La déontologie devant le Conseil constitutionnel
Le principe de déontologie apparaît comme un impératif de plus en plus affirmé et contrôlé au sein des institutions privées comme des institutions publiques. Chartes de tous ordres et multiplication des lois dédiées montrent une ligne de fond qui contraste avec la quasi-absence de textes contraignants spécialement consacrés à cette exigence. Le Conseil d’État a ceci de particulier que son vice-président a été désigné par les textes législatifs et réglementaires pour adopter la charte de déontologie devant s’appliquer aux membres de la juridiction administrative. La question de la conformité de ces données aux principes d’indépendance et d’impartialité a été posée devant le Conseil d’État qui a décidé de la renvoyer au Conseil constitutionnel, qui, par une décision laconique, a jugé les dispositions législatives déférées conformes. Cette décision ne clôt pas pour autant la réflexion sur les implications de la charte de déontologie concernée.
Il est piquant d’observer que le Conseil constitutionnel, appelé à statuer sur une question prioritaire de constitutionnalité portant en substance sur un cumul de fonctions du vice-président du Conseil d’État en matière de déontologie, a dû siéger sans un de ses membres, lui-même conseiller d’État, qui a estimé devoir s’abstenir de siéger pour des raisons sans doute de… déontologie1.
La question posée par un requérant devant le Conseil d’État portait sur la circonstance que le vice-président du Conseil d’État a compétence pour établir la charte de déontologie applicable à la juridiction administrative, tout en étant susceptible de siéger dans une formation de jugement pouvant être appelée à apprécier la légalité de la charte en question, et tout en pouvant, selon l’argumentation du requérant, en vertu de ses prérogatives sur les membres du Conseil d’État, exercer une influence sur le sens de la décision, portant ainsi atteinte aux principes inhérents au droit au juge en tant que tel.
Le contexte ayant conduit à une décision du Conseil constitutionnel relative principalement au régime juridique de la charte de déontologie applicable à la juridiction administrative est le suivant. Le vice-président du Conseil d’État a adopté le 14 mars 2017 une nouvelle version de la charte de déontologie de la juridiction administrative, en se fondant sur l’article L. 131-4 du Code de justice administrative (CJA).
M. Jean-Marc L. a déposé un recours pour excès de pouvoir contre la décision d’adoption de la charte de déontologie. À l’occasion de ce recours, il a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dans laquelle il soutenait que l’article L. 131-4 du Code de justice administrative est contraire au principe d’impartialité des juridictions et au droit d’exercer un recours juridictionnel effectif en ce qu’il confie au vice-président du Conseil d’État l’établissement d’une charte de déontologie de la juridiction administrative dont la légalité ne peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir que devant le Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort.
La QPC portait ainsi sur l’article L. 131-4 du Code de justice administrative. Cet article confie au vice-président du Conseil d’État la charge d’établir, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, la charte de déontologie applicable aux membres de cette juridiction. Dans sa décision du 20 octobre dernier2, le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
Plus précisément, par une décision du 19 juillet 20173, le Conseil d’État avait en effet décidé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. Le juge administratif estime en effet alors que : « Considérant qu’à l’appui de sa requête dirigée contre la décision du 14 mars 2017 par laquelle le vice-président du Conseil d’État a adopté la charte de déontologie de la juridiction administrative, M. A. soutient que les dispositions citées ci-dessus sont contraires au principe d’impartialité des juridictions et au droit d’exercer un recours juridictionnel effectif en ce qu’elles confient au vice-président du Conseil d’État l’établissement d’une charte de déontologie de la juridiction administrative dont la légalité ne peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir que devant le Conseil d’État, statuant en premier et dernier ressort ; Considérant que la décision dont M. A. demande l’annulation a été prise sur le fondement de cet article L. 131-4 du Code de justice administrative qui est, ainsi, applicable au présent litige ; que cet article n’a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; qu’enfin, le moyen tiré de ce qu’en confiant au vice-président du Conseil d’État l’établissement de la charte de déontologie, il méconnaîtrait, compte tenu des compétences du Conseil d’État en matière contentieuse, le principe d’impartialité des juridictions et le droit à un recours juridictionnel effectif garantis par les dispositions de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, soulève une question qui peut être regardée comme nouvelle au sens de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ; que, par suite, sans qu’il soit besoin pour le Conseil d’État d’en examiner le caractère sérieux, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ».
Le Conseil d’État, conformément à sa traditionnelle jurisprudence sur l’économie de moyens, se dispense de se prononcer sur le caractère sérieux ou non de la demande. En effet, en vertu du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État (…) » ; qu’il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la QPC à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
En l’occurrence, la question est certes applicable au litige et est, également, nouvelle étant donné que le Conseil constitutionnel n’avait pas eu, jusqu’alors, à se prononcer sur ce sujet.
Le Conseil constitutionnel, au terme d’un raisonnement en neuf points, conclut à la conformité des dispositions attaquées à la Constitution. Il a ainsi écarté toute violation des principes d’indépendance et d’impartialité et partant, de droit au juge (I) par la charte dont la portée se voit ainsi en partie précisée (II).
I – L’absence de violation des principes d’indépendance et d’impartialité de la juridiction administrative
Les dispositions législatives mises en cause sont jugées conformes (B) aux principes constitutionnels d’indépendance et d’impartialité de la juridiction administrative (A).
L’article L. 131-4 du Code de justice administrative a été créé par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires4.
Il dispose que : « Le vice-président du Conseil d’État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie énonçant les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative ». Cette charte s’inscrit dans le droit fil de bases juridiques relatives aux principes d’indépendance et d’impartialité de la juridiction administrative.
A – Les bases juridiques des principes d’indépendance et d’impartialité de la juridiction administrative
1 – Les bases constitutionnelles de l’existence du Conseil d’État
Il faut noter en premier lieu que les bases constitutionnelles du Conseil d’État sont peu nombreuses et renforcées par l’avènement de la question prioritaire de constitutionnalité.
Les bases constitutionnelles pointillistes du Conseil d’État sont complétées par des bases législatives, réglementaires et jurisprudentielles qui ont pour objet de définir les grands principes régissant le Conseil d’État.
Les bases constitutionnelles peuvent être qualifiées de pointillistes en ce que la Constitution de 1958 ne consacre le Conseil d’État que comme conseiller du gouvernement. L’article 39 de la Constitution, dont l’économie demeure la même par-delà le nombre de révisions constitutionnelles, dispose ainsi que : « Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’État ». De cette disposition, on ne sait rien du Conseil d’État, de ses fonctions. Ce que l’on sait, aujourd’hui, est lié à l’évolution du statut de ses avis. La publicité de ses avis, décidée en 20155, rend encore plus visible la présence du Conseil d’État dans le processus législatif. Lors de ses vœux aux corps constitués le 20 janvier 2015, le président de la République a annoncé sa volonté de diffuser ces avis : « Mieux légiférer, c’est aussi mieux préparer les projets de loi. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de rompre avec une tradition séculaire des secrets qui entourent les avis du Conseil d’État. Le Conseil d’État est le conseil juridique du gouvernement. Son avis est d’intérêt public et son expertise sera donc rendue publique. Le Conseil d’État, par ses avis, informera donc les citoyens, mais il éclairera aussi les débats parlementaires ». Depuis le 19 mars 2015, les avis du Conseil d’État sont publiés sur le site Légifrance.
