L’article 45 de la constitution : du nouveau dans la navette parlementaire
Les modalités de la navette parlementaire déterminées par l’article 45 de la constitution pourraient être modifiées dans le cadre de la réforme institutionnelle proposée par Emmanuel Macron.
L’article 45 de la constitution, déterminant les modalités d’adoption de la loi était figé, à quelques mots près1, dans le marbre constitutionnel depuis 1958 et les seules évolutions perceptibles se sont épanouies à la lueur de la jurisprudence constitutionnelle relative aux limitations du droit d’amendement lors de la navette2. Désormais, il est, lui aussi, conduit à connaître les affres du changement au nom des exigences propres à la réactivité et l’immédiateté de l’action politique. Cela ne constitue en rien une surprise. S’inscrivant (pour une fois) dans le sillon tracé par son prédécesseur3, le ton avait été donné par Emmanuel Macron dès juillet 2017 dans son message prononcé au Congrès : « le rythme de conception des lois doit savoir répondre aux besoins de la société (…). Il faut qu’au temps long du travail législatif, que je viens d’évoquer, soit ajoutée la faculté d’agir vite. Ainsi, la navette pourrait être simplifiée »4. C’est dans cet esprit que l’article 5 du projet de loi constitutionnelle se propose de modifier la procédure législative et donc la structure du dialogue bicaméral entre les assemblées.
Plusieurs solutions alternatives étaient envisageables. En se centrant sur le seul article 45 C, l’idée de supprimer purement et simplement la seconde lecture et donc, en cas d’absence d’adoption d’un texte commun entre les chambres, de permettre la convocation de la commission mixte paritaire (CMP) après une seule lecture avait été un temps évoqué. L’intérêt d’une telle modification constitutionnelle est ici limité pour les projets de loi puisque ce résultat est de facto quasiment atteint en raison du recours massif par le gouvernement à la procédure accélérée prévue par l’article 45, alinéa 2 C. C’est ainsi que 85 % des projets de loi, sans compter les textes financiers, ont été concernés lors des sessions 2015-2016 et 2016-2017. Il était aussi envisageable de prescrire, à l’instar des règles imposées aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale, des délais maximums d’adoption. Toutefois, fixer une enveloppe temporelle de X jours s’imposant ne varietur à des textes aux ambitions et volumes fortement dissemblables est, en pratique, malaisé. Faute de pouvoir emprunter ces voies, le constituant s’est tourné vers une modification de la procédure une fois l’intervention de la commission mixte paritaire effectuée. S’il n’est pas prévu de mettre fin à l’existence la nouvelle lecture5, son réaménagement est à l’ordre du jour.
Rappelons que, dans sa rédaction actuelle, l’article 45, alinéa 4 C prévoit que dans les hypothèses où la CMP ne serait pas parvenue à adopter un texte de compromis (ou si, fait rarissime, celui-ci n’a pas été approuvé par les deux assemblées), le gouvernement est en droit, après une nouvelle lecture dans chaque chambre, d’inviter l’Assemblée nationale à statuer définitivement. On le sait, ce dernier mot donné aux représentants directs du peuple est la marque de fabrique du bicamérisme imparfait fondé par la constitution de 1958.
L’ambition de l’actuelle réforme consiste à réaménager la phase de la nouvelle lecture (soit la « dernière procédure égalitaire avant la rupture du bicaméralisme »6), dont on sait, qu’après l’échec de la CMP, elle ne permet pas – sauf dans des cas résiduels – aux deux assemblées de trouver un ultime terrain d’entente. L’article 5 entend, en conséquence, modifier l’article 45, alinéa 4 C de la manière suivante : « Si la commission mixte paritaire ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté par l’une des assemblées dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. Dans ce cas, le Sénat statue dans les 15 jours suivant cette demande sur le dernier texte voté par l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale statue sur le dernier texte voté par elle dans les 8 jours suivant la date à laquelle le Sénat a statué. Hors les amendements adoptés par le Sénat, seuls sont alors recevables, avec l’accord du gouvernement, les amendements déposés au Sénat ».
