Le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement

Publié le 02/04/2021
Le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement
freshidea / AdobeStock

Le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement a été présenté comme « une réponse forte à l’urgence environnementale ». Il propose d’intégrer à l’article 1er de la Constitution la préservation de l’environnement, conformément à une proposition de la convention citoyenne pour le climat. Il est de nature à étendre la responsabilité des acteurs publics en matière environnementale. Il fait de la protection de l’environnement une obligation constitutionnelle à la charge des pouvoirs publics. Il s’inscrit dans la continuité de la Charte de l’environnement de 2004 dont il vient consolider les principes.

Projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (JUSX2036137L) : https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000043022845/

La préservation de l’environnement constitue l’un des défis majeurs de notre temps et la Constitution, qui est au sommet de la hiérarchie des normes, doit refléter la volonté de la nation d’y répondre. Le constituant s’est déjà emparé de ce grand défi en permettant l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution et la modification de l’article 34 de la Constitution aux fins de confier au législateur le soin de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement.

Le projet de loi constitutionnelle adopté par le Conseil des ministres du 20 janvier 2021 et déposé le même jour sur le bureau de l’Assemblée nationale1 propose d’aller plus avant et de consacrer la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution, parmi les principes fondateurs de la République française. Plus précisément, il vise à inscrire dans cet article la garantie de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique. Ce faisant, il reprend l’une des 149 propositions de la convention citoyenne pour le climat2 mise en place par le Conseil économique, social et environnemental en octobre 2019 à la demande du Premier ministre, « pour proposer des mesures ambitieuses de réduction des émissions nationales de gaz à effet de serre, dans un esprit de justice sociale ». Dans son rapport du 21 juin 2020, cette convention citoyenne qui a rassemblé 150 citoyens tirés au sort et représentatifs de la diversité de la société, a notamment préconisé de modifier l’article 1er de la Constitution afin « de renforcer la responsabilité de la France en matière environnementale ».

Ce projet de loi constitutionnelle s’inscrit également dans la continuité des deux précédentes tentatives d’inscription de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique dans la Constitution.

Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a déclaré qu’il poursuit deux objectifs essentiels : « rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution et y inscrire un véritable principe d’action des pouvoirs publics à cette fin »3.

Il vient, selon la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, « préciser la Constitution en enrichissant le travail qui a été fait sur la Charte de l’environnement »4. Barbara Pompili a rappelé que le principe de cette charte était « le droit de vivre dans un environnement protégé » et a souligné que le fait de « rajouter nommément » la protection de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique dans l’article 1er du texte constitutionnel permet de préciser notre Constitution et donc de la « renforcer », ce qui « renforce le droit de l’environnement »5.

Au-delà de son évidente dimension symbolique, cette réforme constitutionnelle aura une réelle portée juridique. Elle devrait avoir « un effet accélérateur sur l’engagement de la responsabilité pour faute des acteurs publics, notamment en cas d’inaction, pour autant toutefois que soit démontré un lien de causalité entre cette inaction fautive et le dommage allégué »6.

Après avoir rappelé la constitutionnalisation progressive des principes environnementaux (I) et les différentes tentatives d’inscription dans la Constitution de la protection de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique (II), on examinera les principaux apports du projet de loi constitutionnelle qui est le troisième projet de réforme constitutionnelle portant sur la question environnementale présenté depuis 2018. On soulignera la forte portée symbolique de la révision constitutionnelle (III) avant d’envisager ses conséquences juridiques (IV).

I – La constitutionnalisation progressive des principes environnementaux

Avec la loi constitutionnelle relative à la Charte de l’environnement7 adoptée par le Parlement réuni en Congrès le 28 février 2005, la cause environnementale a fait son entrée dans la Constitution. Elle fait actuellement l’objet d’un contrôle de plus en plus poussé de la part du Conseil constitutionnel8.

La loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 a permis l’inscription de la Charte de l’environnement dans le préambule de la Constitution de 1958 aux côtés de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946.

