • 28.
    « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel [lorsqu’il n’est pas juge électoral] d’examiner la conformité d’une disposition législative aux stipulations d’un traité ou d’un accord international. »
  • 29.
    Cons. const., 17 déc. 2010, n° 2010-79 QPC ; Cons. const., 4 avr. 2014, n° 2014-373 QPC ; Cons. const., 3 févr. 2016, n° 2015-520 QPC.
  • 30.
    Cons. const., 25 oct. 2019, n° 2019-810 QPC ; Cons. const., 6 déc. 2019, n° 2019-818 QPC ; la décision n° 2018-750/751 QPC du 7 décembre 2018 concernait une décision du Conseil que, « en tout état de cause », la loi ne se bornait pas à appliquer.
  • 31.
    Sans d’ailleurs qu’elle fût identifiée comme « signée à Rome le 4 novembre 1950 » à l’instar de cet autre précédent, sans lendemain (et d’ailleurs sans reprise dans ses motifs), que constitua la décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003.
  • 32.
    Le juge « ne peut, pour réfuter ce caractère sérieux, se fonder sur l’interprétation de la disposition législative contestée qu’impose sa conformité aux engagements internationaux de la France, que cette interprétation soit formée simultanément à la décision qu’il rend ou l’ait été auparavant. Il n’appartient pas non plus au Conseil constitutionnel saisi d’une telle question prioritaire de constitutionnalité de tenir compte de cette interprétation pour conclure à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ».
  • 33.
    « En revanche, ces mêmes exigences ne s’opposent nullement à ce que soit contestée, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la portée effective qu’une telle interprétation confère à une disposition législative, si l’inconstitutionnalité alléguée procède bien de cette interprétation. »
  • 34.
    Avec cette idée qu’il découlerait de la dignité un « principe constitutionnel nouveau d’interdiction des traitements inhumains et dégradants ».
  • 35.
    Dorénavant, les visas des décisions QPC précisent quelle loi a ratifié l’ordonnance querellée, si c’est au contraire le cas. Rappelons par ailleurs que, si l’article 61-1 précise « disposition législative », l’article 62 dit « disposition » tout court.
  • 36.
    Cons. const., 25 janv. 1985, n° 85-187 DC. Le commentaire officiel de la décision n° 2020-866 QPC (p. 9), qui parle de « légère reformulation », précise : « uniquement ».
  • 37.
    La décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre lui préfèrera un laconique : « Sur les dispositions soumises à l’examen du Conseil constitutionnel » ; il aurait pu se contenter de l’usuelle subdivision (qui n’apparaît pas du tout ce semestre) : « Sur la recevabilité ». La décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre, elle, est muette, sauf la date d’expiration de l’habilitation dans ses visas.
  • 38.
    Le § 9 déduit de l’article 61-1 que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi « que de griefs tirés de ce que les dispositions d’une loi d’habilitation portent atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit » ; or il est écrit au § 8 : « Les dispositions d’une loi d’habilitation ne sauraient, ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, méconnaître une règle ou un principe de valeur constitutionnelle »… L’idée, répétée in fine au § 16, est celle de l’inopérance du grief d’incompétence négative.
  • 39.
    V. « Chronique de QPC (janvier-juin 2020) », Actu-Juridique, 12 juill. 2021, n° 000p6.
  • 40.
    Ce qui est d’autant plus paradoxal que, contrairement aux autres juridictions françaises, le Conseil constitutionnel n’écrit plus – depuis mai 2016 – « délibéré », à la fin du dispositif, mais « jugé ».
  • 41.
    Songeons, par exemple, qu’au Journal officiel du 1er octobre 2020 (texte n° 34) paraissait un formulaire de requête devant la commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) qui exigeait toujours « copie de l’avis de paiement du forfait post-stationnement », alors que l’obligation de paiement préalable avait été jugée inconstitutionnelle par la décision n° 2020-855 QPC du 8 septembre 2020. La pratique de la CCSP a heureusement immédiatement tenu compte de celle-ci (D. Lacassagne, « La jurisprudence relative au stationnement payant en 2020 », AJDA 2021, p. 845).