Avant d’aller plus loin, certains aspects pourront être rapidement abordés. Il n’y a pas lieu, en effet, d’insister sur les vertus de l’écoulement du temps pour la qualité de la confection législative. Au-delà de la grandiloquence de Clemenceau répondant au général Boulanger (« Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage. Oui ! Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait »7), la précipitation n’est guère recommandée en matière législative. Les illustrations ne manquent pas pour s’en convaincre8. Pareillement, il ne sera ni proposé de creuser des aspects sociologiques (liés aux exigences d’une société hyper médiatisée et connectée glorifiant les vertus de la célérité de l’action politique) ni encore d’évoquer les incidences du quinquennat conduisant inexorablement le chef de l’État à être soucieux de voir les réformes qu’il a lui-même impulsées être le plus rapidement mises en œuvre.
D’autres éléments retiendront davantage notre attention sous une approche globale (I) puis technique (II).
I – Une appréciation globale de la modification constitutionnelle envisagée
Il est d’abord nécessaire de replacer la supposée lenteur de la fabrique de la loi dans son contexte. À écouter François Hollande (« Nous avons aujourd’hui des projets qui, parfois, sont attendus depuis longtemps et qui mettent des mois et des mois. En moyenne, au plus court, 6 à 7 mois, parfois 9 à 10 mois »9) repris par Emmanuel Macron (« Notre temps collectif est aujourd’hui trop lent »10), la chose est entendue. Le hiatus temporel entre l’annonce de la réforme et sa concrétisation juridique11 serait devenu déraisonnable et inadapté au fonctionnement d’un État moderne. Pourtant, il y a lieu de relever qu’en pratique le délai moyen d’adoption des projets de loi (hors textes financiers et ayant pour objet d’autoriser la ratification d’engagements internationaux) se situe, en 2016-2017, à 137 jours. Assez logiquement, le délai moyen est plus élevé pour les propositions de loi (258 jours) et ce surtout pour celles d’entre elles non soumises à la procédure accélérée (364 jours)12. Mais pour revenir aux textes intéressant en premier chef l’exécutif (à savoir ses projets de loi), le délai moyen – qui décroît progressivement13 notamment en raison du recours quasi systématique à la procédure accélérée – apparaît tout de même adéquat eu égard à l’objectif assigné : celui consistant à réformer un État dans un secteur déterminé via la voie législative. Certes, les chiffres avancés ne sont que des moyennes et il est possible de pointer du doigt, en écartant certains cas ubuesques14, les 8 et 13 mois – sans compter la période requise par le Conseil constitutionnel pour effectuer son contrôle de constitutionnalité – nécessaires pour voter respectivement la loi dite Macron du 5 août 2015 et la loi dite Touraine du 26 janvier 2016. Reste que cette approche brute n’a guère de sens au regard de la densité normative de tels textes. Pourrait-on reprocher au législateur d’avoir eu besoin de 3 années afin d’adopter la loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du Code pénal ?
Voir la paille dans l’œil du voisin et ne pas voir la poutre dans le sien. Ce proverbe résume parfaitement l’attitude du gouvernement qui, dans sa complainte régulière de la lenteur de la procédure parlementaire, oublie régulièrement qu’il est aussi pour partie responsable de la situation. N’est-ce pas le cas lorsqu’il participe, via le recours à son droit d’amendement découlant de l’article 44 C15, au processus d’augmentation continue du nombre d’articles entraînant corrélativement un allongement des débats ? Qu’on en juge avec ces quelques exemples récents : les projets de loi Touraine (loi du 26 janvier 2016) et Égalité et citoyenneté (loi du 27 janvier 2017) comptaient initialement 57 et 41 articles. On en dénombra finalement respectivement 227 et 224… D’une manière plus globale, il est désormais constaté que la moitié des textes double de volume en cours de navette. Tout ceci, indépendamment de l’impact sur le déroulement du débat, fausse la production de l’étude d’impact et la consultation du Conseil d’État qui, en réalité, portent sur des textes tronqués.