Cette Charte de l’environnement, dont l’élaboration avait été confiée à une commission d’experts présidée par le paléontologue Yves Coppens, était à l’origine une proposition formulée par le président de la République Jacques Chirac à l’occasion de la campagne présidentielle de 2002. Cette charte « adossée » à la Constitution par la révision constitutionnelle du 1er mars 2005 est composée d’un préambule et de 10 articles. Elle est venue constitutionnaliser les grands principes du droit de l’environnement : le principe ou objectif de développement durable, le principe de prévention, le principe de précaution, le principe d’information et de participation et le principe pollueur-payeur9. Elle affirme que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation ». Elle indique que l’environnement est « le patrimoine commun des êtres humains ». Elle proclame dans son article 1er que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Par une décision n° 2008-564 du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, le Conseil constitutionnel a jugé que « l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle »10.

Le Conseil a par la suite précisé que si l’ensemble des dispositions de la charte ont valeur constitutionnelle, toutes n’instituent pas pour autant un droit ou une liberté que la Constitution garantit et ne peuvent donc pas être invoquées à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution11. Ainsi, les alinéas introductifs de la charte ne peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité12. C’est également le cas de l’exigence de promotion du développement durable consacrée à l’article 6 de la Charte de l’environnement13. En revanche, il ressort de la jurisprudence du Conseil que les quatre premiers articles numérotés de la Charte de l’environnement14 peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il en va de même en ce qui concerne l’article 7 de la charte15 relatif au principe d’information et de participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement.

Deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel en 2020 sont venues renforcer la protection de l’environnement promue par la charte.

Dans son importante décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques, le juge constitutionnel s’est basé sur le préambule de la charte pour en déduire que la protection de l’environnement est un objectif de valeur constitutionnelle16.

Dans sa décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, la haute juridiction a jugé que les limites apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi »17.

Cela étant précisé, le Conseil constitutionnel a toujours jusqu’ici refusé de consacrer un principe de non-régression de la protection de l’environnement, un principe qui empêcherait le législateur de revenir sur une législation visant la protection de l’environnement pour affaiblir celle-ci.

Toutefois, dans sa décision n° 2020-809 du 10 décembre 2020, le juge constitutionnel a reconnu que le législateur ne peut ignorer le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement : « S’il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement »18.

Par ailleurs, lorsque le constituant a adopté la Charte de l’environnement, il a également complété l’article 34 de la Constitution relatif aux matières relevant de la compétence du législateur afin d’y inclure « la préservation de l’environnement ».

Enfin, avec la loi constitutionnelle du 23 juillet 200819, les compétences du Conseil économique et social ont été élargies aux questions environnementales. Depuis cette révision constitutionnelle de 2008, le chef de l’État a la possibilité de soumettre à référendum tout projet de loi portant sur « des réformes relatives à la politique environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent »20.

II – Les projets de révision constitutionnelle abandonnés

La volonté de renforcer la place de la protection de l’environnement dans le texte constitutionnel de 1958 s’est traduite par la présentation de différents projets de modification de l’article 1er de la Constitution qui sont restés lettre morte.

Le premier projet de révision déposé en mai 2018 se bornait à introduire « la lutte contre les changements climatiques » au nombre des matières dont le législateur détermine les principes fondamentaux. Ce projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » adopté par le Conseil des ministres du 9 mai 201821 a ensuite été modifié avec le vote par l’Assemblée nationale d’un amendement adopté au cours de la séance publique du 13 juillet 2018. Ce projet de révision revu par les députés comportait alors l’écriture suivante : « [La République] agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques »22.

Ce projet de révision a été retiré par le gouvernement le 28 août 2019 du dépôt du projet de loi constitutionnelle « pour un renouveau de la vie démocratique ». Présenté au Conseil des ministres du 28 août 2019, ce second projet de loi constitutionnelle inscrivait, lui, à l’article 1er de la Constitution, le principe selon lequel « [la République] favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques »23.

