« Je suis favorable à ce que la primaire reste facultative mais soit constitutionnalisée »
Thomas Clay, président de la Haute autorité des primaires citoyennes et professeur de droit, revient pour les Petites Affiches sur le mode de fonctionnement de la Haute autorité dont il est le président et sur ses statuts.
Les Petites Affiches – Le système choisi pour la « Belle Alliance populaire » distingue la compétence d’organisation du scrutin, qui relève du comité national d’organisation, et celle qui vise à assurer l’équité et le contrôle des résultats, qui incombe à la Haute autorité des primaires citoyennes. Pensez-vous que ce système d’organisation présente plus d’avantages que celui consistant à disposer d’une structure unique, et avez-vous rencontré des difficultés de ce fait ?
Thomas Clay – Je pense que c’est le dispositif adéquat. La Haute autorité des primaires citoyennes est une structure composée de quinze juristes aussi éminents que bénévoles, qui n’a pas la capacité d’organiser un scrutin national de l’ampleur d’une primaire. Le Comité national d’organisation s’appuie, lui, sur les fédérations départementales du Parti socialiste, sur les comités techniques locaux, et sur son réseau de militants. Il faut bien comprendre que l’organisation d’une primaire est une opération gigantesque qui mobilise des dizaines de milliers de personnes, ce que la Haute autorité ne peut pas assurer. J’ajoute qu’il me semble de bonne pratique de dissocier l’organisateur et le contrôleur. Toute chose égale par ailleurs, on ne fait que reproduire là ce qui existe pour les élections républicaines avec le ministère de l’Intérieur pour l’organisation et le Conseil constitutionnel pour le contrôle.
LPA – Vous vous êtes autosaisi de la demande de M. Larrouturou au titre du parti « Nouvelle Donne » après un rejet du comité national et avez formulé une recommandation. La décision de rejet était-elle définitive ?
T. C. – Plus exactement, nous avons indiqué au parti « Nouvelle Donne » que la Haute autorité n’était pas compétente pour se prononcer sur l’intégration des partis candidats à la Belle Alliance populaire, puisqu’il s’agissait d’une décision politique et d’un accord entre partis. Nous avons d’ailleurs bien sûr adopté la même position à l’égard du MRC et du Mouvement des progressistes qui nous avaient fait les mêmes demandes. Il faut bien distinguer la question de la détermination des membres de la Belle Alliance populaire, qui relève du politique, et celle du respect des règles au sein de la Belle Alliance populaire qui relève de la Haute autorité.
Néanmoins, peut-être influencés par le respect du sacro-saint principe du contradictoire, nous avons émis une « recommandation », adressée au Comité national d’organisation des primaires : qu’il entende les représentants des partis qui voulaient participer à la Belle Alliance populaire, de façon à leur laisser la possibilité d’exposer leurs arguments, ce qui a été fait. La décision de refus était sans recours.
LPA – Comment est assurée l’indépendance de ces entités par rapport aux partis présents dans la compétition ?
T. C. – L’indépendance des membres de la Haute autorité est totale. Elle tient d’abord à la formation et à la carrière de ses membres puisque la plupart sont magistrats, universitaires, avocats, etc. Elle tient ensuite à la collégialité. À quinze, il n’est pas possible de se laisser dicter une conduite. D’ailleurs, il n’en a jamais été question. Elle tient encore au bénévolat car c’est un gage de liberté. Nous n’avions d’autres motivations que celle de faire en sorte que la primaire se déroule au mieux. À la moindre anicroche, une démission collective était possible. Elle tient enfin à la communication autonome dans les médias. J’ai tenu à ce que nous puissions avoir à tout moment accès aux médias, ce qui, en cas de problème, était une garantie.
Mais je tiens à insister sur le fait que le Parti socialiste a été très rigoureux sur notre indépendance et n’a jamais tenté d’influer en quoi que ce soit ni notre composition ni notre indépendance.
LPA – Les conditions de candidature vous paraissent-elles satisfaisantes, et considérez-vous que la compétence du juge judiciaire pour trancher les conflits va de soi ?
T. C. – Les délais de recours contre les ordonnances rendues par le président du TGI de Paris, saisis par MM. Gérard Filoche et Fabien Verdier n’étant pas échus, je ne souhaite pas faire de commentaire sur ce point. Je me permets simplement de relever que ces deux décisions d’irrecevabilité comportaient des motifs très sévères à l’égard des requérants.
LPA – À l’inverse des opérations électorales classiques, il n’y a ni circulaires, ni affiches officielles à l’intention des électeurs. Jugez-vous que cela manque ?