Par ailleurs, il n’est pas rare que des projets connaissent une période d’enlisement du seul fait de la désinvolture du gouvernement qui donne alors l’impression de se désintéresser d’un texte qu’il a lui-même initié. C’est ainsi que le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, déposé à l’Assemblée nationale en juillet 2013, fut, après une lettre rectificative, examiné par la commission des lois seulement à partir d’octobre 2015. Pareillement, on pourra citer les lois du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne et du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle où, nonobstant le recours à la procédure accélérée, l’inscription de l’examen du texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale fut effectuée plus de six mois après son adoption par le Sénat en première lecture. Encore plus récemment, que penser de l’attitude gouvernementale qui a attendu trois semaines pour inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, statuant en dernière lecture, un projet de loi ne comportant que deux articles16 ?
Ensuite, à écouter d’autres récriminations de l’exécutif (« Il est des situations d’urgence que le rythme propre au travail parlementaire ne permet pas de traiter suffisamment vite »17), on laisse accroire que la procédure législative, par sa rigidité, serait hermétique à toute adaptation lorsque les nécessités l’exigent. Sans évoquer l’adoption le 20 novembre 2015 du projet de loi déposé le 18 novembre prolongeant l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, il est à relever que le Parlement est tout à fait en capacité de s’organiser afin d’accélérer, si le besoin s’en fait sentir, le processus de fabrique de la loi. On s’en convaincra avec l’adoption du premier projet de loi de finances rectificative pour 2017 (qualifié de « Blitz », loi du 1er décembre 2017) ayant pour vocation d’établir rapidement une nouvelle taxe destinée à compenser le manque à gagner de plus de 10 milliards d’euros provoqué par l’annulation de la taxe de 3 % sur les dividendes décidée par le Conseil constitutionnel en octobre 201718. Un comportement similaire est observable avec la loi permettant une bonne application du régime d’asile européen dont la promptitude procédurale (déposée le 24 octobre 2017, la proposition de la loi a été définitivement adoptée le 15 février 2018) était exigée eu égard à la position de la Cour de cassation19 jugeant illégal – faute de disposition générale – le placement en rétention administrative d’un étranger faisant l’objet d’une procédure de transfert en application du règlement Dublin III. Le vide juridique rendait ainsi impérieuse une intervention législative rapide. L’objectif fut atteint.
Abordons désormais la révision constitutionnelle projetée sous une perspective plus technique.
II – Une appréciation technique de la modification constitutionnelle envisagée
En resserrant la focale, il est, en premier lieu, à craindre que les gains de productivité temporelle apportés par la nouvelle rédaction de l’article 45, alinéa 4 C soient finalement réduits. Plusieurs raisons peuvent être avancées.
Primo, il est à souligner que la modification projetée a seulement trait à la situation postérieure à l’échec d’une CMP et donc, in fine, à la possibilité donnée au gouvernement de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. Or, cette modalité spécifique d’adoption de la loi reste exceptionnelle. En effet, 88 % des textes législatifs (hors ceux tendant à autoriser la ratification d’une convention internationale) ont été adoptés conformes par les assemblées entre 1959 et 2017 suite à la navette ou à une CMP fructueuse. Les périodes de disharmonie politique entre les assemblées atténuent seulement cette tendance mais ne la remettent pas en cause. Ainsi, si la VIIe législature (1981-1986) est connue comme ayant été la plus crispée, il faut tout de même rappeler qu’à l’époque plus de 60 % des lois n’avaient pas donné lieu à l’intervention du dernier mot de l’Assemblée nationale20. D’un mot, la révision ne concerne qu’un mécanisme dérogatoire par rapport aux modalités d’adoption de droit commun.
