Les élections européennes : à la croisée des ordres juridiques
Les élections européennes ont eu lieu, dans l’ensemble du territoire européen, au sein des États membres, entre le 6 et le 9 juin 2024. À la diversité des scrutins et résultats correspond une diversité de conséquences. Parmi elles, la décision du président de la République, en France, de dissoudre consécutivement l’Assemblée, appelle à une réflexion sur la nature même des élections européennes.
Le 18 juillet 2024, s’est tenue la session constitutive du Parlement européen1. Les équilibres politiques se mesurent à l’aune des partis européens, qui ne peuvent être constitués d’une seule nationalité. Cette condition s’explique par la nature européenne de la vie politique que les députés européens incarnent. Les élections européennes ont cependant ceci de particulier qu’elles visent à élire une assemblée supranationale, mais qu’elles demeurent organisées dans un cadre national, et, par là même, elles se teintent d’une indéniable dimension nationale. Cette dualité est nécessairement impliquée par la nature même de l’Union européenne (II) alors que, juridiquement, les implications des élections européennes ne sont liées qu’aux institutions supranationales (I).
I – Juridiquement, les élections européennes n’ont d’implication que sur les institutions supranationales
Les résultats des élections européennes sont proclamés au niveau national, mais leur effet juridique porte sur les institutions européennes. Elles donnent, en effet, la couleur politique du Parlement européen (A) et conditionnent la future Commission européenne (B).
A – Les élections européennes donnent la couleur politique du Parlement européen
Organisées selon les règles respectives des États membres dans une période donnée, en l’espèce entre le 6 et le 9 juin 2024, les élections européennes dessinent la configuration politique du Parlement supranational pour les cinq années à venir.
Les modalités d’élection du Parlement européen sont régies à la fois par la législation européenne, qui fixe des dispositions communes pour l’ensemble des États membres, et par le droit national, qui varie d’un pays à l’autre. Les dispositions communes prévoient le principe de la représentation proportionnelle, les règles en matière de seuils ainsi que certaines incompatibilités avec le mandat de député au Parlement européen. De nombreuses autres dispositions importantes, par exemple le système électoral précis et le nombre de circonscriptions, sont régies par le droit national.
L’Union européenne impose ainsi des élections à la proportionnelle, mais les États membres en choisissent les modalités. Dès lors, trois types de scrutins coexistent. D’abord, le vote préférentiel, dans dix-neuf pays dont l’Italie, la Pologne, les Pays-Bas et les pays nordiques. L’électeur peut, selon le pays, modifier l’ordre de la liste de candidats pour laquelle il vote, rayer des candidats ou encore panacher plusieurs listes. Ensuite, le vote par listes bloquées, dans six pays, dont l’Allemagne, la France et l’Espagne. Les électeurs votent pour des listes dont ils ne peuvent modifier ni l’ordre ni la composition. Enfin, le vote est dit « unique transférable », à Malte et en Irlande. L’électeur ne vote dans ces conditions pas pour une liste déjà constituée, mais élabore sa propre liste en classant les candidats par ordre de préférence2.
Selon l’article 14-2 du traité sur l’Union européenne, le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union. Leur nombre ne dépasse pas 750, plus le président. La représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre. Aucun État membre ne se voit attribuer plus de 96 sièges. Selon l’article 14-2 du même traité, les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans.
En 2024, la moyenne de participation pour l’Union européenne est de 51,06 %, allant de 21,35 % en Croatie à plus de 89 % en Belgique.
Selon le règlement intérieur du Parlement, un groupe politique est composé d’au moins 23 membres élus dans au moins sept États membres. Il existe huit groupes politiques :
• PPE – Groupe du Parti populaire européen (Démocrates-Chrétiens) ;
• S&D – Groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen ;
• Patriots – Patriots for Europe ;
• ECR – Groupe des conservateurs et réformistes européens ;
• Renew Europe – Groupe Renew Europe ;
• Verts/ALE – Groupe des Verts/Alliance libre européenne ;
• The Left – Le groupe de la gauche au Parlement européen – GUE/NGL ;
• ESN – Europe of Sovereign Nations ;
• NI – Non-inscrits.
