Élections : à Chatou, des ateliers pour sensibiliser les personnes en situation de handicap intellectuel, au vote
En cette période électorale intense, après les européennes et bientôt les législatives, la municipalité de Chatou a relancé ses ateliers de sensibilisation au vote pour ses habitants concernés par le handicap intellectuel. Une initiative salutaire afin que le plus grand nombre de citoyens puissent s’exprimer à travers le vote.
Depuis 2020, à la mairie d’Arras, Éléonore Laloux est conseillère municipale chargée de l’inclusion et du bonheur. La jeune citoyenne, atteinte de trisomie 21, luttait depuis plusieurs années pour l’intégration des personnes trisomiques dans la société quand le maire d’Arras, Frédéric Leturque, l’a choisie pour figurer sur sa liste. « C’est une élue qui a sa place dans la vie de la cité et qui apporte ses idées », avait expliqué l’élu à nos confrères de TF1. « Je suis utile et j’existe. Je ne suis pas là pour faire la plante verte », avait de son côté confirmé Éléonore Laloux, jeune active indépendante qui vote depuis ses dix-huit ans.
La Convention internationale des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), qui date de 2007 et dont la France est signataire, est claire sur un point : « Tous les citoyens ont le droit de voter, de se présenter aux élections et d’être élus ». Mais il a fallu attendre le vote de l’article 11 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (qui a abrogé l’article L. 5 du Code électoral), pour que toutes les personnes en situation de handicap, quel qu’il soit, quel que soit le degré de dépendance ou le statut juridique (curatelle ou tutelle) a le droit d’exercer son droit de vote. Les personnes en situation de handicap physique, sensoriel ou intellectuel doivent donc désormais être en mesure d’accéder aux bureaux de vote, de comprendre les documents de voter selon leur choix et de garder leur vote secret. Selon la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, elles doivent être en mesure de se présenter seules face au bureau de vote. Le président du bureau de vote doit tout faire pour faciliter le vote des personnes en situation de handicap.
Les personnes sous tutelle ou sous curatelle sont considérées comme des personnes protégées. Si elles ne peuvent pas être élues, elles peuvent voter et ce depuis 2019. Beaucoup ne s’en saisissent pas, parce qu’elles ne connaissent pas ce droit, ou parce que leur entourage ne les accompagnent pas dans ces démarches. Seule contrainte les concernant : si elles ont besoin d’aide dans l’urne ou d’une procuration, ni les tuteurs, ni le personnel soignant ou la famille ne peuvent le faire pour elles. Seul un membre de l’équipe du bureau de vote doit accompagner la personne.
Montrer les lieux, répéter les procédures pour réduire les sensibiliser, encourager et anticiper
Forte de 300 000 nouveaux électeurs, majeurs sous tutelle, il a fallu que la nation sensibilise celles et ceux qui jusqu’à présent n’avaient jamais exercé leur devoir citoyen. Des Kit « Vote et Handicap » ont été distribués aux élus, candidats, collectivités, professionnels du médico-social, citoyens, pour préparer les élections municipales en 2020. Impulsé par le secrétariat d’État chargé des Personnes handicapées et le Comité interministériel du handicap, il a été réalisé par l’association de personnes concernées Handéo. Ainsi que le précise Sophie Cluzel en introduction : « la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice marque une avancée majeure pour les personnes en situation de handicap ou de fragilité : la reconnaissance de leur pleine et entière citoyenneté. Elle abroge l’article L. 5 du Code électoral qui soumettait le droit de vote des personnes en tutelle à une décision du juge ».
Très rapidement (les premières élections – municipales – ont eu lieu en 2020), les associations, les structures de travail adapté ou les lieux de vie ont pris en charge cette éducation à la citoyenneté. Ateliers ou réunions où les programmes sont épluchés en collectif, simulation de votes… chacun y est allé de son exercice. Puis les communes elles-mêmes ont suivi la même voie.