Mais ce second projet de loi constitutionnelle n’a pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement. Ce texte tenait compte de l’avis du Conseil d’État, lequel avait affirmé explicitement qu’il convenait d’utiliser le verbe « favoriser » qui fait davantage référence à des objectifs plutôt que le verbe « agir ». En effet, dans son avis du 20 juin 2019, le Conseil d’État a alerté sur le fait que « l’affirmation d’un principe d’action imposerait une obligation d’agir à l’État, au niveau national ou international, comme aux pouvoirs publics territoriaux. Il serait susceptible d’avoir des conséquences très lourdes et en partie imprévisibles sur leur responsabilité, notamment en cas d’inaction »24.

Enfin, une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire la protection de l’environnement, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 29 juillet 202025. Cette proposition de loi constitutionnelle portée par le député écologiste Mathieu Orphelin se distingue des projets de révision de 2018 et 2019 dans la mesure où elle vient également inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe de non-régression environnementale. Ce principe de non-recul, qui a été reconnu par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages26, a été intégré à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. Il est défini comme le principe selon lequel « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

III – La forte portée symbolique de la réforme constitutionnelle

Reprenant dans une rédaction légèrement modifiée une proposition de la convention citoyenne pour le climat27, le projet de loi constitutionnelle comporte un article unique inscrivant au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958 que « [la France] garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

L’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, qui affirme des principes substantiels, est un « préambule prolongé » selon la formule de René Cassin.

Dans sa version actuelle, il dispose dans son premier alinéa que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». Cet article qui ouvre le texte constitutionnel ajoute dans son second alinéa que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Force est de constater que le projet de loi constitutionnelle présente l’intérêt de venir consacrer la préservation de l’environnement parmi les grands principes fondateurs de la République française, des principes à partir desquels le Conseil constitutionnel est venu construire sa jurisprudence.

L’inscription de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution revêt une portée symbolique incontestable, voulue par les membres de la convention citoyenne pour le climat. Pour l’avocat Yann Aguila, « mettre l’environnement à l’article 1er, celui qui ouvre la Constitution, marque l’attachement, le rang de priorité que l’on accorde à cette question. Cela lui donne plus de poids »28.

Se référant à son avis sur le projet de réforme constitutionnelle de juin 2019, le Conseil d’État a considéré que si l’article 1er de la Constitution « n’a pas, en principe, vocation à accueillir l’énoncé de politiques publiques (…) le caractère prioritaire de la cause environnementale, s’agissant d’un des enjeux les plus fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée, justifie qu’elle prenne place à cet article aux côtés des principes fondateurs de la République »29.

Par ailleurs, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a tenu à préciser que ce « rehaussement » de la place de la préservation de l’environnement dans la Constitution ne conduit pas pour autant à l’instauration d’une « hiérarchie » entre les normes de valeur constitutionnelle. En effet, le projet de modification de l’article 1er de la Constitution n’introduit aucune hiérarchie « entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle »30. Éric Dupond-Moretti a également souligné « qu’il ne s’agit pas davantage d’introduire un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière d’environnement qui, s’il existe dans la loi, n’a pas sa place dans la Constitution »31.

Enfin, certains ont fait valoir que, dans de nombreux États, l’inscription de l’environnement dans la norme juridique suprême a favorisé l’adoption de lois et d’actes administratifs protecteurs de l’environnement32.

IV – Les conséquences de la modification de l’article 1er de la Constitution

Le projet de loi constitutionnelle est de nature à renforcer, dans l’ordre juridique interne, l’enjeu environnemental, tout en venant consolider les principes de la Charte de l’environnement. Il va plus loin que le droit en vigueur en introduisant un principe d’action des pouvoirs publics en faveur de l’environnement dans l’ensemble des politiques publiques.

Il est de nature à étendre la responsabilité des acteurs publics « auxquels il tend à imposer, en promouvant la protection de l’environnement au rang de garantie constitutionnelle, une quasi-obligation de résultat »33. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a indiqué que le gouvernement était « parfaitement conscient des conséquences qui peuvent en résulter s’agissant de l’engagement de sa responsabilité en matière environnementale »34.