Le PPE est majoritaire avec 188 sièges, suivi par l’Alliance progressiste, avec 136 sièges, les Patriotes avec 84 sièges, les conservateurs avec 78 voix, puis Renew avec 77 voix. Les autres groupes disposent d’entre 53 sièges (Verts) et 25 sièges (ESN).
L’article 224 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fournit une base juridique pour l’adoption, conformément à la procédure législative ordinaire, d’un statut des partis politiques européens et des règles relatives à leur financement. En 20033, un système de financement des partis politiques européens a été mis en place, qui a permis la création de fondations politiques au niveau de l’Union. Ces règles ont été modifiées par un règlement du 3 mai 20184 en vue de renforcer la dimension européenne des partis politiques européens, de garantir une répartition plus équitable des fonds et d’améliorer l’application de la législation.
Le Parlement européen ne se caractérise donc pas par un bipartisme et fonctionne essentiellement par majorité. Les groupes politiques tiennent régulièrement des réunions durant la semaine qui précède la période de session et en marge de celle-ci, ainsi que des journées d’étude au cours desquelles ils décident des grands principes de leur action.
Le fonctionnement de l’Assemblée est régi par son règlement intérieur. Selon son article 19, le président du Parlement est élu parmi ses membres pour un mandat renouvelable de deux ans et demi. Il représente le Parlement vis-à-vis du monde extérieur et dans ses relations avec les autres institutions européennes. Il dirige les débats en plénière et veille au respect du règlement intérieur du Parlement. Au début de chaque réunion du Conseil européen, il présente le point de vue du Parlement et ses considérations en ce qui concerne les points inscrits à l’ordre du jour et d’autres sujets. Une fois le budget de l’Union adopté par le Parlement, le président le signe et le rend ainsi effectif. Le président du Parlement et le président du Conseil de l’Union européenne signent tous les actes législatifs adoptés dans le cadre de la procédure législative ordinaire. Le président peut être remplacé par l’un des 14 vice-présidents, selon l’article 23 du règlement5.
Les organes politiques du Parlement comprennent le bureau (art. 24 – le président et les quatorze vice-présidents), la conférence des présidents (art. 26 – le président et les présidents des groupes politiques), les cinq questeurs (art. 28 – chargés du traitement des questions administratives et financières concernant les députés), la conférence des présidents des commissions (art. 29) et la conférence des présidents des délégations (art. 30). La durée du mandat du président, des vice-présidents et des questeurs, ainsi que de celui des présidents de commission et de délégation est de deux ans et demi (art. 19)6.
Le Parlement organise ses travaux de manière indépendante. Il arrête son règlement intérieur à la majorité des députés qui le composent (TFUE, art. 232). Si les traités n’en disposent pas autrement, le Parlement européen statue à la majorité des suffrages exprimés (TFUE, art. 231). Il décide de l’ordre du jour de ses périodes de session, lesquelles sont consacrées principalement à l’adoption des rapports élaborés par les commissions parlementaires, aux questions adressées à la Commission et au Conseil de l’Union européenne, aux débats d’actualité et d’urgence et aux déclarations de la présidence. Les réunions des commissions et les séances plénières sont publiques et retransmises sur l’internet.
Selon l’article 229 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Parlement peut se réunir en période de session extraordinaire à la demande de la majorité des députés qui le composent, du Conseil de l’Union européenne ou de la Commission. Le 18 décembre 2006, le Parlement s’est réuni pour la première fois pour une séance plénière supplémentaire à Bruxelles, aussitôt après le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006. Depuis lors, cette pratique de séance plénière faisant immédiatement suite aux réunions du Conseil européen a été maintenue7.
Il est en effet à noter que l’Assemblée européenne ne peut pas être dissoute ; mais qu’en revanche cette dernière doit accorder sa confiance aux membres de la Commission européenne, et peut également la renverser en cours de mandat.
Il existe en effet un lien conditionnel entre le Parlement européen et la Commission européenne.
B – Les résultats des élections européennes conditionnent la future Commission européenne
Selon l’article 14-1 du traité sur l’Union européenne, le Parlement européen exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de contrôle politique et consultative conformément aux conditions prévues par les traités. Il élit le président de la Commission.