Outre les dispositions relatives aux projets de loi, l’article 38 de la Constitution, consacré au régime juridique des ordonnances, dispose que : « Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’État ».
La fonction consultative du Conseil d’État s’est enrichie par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, selon laquelle le Conseil d’État peut également être saisi par le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat d’une proposition de loi élaborée par les parlementaires. Donnant ainsi la possibilité aux autorités parlementaires – mais non l’obligation, contrairement aux projets gouvernementaux – de saisir le Conseil d’État d’une proposition de loi. Selon le dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution : « Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose ». Depuis la loi organique du 19 mars 1999, le Conseil d’État est également consulté sur les projets ou les propositions de loi du pays propres à la Nouvelle-Calédonie. L’article 65 est consacré à la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui comporte notamment un conseiller d’État, « un conseiller d’État désigné par le Conseil d’État ». L’article 74, consacré aux collectivités d’outre-mer, prévoit une compétence juridictionnelle spécifique du Conseil d’État : « le Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi ».
Le Conseil d’État, en tant que juge administratif, n’entre, quant à lui, et sans doute assez curieusement, dans la Constitution, qu’à la faveur de la réforme instituant la « question prioritaire de constitutionnalité ». L’article 61-1 de la Constitution, tel qu’ajouté par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, dispose que : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». C’est donc dire que de 1958 à 2008, il n’y a pas de base constitutionnelle écrite du juge administratif. Comme on sait, et on le redira plus bas, le Conseil constitutionnel a décidé, en 1980 puis en 1987, au gré des affaires dont il était saisi, de consacrer l’indépendance puis l’existence du juge administratif. La question de l’impartialité a aussi été jugée inhérente au droit au procès équitable.
2 – Les bases constitutionnelles des principes d’indépendance et d’impartialité du juge administratif
Le Conseil constitutionnel a apporté une interprétation protectrice de l’existence et de l’indépendance du juge administratif. En 1980, le Conseil constitutionnel a en effet consacré l’indépendance6 en la qualifiant de principe fondamental reconnu par les lois de la République, principe que seule la Constitution pourrait remettre en cause. En 19877, il a étendu cette protection à ce qui fait le cœur de la compétence administrative et que l’on peut résumer ainsi : l’annulation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif8. La décision qui consacre l’indépendance du juge administratif est éloquente en termes de séparation des pouvoirs. Étaient en effet en cause devant le juge constitutionnel les lois de validation. Ces dernières permettent, au besoin, de surmonter une annulation contentieuse, pour des raisons d’intérêt général. Cette technique constitue, à l’évidence, une atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’effectivité de la décision de justice. Cependant, l’intérêt général et la stabilité des situations juridiques en particulier peuvent, dans certains cas que le juge constitutionnel a précisément circonscrits, nécessiter une validation a posteriori. Un exemple significatif est celui de l’annulation d’un concours plusieurs mois ou années après sa réalisation. Une fois installés, les agents nommés suite à la réussite à un concours, doivent, sauf cas de fraude notamment, pouvoir rester en fonction. C’est la philosophie générale des lois de validation. C’est ce terrain qui a, en tout cas, permis au Conseil constitutionnel de consacrer le principe d’indépendance de la juridiction administrative.
Il faut évidemment distinguer, sans les détacher l’indépendance de la juridiction administrative par rapport au pouvoir politique et aux autres institutions administratives, et l’indépendance de chaque membre de la juridiction administrative. Sur ce point, l’avancement est un élément essentiel de l’indépendance des membres du Conseil d’État9.
Ces bases constitutionnelles sont ponctuelles, bien que renforcées au fil du temps, et notamment à travers la jurisprudence ; mais c’est surtout la QPC, qui place sur un même plan, et chacun dans son domaine de compétences, les juges suprêmes de l’ordre judiciaire et du juge administratif, pour actionner la première étape du contrôle de constitutionnalité a posteriori. C’est une véritable révolution que la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori. Les citoyens peuvent, en effet, au cours d’un procès devant tout juge, administratif ou judiciaire, soulever une exception d’inconstitutionnalité de la loi si celle-ci porte atteinte à leurs droits et libertés garantis par la Constitution. À ce titre, les procédures ont été organisées et le juge administratif, se trouve, dans son champ de compétences, à égal niveau, avec le juge judiciaire, lui aussi, dans son champ de compétences, pour décider de la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel.
Depuis le 1er janvier 2001, le statut des membres de la juridiction administrative est défini dans le Code de justice administrative10. Jusqu’à l’intervention de la loi du 20 avril 201611, les dispositions de ce statut relatives aux exigences déontologiques étaient peu nombreuses.
En effet, les articles L. 131-1 du Code de justice administrative, pour les membres du Conseil d’État, et L. 231-1 du même code, pour les membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, procédaient à un renvoi général, sauf contrariété, au statut de la fonction publique. On peut encore noter que l’article L. 131-2 du Code de justice administrative interdisait aux membres du Conseil d’État de se prévaloir de leur qualité professionnelle à l’appui d’une activité politique. Dans le même sens, l’article L. 131-3 de ce code leur imposait de « s’abstenir de toute manifestation de nature politique incompatible avec la réserve que lui imposent ses fonctions ».
Pour les membres des tribunaux administratifs ou des cours administratives d’appel, les articles L. 231-5 et suivants du Code de justice administrative prévoyaient un certain nombre d’incompatibilités professionnelles.
Ces dispositions se sont vues enrichies par la jurisprudence constitutionnelle et administrative.
Le Conseil constitutionnel juge ainsi que les principes d’indépendance et d’impartialité, qui sont « indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles », découlent de la garantie des droits protégée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 178912. Ils sont, à ce titre, invocables en QPC13.
a – Les grandes lignes de la jurisprudence constitutionnelle relatives aux principes d’indépendance et d’impartialité
Il importe de rappeler rapidement la jurisprudence constitutionnelle relative au principe d’indépendance et d’impartialité avant d’en observer l’application au juge administratif stricto sensu. Le principe d’impartialité exige ainsi que le magistrat appelé à statuer dans un litige soit exempt de parti pris. Or, ce parti pris peut découler des fonctions exercées par ailleurs par l’intéressé, de sa dépendance vis-à-vis d’une des parties au litige ou de décisions qu’il a prises précédemment.
Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à plusieurs reprises sur ces questions lorsqu’il a été saisi de dispositions relatives à la composition des juridictions.
Dans un premier temps, il s’est uniquement fondé sur le principe d’indépendance des juridictions pour censurer, faute de garanties appropriées, la composition des tribunaux commerciaux maritimes où siégeaient des fonctionnaires et des militaires soumis à l’autorité hiérarchique du gouvernement14.
Il s’est ensuite également fondé sur le principe d’impartialité pour censurer la composition de juridictions présentant les mêmes défauts. Ainsi, il a jugé contraire au principe d’impartialité la composition des commissions départementales d’aide sociale, d’une part, faute pour le législateur d’avoir institué « les garanties d’impartialité faisant obstacle à ce que des fonctionnaires puissent siéger lorsque cette juridiction connaît de questions relevant des services à l’activité desquels ils ont participé » et, d’autre part, en raison de « la participation de membres de l’assemblée délibérante du département lorsque ce dernier est partie à l’instance »15. Il a procédé pour la même raison à la censure des dispositions relatives à la composition de la commission centrale d’aide sociale16.