  • 42.
    La motivation de la décision n° 2020-856 QPC (§ 3) repose sur une citation du 4e alinéa de l’article 1er du règlement intérieur du 4 février 2010, selon lequel les « secondes observations ne peuvent avoir d’autre objet que de répondre aux premières ». La doctrine du Conseil repose sur les exigences de « diligence et de loyauté » pesant sur les parties, comme le rappelle le commentaire officiel (p. 10).
  • 43.
    La Cour de cassation avait, assez curieusement, jugé que « ces dispositions sont, du moins pour partie, applicables au litige ».
  • 44.
    La Cour de cassation avait, assez curieusement, parlé de « la disposition législative contestée », tout en renvoyant les trois articles du Code de procédure pénale visés.
  • 45.
    Le renvoi de la QPC n° 2020-866 est structuré comme un jugement de fond : on pourrait presque lire dans l’arrêt de la Cour de cassation que « la question est très sérieuse ». Et, dans la QPC n° 2020-865, elle semblait tellement sérieuse que la chambre criminelle oublie de le dire expressément.
  • 46.
    CE, sect., 13 déc. 2006, n° 279323, M. Genelle : Lebon, p. 561 ; AJDA 2007, p. 363, chron. F. Lénica et J. Boucher.
  • 47.
    « 11. Il en résulte que si le législateur est compétent pour rendre applicables en Nouvelle-Calédonie des dispositions législatives, c’est à la condition que ces dispositions n’interviennent pas dans des matières relevant des compétences ayant été transférées aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, de façon définitive, par la loi organique dans le respect des orientations définies par l’accord de Nouméa auxquelles le titre XIII de la Constitution confère valeur constitutionnelle ».
  • 48.
    Cons. const., 2 juill. 2010, n° 2010-12 QPC. La décision fondatrice quant à ce principe (Cons. const., 23 mai 1979, n° 79-104 DC) était d’ailleurs relative à la Nouvelle-Calédonie.
  • 49.
    La décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 n’y fait, en matière de détention provisoire, qu’une discrète allusion.
  • 50.
    « Si elles poursuivent un objectif de protection de la santé publique, ces mesures exceptionnelles, temporaires et limitées à la mesure strictement nécessaire pour répondre à une catastrophe sanitaire et à ses conséquences, se rattachent à la garantie des libertés publiques et ne relèvent donc pas de la compétence de la Nouvelle-Calédonie ».
  • 51.
    En étendant à la Nouvelle-Calédonie certaines mesures réglementaires « pour mettre fin à la catastrophe sanitaire, le législateur n’a visé que les mesures qui, parce qu’elles concernent l’ordre public ou les garanties des libertés publiques, relèvent de la compétence de l’État. Cette extension est donc sans incidence sur les compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé ».
  • 52.
    La décision n° 2020-869 QPC (§ 5) cite entre guillemets ce « principe de non-intervention de l’État dans les domaines de compétence transférés à la Nouvelle-Calédonie » (tiré de l’article 77 de la Constitution et du préambule de l’accord de Nouméa) et (du seul Accord) ce « principe de l’irréversibilité de l’organisation politique découlant de l’accord de Nouméa ».
  • 53.
    Outre le principe d’égalité devant la loi, qui servira seul à la censure, ils arguaient ensuite d’une contrariété « à la liberté syndicale, à la liberté personnelle, à la garantie des droits, à la liberté contractuelle, à la liberté d’entreprendre des syndicats ».
  • 54.
    Ceci était un acquis du printemps (Cons. const., 17 juin 2020, n° 2020-849 QPC) : V. « Chronique de QPC (janvier-juin 2020) », Actu-Juridique, 12 juill. 2021, n° 000p6.
  • 55.
    Relatives à la diffamation d’un « candidat à l’élection », les dispositions contestées de l’article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sont « applicables aux élections politiques, mais aussi, notamment, aux élections professionnelles ».
  • 56.