Secundo, on a vu que le constituant entend, d’une part, supprimer la nouvelle lecture de l’Assemblée nationale et, d’autre part, imposer des délais d’examen préfixés aux assemblées – justifiant donc une inscription d’office à l’ordre du jour à la demande du gouvernement. Tandis que le Palais du Luxembourg aurait à statuer dans les 15 jours suivant la demande faite à l’Assemblée nationale d’intervenir en dernière lecture, le Palais-Bourbon disposerait, lui, de 8 jours à compter de la date de délibération du Sénat. Selon l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, il est question de « gagner un temps précieux [car] il arrive aujourd’hui que cette procédure dure de très nombreuses semaines sans que cela se justifie, alors même que nos concitoyens attendent que soient adoptés les textes ainsi en discussion ».
Or, plusieurs constatations peuvent être établies à partir de l’étude des 17 derniers mots donnés à l’Assemblée nationale (hors textes financiers) sur les sessions 2015-2016 et 2016-2017. D’une manière globale, il faut escompter, en moyenne, deux mois entre l’échec de la CMP et la dernière lecture. Le temps laissé aux commissions législatives afin de réexaminer le texte mis à part, l’élément d’explication réside essentiellement dans la difficulté pour le gouvernement à trouver des créneaux législatifs – hormis les cas où sa légèreté peut être évoquée (voir supra). L’objectif du constituant vise donc à réduire plus que de moitié cette période (puisque 15 jours et 8 jours seraient respectivement impartis au Sénat et à l’Assemblée).
En second lieu, ces nouvelles modalités sont de nature à modifier l’équilibre bicaméral en risquant d’atténuer l’influence du Sénat sur le processus législatif. Sur le plan temporel, l’Assemblée nationale ne sera guère pénalisée puisque le délai imparti de 8 jours est déjà respecté dans les faits dans 13 cas sur 17 entre 2015 et 201721. En revanche, la contrainte est plus évidente pour le Sénat puisqu’il dispose actuellement d’un délai plus long (trois semaines en moyenne à compter de la date d’adoption du texte par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture) et que rien n’interdit, au surplus, au rapporteur du Palais du Luxembourg de travailler sur le texte – notamment en organisant des auditions – avant sa transmission officielle. La révision contraindra donc les seuls sénateurs à travailler plus hâtivement.
Mais au-delà de cette considération, l’apport global du Sénat à la confection de la loi peut s’en trouver minoré. Il est, en effet, question de lui faire examiner le texte voté par l’Assemblée nationale en première lecture (ou plus rarement en seconde) et non plus le texte issu de la nouvelle lecture. De prime abord, on pourrait spontanément penser que la différence est minime puisque l’Assemblée nationale, une fois l’échec de la CMP consommé, a vocation à rétablir le texte qu’elle avait adopté avant la réunion de la CMP. Dit autrement, le sort des dispositions supprimées ou dénaturées par le Sénat est d’être ressuscitées par les députés.
Toutefois, l’examen en nouvelle lecture effectué par l’Assemblée nationale constitue, dans bien des cas, une étape bénéfique pour le Sénat. On sait que des accords partiels peuvent être trouvés en CMP mais que faute pour celle-ci de trouver un texte commun sur l’ensemble des dispositions restant en discussion, son échec est alors constaté22. Tout n’est pas perdu pour autant. Si l’Assemblée revient sans surprise, comme on l’a vu, à son texte précédemment adopté, il est aussi fréquent qu’elle reprenne à son compte des dispositions sur lesquelles députés et sénateurs se sont mis d’accord en CMP23 ainsi que des améliorations rédactionnelles et techniques apportées par le Sénat. Tel ne sera plus le cas avec la nouvelle mouture de l’article 45 C.