Inversement, le Conseil a déclaré conforme aux principes d’impartialité et d’indépendance la composition de juridictions que le législateur avait assortie de garanties suffisantes, comme notamment, les règles de déport ou de récusation prévues de manière systématique dans certaines situations, qui constituaient des garanties d’indépendance.
Il a ainsi jugé conforme à ces principes la composition des tribunaux des affaires de sécurité sociale, en relevant que ces tribunaux sont présidés par un magistrat judiciaire, que leurs assesseurs ne sont pas soumis à l’autorité des organisations professionnelles qui ont proposé leur candidature, que l’article L. 144-1 du Code de la sécurité sociale fixe des garanties de moralité et d’indépendance des assesseurs et, qu’enfin, la composition de cette juridiction assure une représentation équilibrée des salariés et des employeurs. Il en a jugé de même pour la composition des tribunaux de commerce, compte tenu du fait, notamment, que « les dispositions relatives au mandat des juges des tribunaux de commerce instituent les garanties prohibant qu’un juge d’un tribunal de commerce participe à l’examen d’une affaire dans laquelle il a un intérêt, même indirect »17.
Dans le même sens, il a jugé conforme au principe d’impartialité la composition du Conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en formation disciplinaire, dans la mesure où les dispositions prévues par le législateur « font obstacle à ce que les représentants de l’État (…) siègent au Conseil national de l’ordre des pharmaciens réuni en formation disciplinaire lorsque la saisine émane d’un ministre ou d’un autre représentant de l’État »18.
En revanche, ainsi que cela est rappelé dans le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision du 20 octobre 2017, le Conseil a censuré, sur le fondement du principe d’indépendance, les dispositions prévoyant que les fonctionnaires représentant les ministres siègent avec voix consultative.
Alors qu’il avait été saisi d’un grief contestant, sur le fondement du principe d’impartialité, l’absence de procédure de récusation devant la cour de discipline budgétaire et financière, le Conseil a relevé « qu’il ressort de la jurisprudence constante du Conseil d’État que devant une juridiction administrative, doivent être observées les règles générales de procédure, dont l’application n’est pas incompatible avec son organisation ou n’a pas été écartée par une disposition expresse ; qu’au nombre de ces règles sont comprises celles qui régissent la récusation ; qu’en vertu de celles-ci, tout justiciable est recevable à présenter à la juridiction saisie une demande de récusation de l’un de ses membres, dès qu’il a connaissance d’une cause de récusation ; que, lorsqu’elle se prononce sur une demande de récusation, la juridiction en cause doit statuer sans la participation de celui de ses membres qui en est l’objet »19. S’appuyant sur cette jurisprudence du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a jugé que le grief pouvait ainsi être écarté.
Alors qu’il était cette fois saisi de la composition du conseil de discipline des avocats membres du barreau de Paris, le Conseil constitutionnel s’est à la fois assuré de ce que le bâtonnier de l’ordre du barreau de Paris n’était pas membre de la formation disciplinaire du conseil de l’ordre du barreau de Paris, et a, ainsi, considéré que « la circonstance que les membres de cette formation sont désignés par le conseil de l’ordre, lequel est présidé par le bâtonnier en exercice, n’a pas pour effet, en elle-même, de porter atteinte aux exigences d’indépendance et d’impartialité de l’organe disciplinaire »20. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel s’est ainsi interrogé sur la réalité du lien de dépendance allégué, susceptible de nuire à l’impartialité des membres de la juridiction.
S’agissant de la matière pénale, le Conseil constitutionnel vérifie, sur le fondement du principe d’impartialité, le respect de la séparation des autorités de poursuite et de jugement21. Comme l’explique le commentaire sur la décision du 20 octobre 2017 ici commentée, le Conseil constitutionnel s’assure aussi, en matière disciplinaire, que les personnes ayant engagé les poursuites ou accompli des actes d’instruction ne siègent pas au sein de la formation disciplinaire appelée à en connaître. Ceci l’a conduit, dans deux décisions relatives aux formations disciplinaires des avocats du barreau de Papeete22 et de l’ordre des vétérinaires23, à formuler des réserves d’interprétation en ce sens.
S’agissant de l’appréciation des principes au sein du Conseil d’État, dans une décision plus récente, le Conseil constitutionnel a censuré l’attribution à la juridiction administrative suprême, statuant au contentieux, d’une compétence pour autoriser la prolongation au-delà de 12 mois d’une mesure d’assignation à résidence. Le Conseil constitutionnel a ainsi relevé, d’une part, que le Conseil d’État pouvait ensuite être saisi au contentieux de cette même décision de prolongation et, d’autre part, que la décision d’autorisation du juge avait une portée équivalente à celle susceptible d’être ultérieurement prise par le juge de l’excès de pouvoir saisi de la légalité de la mesure d’assignation à résidence. Il en a conclu que les « dispositions contestées attribu[ai]ent au Conseil d’État statuant au contentieux la compétence d’autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait ultérieurement avoir à se prononcer comme juge en dernier ressort ».
C’est dans ce contexte que le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions méconnaissaient le principe d’impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif24. Cette décision présente une particularité : compte tenu de la confusion organisée par la loi entre l’autorité donnant l’autorisation et celle compétente pour juger de sa régularité, le Conseil constitutionnel n’a pas considéré que l’atteinte à l’impartialité de la juridiction pouvait, en l’espèce, être évitée par le recours à des règles de déport ou de récusation25.
Il faut encore noter que le Conseil constitutionnel n’a pas borné son contrôle du respect du principe d’impartialité aux seules dispositions relatives à l’organisation, à la composition ou au fonctionnement des juridictions. Se fondant sur l’article 65 de la Constitution relatif au Conseil supérieur de la magistrature, il a jugé que cette exigence s’imposait aussi dans l’exercice de ses attributions en matière de discipline ou de nomination de magistrats judiciaires : « Considérant (…), qu’il résulte de l’article 65 de la Constitution que le principe d’indépendance et d’impartialité des membres du Conseil supérieur constitue une garantie de l’indépendance de ce conseil ; qu’il fait obstacle à ce que le premier président ou le procureur général de la Cour de cassation, ainsi que les autres chefs de cour ou de juridiction membres de ce conseil, délibèrent ou procèdent à des actes préparatoires d’avis ou de décisions relatifs soit aux nominations pour exercer des fonctions dans leur juridiction soit aux magistrats exerçant des fonctions dans leur juridiction ; que le principe d’indépendance des membres du Conseil supérieur de la magistrature fait également obstacle à ce que le premier président et le procureur général de la Cour de cassation participent aux décisions ou aux avis relatifs aux magistrats qui ont, antérieurement, été membres du Conseil supérieur de la magistrature sous leur présidence »26.
b – L’application des principes d’indépendance et d’impartialité par le juge administratif
La jurisprudence administrative a, sur ces bases constitutionnelles, apporté des précisions. Ainsi, le Conseil d’État a par exemple considéré qu’au nombre des règles que doit respecter une autorité juridictionnelle compte celle d’après laquelle « un membre d’une juridiction administrative ne peut pas participer au jugement d’un recours relatif à une décision administrative dont il est l’auteur ou qui a été prise par un organisme collégial dont il était membre et au cours de délibérations auxquelles il a pris part »27.