    « La liberté d’expression revêt une importance particulière dans le débat politique et au cours des campagnes électorales. Elle garantit à la fois l’information de chacun et la défense de toutes les opinions mais prémunit aussi contre les conséquences des abus commis sur son fondement en permettant d’y répondre et de les dénoncer, notamment en cas de diffamation ». Ces phrases figuraient déjà dans la décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018.
  • 57.
    La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (JO, 4 avr. 2021, texte n°52) a parlé d’« alignement » de l’analyse du Conseil constitutionnel sur celle de la Cour européenne des droits de l’Homme.
  • 58.
    Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC.
  • 59.
    C’est le recours dit Tarn-et-Garonne (CE, ass., 4 avr. 2014, n° 358994), que la Cour de cassation citait elle-même dans son arrêt de renvoi, tout comme la décision du Conseil constitutionnel dans ses visas.
  • 60.
    Dès lors que la formule ne saurait ici signifier « hors sujet » (comme dans la décision n° 2020-861 QPC du 15 octobre 2020, § 14, où est évoquée une « définition [qui] relève en tout état de cause du pouvoir réglementaire »), elle implique que le juge réserve sa réponse. Mais faut-il nécessairement qu’il ne songe qu’au législateur ?
  • 61.
    V. « Chronique de QPC (janvier-juin 2019) », LPA 3 août 2020, n° 151j4, p. 23. Le Conseil constitutionnel aurait pu l’objecter au requérant, qui contestait le verbe « peut » comme si la loi disposait « doit », dans la décision n° 2020-865 QPC du 19 novembre 2020, relative à la défense commune d’une personne morale et de son représentant légal tous deux pénalement poursuivis.
  • 62.
    V. les décisions nos 2002-461 DC, 2010-604 DC, 2018-773 DC, 2012-239 QPC et 2015-489 QPC, 2016-542 QPC, 2018-710 QPC, 2019-810 QPC ; la décision n° 2020-861 QPC du 15 octobre 2020 l’avait évacué sans motivation (§ 32).
  • 63.
    V. Cons. const., 8 oct. 2014, n° 2014-418 QPC, pour une amende fiscale (en même temps que l’atteinte au droit de propriété), et Cons. const., 22 sept. 2015, n° 2015-484 QPC, pour la fraude au covoiturage.
  • 64.
    Cons. const., 9 sept. 2020, n° 2020-855 QPC (droit au recours) et Cons. const., 18 sept. 2020, n° 2020-856 QPC (égalité devant la loi) ; la quatrième est la décision n° 2020-865 QPC. On pourrait ajouter la censure partielle de la décision n° 2020-868 QPC puisque le Conseil y dissocie les griefs et les dispositions contestées.
  • 65.
    On sait qu’avec le contrôle a posteriori le Conseil constitutionnel a fait jouer l’article 2 de la Déclaration de 1789, l’article 17 étant réservé à la « privation » du droit de propriété : la décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020 précise que n’entre pas dans son champ d’application la démolition d’une construction irrégulièrement édifiée. Fondée sur l’article 2 et l’« atteinte » au droit de propriété (qui est une opération de qualification juridique liée à la balance des intérêts en présence), la réserve d’interprétation oblige le juge judiciaire à n’autoriser la démolition de l’ouvrage que s’il ne peut ordonner à la place une mise en conformité acceptée par le propriétaire.
  • 66.
    On se rappelle que, depuis la décision n° 2019-828/829 QPC du 28 février 2020, le Conseil constitutionnel achève sa synthèse de la portée de l’article 62 (dans la rubrique finale intitulée, s’il y a lieu, « Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité ») par la phrase : « Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières ». La responsabilité est donc bien le principe.
  • 67.
    « En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution, en ce qu’elle ferait obstacle à la remise en liberté des personnes placées en détention provisoire lorsque cette détention n’est plus justifiée ou excède un délai raisonnable, entraînerait des conséquences manifestement excessives. »
  • 68.