Le projet de loi constitutionnelle s’inscrit par ailleurs dans la logique du mouvement jurisprudentiel actuel. Dans son arrêt du 10 juillet 2020, le Conseil d’État a ordonné au gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air, sous astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard35. Dans son jugement rendu le 3 février 2021 relatif à l’« affaire du siècle », le tribunal administratif de Paris a reconnu l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il a jugé que l’État français a commis une « faute » en ne respectant pas ses engagements de réduction des gaz à effet de serre sur la période 2015-201836.

A – L’inscription dans la Constitution d’un principe d’action des pouvoirs publics en faveur de la préservation de l’environnement

Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, l’inscription du principe général de préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution lui donne une force particulière, « introduisant un principe d’action positif pour les pouvoirs publics et une volonté affirmée de mobiliser la nation ».

L’emploi du verbe « garantir », qui ne figure pas dans la Charte de l’environnement, permet de poser un principe d’action positif à destination de l’ensemble des pouvoirs publics, nationaux et locaux. Le verbe « garantir » recèle le même caractère impératif que le verbe « agir pour » que l’on retrouvait dans l’amendement adopté par les députés lors de l’examen du projet de révision constitutionnelle de 2018. Par conséquent, « le juge pourra se fonder sur [l’article 1er de la Constitution] pour enjoindre aux pouvoirs publics d’agir. S’ils n’agissent pas, ils seront dans une situation de carence au regard de leur obligation constitutionnelle »37. Le projet de loi constitutionnelle offre « une base juridique possible » pour de futures actions en justice en matière climatique. Yann Aguila relève que « dans le recours de l’affaire du siècle et l’affaire de Grande-Synthe, les ONG et la commune, qui reprochaient à l’État son inaction, ont eu beaucoup de difficulté à trouver la base juridique de leurs requêtes »38.

En prévoyant que la France « garantit » la préservation de l’environnement, le projet de loi constitutionnelle vient imposer aux pouvoirs publics « une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement »39.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil d’État a suggéré de préférer le terme « préserve » au terme « garantit ». Ce terme « préserve » permet selon lui « à la fois de répondre à la volonté du gouvernement de renforcer l’exigence environnementale et de tenir compte de l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tout en assurant une cohérence avec la Charte de l’environnement qui emploie ce même terme en plusieurs de ses articles ».

Par ailleurs, le verbe « garantir » a été préféré au verbe « favoriser » qui est déjà dans le texte de l’article 1er de la Constitution. Le terme « garantit » est plus fort et plus prescriptif que le terme « favorise », lequel « n’apparaît plus assez ambitieux au regard des enjeux actuels »40. Dans sa décision n° 2015‑465 QPC du 24 avril 2015, le Conseil constitutionnel a indiqué que le second alinéa de l’article 1er de la Constitution qui proclame que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux (…) » ne constitue pas un droit ou une liberté garantis par la Constitution au sens de l’article 61-2 de la Constitution41.

Il est à noter que l’utilisation du verbe « garantir » ne constitue pas pour autant une innovation. Il est utilisé à plusieurs reprises dans le « bloc de constitutionnalité », en particulier dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Ainsi, l’alinéa 3 de ce préambule dispose : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’Homme ». L’article 4 de la Constitution prévoit quant à lui que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation ». Cependant, la formulation retenue dans le projet de loi constitutionnelle « est à la fois plus large, car elle s’impose à tous les pouvoirs publics de la République et non au seul législateur, et moins rigide pour celui-ci, qui n’est pas le seul débiteur de cette obligation garantie »42.

En instituant « une garantie à la charge des pouvoirs publics »43, force est de reconnaître que le projet de loi constitutionnelle vient renforcer l’article 1er de la Charte de l’environnement qui dispose que toute personne a le droit de vivre dans un environnement sain et compléter son article 2 qui prévoit le devoir, pour toute personne, de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement44.

B – L’affirmation d’un principe constitutionnel de préservation de l’environnement et ses conséquences

L’utilité du projet de modification de l’article 1er de la Constitution a été notamment contestée au motif que la protection de l’environnement, qui est déjà mentionnée dans le préambule de la Constitution, fait pleinement partie du « bloc de constitutionnalité ». Elle constitue de surcroît un objectif de valeur constitutionnelle découlant de la Charte de l’environnement. En effet, dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a reconnu pour la première fois que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle », pouvant justifier des limitations apportées par le législateur à d’autres exigences constitutionnelles, en particulier à la liberté d’entreprendre.