Dans la logique du « droit souple », certains dispositifs, non prévus par la loi, ont été mis en place. Ainsi, une charte de déontologie des membres de la juridiction administrative a été adoptée dès 2011 qui, sans avoir « vocation à se substituer aux textes, notamment statutaires, régissant l’exercice des fonctions des membres des institutions auxquelles s’applique le Code de justice administrative, rappelle les principes déontologiques qui président à cet exercice [et] comporte également des recommandations sur les bonnes pratiques qui se déduisent de ces principes et qui sont issues, le plus souvent, d’une longue tradition »28.
Le 20 mars 2012, le vice-président du Conseil d’État a installé le collège de déontologie de la juridiction administrative prévu par cette charte, « chargé d’éclairer les membres de juridiction administrative sur l’application des principes et bonnes pratiques rappelés » dans ladite charte.
La loi de 2016, déjà citée a, elle aussi enrichi le dispositif. L’article 12 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, consacré à la juridiction administrative, précise les obligations déontologiques s’imposant aux membres du Conseil d’État, notamment celle de déport en cas de conflit d’intérêts29, et vise à « consolider au niveau législatif »30 les outils déontologiques mis en place par la pratique administrative.
Ces principes se voient ainsi renforcés à la fois par du droit écrit, du droit jurisprudentiel et du droit souple comme des chartes. C’est sans doute parce que les dispositions relatives à la charte de déontologie s’inscrivent dans un fil préexistant que leur conformité se voit affirmée par le juge constitutionnel.
B – La conformité des dispositions législatives relatives à la déontologie devant les juridictions administrative à la Constitution
C’est en quelques points que le Conseil constitutionnel valide l’article mis en cause. Après avoir rappelé que le requérant reproche aux dispositions contestées de confier au vice-président du Conseil d’État la compétence pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative. Il fait valoir que celui-ci préside la juridiction susceptible d’être appelée à statuer sur la légalité de cette charte et qu’il participe à la désignation de plusieurs membres du collège de déontologie, chargé de formuler un avis sur celle-ci. En outre, selon le requérant, compte tenu de ses prérogatives à l’égard des membres du Conseil d’État, le vice-président serait susceptible d’exercer une influence sur les membres de la formation de jugement. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions et du droit à un recours juridictionnel effectif, qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles, le juge constitutionnel indique qu’en application de l’article L. 131-4 du Code de justice administrative, le vice-président du Conseil d’État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie qui énonce les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative. En application de l’article L. 131-5 du même code, le collège de déontologie est notamment composé d’un membre du Conseil d’État et d’un magistrat des tribunaux et cours administratives d’appel.
Le Conseil constitutionnel souligne, mais sans apporter de développements supplémentaires que cette charte de déontologie est susceptible d’être contestée ou invoquée à l’occasion d’un contentieux porté devant une formation de jugement présidée par le vice-président du Conseil d’État ou comprenant l’un des membres du collège de déontologie membre de la juridiction administrative.
Le laconisme de la décision et de ses deux points centraux peut surprendre, surtout s’agissant de son point 7, selon lequel « quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d’État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du Code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard ».
Le point 6 qui tranche la question centrale, se lit, quant à lui, ainsi : « d’une part, l’article L. 131-3 du Code de justice administrative prévoit : “Les membres du Conseil d’État veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d’intérêts. Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction”. L’article L. 131-9 du même code prévoit : “Dans le cadre des fonctions juridictionnelles du Conseil d’État, sans préjudice des autres dispositions prévues au présent code en matière d’abstention, le membre du Conseil d’État qui estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts s’abstient de participer au jugement de l’affaire concernée. (…). Le président de la formation de jugement peut également, à son initiative, inviter à ne pas siéger un membre du Conseil d’État dont il estime, pour des raisons qu’il lui communique, qu’il se trouve dans une situation de conflit d’intérêts. Si le membre du Conseil d’État concerné n’acquiesce pas à cette invitation, la formation de jugement se prononce, sans sa participation”. Les articles L. 231-4 et L. 231-4-3 du même code prévoient des dispositions identiques pour les magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel. Il résulte de ces dispositions que le vice-président du Conseil d’État et les membres du collège de déontologie membres de la juridiction administrative ne participent pas au jugement d’une affaire mettant en cause la charte de déontologie ou portant sur sa mise en œuvre ».
De cette formule laconique, il est déduit que la compétence du vice-président du Conseil d’État, à la fois pour adopter la charte, nommer des membres et à la fois sur les membres de la juridiction administrative, n’est pas susceptible de porter atteinte aux principes inhérents au fonctionnement de la juridiction administrative.
II – La portée et les limites de la charte de déontologie
La définition d’une charte de déontologie est malaisée en droit. Le Conseil d’État n’est pas la seule institution à s’en être doté. La tendance lourde, que l’on peut percevoir comme philosophique de ces dix dernières années, correspond à une aspiration sociale. Ainsi pour ne prendre que quelques exemples, hormis les chartes de déontologie qui se multiplient au sein de plusieurs entreprises, il est possible de relever l’existence de charte de déontologie dans de très nombreuses administrations. Il en est ainsi au sein de l’Agence nationale de la recherche31, de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes32, ou encore de l’Autorité des marchés financiers. D’ailleurs, le Conseil d’État, sans se prononcer sur la valeur juridique d’une telle charte, a eu à mentionner certains éléments de cette charte dans une décision du 20 juin 2016, indiquant ainsi que : « Considérant qu’en application des dispositions citées ci-dessus, l’Autorité des marchés financiers a pris, le 1er octobre 2008, une décision concernant l’acceptation des contrats de liquidité en tant que “pratique de marché admise” ; qu’aux termes du point 1 de cette décision : “Toute société (l’Émetteur) dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation organisé au sens de l’article 524-1 du règlement général peut conclure un contrat de liquidité avec un prestataire de services d’investissement. Le contrat de liquidité définit les conditions dans lesquelles le prestataire de services d’investissement intervient pour le compte de l’Émetteur à l’achat ou à la vente, pour favoriser la liquidité des transactions et la régularité des cotations des titres de l’Émetteur ou éviter des décalages de cours non justifiés par la tendance du marché. Le contrat de liquidité doit respecter les principes énoncés dans la charte de déontologie annexée à la présente décision (…)” ; que parmi les principes énoncés dans la charte de déontologie annexée à la décision en cause figure le “principe de spécialisation”, selon lequel “le contrat de liquidité doit avoir pour seuls objets de favoriser la liquidité des transactions et la régularité des cotations des titres d’une société émettrice ainsi que d’éviter des décalages de cours non justifiés par la tendance du marché”, ainsi que le “principe de proportionnalité”, selon lequel “les moyens détenus sur le compte de liquidité doivent être proportionnés aux objectifs assignés au contrat de liquidité. En aucun cas, le compte de liquidité ne peut être utilisé à des fins de stockage de titres” »33.