Enfin, concernant la procédure du dernier mot laissé à l’Assemblée nationale par le gouvernement, deux modifications sont prévues. La première est mineure. L’alternative prévue par l’article 45 C (« l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle ») serait amenée à disparaître (« L’Assemblée nationale statue sur le dernier texte voté par elle »). Cela n’aura guère d’incidences puisqu’il ne s’agit ici que de retranscrire en droit la réalité observable24. La seconde est plus intéressante et pourrait s’apparenter à une compensation apportée au Sénat. L’article 45, alinéa 4 C prescrit, dans sa formulation actuelle, que le Palais-Bourbon « peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ». Celui-ci conserve, en adoptant des amendements en nouvelle lecture25, la possibilité de peser sur la formulation du texte voté par l’Assemblée nationale. L’intérêt pour le Sénat, s’il entend être une ultime fois partie prenante sur la configuration finale du texte, est donc d’adopter des amendements susceptibles d’être repris (par le gouvernement, la commission ou un député) en lecture définitive par l’Assemblée. Ainsi, « par ses votes, le Sénat détermine le champ du débat en dernière lecture »26 puisque les amendements émanant du gouvernement et de députés n’ayant pas pour objet de reprendre un amendement du Palais du Luxembourg peuvent seulement avoir pour objet d’assurer le respect de la constitution, d’opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou de corriger une erreur matérielle. Relevons cependant qu’il arrive parfois au Sénat, afin de marquer son opposition frontale au texte ou plus exceptionnellement afin d’accélérer la procédure27, de refuser de se placer dans cette logique. En rejetant le texte en nouvelle lecture – généralement en adoptant une motion tendant à opposer la question préalable28 – il renonce alors à amender le texte29.
L’ambition de la modification constitutionnelle consiste à élargir les conditions de recevabilité des amendements en lecture définitive. Il est ainsi prévu que « hors les amendements adoptés par le Sénat, seuls sont alors recevables, avec l’accord du gouvernement, les amendements déposés au Sénat ». L’avancée est donc en apparence significative puisqu’il ne s’agirait plus des seuls amendements adoptés par le Sénat mais aussi ceux déposés (en commission et en hémicycle) à la réserve près (mais elle est importante) que le gouvernement y donne son accord. Il n’est pas certain que le Sénat y gagne réellement au change et ce surtout dans des périodes où il est mis à l’écart de la liaison majoritaire unissant l’exécutif et l’Assemblée nationale.
Pour conclure, soulignons que les exigences de célérité ne constituent pas une fin en soi et que les impératifs de productivité en matière législative doivent être appréciés avec tact et prudence. À terme, les fondements même de la démocratie représentative finissent par se fissurer. C’est dans ce sens que le caractère expéditif de la procédure législative mise en œuvre en Hongrie est régulièrement pointé du doigt. Ainsi, tandis que la Commission de Venise s’inquiétait du fait que « les lois organiques étaient adoptées ou révisées à la va-vite »30, un rapport d’information du Sénat relevait que « la procédure législative elle-même favorise l’adoption rapide de mesures contestables sans véritable débat, puisque l’examen du texte n’excède jamais 48 heures. Les propositions de loi ne donnent pas lieu par ailleurs à un examen en commission. Un certain nombre de projets gouvernementaux ont ainsi été “repris” par des parlementaires pour accélérer la procédure (…) 822 lois ont ainsi pu être adoptées en quatre ans »31. Est-ce un horizon souhaitable ? Assurément non !
Notes de bas de pages
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1.
Les seules modifications sont survenues en 2008. D’une part, l’urgence a été remplacée par la procédure accélérée (avec l’hypothétique veto conjoint des conférences des présidents des assemblées, d’autre part des restrictions au droit d’amendement en première lecture ont été fixées.
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2.
Pour s’en tenir à la situation actuelle, « les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion. Toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ». Voir, pour une récente illustration, Cons. const., 18 janv. 2018, n° 2017-760 DC, loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 : JO n° 18, 23 janv. 2018, texte n° 2.
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3.
Hollande F. : « Je veux, je propose donc que nous puissions entièrement revoir la procédure législative. Savoir prendre le temps nécessaire pour aborder les grandes questions de société et peut-être même de sécurité, les lois bioéthiques, les libertés. Pouvoir se limiter en revanche à une seule lecture dans chaque Assemblée pour les textes où l’urgence est prononcée. Faire que les amendements puissent être adoptés en commission et réduits au minimum en séance. Et je suis même pour qu’il y ait une procédure expresse qui soit fixée au Parlement, c’est-à-dire un délai limite, comme il en existe pour les lois de finances », Colloque « Refaire la démocratie », AN, 6 oct. 2016.