Mais comme l’a souligné le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, avec la réforme constitutionnelle, la préservation de l’environnement ne sera plus un objectif à valeur constitutionnelle mais un principe à valeur constitutionnelle à part entière45. À la différence d’un principe constitutionnel, un objectif à valeur constitutionnelle « nécessite, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur et a surtout pour fonction de permettre des atteintes à d’autres droits et libertés. Le principe constitutionnel permet quant à lui de censurer une loi qui porte atteinte à ce principe »46.

La consécration de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique au statut de garantie constitutionnelle pourrait avoir plusieurs conséquences. « Tout d’abord, ces exigences pourraient être invocables contre une disposition législative dont la finalité ne serait pas d’assurer la préservation de l’environnement ou de la diversité biologique, comme l’autorisation de certaines activités économiques. Ensuite, elles pourraient constituer le support d’actions en carence contre le législateur ou le gouvernement pour ne pas avoir prévu de mesures de restriction ou d’interdiction de nature à assurer une protection suffisante de l’environnement ou de la diversité biologique. Sous réserve de ce que jugera le Conseil constitutionnel, ces principes devraient être par ailleurs invocables à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. »47

C – L’inscription dans l’article 1er de la Constitution de la préservation de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique

Il convient de souligner que le constituant a fait le choix de ne pas seulement inscrire la préservation de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution. Il a effectivement décidé d’intégrer également dans ce texte deux autres éléments, à savoir la préservation de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique.

L’inscription de la préservation de la biodiversité dans l’article 1er de la Constitution permettra de renforcer la notion de diversité biologique que l’on retrouve dans le cinquième considérant du préambule de la Charte de l’environnement et qui est définie au troisième alinéa de l’article L. 110-1 du Code de l’environnement48.

L’ajout de la notion de dérèglement climatique dans ce même texte viendra compléter la charte constitutionnelle au sein de laquelle la lutte contre le dérèglement climatique n’est pas mentionnée. Le député Christophe Arend (La République En Marche), rapporteur pour avis de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, a rappelé à juste titre que « le terme de climat ou de changement climatique ne fait l’objet d’aucune mention dans le texte de la Charte de l’environnement alors qu’il constitue certainement le sujet de préoccupation le plus important des négociations internationales en matière d’environnement et l’un des principaux champs des politiques communautaires dans ce domaine »49. Actuellement, la lutte contre le réchauffement climatique n’est considérée par le juge constitutionnel que comme un objectif d’intérêt général50. Par conséquent, « sa consécration en tant que principe constitutionnel n’en aura que plus d’impact »51.

Mais si en promouvant la protection de l’environnement au rang de garantie constitutionnelle, le projet de loi constitutionnelle impose aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat, certains ont fait valoir que l’on ne pourra pas appliquer cette obligation de résultat en matière de dérèglement climatique dans la mesure où il s’agit d’un phénomène mondial52. « D’où le terme de “lutte” (contre le dérèglement climatique), qui renvoie à une obligation de moyens »53.

Enfin, il est à noter que la formulation retenue par le projet de loi constitutionnelle vient séparer les notions de biodiversité, de climat et d’environnement. Le risque d’un « fractionnement » de la notion d’environnement, qui serait distinguée de la « diversité biologique » et du « dérèglement climatique », a été souligné par Arnaud Gossement qui a rappelé que « cela fait des années que les écologistes se battent pour que l’on considère les liens étroits entre le climat, les espèces et les écosystèmes »54.

D – Les effets de la modification de l’article 1er de la Constitution sur la conclusion d’accords internationaux

Les nouvelles dispositions introduites dans l’article 1er de la Constitution par le projet de loi constitutionnelle devraient avoir des conséquences sur la ratification de conventions internationales qui leur seraient contraires, en application de l’article 54 de la Constitution55. Dans sa décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l’Union européenne, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser qu’il pouvait être à nouveau saisi, sur le fondement de cet article, de la conformité à la Constitution d’une convention internationale « s’il est inséré dans la Constitution une disposition nouvelle qui a pour effet de créer une incompatibilité avec une ou des stipulations du traité dont il s’agit »56.