À ce jour, il existe peu de jurisprudence impliquant les chartes de déontologie, ces dernières devant être régulièrement adaptées.
A – Une charte aux contours évolutifs
Il est notable que les règles écrites de déontologie applicables à la juridiction administrative n’arrivent que tardivement. Ainsi, dans le célèbre arrêt Kress rendu en 2001 par la Cour européenne des droits de l’Homme, soit 10 ans avant l’adoption de la première charte de déontologie en la matière, on pouvait lire que : « C’est finalement davantage de la pratique que viennent les garanties dont jouissent les membres du Conseil d’État. Trois usages sont à cet égard aussi anciens que décisifs : tout d’abord, la gestion du Conseil d’État et de ses membres est assurée de façon interne, par le bureau du Conseil d’État, composé du vice-président, des six présidents de section et du secrétaire général du Conseil d’État, sans interférences extérieures. En particulier, il n’y a pas, au sein de la juridiction administrative, la distinction entre magistrats du siège et du parquet qui existe pour les juges de l’ordre judiciaire, où les membres du parquet sont soumis à l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice. Ensuite, même si les textes ne garantissent pas l’inamovibilité des membres du Conseil, en pratique, cette garantie existe. Enfin, si l’avancement en grade se fait, en théorie, au choix, il obéit dans la pratique, et suivant un usage qui remonte à la moitié du XIXe siècle, strictement à l’ancienneté, ce qui assure aux membres du Conseil d’État une grande indépendance, tant à l’égard des autorités politiques qu’à l’égard des autorités du Conseil d’État elles-mêmes »34.
Désormais, selon l’article L. 131-4 du Code de justice administrative : « Le vice-président du Conseil d’État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie énonçant les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative ».
Comme le rappellent les commentaires aux Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision du 20 octobre 2017, à l’origine, le projet de loi du gouvernement n’avait pas déterminé l’autorité chargée d’établir la charte de déontologie35. Un amendement de Mme Françoise Descamps-Crosnier, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, a comblé cette lacune en attribuant cette compétence au vice-président du Conseil d’État36.
L’objet de la charte de déontologie a été ainsi défini par le rapporteur du texte au Sénat, M. Alain Vasselle : « Sur la base des principes généraux affirmés par le projet de loi, cette charte devrait préciser les principes déontologiques propres aux fonctions de membre de la juridiction administrative et énoncer les bonnes pratiques qui devraient en découler. La reconnaissance législative de cette charte devrait lui conférer un caractère opposable, susceptible éventuellement de motiver une action disciplinaire en cas de manquement grave. En tout état de cause, elle servirait de guide dans la gestion des situations déontologiques pour lesquelles les obligations ou les interdictions fixées par la loi ou le règlement ne seraient d’aucun secours »37.
Il peut sembler surprenant que, depuis l’existence annoncée d’une telle charte, plusieurs versions aient été adoptées. En effet, il faut inscrire la réflexion sur une telle charte dans un contexte de développement de ce type de textes dans plusieurs structures publiques comme privées. Il faut aussi l’inscrire dans l’observation de précédentes versions de la charte. Il est en effet remarquable qu’une première charte ait pu être adoptée dès 2011, avant même l’avènement de la base législative à la faveur de la loi déjà citée de 2016. Les éléments de la charte de 2011 sont largement repris dans celle de 2017, adoptée sur le fondement des nouvelles dispositions législatives.
B – La charte de 2017
La charte adoptée le 14 mars 2017 par le vice-président du Conseil d’État sur le fondement de ces dispositions, qui distingue « principes » et « bonnes pratiques », comporte tout à la fois le rappel de règles préexistantes (légales, réglementaires ou jurisprudentielles), des recommandations manifestement dépourvues de portée normative, mais aussi d’autres dispositions susceptibles d’être juridiquement opposables aux membres de la juridiction administrative.
Le contenu de la charte de 2011 correspondait à un état des réflexions sur ce que la déontologie signifie dans une institution comme le Conseil d’État. Des adaptations auront sans doute lieu régulièrement. Nous reprenons ici le contenu de la charte de déontologie telle qu’adoptée en 2011. Deux remarques préalables s’imposent. La première est que les droits et obligations des agents publics, dont font partie les membres du Conseil d’État étaient déjà, auparavant et de longue date, définis par des textes législatifs, notamment la loi de 1983. La seconde est que cette charte a été publiée et que dès lors, les informations qui suivent sont publiques. Nous apporterons, au fur et à mesure un regard critique ou laudatif, selon, sur la pratique mise en œuvre à partir de cette charte.
La charte rappelle que les principes déontologiques qui régissent l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative sont issus de la Constitution et des principes constitutionnels, des traités auxquels la France est partie, en particulier la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que des lois et règlements, notamment le Code de justice administrative, le Code électoral et la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
En vertu de ces principes, les membres de la juridiction administrative exercent leurs fonctions en toute indépendance, avec impartialité et honneur, et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. Plus largement, ils obéissent aux règles qui régissent la fonction publique française : probité, intégrité, loyauté, disponibilité pour leurs fonctions, discrétion professionnelle et attachement à la qualité du service rendu aux administrés comme aux justiciables. Pour garantir leur indépendance dans l’intérêt des citoyens, et notamment des justiciables, ils ne peuvent recevoir, sans leur consentement, une affectation nouvelle, même en avancement. Tous jouissent, dans l’exercice de leurs fonctions, de la protection prévue à l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983.
Les membres de la juridiction administrative exercent leurs compétences dans le strict respect de la Constitution et de la loi. La charte insiste ainsi sur ce que les membres de la juridiction administrative exercent leurs fonctions avec impartialité et en toute indépendance. Ces principes fondamentaux exigent que chacun, en toute occasion, se détermine librement, sans parti pris d’aucune sorte, ni volonté de favoriser telle partie ou tel intérêt particulier et sans céder à aucune pression.
Ces principes s’appliquent au premier chef à l’exercice des attributions juridictionnelles et consultatives dévolues aux membres de la juridiction administrative au sein de l’institution à laquelle ils appartiennent. Pour garantir leur indépendance, les membres de la juridiction administrative bénéficient de l’inamovibilité : ils ne peuvent recevoir, sans leur consentement, une affectation nouvelle, même en avancement.
Il en va ainsi, en ce qui concerne le Conseil d’État, en vertu d’une règle coutumière rappelée par la Cour européenne des droits de l’Homme38. En ce qui concerne les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, l’inamovibilité résulte d’une disposition législative expresse du Code de justice administrative39. Pour garantir leur indépendance, les membres de la juridiction administrative bénéficient de l’inamovibilité : ils ne peuvent recevoir, sans leur consentement, une affectation nouvelle, même en avancement En ce qui concerne les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, l’inamovibilité résulte d’une disposition législative expresse du Code de justice administrative40.