Cas pratique à Chatou
Le 13 mai dernier, dans le foyer d’un gymnase de Chatou (Yvelines), une effervescence peu ordinaire a gagné la pièce. Un isoloir, une urne, des greffiers et des élus : l’illusion était parfaite, à trois semaines du scrutin des élections européennes et à plus d’un mois des législatives. Une soixantaine de personnes en situation de handicap mental ou sujet à des déficiences intellectuelles se sont présentées avec leurs accompagnateurs pour profiter de l’atelier mis en place par la municipalité. Le but : que chaque citoyen – même en situation de tutelle ou curatelle – puisse se saisir de son droit à voter. Un sujet important pour Véronique Fabien Soulé, 9e adjointe auprès du maire de Chatou, déléguée à la Petite enfance, Inclusion, Handicap et la Santé, qui a accepté de revenir sur cette initiative salutaire pour sa commune. « Moi, je suis Française. Je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas voter, s’était indignée une jeune femme, Sabrina, en montrant sa carte d’identité à nos homologues de Libération. Les personnes handicapées sont toujours oubliées. Alors quand je vote, je regarde ce qui est proposé pour nous ! »
« C’est la deuxième fois que nous organisions ces ateliers. La première fois, c’était en 2022 pour les présidentielles. Nous étions dans l’hôtel de ville, un lieu emblématique. Cette année, à cause de travaux, nous l’avons fait dans l’enceinte d’un gymnase déjà utilisé pour les bureaux de vote. Ce qui à mon sens rend la simulation plus percutante encore. » Dans la commune de plus de 30 000 habitants plusieurs structures prennent en charge des personnes déficientes intellectuelles. Il y a l’ESAT des Courlis, les Ateliers d’Avenir Apei, l’IPC-IME de Chatou (qui héberge des 18/20 ans), l’accueil de jour Les Canotiers et la Fondation des Amis de l’Atelier. Ce sont elles qui se sont rapprochées de la commune en prévision de l’élection présidentielle de 2022. « La plupart des personnes qui se sont présentées étaient déjà sensibilisées et votaient pour leurs représentants ou délégués dans leurs structures. Mais la mise en situation, le vote « pour de faux » au-delà du bon moment passé ensemble c’est toujours un moment qui fait du bien. Un moment de cohésion entre élus, travailleurs et élèves. Un moment entre citoyens. Un moment pour comprendre les enjeux aussi : pour cette élection-là, on votait pour une personne et non pour une liste ce qui pouvait être plus simple que dans le cas des élections législatives ou européennes », explique l’adjointe.
Une safe place pour saisir sa citoyenneté
Véronique Fabien-Soulé, préside un bureau de vote à chaque élection et elle doit bien l’admettre : peu de personnes handicapées intellectuelles se pressent dans l’isoloir. « C’est impressionnant, les grandes salles, le monde, ces personnes peuvent être un peu inquiètes, impressionnées par le côté très formel de la procédure comme ne pas oublier sa carte d’identité et sa carte électorale, si elles ne sont pas bien préparées », souligne l’élue. Dans un souci de transparence, la municipalité laisse aux associations le soin de décrypter les programmes « en amorce de l’atelier nous avons organisé des réunions par petits groupes de 15-20 personnes où nous avons présenté le principe de l’élection de listes, le rôle des députés européens à quoi sert le Parlement européen, les décisions qu’il pouvait être amené à prendre concernant l’environnement, la défense par exemple… moi-même j’ai appris des choses ! », précise l’élue.
La municipalité ne tient pas les comptes. Dur de savoir si toutes les personnes qui ont participé aux ateliers glisseront dimanche prochain leur bulletin dans l’urne. « Nous faisons le pari qu’à force de répétitions, de plus en plus de personnes iront voter ou s’organisent pour le faire. Nous réfléchissons à proposer des ateliers similaires auprès d’autres publics, les jeunes par exemple qui sont très touchés par l’abstention », un autre défi attend donc la mairie de Chatou, en attendant cette initiative citoyenne devrait inspirer bien d’autres communes…
Référence : AJU014g2