De l’incompatibilité des mandats parlementaires avec des mandats locaux lyonnais
Une récente décision du Conseil constitutionnel donne un éclairage nouveau sur le régime des incompatibilités entre un mandat de parlementaire et un mandat local, en l’occurrence celui de conseiller métropolitain de Lyon. L’intérêt de cette décision est de statuer non pas sur un texte de droit positif mais sur une lacune du droit électoral.
Cons. const., 1er déc. 2023, no 2023-1073
La métropole de Lyon, une métropole au statut unique
Pour bien prendre la mesure de la décision ci-dessus référencée, il faut rappeler le contexte tout à fait singulier de la création à compter du 1er janvier 2015 de la métropole de Lyon, collectivité territoriale à statut particulier. Conformément à l’article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales nouvelles sont créées par la loi. Il y a une dizaine d’années, à la suite de l’élection de François Hollande en 2012, un débat politique avait fait fureur quant au régime à réserver aux futures métropoles. Il en est ressorti un régime complexe défini par le Code général des collectivités territoriales parmi lesquelles se distinguent notamment les métropoles d’Aix-Marseille-Provence et du Grand Paris1. Ces métropoles demeurent fondamentalement des établissements publics locaux, c’est-à-dire des regroupements de communes. Le conseil de chaque métropole regroupe donc des représentants de chaque commune. En d’autres termes, chaque assemblée métropolitaine est élue dans le cadre d’autant de circonscriptions électorales qu’elle comporte de communes, quelles que soient les populations respectives de celles-ci.
C’est pour contourner cet obstacle que le maire de Lyon d’alors, feu Gérard Collomb, avait fermement contribué à faire franchir le pas pour celle de Lyon. Ériger en collectivité territoriale à part entière l’ancienne communauté urbaine de Lyon, appelée couramment COURLY, dont les limites dataient de 1966, permettait de définir la composition du conseil métropolitain en s’affranchissant (du moins dans une certaine mesure) du découpage communal. Les débats parlementaires s’étant révélés plus houleux que prévus, il a été décidé de fixer le régime électoral de la future métropole par voie d’ordonnance prise en application de l’article 38 de la Constitution2. Ce qui fut fait par l’ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 2014, relative à l’élection des conseillers métropolitains de Lyon, elle-même ratifiée par la loi n° 2015-816 du 6 juillet 20153.
La place du mandat nouveau dans le droit électoral
Cette collectivité comporte la particularité d’absorber les compétences de l’ancien département du Rhône en tant que collectivité départementale sur l’emprise territoriale de la métropole, déjà fixée antérieurement comme il vient d’être précisé. De sorte que, au département du Rhône, circonscription de l’État avec sa préfecture à Lyon, correspondent deux entités départementales décentralisées :
• d’une part, la métropole de Lyon, soit géographiquement et démographiquement environ les deux tiers de cette circonscription étatique, avec son conseil métropolitain ;
• d’autre part, le département du Rhône stricto sensu avec son conseil départemental de droit commun qui correspond au tiers restant.
On observera que le cas inverse existe également : la Corse, collectivité territoriale particulière, ne comporte plus de conseils départementaux depuis 2018 mais son territoire est réparti entre deux circonscriptions de l’État, Corse du Sud et Haute-Corse, chacune dotée d’une préfecture située respectivement à Ajaccio et à Bastia. De même, depuis 2021, le conseil départemental de la collectivité européenne d’Alsace est une assemblée départementale unique relevant de deux préfectures, Bas-Rhin et Haut-Rhin, situées respectivement à Strasbourg et à Colmar.
Cette complexité n’est pas sans répercussion sur la légistique électorale. L’usage s’est en effet établi, lorsqu’il s’agit de modifier un régime électoral, de procéder par voie énumérative, en déterminant les règles propres à chaque type de mandat électoral concerné puis en harmonisant en tant que de besoin les règles qui concernent simultanément plusieurs autres mandats. Par exemple, la loi qui instaure l’obligation de souscrire une déclaration manuscrite pour se porter candidat4 prévoit un ensemble de mesures nouvelles avec autant de variantes qu’il existe de régimes électoraux. Cette technique permet certes d’adapter une règle générale nouvelle à chaque type de scrutin mais souffre parfois quelques défaillances. Ainsi, la loi relative au Défenseur des droits5 énumère les mandats auxquels celui-ci ne peut se porter candidat mais en omet fâcheusement une partie (assemblées de Corse, d’outre-mer, etc.).