À l’origine, l’Assemblée européenne ne disposait pas de tant de prérogatives. Elle n’avait pas le pouvoir d’investir la Commission comme elle le fait aujourd’hui. Son pouvoir s’est accru, de facto et de jure, au fil du temps et de la révision des traités. Ainsi, depuis 1981, le Parlement avait pris l’initiative de donner son aval de manière informelle, sans base juridique, à la Commission en examinant et se prononçant sur son programme. Le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, donne les bases juridiques liant l’approbation préalable du Parlement à la nomination par les États membres du président et des membres de la Commission, en tant que collège. Le traité d’Amsterdam renforce cette assise démocratique en subordonnant la désignation du président de la Commission à l’approbation préalable du Parlement, avant la désignation des autres membres du collège. Depuis 1994, le Parlement procède aux auditions des commissaires désignés, ce qui donne une dimension encore plus parlementaire au régime politique de l’Union européenne. En vertu du traité de Lisbonne, le candidat au poste de président de la Commission doit être choisi en tenant compte des résultats des élections européennes. Par conséquent, dans sa résolution du 22 novembre 2012 sur les élections au Parlement européen en 2014, le Parlement a demandé aux partis politiques européens de proposer des candidats au poste de président de la Commission afin de renforcer la légitimité politique des deux institutions. Depuis 2014, une procédure, dite des « candidats têtes de liste » ou Spitzenkandidaten, se dessine, selon laquelle les partis politiques européens désignent, avant les élections européennes, leurs candidats têtes de liste respectifs au poste de président de la Commission. Cependant, en 2019, elle n’a pas été appliquée ; mais cette procédure demeure considérée comme importante pour la transparence et la légitimité politique des institutions de l’Union.
En 2024, la présidente sortante, Ursula Van Der Leyen, était candidate à sa propre succession. Le Parlement l’a élue le 18 juillet 2024 à une plus forte majorité qu’en 2019. En 2019, lors de sa première présentation devant les eurodéputés, elle n’avait été élue en effet qu’avec neuf voix d’avance. En 2024, 401 élus (284 contre, 15 abstentions) ont voté pour elle, après que les chefs d’État et de gouvernement européens avaient proposé la reconduction, le 27 juin 2019. Ce score représente 41 voix de plus que les 360 votes nécessaires.
Compte tenu du résultat des élections européennes du 9 juin 2024, qui ont vu l’extrême droite monter alors que les Verts et les libéraux de Renew marquaient un recul, sa réélection était incertaine. La présidente a alors mené une active campagne pour défendre son bilan et convaincre les députés. Le Parlement européen exerce ainsi pleinement son rôle d’investiture. Pour autant, l’interprétation des élections européennes emporte nécessairement aussi des conséquences nationales, en raison de la nature même de l’Union européenne.
II – La nature même de l’Union européenne implique une dualité d’interprétation des élections européennes
Il existe une interface indéniable entre instances européennes et instances nationales (A) à plusieurs titres et nécessairement sur le plan des élections européennes (B).
A – L’interface indéniable entre les instances européennes et les instances nationales
L’originalité première de la construction européenne tient dans la coexistence plus ou moins harmonieuse entre les institutions représentant les États membres et celles incarnant la supranationalité.
S’agissant des premières, selon leurs modes de fonctionnement, elles se détachent potentiellement de la stricte représentation étatique. Cela se vérifie tant au regard du Conseil européen que du Conseil de l’Union.
Le Conseil européen, instance initialement sui generis, puis progressivement inscrite dans les traités et devenu institution à part entière, est constitué de chefs d’États et de gouvernement. Cependant, son mode de fonctionnement ne saurait l’éloigner complètement de la supranationalité. En effet, les dispositions de l’article 15 du traité sur l’Union européenne permettent de détecter des éléments d’intégration allant au-delà de la classique méthode intergouvernementale.