    Parce que remettre en cause « l’ensemble des prélèvements » opérés sur la dotation d’intercommunalité depuis 2018 (ce que la communauté de communes requérante ne demandait pas, que l’on sache) aurait « des conséquences manifestement excessives » (ce que l’on peut entendre)… Est plus subtil le fait que les dispositions en cause en l’espèce ne soient « plus en vigueur » : il caractérise, au fond, une disposition (codifiée) non renvoyée par le Conseil d’État que perpétuait l’article de la loi de finances ultérieure (non codifié) déclaré inconstitutionnel.
  • 69.
    « En vertu de la mission de contrôle de la régularité des élections des députés et des sénateurs qui lui est conférée par l’article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel peut exceptionnellement statuer sur les requêtes mettant en cause des élections à venir, dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle de l’élection des députés et des sénateurs, vicierait le déroulement général des opérations électorales ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics » : la formule – le sésame – vaut, mutatis mutandis, pour l’élection présidentielle ou les référendums nationaux.
  • 70.
    P. Mouzet, « Le Conseil constitutionnel, juge électoral de la constitutionnalité » (à propos de la décision Hauchemaille et autres du 15 avril 2002), LPA 22 août 2003, p. 3.
  • 71.
    C. Jamin, « Vous avez dit rigueur ? », édito, JCP G 2021, 480.
  • 72.
    La crise sanitaire a entraîné une chute du nombre de détenus de 13 649. V. P. Januel, « Première évaluation des impacts de la crise Covid sur la justice et la prison », Dalloz actualité, 5 juin 2020.
  • 73.
    R. Parizot, « La détention provisoire face aux urgences sanitaires », RSC 2020, p. 690.
  • 74.
    CE, réf., 3 avr. 2020, n° 439894 ; CE, réf., 3 avr. 2020, n° 439877. V. J.-B. Perrier, « La prorogation de la détention provisoire, de plein droit et hors du droit », Dalloz actualité, 9 avr. 2020.
  • 75.
    Dès lors que l’ordonnance fait l’objet d’une loi la ratifiant, elle prend valeur législative au sens de l’article 61-1 (§ 11).
  • 76.
    CE, 5 mars 2021, n° 440037.
  • 77.
    A. Maron et M. Haas, obs. sous Cass. crim., 15 déc. 2020, n° 20-85461 : Dr. pén. 2021, n° 3, comm. 57.
  • 78.
    CEDH, 30 janv. 2020, n° 9671/15, JMB c/ France. V. D. Roets, « Les conditions de détention en France dans le collimateur de la Cour européenne des droits de l’Homme : coup de tonnerre ou coup d’épée dans l’eau ? », RTDH 2020, p. 729 ; M. Afroukh et J.-P. Marguénaud, « Entente des juges contre l’indignité des conditions de détention provisoire : l’avènement de l’arrêt pilote dialogué ? », D. 2021, p. 432. Adde CEDH, 19 nov. 2020, n° 25338/16, Barbotin c/ France ; JCP G 2021, 129, note L. Milano.
  • 79.
    Cass. crim., 8 juill. 2020, n° 20-81731 ; Cass. crim., 8 juill. 2020, n° 20-81739 (v. pts 21, 22 et 23).
  • 80.
    Cass. crim., 14 mai 2019, n° 19-81408 : Gaz. Pal. 3 Sept. 2019, n° 358r4, p. 57, obs. F. Fourment.
  • 81.
    A. Maron, « Constitution first, ou les seconds seront les premiers », Dr. pén. 2020, n° 11, comm. 193.
  • 82.
    Cass. crim., 15 déc. 2020, n° 20-85461, pt 10.
  • 83.
    Pour les premiers commentaires de cette loi, v. M. Giacopelli, « La garantie du droit au respect de la dignité en détention : vers un recours effectif ? », JCP G 2021, 458 ; E. Senna, « Le volet procédural de l’indignité des conditions de détention », D. 2021, p. 977.
  • 84.
    Cons. const., 10 févr. 2012, n° 2011-219 QPC.
  • 85.