Dans le cas du conseil métropolitain de Lyon, le contenu de l’ordonnance encadré par l’article 39 de la loi précitée du 27 janvier 2014 ne pouvait prévoir de dispositions que pour le régime électoral de l’assemblée métropolitaine. Dans la mesure du possible, il a été renvoyé au régime électoral des conseillers départementaux avec une imposante grille de lecture puisque ce dernier repose non sur un scrutin de liste mais sur un scrutin binominal6.
Les lacunes du dispositif défini par ordonnance
Dans le droit électoral, certaines règles propres à un mandat peuvent comporter des conséquences dans un autre régime électoral. En principe, le législateur s’efforce de prévoir des dispositions de coordination propres à harmoniser le droit applicable dans son ensemble, ce que le cadre limité de l’ordonnance ne permettait pas de définir avec suffisamment d’ampleur. C’est le cas particulièrement des règles d’inéligibilité et d’incompatibilité entre mandats pour lesquelles il aurait fallu prévoir un dispositif complémentaire dans d’autres parties du Code électoral. On a pu toutefois compléter l’article L. 46-1 énumérant les mandats électoraux locaux incompatibles, ce qui demeurait à la fois du domaine de la loi ordinaire et accessible par le biais de l’ordonnance. Mais d’autres dispositifs complémentaires n’ont pu être harmonisés.
Par exemple, la liste des fonctions départementales ou régionales empêchant de se porter candidat à une élection municipale est définie au 8° de l’article L. 231 du Code électoral (directeur général ou directeur général adjoint des services, directeur ou directeur adjoint des services, directeur de cabinet, etc.), y compris pour les collectivités de Corse, Martinique ou Guyane, mais la mention de la métropole de Lyon est absente. Il en va de même pour les élections législatives7.
Le cas le plus flagrant a concerné la composition du collège électoral sénatorial rhodanien. Les conseillers métropolitains de Lyon, bien qu’élus locaux, n’étaient pas mentionnés dans la liste des électeurs sénatoriaux du Rhône. Une loi particulière ultérieure8 a dû remédier à cette défaillance. On observera à cet égard que le Code électoral aborde différemment la coexistence des deux entités départementales décentralisées et d’une seule circonscription de l’État. Par exemple, la composition des listes de candidats au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes prévoit une représentation distincte de la métropole et du département rhodanien9. En revanche, les sénateurs sont élus par un collège électoral unique désigné dans le cadre de la circonscription de l’État (l’ancien département du Rhône).
Le régime des inéligibilités et des incompatibilités parlementaires
Conformément au premier alinéa de l’article 25 de la Constitution, le régime des inéligibilités et des incompatibilités parlementaires ressortit au domaine de la loi organique. Il est défini notamment aux articles LO 132, LO 141 et LO 141-1 du Code électoral. En toute rigueur, on l’a vu, il eût fallu apporter des modifications ou précisions à ces dispositions. Comme le rappelle expressément le rapport au président de la République publié en même temps que le texte de l’ordonnance du 19 décembre 201410 et qui en explicite l’économie générale, celui-ci devait être complété par un dispositif de niveau organique ad hoc. Pour des raisons multiples, il ne l’a jamais été, faute d’un support législatif adéquat. Toutefois, cette défaillance, pour regrettable qu’elle puisse apparaître en termes strictement légistiques, n’a pas partout les mêmes effets.
Ainsi, l’article LO 132 rend inéligibles les titulaires de certaines fonctions occupées dans une collectivité décentralisée. Au 20°, il s’agit des directeurs généraux, directeurs généraux adjoints, directeurs, directeurs adjoints et chefs de service du conseil régional, de la collectivité territoriale de Corse, du conseil départemental, des communes de plus de 20 000 habitants, des communautés de communes de plus de 20 000 habitants, des communautés d’agglomération, des communautés urbaines et des métropoles. Au 22°, il s’agit des membres du cabinet du président du conseil régional, du président de l’Assemblée de Corse, du président du conseil exécutif de Corse, du président du conseil départemental, des maires des communes de plus de 20 000 habitants, des présidents des communautés de communes de plus de 20 000 habitants, des présidents des communautés d’agglomération, des présidents des communautés urbaines et des présidents des métropoles.