Les membres de la juridiction administrative sont soumis aux incompatibilités d’ordre général applicables à tous les fonctionnaires. Ainsi, comme toute fonction publique non élective, sont incompatibles avec l’exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative le mandat de député41, le mandat de sénateur42 et le mandat de représentant au Parlement européen (par renvoi de l’art. 6 de la loi du 7 juillet 1977). Pour les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, des règles d’inéligibilité leur interdisent également d’être élus dans le ressort de la juridiction où ils exercent ou ont exercé depuis moins de 6 mois, soit en qualité de conseiller municipal43, soit en qualité de conseiller général44, soit encore en qualité de conseiller régional45. Par ailleurs, les articles L. 231-5 et L. 231-6 du Code de justice administrative interdisent la nomination d’un membre du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel dans un tribunal ou une cour s’il exerce ou a exercé dans le ressort de cette juridiction, dans la limite d’un certain délai, certaines fonctions publiques (fonction publique élective ; fonction de préfet, de sous-préfet ou de directeur régional ou départemental d’une administration publique de l’État ; fonction de direction dans l’administration d’une collectivité territoriale) ou la profession d’avocat.
Enfin, en vertu de l’article L. 231-7 du même code, les fonctions de magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont incompatibles avec l’exercice de certains mandats régionaux, départementaux ou assimilés46.
Cette charte de déontologie mêle ainsi des bases juridiques préexistantes et des recommandations de bonnes pratiques. La vie quotidienne au Conseil d’État permet de suivre les avis, qui sont mis en ligne, de manière anonymisée, régulièrement, sur le site intranet. Une habitude a été prise, par les membres de la juridiction administrative, de solliciter souvent le collège de déontologie, afin de se prémunir de risques de conflits d’intérêt ou autres pratiques qui pourraient être contraires à la charte. De même, à chaque approche d’échéance électorale, un message du vice-président parvient à chaque membre de sorte d’attirer l’attention de chacun sur la nécessaire vigilance accrue sur le respect de ces règles en période électorale.
L’organisation du travail, juridictionnel ou consultatif, prend en compte, dans toute la mesure du possible, la prévention des situations dans lesquelles un doute légitime pourrait naître, même du seul point de vue des apparences, quant à l’indépendance ou l’impartialité des membres de la juridiction administrative.
À cet effet, il est proposé à tout membre de la juridiction administrative, lors de son affectation, et aussi souvent que nécessaire par la suite, un entretien consacré à cette question, lui permettant de faire état de ses intérêts ou activités, passés ou présents, de nature patrimoniale, professionnelle, familiale ou personnelle, susceptibles de mettre en cause, même du seul point de vue des apparences, son impartialité ou son indépendance dans une mesure qui excéderait sa seule abstention dans une affaire particulière.
Ces intérêts ou activités ne doivent être mentionnés que si, par leur nature ou leur intensité, ils imposent d’éviter que certaines catégories de dossiers soient traitées par l’intéressé. Ces dossiers peuvent être définis en fonction de la matière à laquelle ils se rattachent, de l’administration concernée ou de l’identité des parties ou de leurs conseils.
L’intéressé apprécie le degré des précisions qu’il souhaite donner sur l’explicitation de la nature de son intérêt ou de son activité, au regard des limites inhérentes au respect de sa vie privée. L’anonymat des tiers intéressés est préservé sauf si leur identité est consubstantielle à l’intérêt (lien avec un avocat, en particulier).
Cet entretien porte aussi sur les liens de parenté ou les relations personnelles, au sein de la juridiction, qui feraient obstacle à ce que deux membres de la juridiction administrative puissent siéger dans la même formation de jugement47.
Précisément, dans le cadre de la charte de 2017, trois autorités sont susceptibles de se prononcer sur la charte de déontologie ou de s’y référer.
En premier lieu, le collège de déontologie est chargé de rendre un avis sur la charte de déontologie. Il est composé de quatre membres : un membre du Conseil d’État élu par l’assemblée générale, un magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel élu par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, une personnalité extérieure nommée alternativement par le premier président de la Cour de cassation ou le premier président de la Cour des comptes parmi les magistrats honoraires de ces cours, ainsi qu’une personnalité qualifiée nommée par le président de la République, en dehors des membres du Conseil d’État ou des magistrats administratifs, sur proposition du vice-président du Conseil d’État. Ce dernier désigne en outre le président du collège de déontologie48.
Il appartient aussi au collège de déontologie de formuler des recommandations de nature à éclairer les membres de la juridiction administrative sur l’application des principes déontologiques ou de la charte de déontologie. Il peut agir de son propre mouvement ou sur saisine de différentes autorités de la juridiction administrative (le vice-président du Conseil d’État, son secrétaire général ou ses présidents de section, les présidents de juridictions…), d’une organisation syndicale ou d’une association de membres de la juridiction administrative.
Même si cela ne résulte pas directement des termes de la loi du 20 avril 2016, il est possible que, compte tenu de la portée que le législateur a entendu conférer à la charte de déontologie, les manquements à des obligations qui y sont définies puissent être invoqués à l’occasion d’un contentieux disciplinaire, conduit par l’autorité de nomination des membres du Conseil d’État (le président de la République ou le Premier ministre), sur proposition de la commission supérieure du Conseil d’État49.
Cette commission est créée par l’ordonnance n° 2016-1365 du 13 octobre 2016 portant dispositions statutaires concernant le Conseil d’État50 (et succédant à l’ancienne « commission consultative »), cette commission supérieure, qui exerce aussi des compétences en matière d’organisation et de fonctionnement du Conseil d’État et de recrutement, est présidée par le vice-président du Conseil d’État et composée des présidents de section, de huit membres élus du Conseil d’État et de trois personnalités qualifiées désignées par les présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat51. Le vice-président du Conseil d’État, le président de la section du contentieux et les membres élus de grade inférieur à celui du mis en cause ne siègent cependant pas lors des instances disciplinaires52.
Enfin, par exception aux règles qui précèdent, le vice-président du Conseil d’État peut prononcer les sanctions d’avertissement et de blâme sans consulter la commission supérieure53. Là encore, il n’est pas exclu que la charte de déontologie puisse servir de fondement à de telles sanctions54.
La portée de la charte peut ainsi sembler avoir été quelque peu minimisée par le Conseil constitutionnel. Il n’est pas certain qu’une telle approche franchirait le contrôle de la théorie des apparences.
En effet, en vertu de cette théorie que la Cour européenne des droits de l’Homme a forgée peu à peu, et notamment eu égard aux modes de fonctionnement du Conseil d’État, le droit au juge doit non seulement être effectif mais aussi avoir toutes les apparences des principes inhérents au droit au juge, principalement les principes d’indépendance et d’impartialité.
On peut ainsi mentionner le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme55, alors qu’elle s’exprimait sur le commissaire du gouvernement – devenu rapporteur public – au Conseil d’État, raisonnement selon lequel : « Le fait qu’un membre de la formation de jugement ait exprimé en public son point de vue sur l’affaire pourrait alors être considéré comme participant à la transparence du processus décisionnel. Cette transparence est susceptible de contribuer à une meilleure acceptation de la décision par les justiciables et le public, dans la mesure où les conclusions du commissaire du gouvernement, si elles sont suivies par la formation de jugement, constituent une sorte d’explication de texte de l’arrêt. Dans le cas contraire, lorsque les conclusions du commissaire du gouvernement ne se reflètent pas dans la solution adoptée par l’arrêt, elles constituent une sorte d’opinion dissidente qui nourrira la réflexion des plaideurs futurs et de la doctrine ».