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4.
Macron E., JO, Congrès, débats, 3 juill. 2017, p. 6.
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5.
Rappelons que l’avant-projet de constitution du 15 juillet 1958 prévoyait que l’Assemblée nationale puisse statuer définitivement après l’échec de la CMP : Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la constitution du 4 octobre 1958, 1987, t. 1, La Doc. Fr., p. 435.
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6.
Pierre M.-D., L’article 45 de la constitution de 1958, 1981, LGDJ, p. 261.
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7.
JO, chambre des députés, débats, 4 juin 1888, p. 183.
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8.
Pour n’en citer qu’une, songeons aux modalités d’exonération du versement transport déterminées par l’article 17 de la loi du 8 août 2014 et qui seront abrogées par l’article 86 de la loi du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 à la demande du gouvernement. Ce dernier n’étant « pas très fier de (…) présenter cette demande de suppression des dispositions qu’il avait lui-même proposées et qui, à l’évidence, ne fonctionnent pas et ne satisfont aucun des acteurs » (Eckert C., JOAN, débats, 2e séance du 5 décembre 2014, p. 9790).
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9.
Hollande F., ibid.
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10.
Macron E., ibid.
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11.
On mettra de côté la question du temps nécessaire pour prendre les mesures d’application réglementaires des textes législatifs.
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12.
Rapp. Sénat de la direction de la séance, 2016-2017, t. 1, p. 55. On en profitera pour remercier sincèrement les différents directeurs de la séance (MM. Hérin, Tavernier et Follin) de nous avoir communiqué chaque année ce document à la qualité inestimable dont on regrettera, par ailleurs, qu’il ne soit pas rendu public afin de mieux faire connaître les travaux du Sénat.
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13.
Il était de 162 jours (avec procédure accélérée) et de 454 jours (sans procédure accélérée) lors de la session 2013-2014.
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14.
Pensons aux 1 399 jours requis pour adopter la loi organique du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 C (le projet de loi avait été déposé le 22 décembre 2010) ou aux 4 608 jours pour la loi du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (la proposition de loi avait été adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier… 2002).
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15.
Une nouvelle fois, les chiffres bruts ne doivent pas faire illusion. Lors de la session 2015-2016 à l’Assemblée nationale, sur les 4 294 amendements déposés en séance publique, seulement 840 (soit 19 %) étaient issus du gouvernement (AN, Éléments statistiques, 2015-2016, p. 45). Toutefois, en pratique, ces amendements sont généralement substantiels (en ce sens qu’ils ont un impact normatif conséquent – voir par exemple ceux introduits sur le texte relatif à la modernisation de la justice – loi du 18 novembre 2016 – et relatifs notamment à la réforme du divorce par consentement mutuel, la suppression des tribunaux et la facilitation de la procédure de changement de sexe à l’état civil pour les personnes transsexuelles) et donc rarement rédactionnels, de clarification, de conséquence ou de coordination. Au surplus, le dépôt d’amendements gouvernementaux en commission ou en hémicycle déclenche fréquemment le dépôt de nouveaux amendements parlementaires. Enfin, il est à souligner que rien n’interdit au gouvernement de « suggérer » à tel ou tel élu de reprendre à son compte un de ses amendements…
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16.
L. n° 2018-132, 26 févr. 2018, ratifiant l’ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la profession de physicien médical et l’ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.
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17.
Macron E., Ibid.
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18.
À la suite de cette décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., 6 oct. 2017, n° 2017-660 QPC, contribution de 3 % sur les montants distribués : JO, 8 oct. 2017), le projet de loi a été délibéré le 2 novembre en conseil des ministres, la commission des finances saisies du texte à midi et le ministre de l’Économie et des Finances auditionnées l’après-midi même. Après l’examen des articles par la commission le 3 novembre, il a été adopté par l’Assemblée nationale le 6 novembre. Une fois l’échec de la CMP constaté le 10 novembre peu après 9 heures, le texte a été examiné à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture en commission le même jour à 10 h 30, puis en séance publique le 13 novembre. Le Conseil a estimé que le droit d’amendement n’avait pas été méconnu puisque « si, en nouvelle lecture, après l’échec de la commission mixte paritaire, le délai de dépôt des amendements en commission a été particulièrement bref, les dispositions du texte servant de base à ces amendements étaient connues dès l’issue de l’examen du projet de loi par le Sénat, en première lecture » (Cons. const., 29 nov. 2017, n° 2017-755 DC, loi de finances rectificative pour 2017 : JO, 2 déc. 2017).