La formulation demeure ambiguë. Si une mention spéciale est faite concernant la collectivité de Corse, il n’y est pas question de celles de Martinique ou de Guyane. Les métropoles sont expressément mentionnées mais il s’agit manifestement des établissements publics territoriaux. Faut-il penser que cette mention suffirait à inclure la métropole de Lyon, par assimilation par ailleurs aux départements de droit commun ? Ou faut-il s’en tenir à l’interprétation stricte des textes qui prévaut d’une manière générale en matière d’inéligibilité et donc l’exclure ?
L’article LO 141-1 définit les incompatibilités entre un mandat parlementaire et une fonction élective de l’exécutif d’une collectivité territoriale (maire, président de conseil régional, départemental, etc.). Ni le président, ni le vice-président du conseil métropolitain de Lyon ne figurent expressément dans cette liste. Mais une rédaction fort opportune du 12° de l’article, en mentionnant les fonctions de président et de vice-président de « l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi », ce qui inclut manifestement la métropole de Lyon, dispense d’une énumération trop fastidieuse.
Le cas particulier des limites de cumul de mandats
Les règles générales limitant le cumul des mandats dont le régime ressortit à la loi ordinaire ressortissent également à la loi ordinaire selon le schéma suivant : pas plus de deux mandats locaux différents, comme le prévoit l’article L. 46-1 du Code électoral, dûment complété par l’ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 2014, qui tient compte de l’existence du nouveau mandat métropolitain de Lyon. Le dispositif correspondant pour les parlementaires figure, sous la forme organique, à l’article LO 141 du Code électoral avec un libellé un peu différent. Le mandat de député (et de sénateur également, les incompatibilités étant les mêmes11) est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats énumérés ci-après : conseiller régional, conseiller à l’Assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller à l’assemblée de Guyane, conseiller à l’assemblée de Martinique, conseiller municipal d’une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du livre Ier du Code électoral.
Outre la spécificité juridique mentionnée, depuis 2014, les parlementaires se sont donc reconnu une petite faveur supplémentaire s’agissant des mandats dans les plus petites communes. Si la règle générale est bien d’un cumul limité à deux mandats, parlementaire et un mandat local avec la déclinaison de rigueur pour les collectivités à statut particulier (Paris, Corse, outre-mer, etc.), un troisième mandat peut être exercé s’il s’agit de celui de conseiller municipal dans une commune comportant moins de 1 000 habitants. De telles communes, sans en constituer la majorité, existent sur le territoire de la métropole de Lyon.
Mais évidemment il n’est pas question, pour toutes les raisons énumérées précédemment, du mandat de conseiller métropolitain de Lyon. Il en résulte une situation lacunaire qui conduit, par défaut, à établir manifestement une inégalité de traitement entre les élus métropolitains et les conseillers départementaux rhodaniens.
Comment traiter les lacunes du droit électoral ? Le précédent de l’assemblée de Corse
Ce contexte n’est pas tout à fait sans précédent. Ainsi, à l’occasion de l’adoption d’une des lois modifiant de façon récurrente le régime des élections régionales12, le législateur n’avait pas étendu aux élections à l’assemblée de Corse le régime de parité rigoureuse (un candidat/une candidate ou l’inverse) qui devait prévaloir pour les plus proches élections régionales à venir. Le Conseil constitutionnel, saisi par un très grand nombre de parlementaires, avait souligné dans sa décision13 que rien ne justifiait pareille omission, car, « compte tenu de leurs compétences, de leur place dans l’organisation décentralisée de la République et de leurs règles de composition et de fonctionnement, l’Assemblée de Corse et les conseils régionaux ne se trouvent pas dans une situation différente au regard de l’objectif [de parité] » ; « aucune particularité locale, ni aucune raison d’intérêt général, ne justifie la différence de traitement en cause ». Il en a toutefois tiré une conclusion originale : la censure des nouvelles dispositions de l’article L. 346 du Code électoral « méconnaîtrait la volonté du constituant de voir la loi favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». En conséquence, l’article 9 de la loi déférée ne pouvant être déclaré contraire à la Constitution, il appartiendra « à la prochaine loi relative à l’Assemblée de Corse de mettre fin à cette inégalité ».
Le législateur a bien compris le message et a rapidement corrigé cette lacune14.