La Cour s’interroge sur ce que la présentation publique de l’opinion d’un juge ne porterait en outre pas atteinte au devoir d’impartialité, dans la mesure où le commissaire du gouvernement, au moment du délibéré, n’est qu’un juge parmi d’autres et que sa voix ne saurait peser sur la décision des autres juges au sein desquels il se trouve en minorité, quelle que soit la formation dans laquelle l’affaire est examinée (sous-section, sous-sections réunies, section ou assemblée). Il est d’ailleurs à noter que, dans la présente affaire, la requérante ne met nullement en cause l’impartialité subjective ou l’indépendance du commissaire du gouvernement.
Toutefois, la Cour observe que cette approche ne coïncide pas avec le fait que, si le commissaire du gouvernement assiste au délibéré, il n’a pas le droit de voter. La Cour estime qu’en lui interdisant de voter, au nom de la règle du secret du délibéré, le droit interne affaiblit sensiblement la thèse du gouvernement, selon laquelle le commissaire du gouvernement est un véritable juge, car un juge ne saurait, sauf à se déporter, s’abstenir de voter. Par ailleurs, il serait difficile d’admettre que des juges puissent exprimer publiquement leur opinion et que d’autres puissent seulement le faire dans le secret du délibéré.
En outre, en examinant le grief concernant la non-communication préalable des conclusions du commissaire du gouvernement et l’impossibilité de lui répliquer, la Cour a accepté que le rôle joué par le commissaire pendant la procédure administrative requière l’application de garanties procédurales en vue d’assurer le respect du principe du contradictoire. La raison qui a amené la Cour à conclure à la non-violation de l’article 6, § 1, sur ce point n’était pas la neutralité du commissaire du gouvernement vis-à-vis des parties mais le fait que la requérante jouissait de garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer son pouvoir. La Cour estime que ce constat entre également en ligne de compte pour ce qui est du grief concernant la participation du commissaire du gouvernement au délibéré. Enfin, la théorie des apparences doit aussi entrer en jeu : en s’exprimant publiquement sur le rejet ou l’acceptation des moyens présentés par l’une des parties, le commissaire du gouvernement pourrait être légitimement considéré par les parties comme prenant fait et cause pour l’une d’entre elles.
Pour la Cour, un justiciable non rompu aux arcanes de la justice administrative peut assez naturellement avoir tendance à considérer comme un adversaire un commissaire du gouvernement qui se prononce pour le rejet de son pourvoi. À l’inverse, il est vrai, un justiciable qui verrait sa thèse appuyée par le commissaire le percevrait comme son allié.
La Cour conçoit en outre qu’un plaideur puisse éprouver un sentiment d’inégalité si, après avoir entendu les conclusions du commissaire dans un sens défavorable à sa thèse à l’issue de l’audience publique, il le voit se retirer avec les juges de la formation de jugement afin d’assister au délibéré dans le secret de la chambre du conseil56. Depuis l’arrêt Delcourt, la Cour a relevé à de nombreuses reprises que, si l’indépendance et l’impartialité de l’avocat général ou du procureur général auprès de certaines cours suprêmes n’encouraient aucune critique, la sensibilité accrue du public aux garanties d’une bonne justice justifiait l’importance croissante attribuée aux apparences.
C’est pourquoi la Cour a considéré que, indépendamment de l’objectivité reconnue de l’avocat général ou du procureur général, celui-ci, en recommandant l’admission ou le rejet d’un pourvoi, devenait l’allié ou l’adversaire objectif de l’une des parties et que sa présence au délibéré lui offrait, fût-ce en apparence, une occasion supplémentaire d’appuyer ses conclusions en chambre du conseil, à l’abri de la contradiction. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de la jurisprudence constante rappelée ci-dessus, même s’agissant du commissaire du gouvernement, dont l’opinion n’emprunte cependant pas son autorité à celle d’un ministère public.
La Cour observe en outre qu’il n’a pas été soutenu que la présence du commissaire du gouvernement s’imposait pour contribuer à l’unité de la jurisprudence ou pour aider à la rédaction finale de l’arrêt. Il ressort des explications du gouvernement que la présence du commissaire du gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire.
De l’avis de la Cour, l’avantage pour la formation de jugement de cette assistance purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du gouvernement ne puisse pas, par sa présence, exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré. Tel n’est pas le cas dans le système français actuel. La Cour se trouve confortée dans cette approche par le fait qu’à la CJUE, l’avocat général, dont l’institution s’est étroitement inspirée de celle du commissaire du gouvernement, n’assiste pas aux délibérés, en vertu de l’article 27 du règlement de la CJUE. En conclusion, il y a eu violation de l’article 6, § 1, de la Convention, du fait de la participation du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement57.
La Cour maintient ainsi sa position en affirmant que : « La Cour souligne en premier lieu que, si dans le dispositif de l’arrêt Kress elle indique conclure à la violation de l’article 6, § 1, de la Convention en raison de la “participation” du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’État, il est fait usage dans la partie opérationnelle de l’arrêt tantôt de ce terme, tantôt de celui de “présence”, ou encore des termes “assistance” ou “assiste” ou “assister au délibéré”. La lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre néanmoins clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du gouvernement au délibéré, que celle-ci soit “active” ou “passive”. Les paragraphes 84 et 85, par exemple, sont à cet égard particulièrement parlants : examinant l’argument du gouvernement selon lequel la “présence” du commissaire du gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire, la Cour répond que l’avantage pour la formation de jugement de cette “assistance” purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du gouvernement ne puisse pas, par sa “présence”, exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré, et constate que tel n’est pas le cas du système français. Tel est au demeurant le sens que l’on doit donner à cet arrêt au vu de la jurisprudence de la Cour, celle-ci ayant condamné non seulement la participation, avec voix consultative, de l’avocat général au délibéré de la Cour de cassation belge (arrêts Borgers et Vermeulen58), mais aussi la présence du procureur général adjoint au délibéré de la Cour suprême portugaise, quand bien même il n’y disposait d’aucune voix consultative ou autre, et la seule présence de l’avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation française ; cette jurisprudence se fonde pour beaucoup sur la théorie des apparences et sur le fait que, comme le commissaire du gouvernement devant les juridictions administratives françaises, les avocats généraux et procureur général en question expriment publiquement leur point de vue sur l’affaire avant le délibéré. Cela étant, la Cour rappelle que, sans qu’elle soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres précédents – même si, la Convention étant avant tout un mécanisme de défense des droits de l’Homme, la Cour doit cependant tenir compte de l’évolution de la situation dans les états contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre59. En l’espèce, la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre qu’il y a lieu de réformer sa jurisprudence Kress. Partant, il y a eu, en la cause du requérant, violation de l’article 6, § 1, de la Convention du fait de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’État. »60
Parallèlement à la théorie des apparences qu’il convient de garder à l’esprit pour évaluer la position favorable du Conseil constitutionnel aux dispositions sur la charte de déontologie et aux pouvoirs du vice-président relatifs, il importe de souligner la tendance croissante à la reconnaissance des effets produits par les actes de droit souple et leur justiciabilité conséquente.