En conclusion, il apparaît que le projet de loi constitutionnelle, qui est issu des travaux de la convention citoyenne sur le climat, va plus loin que le droit en vigueur en faisant de la protection de l’environnement une obligation constitutionnelle à la charge des pouvoirs publics. Le 14 décembre 2020, le président de la République Emmanuel Macron s’est engagé devant les citoyens de la convention climat à soumettre au référendum ce projet de loi constitutionnelle s’il est adopté en des termes identiques par les deux assemblées parlementaires. Le choix de la procédure référendaire pour l’adoption définitive de cette révision constitutionnelle est conforme au souhait exprimé par la grande majorité des membres de la convention citoyenne sur le climat.

Notes de bas de pages

  • 1.
    AN, projet de loi n° 3787, de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, 20 janv. 2021.
  • 2.
    La Convention citoyenne pour le climat (CCC) a aussi proposé d’ajouter au sein du Préambule de la Constitution un alinéa aux termes duquel : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité ». En plaçant la protection de l’environnement au-dessus des droits et libertés publiques, cette proposition de la CCC conduirait à introduire une hiérarchie entre les normes fondamentales. Le président de la République Emmanuel Macron a confirmé le 14 juillet 2020 qu’il écartait cette demande de réécriture du Préambule du texte constitutionnel pour « placer l’environnement au-dessus de nos autres valeurs fondamentales ».
  • 3.
    V. AN, avis n° 3902 sur le projet de loi constitutionnelle, 18 févr. 2021, p. 30.
  • 4.
    AN, B. Pompili, séance publique, 15 déc. 2020.
  • 5.
    AN, B. Pompili, séance publique, 15 déc. 2020.
  • 6.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 40.
  • 7.
    L. const. n° 2005-205, 1er mars 2005, relative à la Charte de l’environnement : JO, 2 mars 2005, p. 3697.
  • 8.
    V. CE, avis, 14 janv. 2021, n° 401868, sur le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, p. 2.
  • 9.
    V. J.-C. Zarka, Le nouveau droit de l’environnement, 2020, Gualino.
  • 10.
    Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, cons. 49.
  • 11.
    Cons. const., 10 nov. 2011, n° 2011-192 QPC.
  • 12.
    Cons. const., 7 mai 2014, n° 2014-394 QPC.
  • 13.
    Cons. const., 23 nov. 2012, n° 2012-283 QPC. .
  • 14.
    Cons. const., 8 avr. 2011, n° 2011-116 QPC.
  • 15.
    Cons. const., 14 oct. 2011, n° 2011-183/184 QPC.
  • 16.
    Cons. const., 31 janv 2020, n° 2019-823 QPC, cons. 4.
  • 17.
    Cons. const., 10 déc. 2020, n° 2020-809 DC, cons. 14.
  • 18.
    Cons. const., 10 déc. 2020, n° 2020-809 DC, cons. 13.
  • 19.
    L. const. n° 2008-724, 23 juill. 2008, de modernisation des institutions de la Ve République : JO, 24 juill. 2008, texte n° 2, p. 11890.
  • 20.
    Const., 1958, art. 11.
  • 21.
    AN, projet de loi n° 911, de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, 9 mai 2018.
  • 22.
    V. Amendement n° 328, 4 juill. 2018, sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, déposé par les députés du groupe La République En Marche, disponible à l’adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/0911/AN/328.
  • 23.
    AN, projet de loi n° 2203, de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, 29 août 2019.
  • 24.
    V.CE, avis, 20 juin 2019, n° 397908, sur le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, p. 3.
  • 25.
    Elle indique que l’article 1er de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique, son action ne pouvant faire l’objet que d’une amélioration constante ».
  • 26.
    V. J.-C. Zarka, « La loi “biodiversité” », LPA 30 août 2016, n° 120b7, p. 7.
  • 27.