Le précédent de la fonction de maire de Lyon
Dans un contexte plus polémique, lors de la création par la loi15 de la métropole de Lyon à compter du 1er janvier 2015, l’assemblée métropolitaine devait être renouvelée en même temps que les plus proches élections municipales, qui ont eu lieu en effet en 2020. Entre-temps, le conseil métropolitain était constitué avec ses compétences nouvelles par le conseil communautaire tel que les élections municipales de mars 2014 l’avaient désigné, c’est-à-dire par la somme de toutes les élections municipales de la COURLY. Or, le maire de Lyon d’alors aurait bien voulu non seulement être candidat à la présidence du conseil de la métropole mais aussi (et surtout !) conserver par la suite son mandat à la tête de la municipalité de Lyon. La loi avait donc, dans les dispositions qui introduisaient la métropole de Lyon dans le Code général des collectivités territoriales16, prévu un article L. 3631-8 définissant le régime des incompatibilités du président du conseil de la métropole rédigé sur le modèle de celui des présidents de conseil départemental17 mais omettant discrètement de la liste la fonction de maire.
L’affaire, quelque peu cousue de fil blanc, n’avait pas échappé aux parlementaires rhodaniens. Cette disposition de la loi a donc été déférée à l’examen du Conseil constitutionnel. La position de ce dernier s’est montrée pragmatique, voire compréhensive18. Il a bien admis la rupture d’égalité mais il en a fixé l’effet non pas dans l’immédiat mais au moment du renouvellement de l’assemblée métropolitaine dans son nouveau régime. D’une part, « le législateur pouvait, à titre transitoire et afin de permettre la mise en place des institutions de la métropole de Lyon, ne pas prévoir d’incompatibilité entre les fonctions de président du conseil de cette métropole et celles de maire ». Mais, d’autre part, il ne pouvait, « sans méconnaître le principe d’égalité, et en l’absence de toute différence de situation pouvant justifier une différence de traitement au regard de l’objectif poursuivi par les règles prévues aux articles (…) du Code général des collectivités territoriales sur l’interdiction de cumul de fonctions exécutives locales, prévoir de façon pérenne que les fonctions de maire ne sont pas incompatibles avec celles de président du conseil de la métropole de Lyon ».
Dès lors, les dispositions introduites dans le Code général des collectivités territoriales « ne sauraient être interprétées comme autorisant, à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux suivant la création de la métropole de Lyon, le cumul des fonctions de président du conseil de cette métropole et de maire ». Sous cette réserve applicable à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux suivant la création de la métropole de Lyon, c’est-à-dire en 2020, les dispositions contestées ne sont pas contraires à la Constitution.
Le maire de Lyon, s’il est resté provisoirement à la tête des deux assemblées, a vu par la suite ses projets réduits à néant sans que le juge constitutionnel y soit pour rien. À la différence du cas précédemment examiné de l’assemblée de Corse, à ce jour, le législateur n’a pas cru devoir modifier la rédaction de l’article L. 3631-8 du Code général des collectivités territoriales, ce qui constitue une source d’ambiguïté bien fâcheuse.
Comment contester une disposition organique déjà promulguée ?
Dans le cas précis de la métropole de Lyon, dès lors que l’article LO 141 avait été modifié relativement récemment, on pouvait s’interroger sur la pertinence de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) car, comme le rappelle le Conseil dans sa décision, en application de l’article 46 de la Constitution, ses dernières modifications ont dû être jugées conformes à la Constitution pour être promulguées. Quid toutefois d’une absence de texte ?
En l’occurrence, les deux dernières dispositions modifiant cet article LO 141 ont été :
• d’une part, la loi organique n° 2013-402 du 17 mai 201319 qui se borne à harmoniser les règles d’incompatibilités du mandat parlementaire avec un mandat municipal en fonction d’un seuil démographique nouveau défini par une loi ordinaire du même jour et à remplacer l’appellation de conseil général par celle de conseiller départemental, prévue par cette même loi ordinaire ;
• d’autre part, par la loi organique n° 2014-125 du 14 février 201420, qui a modifié d’autres dispositions voisines dont l’article LO 141-1 et, s’agissant de l’article LO 141, uniquement pour le compléter par des dispositions indemnitaires étrangères à la question posée.
Le litige, tel qu’il résulte de la saisine du Conseil constitutionnel par le Conseil d’État, portait sur le refus opposé à deux élus par la préfète du Rhône à leur demande de prononcer la démission d’office d’un troisième élu, député, conseiller métropolitain et conseiller municipal. D’un strict point de vue juridique, il aurait été hasardeux pour la représentante de l’État de déférer favorablement à ces demandes, faute manifestement de base légale suffisante pour le faire. Mais comment alors aborder cette contestation ?