Or, compte tenu des effets juridiques nombreux de la charte de déontologie, son invocabilité et sa justiciabilité appelleront des précisions de la part du juge administratif. La logique de la justiciabilité croissante du droit souple devrait conduire à l’existence d’un contentieux de telles chartes. Ce sont ces applications et ces précisions qui permettront sans doute d’apprécier que le juge répond aux critères du droit au juge dans ce contexte renouvelé, tout en en ayant toutes les apparences. La Cour européenne des droits de l’Homme pourrait, au gré des affaires et contentieux, être de nouveau amenée à se prononcer sur le droit au juge administratif et ses apparences.
Notes de bas de pages
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1.
L’information se trouve relatée dans les commentaires aux Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision ici analysée : « Dans cette affaire, M. Michel Pinault a estimé devoir s’abstenir de siéger. Le Conseil constitutionnel a dûment constaté, conformément à l’article 14 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, qu’il devait, en raison d’un cas de force majeure, déroger au quorum prévu par cet article ».
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2.
Cons. const., 20 oct. 2017, n° 2017-666 QPC.
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3.
CE, 19 juill. 2017, n° 411070.
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4.
L. n° 2016-483, 20 avr. 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
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5.
Depuis mars 2015, les avis sont en ligne sur le site Légifrance.
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6.
Cons. const., 22 juill. 1980, n° 80-119 DC.
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7.
Cons. const., 23 janv. 1987, n° 86-224 DC.
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8.
P. Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, lors de l’audience solennelle de rentrée de la cour administrative d’appel de Douai le 22 septembre 2005.
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9.
Laidié Y., Le statut de la juridiction administrative, thèse, 1993, Dijon.
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10.
Ce code, qui procède de la fusion des lois antérieures, a été créé par l’ordonnance n° 2000-387 du 4 mai 2000, relative à la partie législative du Code de justice administrative. Cette dernière a été expressément ratifiée par l’article 31 de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit.
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11.
Préc.
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12.
Cons. const., 28 déc. 2006, n° 2006-545 DC, loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, cons. 24.
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13.
Cité dans les commentaires sur la décision ici étudiée.
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14.
Cons. const., 2 juill. 2010, n° 2010-10 QPC, Consorts C. et autres (tribunaux maritimes commerciaux), cons. 4.
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15.
Ibid.
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16.
Cons. const., 8 juin 2012, n° 2012-250 QPC, M. Christian G. (composition de la commission centrale d’aide sociale), cons. 3 à 6.
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17.
Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-241 QPC, EURL David Ramirez (mandat et discipline des juges consulaires), cons. 22 à 27.
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18.
Cons. const., 20 mars 2015, n° 2014-457 QPC, Mme Valérie C., épouse D. (composition du conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire), cons. 5.
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19.
Cons. const., 24 oct. 2014, n° 2014-423 QPC, M. Stéphane R. et autres (cour de discipline budgétaire et financière), cons. 19. Décisions citées dans les commentaires précités.
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20.
Cons. const., 29 sept. 2011, n° 2011-179 QPC, Mme Marie-Claude A. (conseil de discipline des avocats), cons. 5.
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21.
V. par ex. pour le juge des enfants, Cons. const., 8 juill. 2011, n° 2011-147 QPC, M. Tarek J. (composition du tribunal pour enfants).
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22.
Cons. const., 16 mai 2013, n° 2013-310 QPC, M. Jérôme P. (conseil de discipline des avocats en Polynésie française), cons. 8 à 10. Cons. const., 25 nov. 2011, n° 2011-199 QPC, M. Michel G. (discipline des vétérinaires), cons. 12.
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23.
Cons. const., 25 nov. 2011, n° 2011-199 QPC, M. Michel G. (discipline des vétérinaires), cons. 12. Ces décisions sont mentionnées dans le commentaire déjà cité sur la décision du 20 octobre 2017.
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24.
Cons. const., 16 mars 2017, n° 2017-624 QPC, M. Sofiyan I. (assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II), par. 11 et 12. Décisions citées dans les commentaires sur la décision ici étudiée.
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25.
C’est ce que souligne le commentaire précité sur la décision du 20 octobre 2017.
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26.
Cons. const., 19 juill. 2010, n° 2010-611 DC préc.
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27.
CE, sect., 2 mars 1973, n° 84740, Demoiselle Arbousset.
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28.
Avant-propos de la première version de ladite charte.
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29.
CJA, art. L. 131-8.
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30.
M. Vasselle A., Sénat, rapp. n° 274, fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 décembre 2015, p. 76.
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31.
http://www.agence-nationale-recherche.fr/CharteDeontologieSelection
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32.
https://www.arcep.fr/index.php ?id=11843
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33.
Cons. const., 20 juin 2016, n° 392214.
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34.
Passage significatif de l’arrêt Kress de la Cour européenne des droits de l’Homme de 2001.
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35.
L’Assemblée nationale n’a pas été saisie de ces dispositions relatives aux juridictions administratives. En effet, une lettre rectificative les a supprimées du projet de loi initial au bénéfice d’une habilitation à prendre ces mesures par ordonnance. Ces mesures ont été réintroduites par amendement lors de la première lecture du texte à l’Assemblée nationale.
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36.
Amendement n° CL234, présenté par Mme Françoise Descamps-Crosnier lors de l’examen du texte en commission le 1er octobre 2015 à l’Assemblée nationale.
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37.
M. Vasselle A., op. cit., p. 80. Cité dans les commentaires précités sur la présente décision.
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38.
CEDH, 9 nov. 2006, n° 65411/01, Sacilor-Lormines c/ France, § 65.
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39.
CJA, art. L. 231-3.
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40.
Ibid.
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41.
C. élect., art. LO 142.
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42.
Par renvoi de C. élect., art. LO 297.
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43.
C. élect., art. L. 231.
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44.
C. élect., art. L. 195.
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45.
C. élect., art. L. 342.
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46.
V. le commentaire déjà cité sur la décision du 20 octobre 2017.
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47.
V. notre livre, Le Conseil d’État, acteur et censeur de l’action publique, 2017, Lextenso. V. CE, 13 mars 1925, Sieur Desrumeaux : Lebon p. 262.
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48.
CJA, art. L. 131-5.
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49.
Commentaires déjà cités sur la décision ici commentée.
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50.
Ord. n° 2016-1365, 13 oct. 2016, portant dispositions statutaires concernant le Conseil d’État.
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51.
CJA, art. L. 132-1 et CJA, art. L. 132-2.
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52.
CJA, art. L. 136-5.
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53.
CJA, art. L. 136-4.
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54.
V. comm. préc. sur la décision ici étudiée.
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55.
CEDH, 7 juin 2001, n° 39594/98, Kress c/ France.
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56.
V. dans le même sens arrêt Delcourt, CEDH, 17 janv. 1970, n° 2689/65, p. 16-17, § 30.
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57.
Arrêt Kress préc.
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58.
CEDH, 20 févr. 1996, n° 19075/91, Vermeulen, et CEDH, 30 oct. 1991, n° 12005/86.
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59.
V. par ex. les arrêts Chapman c/ Royaume-Uni [GC], CEDH 2001-I, n° 27238/95, § 70, et Christine Goodwin c/ Royaume-Uni [GC], CEDH 2002-VI, n° 28957/95, § 74.
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60.
CEDH, 1er avril 2006, n° 58675/00, Martinie c/ France.