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19.
Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 17-15160.
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20.
Pour s’en tenir à des périodes plus récentes, elles aussi marquées par l’absence d’identité politique entre les chambres, 69 % des textes (1997-2002) et 76 % (2012-2017) ont été adoptés conformes sans recours au dernier mot.
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21.
Si l’on s’intéresse aux exceptions, il s’agit, sauf dans une hypothèse (un délai de deux semaines pour la loi du 18 novembre 2016 relative au XXIe siècle), de propositions de loi qui suscitent, on le sait, moins d’empressement de la part du gouvernement que les projets.
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22.
Le Conseil constitutionnel a jugé que lorsque la CMP « ne s’accorde ni sur la rédaction, ni sur la suppression d’une des dispositions restant en discussion, elle doit être regardée comme n’étant pas parvenue, au sens du quatrième alinéa de l’article 45, “à l’adoption d’un texte commun” ; que son échec peut être alors constaté pour l’ensemble des dispositions restant en discussion » (Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2002-454 DC, Corse : Rec. Cons. const., p. 72).
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23.
Tel fut le cas, par exemple, de la création par la loi du 28 février 2017 relative au statut de paris de clubs de jeux destinés à se substituer aux cercles de jeux.
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24.
Georges Bergougnous fait état de six cas où l’Assemblée nationale a repris le texte de la CMP. Et encore, précise-t-il, qu’il « a eu une identité totale entre le texte CMP et celui adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale » (Bergougnous G., « L’article 45 », in La constitution de la République française, Luchaire F., Conac G. et Prétot X. (dir.), 3e éd., 2009, Economica, p. 1101).
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25.
Le Conseil constitutionnel a mis fin, en 2016, à une divergence d’interprétation entre les assemblées. Il a en effet jugé que les modifications apportées par le Sénat en nouvelle lecture peuvent avoir indifféremment pour origine : 1°) des amendements adoptés par la commission qui n'ont pas été supprimés en séance publique ; 2°) des amendements adoptés en séance publique et 3°) des amendements adoptés par la commission puis modifiés par des amendements adoptés en séance publique (Cons. const., 4 août 2016, n° 2016-737 DC, loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : JO, 9 août 2016, texte n° 5).
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26.
Bas P., Sénat Doc. parlementaire n° 839, 21 sept. 2016, p. 16.
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27.
Voir en ce sens la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 où il résulte clairement que « le vote de cette motion était souhaité non pas pour marquer une opposition de fond au texte mais en vue d’accélérer la procédure d'adoption de ce texte par le Parlement » (Cons. const., 29 déc. 2012, n° 2012-662 DC, loi de finances pour 2013 : Rec. Cons. const., p. 724, cons. 3). Cette utilisation particulière de la question préalable a été reconnue comme régulière par le juge constitutionnel.
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28.
Par exemple, lors de la session 2016-2017, le Sénat a rejeté sept textes sur douze (dont cinq via l’adoption d’une question préalable).
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29.
Dans ce cas, les amendements se proposant de reprendre les amendements sénatoriaux adoptés en première lecture sont déclarés irrecevables en lecture définitive. Cette position a été confirmée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 9 mai 1991, n° 91-290 DC, Corse : Rec. Cons. const., p. 50).
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30.
Commission de Venise, Avis sur le quatrième amendement à la Loi fondamentale de Hongrie, 2013, § 131.
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31.
Rapp. Sénat, Doc. parlementaire n° 406, 26 févr. 2014, p. 15.