D’une part, l’article LO 141 tel qu’il est rédigé actuellement a bien été jugé conforme à la Constitution à chaque modification apportée21. D’autre part, cependant, l’angle d’attaque a porté par défaut sur la mention du conseiller départemental en tant qu’elle n’était pas suivie du mandat nouveau de conseiller métropolitain de Lyon. C’est sur le terrain, qui en découle logiquement, de l’inégalité de traitement entre ces deux mandats que la QPC a été admise par le Conseil d’État. Il est toutefois évident que ce n’est pas le mandat de conseiller départemental qui est en cause mais bien celui qui lui est assimilé par la loi et qui fait défaut. Au surplus, il s’agit d’un régime d’incompatibilité n’emportant donc, comme le Code électoral le rappelle à diverses occasions, aucune sanction électorale, en particulier aucune inéligibilité.
Il n’est pas contesté qu’une légistique plus rigoureuse aurait dû combler la lacune. Au surplus, comme le rappelle la décision du Conseil, le régime électoral métropolitain de Lyon est bâti par renvoi sur l’assise du régime électoral départemental, comme d’ailleurs la plupart des autres régimes électoraux particuliers le sont soit sur le canevas municipal (conseil de Paris), soit sur le canevas régional (assemblées de Corse et d’outre-mer).
L’exception du changement des circonstances
C’est aussi bien le changement de circonstances qui rend la QPC recevable22 : elle ne doit pas avoir été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, « sauf changement des circonstances ». Il est manifeste que le contexte électoral local rhodanien a été bouleversé par la création de la nouvelle collectivité territoriale, postérieurement aux précédentes déclarations de conformité du Conseil constitutionnel qui, au demeurant, statuaient sur d’autres dispositions contestées du même article.
L’adaptation d’une jurisprudence antérieure due à un changement de circonstances, pour être rare, n’est pas inusitée. Il s’agit d’ailleurs la plupart du temps également de tenir compte d’interventions ultérieures du législateur. Pour que cette exception joue, il convient que le saisissant, Conseil d’État23 ou Cour de cassation, le constate et accepte que la QPC soit transmise au Conseil constitutionnel alors même que celui-ci a déjà déclaré la disposition législative contestée conforme à la Constitution.
Il s’agit donc d’une situation exceptionnelle qui s’est d’ailleurs déjà rencontrée dès les premiers mois d’application de la QPC. À propos du régime de droit commun de la garde à vue, bien qu’il ait24 antérieurement déclaré conformes à la Constitution diverses modifications apportées au Code de procédure pénale, à la suite de plusieurs renvois de la Cour de cassation, il a estimé qu’il y avait eu, depuis lors, un changement des circonstances lui permettant de statuer à nouveau sur leur conformité à la Constitution25. Ce changement provenait d’une évolution des règles et des pratiques de la garde à vue ayant contribué à un recours accru à cette procédure, y compris pour des infractions mineures.
Encore faut-il que la modification visant les dispositions antérieurement jugées conformes à la Constitution ait une portée ni trop limitée, ni trop forte. En l’occurrence, la décision n’affecte pas matériellement l’objet de la norme en cause : aucune des dispositions contenues dans l’article LO 141 n’est déclarée contraire à la Constitution. Au surplus, le changement comporte bien une incidence directe sur la solution du litige.
La portée de la réserve d’interprétation
Seulement, évidemment, il est difficile pour le Conseil dans son dispositif d’annuler une absence de texte, tout en la censurant. La technique de la réserve d’interprétation permet de contourner cette difficulté en statuant pour l’avenir tout en dénouant le litige. On voit mal quelle autre issue aurait pu être réservée à ce cas de figure, sauf à admettre le rejet pur et simple.
Il n’en demeure finalement pas moins que les requérants ont tout de même obtenu satisfaction, à savoir que, sans pour autant qu’aucune annulation de texte soit prononcée, le Conseil mette fin à une situation de fait de manière claire. Au moins en droit.
En effet, si les exemples précédemment mentionnés étaient limités dans le temps ou à un scrutin, le cas de figure de parlementaires rhodaniens en situation de cumul pourrait se multiplier. Certes, il appartiendrait à l’autorité administrative de mettre fin au mandat excédentaire dans les conditions prévues pour les mandats départementaux. Elle le ferait alors sur le seul fondement de la décision du Conseil. Toutefois, il y a lieu de préciser que la version de l’article LO 141 qui figure sur Légifrance fait apparaître les références de la décision du Conseil qui peuvent, sous cette forme approximative, valoir comme une modification apportée de facto au texte.