    Le caractère prioritaire de la QPC produit d’ailleurs une conséquence qui peut paraître assez inattendue (point 10 de la décision) : bien que soit maintenu – hors du champ de la QPC – le principe d’une soumission de l’ordonnance non ratifiée au régime des actes réglementaires et donc permis un contrôle de conventionnalité à ce titre, le Conseil d’État saisi par voie d’action contre l’ordonnance non ratifiée ne pourra pas se dispenser de se prononcer d’abord sur une QPC dans le cas précis où cette QPC est en concurrence avec des moyens d’inconventionnalité. En effet, la procédure QPC prévoit alors la priorité de la QPC sur le contrôle de conventionnalité. Or il faut bien avouer que cette priorité a été pensée par référence au contrôle de conventionnalité de la loi…
  • 86.
    Les articles L. 480-13 et L. 480-14 priment sur l’article 1240 du Code civil : par exemple, Cass. 3e civ., 21 mars 2019, n° 18-13288.
  • 87.
    L’action civile doit être engagée dans un délai de 2 ans à compter de la décision définitive du juge administratif et la construction doit être située dans une zone énumérée à l’article L. 480-13 depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques qui a modifié cet article. Ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel dans une décision du 10 novembre 2017, n° 2017-672 QPC.
  • 88.
    Cass. 3e civ., 16 mai 2019, n° 17-31757.
  • 89.
    TA Besançon, 15 janv. 2019, n° 1702242.
  • 90.
    CA Paris, 10 nov. 2017, n° 15/200013 ; Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n° 17-31177.
  • 91.
    CE, 29 mai 2020, n° 436834.
  • 92.
    CEDH, 23 sept. 1982, n° 7151/75 ; CEDH, 23 sept. 1982, n° 7152/75.
  • 93.
    CE, 17 févr. 2011, n° 344445.
  • 94.
    Cass. 3e civ., 10 oct. 2013, n° 13-19778.
  • 95.
    Considérant de principe posé par la décision du Conseil constitutionnel du 12 novembre 2010, n° 2010-60 QPC.
  • 96.
    Cass. crim., 5 déc. 2017, n° 16-87267.
  • 97.
    Notamment sursis à statuer rendu obligatoire par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite loi ELAN lorsque les vices sont régularisables par une « mesure de régularisation », aux conditions moins strictes qu’un permis modificatif.
  • 98.
    CE, avis, 2 oct. 2020, n° 428318 qui étend encore un peu plus la possibilité de régulariser une autorisation d’urbanisme en cours d’instance.
  • 99.
    Élise Carpentier, « Le droit de l’urbanisme aléatoire dans les prétoires (de la limitation des recours au contrôle de la proportionnalité) », RDI 2020, p. 20.
  • 100.
    A. Carton et M. Pouramède « L’obligation de démolition », RDI 2020, p. 647.
  • 101.
    Par ex., pour une application à l’article L. 480-14 : Cass. 3e civ., 13 févr. 2020, n° 19-16299.
  • 102.
    Cons. const., 29 juin 2012, n° 2012-255/265 QPC.
  • 103.
    Cons. const., 19 avr. 2013, n° 2013-305/306/307 QPC ; Cons. const., 8 juin 2018, n° 2018-711 QPC.
  • 104.
    Cons. const., 14 juin 2013, n° 2013-323 QPC ; Cons. const., 6 juin 2014, n° 2014-397 QPC.
  • 105.
    L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018.
  • 106.
    L. n° 2016-917, 29 déc. 2016.
  • 107.
    CE, 29 juill. 2020, n° 436586.
  • 108.
    Cons. const., 31 juill. 2020, n° 2020-854 QPC.
  • 109.
    Cons. const., 25 juill. 2019, n° 2019-787 DC ; Cons. const., 27 déc. 2019, n° 2019-796 DC.
  • 110.
    V. A. Zarka et N. Maggi-Germain, « Controverse : L’importation des techniques du droit du travail en droit de la fonction publique : vices ou vertus ? », RDT 2020, p. 302 ; E. Aubin, L’essentiel du droit de la fonction publique, 2020, Lextenso.
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