    La Convention citoyenne pour le climat proposait de compléter l’article 1er de la Constitution par la phrase suivante : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique. » Dans le projet de loi constitutionnelle, le terme « biodiversité » est remplacé par l’expression « diversité biologique » qui figure dans le Préambule de la Charte de l’environnement.
  • 28.
    Y. Aguila, « C’est une base pour des actions en justice », La Croix, 16 déc. 2020.
  • 29.
    V.CE, avis, 14 janv. 2021, n° 401868, sur le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, p. 2.
  • 30.
    AN, avis n° 3902 sur le projet de loi constitutionnelle, 18 févr. 2021, p. 31.
  • 31.
    AN, avis n° 3902 sur le projet de loi constitutionnelle, 18 févr. 2021, p. 31.
  • 32.
    V. l’exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire la protection de l’environnement, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution, n° 3278, 29 juill. 2020, AN.
  • 33.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 46.
  • 34.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 46.
  • 35.
    CE, ass., 10 juill. 2020, n° 428409, Assoc. Les amis de la Terre-France et a.
  • 36.
    TA Paris, 3 févr. 2021, nos 1904967, 1904968, 1904972 et 1904976 /4-1, Assoc. Oxfam France, Assoc. Notre Affaire À Tous, Fondation Pour la Nature et l’homme, Assoc. Greenpeace France.
  • 37.
    Y. Aguila, « C’est une base pour des actions en justice », La Croix, 16 déc. 2020.
  • 38.
    Y. Aguila, « C’est une base pour des actions en justice », La Croix, 16 déc. 2020.
  • 39.
    V.CE, avis, 14 janv. 2021, n° 401868, sur le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, p. 3.
  • 40.
    AN, avis n° 3902 sur le projet de loi constitutionnelle, 18 févr. 2021, p. 24.
  • 41.
    Cons. const., 24 avr. 2015, n° 2015-465 QPC, cons. 14.
  • 42.
    AN, avis n° 3902 sur le projet de loi constitutionnelle, 18 févr. 2021, p. 32.
  • 43.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 39.
  • 44.
    On notera qu’il a été soutenu que la formulation retenue par le projet de loi constitutionnelle viendrait opérer un retour en arrière par rapport au droit existant. L’avocat Arnaud Gossement rappelle que l’article 2 de la Charte de l’environnement a la même valeur juridique que l’article 1er de la Constitution et oppose « cette disposition très forte, qui permet déjà d’agir en justice pour le climat et la biodiversité, à la réforme de l’article 1er qui est beaucoup moins pertinente, puisque l’on se réfère à la “République” » : « (…) personne n’a jamais attaqué “la République” devant un tribunal ! Il s’agit d’une fiction juridique, la réforme serait donc inopérante. Et bien moins pertinente que la Charte qui, elle, fait référence à toute personne… » (A. Gossement, « La démarche est inutile et dangereuse », La Croix, 16 déc. 2020).
  • 45.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 58.
  • 46.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 40.
  • 47.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 40.
  • 48.
    Aux termes de l’article L. 110-1 du Code de l’environnement, « on entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants ».
  • 49.
    AN, avis n° 3902 sur le projet de loi constitutionnelle, 18 févr. 2021, p. 25.
  • 50.
    Cons. const., 29 déc. 2009, n° 2009-599 DC, cons. 82.
  • 51.
    V. rapp. AN, n° 3894, 17 févr. 2021, p. 42.
  • 52.
    V. A. Garric, « Débat juridique autour du projet de révision constitutionnelle », Le Monde, 17 déc. 2020.
  • 53.
    A Garric, « Débat juridique autour du projet de révision constitutionnelle », Le Monde, 17 déc. 2020.
  • 54.
    A. Gossement, « La démarche est inutile et dangereuse », La Croix, 16 déc. 2020.
  • 55.
    Aux termes de l’article 54 de la Constitution, « si le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par 60 députés ou 60 sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».
  • 56.
    Cons. const., 2 sept. 1992, n° 92-312 DC, cons. 5.
X