Certes, il serait de bonne administration que le législateur organique corrige sans délai cette malfaçon du droit mais le fera-t-il ? Ou, plus exactement, ne se prévaudra-t-il pas de la lourdeur de la procédure pour rechercher un support législatif approprié qui risque de s’avérer bien tardif ?
Gomme, colle, crayon, pinceau…
Cette décision fait penser à une formule attribuée au doyen Vedel, ancien membre éminent du Conseil constitutionnel, selon laquelle le Conseil peut manier la gomme mais pas le crayon. A-t-il vraiment prononcé cet aphorisme sous cette forme exacte ? C’est ce qu’a affirmé le président Badinter, qui l’a peut-être entendu, en séance ou ailleurs, et qu’il a ainsi rapporté lors de l’hommage funèbre au doyen prononcé en 2002. Depuis, tout le monde le répète sous cette forme, tant il est vrai que la formule est à la fois pertinente et plaisante. Pourtant, maintenant que les procès-verbaux des anciennes séances du Conseil sont rendus accessibles au public, il apparaît que le doyen Vedel a fait mention d’autres instruments lors du délibéré de la décision n° 87-230 DC du 28 juillet 198726. Si l’on en croit le procès-verbal27 de séance, la formulation exacte est la suivante : « Nous n’avons droit qu’à la gomme et non à la colle ». Voilà qui annonçait, peut-être inconsciemment, l’actuel copier/coller. On peut aussi, dans le cas d’espèce, ajouter que, parfois, le Conseil ne s’interdit pas non plus de manier le pinceau du peintre qui se bornerait à prolonger une ligne manquante dans un tableau.
Voilà bien des instruments ordinaires pour statuer sur la conformité à la Constitution !
Notes de bas de pages
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1.
CGCT, art. L. 5217-1 et s.
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2.
L. n° 2014-58, 27 janv. 2014, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, art. 39, 3°.
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3.
Devenues l’une et l’autre les articles L. 224-1 et suivants du Code électoral.
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4.
L. n° 2018-51, 31 janv. 2018, relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections.
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5.
LO n° 2011-333, 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits, art. 42.
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6.
C. élect., art. L. 224-8 – C. élect., art. L. 224-10 – C. élect., art. R.117-1-10.
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7.
C. élect., art. LO 132, 20° à 22°.
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8.
L. n° 2019-776, 24 juill. 2019, visant à permettre aux conseillers de la métropole de Lyon de participer aux prochaines élections sénatoriales.
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9.
V. tableau n° 7 annexé au Code électoral (effectif des conseils régionaux et nombre de candidats par section départementale).
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10.
JO, 20 déc. 2014 (in fine).
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11.
C. élect., art. LO 297.
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12.
L. n° 2003-327, 11 avr. 2003, relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques.
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13.
Cons. const., DC, 3 avr. 2003, n° 2003-468, cons. 26 à 28.
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14.
L. n° 2003-1201, 18 déc. 2003, relative à la parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l’élection des membres de l’Assemblée de Corse, art. unique.
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15.
L. n° 2014-58, 27 janv. 2014, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, art. 26 et s., not. 26, 33 et 37.
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16.
CGCT, art. L. 3611-1 et s.
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17.
CGCT, art. L. 3122-3.
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18.
Cons. const., DC, 23 janv. 2014, n° 2013-687, cons. 64.
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19.
LO n° 2013-402, 17 mai 2013, relative à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux.
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20.
LO n° 2014-125, 14 févr. 2014, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
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21.
V. respectivement Cons. const., DC, 16 mai 2013, n° 2013-668, not. cons. 3 – Cons. const., DC, 13 févr. 2014, n° 2014-689.
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22.
Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 23-2, 2°.
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23.
V., en l’occurrence, CE, 9e et 10e ch. réunies, 9 oct. 2023, n° 475884, inédit au recueil Lebon.
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24.
Cons. const., DC, 11 août 1993, n° 93-326.
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25.
Cons. const., QPC, 30 juill. 2010, n° 2010-14/22, cons. 12 et s.
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26.
Cons. const., DC, 28 juill. 1987, n° 87-230 (loi portant diverses mesures d’ordre social).
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27.
https://lext.so/PW3qw4.
Référence : AJU012d7