T. C. – Plus généralement, je pense que ce qu’il manque est une organisation professionnalisée de la primaire. Je suis convaincu que c’est un progrès considérable pour la démocratie et que cela constitue même la plus grande innovation institutionnelle de ces dernières années. Qu’on en juge : avant les primaires, le président du parti était automatiquement candidat, même s’il avait perdu toutes les élections antérieures, s’il avait échoué ou était grandement impopulaire. Il emmenait son camp à la défaite assurée car il était le chef, et peu importait au fond ses propres électeurs. Ne disait-on pas que celui qui « tenait » l’appareil tenait la candidature ? La défaite de Martine Aubry, premier secrétaire du PS en 2011, avait déjà alerté sur l’obsolescence de cet adage politique. Nicolas Sarkozy n’en a pas tiré les enseignements, croyant que se ressaisir de la présidence de son parti lui permettrait d’être désigné. Il a été éliminé dès le premier tour et François Hollande n’a même pas pu présenter sa candidature. Pour les deux grands partis de gouvernement, on nous avait promis la revanche Hollande-Sarkozy. Ce sera finalement Hamon-Fillon. Tel est l’effet dissolvant de la primaire : d’un aréopage de cadres plus ou moins légitimes, on est passé à une désignation par ses électeurs.
Mais les moyens institutionnels de cette innovation majeure ne sont pas encore réunis. Les listes électorales sont compliquées à obtenir, les lieux pour les bureaux de vote sont rares, certains électeurs, comme les détenus, ou les Français en zone de guerre, ne peuvent pas voter, etc. Sait-on par exemple que certains élus refusent de transmettre les listes électorales ou de mettre les mairies et les écoles à disposition sous les prétextes les plus divers ? On attend de la primaire qu’elle ait l’efficacité d’une élection républicaine classique alors qu’elle ne dispose pas des moyens de l’appareil d’État pour y parvenir. Il faut désormais y tendre. Je suis favorable à ce que, à l’occasion d’une réforme constitutionnelle, la primaire reste facultative mais soit constitutionnalisée.
LPA – Que deviennent les recettes récoltées à l’occasion des primaires ?
T. C. – Elles sont versées au parti organisateur, qui les affecte à la campagne présidentielle.
LPA – Les dépenses exposées à l’occasion des primaires seront-elles imputées au candidat vainqueur ?
T. C. – Uniquement les siennes propres.
LPA – Comment était organisé le contentieux des opérations ? Y a-t-il eu des contestations liées au déroulement des opérations électorales proprement dites ?
T. C. – Aucune contestation ni aucun recours. Cela montre d’ailleurs bien que, pour ce qui concerne la primaire de la Belle Alliance populaire, l’accusation de fraude ou de manipulation opportunément alimentée par certains adversaires de la primaire et complaisamment relayée par de prétendus journalistes ne reposait sur rien. Il y a eu un bug dans la communication des résultats, pas dans les résultats eux-mêmes.
LPA – Considérez-vous que la délibération de la Cnil du 26 janvier 2012 est bien adaptée aux primaires ?
T. C. – La question des fichiers et de la protection des données personnelles est une préoccupation majeure, et la délibération de la Cnil de 2012, ainsi que le dialogue permanent que le Comité d’organisation a eu avec elle, offrent des garanties à la fois indispensables et suffisantes.
LPA – Avez-vous constaté des manquements, même mineurs, à l’équité entre les candidats ? Le CSA a-t-il été saisi et, s’il l’avait été, se situerait-il en « appel » de vos propres décisions ?
T. C. – En tout et pour tout nous avons été saisis quatre fois, pour des questions mineures, dont aucune ne concernait une éventuelle inéquité dans le traitement médiatique des candidatures. Nous avons rendu des avis qui ont été unanimement acceptés, qui sont publics. Le CSA n’a pas été saisi, et il n’est pas, que je sache, instance d’appel de la Haute autorité.
LPA – Quelle appréciation globale portez-vous sur le déroulement des opérations ? Voyez-vous des observations à formuler, des points à modifier ?
T. C. – En ce qui concerne la primaire de la Belle Alliance populaire, elle s’est très bien déroulée : tous les bureaux ont été tenus, nous n’avons enregistré aucune fraude, les résultats sont remontés très vite, les attaques informatiques ont été stoppées, bref rien de ce qu’on peut craindre d’un scrutin comme celui-ci ne s’est produit. Sur un plan plus politique, la participation a été supérieure à ce qu’on pouvait espérer et le résultat est suffisamment ample pour qu’il n’appelle aucune remise en cause. En réalité, en dehors du couac de communication sur les résultats du premier tour, le principal problème que nous avons eu à gérer est une tempête tropicale en Polynésie qui empêchait les électeurs de prendre le bateau pour aller voter.