Selon cet article en effet, le Conseil européen est composé des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, ainsi que de son président et du président de la Commission. Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité participe à ses travaux. Ce même article précise que le Conseil européen donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales. Il n’exerce pas de fonction législative. Il se réunit deux fois par semestre sur convocation de son président. Lorsque l’ordre du jour l’exige, les membres du Conseil européen peuvent décider d’être assistés chacun par un ministre et, en ce qui concerne le président de la Commission, par un membre de la Commission. Lorsque la situation l’exige, le président convoque une réunion extraordinaire du Conseil européen. Il se prononce par consensus, sauf exception. En cela, il fait émerger une volonté générale européenne, qui ne saurait s’assimiler à une somme d’intérêts nationaux. Enfin, l’existence d’un président conforte cette double approche. Le Conseil européen élit en effet son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois.
Le Conseil de l’Union européenne est marqué par la même dualité. Son article 16 en fixe les modalités. Le Conseil est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l’État membre qu’il représente et à exercer le droit de vote. Il exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de définition des politiques et de coordination conformément aux conditions prévues par les traités. Le Conseil statue à la majorité qualifiée, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement. Cette modalité de vote montre de nouveau la dualité de nature de cette institution essentielle, cotitulaire du pouvoir législatif européen.
L’institution qui s’éloigne le plus de la dualité de nature est sans doute la Commission européenne. Son ancêtre la haute autorité, à l’époque de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), était en effet marquée du sceau de la supranationalité. L’article 9 du traité CECA mentionnait explicitement ce terme et nonobstant le changement de dénomination avec les traités de Rome, la Commission a la charge de l’intérêt général européen.
L’article 17 du traité en atteste précisément. La Commission promeut, en effet, selon cet article, l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. Elle veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités. À l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, elle assure la représentation extérieure de l’Union. Elle prend les initiatives de la programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union pour parvenir à des accords interinstitutionnels. Ainsi, malgré la désignation des Commissaires de leur nationalité par chaque État membre, les membres de la Commission doivent défendre l’intérêt général européen et non les intérêts nationaux. Les membres de la Commission sont en effet choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance.
La Commission, investie par le Parlement européen, est aussi responsable devant lui. Il lui donne une assise démocratique, en étant lui-même une institution marquée par une double nature.
B – La nécessaire dualité d’interprétation des élections européennes
La décision du président de la République française de dissoudre l’Assemblée nationale à la suite des résultats des élections européennes sur le territoire français, le 9 juin 2024, a créé une surprise dans l’espace public national et européen. Cependant, la composition des listes montre la persistance de leur connotation nationale (1) alors même que les principes inhérents à la citoyenneté européenne devaient permettre de promouvoir des listes composées de non nationaux (2). Cette européanisation demeure imparfaite, appelant à une réflexion renouvelée sur la nature même de la vie politique européenne et de l’Union en elle-même (3).
1 – La persistante connotation nationale des listes présentes aux élections européennes
Les résultats des élections européennes organisées en France les 8 et 9 juin 2024 ont été officiellement proclamés par la Commission nationale de recensement général des votes pour l’élection des représentants au Parlement européen. Les résultats ont été publiés au Journal officiel du 13 juin 2024.
Le taux de participations’élève à 51,49 %, en hausse de 1,37 point par rapport au scrutin de 2019 (50,12%). La liste du Rassemblement national (RN) arrive en tête des élections européennes 2024 en France, avec 31,37 % des suffrages. Se trouve loin derrière la liste de la majorité présidentielle (14,60 %), suivie par l’alliance Parti socialiste/Place publique (13,83 %). Quatre autres listes franchissent les 5 % de voix nécessaires pour obtenir des élus au Parlement européen. La répartition des sièges se fait à la proportionnelle.
Sur les 81 députés élus, sur les listes présentées en France, 36 sortants et 45 entrants, dont 19 n’ayant jamais eu de mandat électif. Le groupe des parlementaires français est constitué de 40 hommes et de 41 femmes, âgés de 24 à 73 ans et compte 35 élus d’extrême droite, ce qui est un nombre inédit.
Les listes demeurent ainsi constituées de nationaux, alors même que la citoyenneté de l’Union pose le principe du droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens aux élections européennes. L’analyse des résultats ne donne pas d’éléments sur ce sujet mais force est de constater la composition quasi exclusivement nationale des listes dans les États membres.
En vertu de l’article 22 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en effet, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de voter lors des élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, et ce dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Cependant, la notion de résidence diffère encore beaucoup selon les États membres. Certains pays (comme l’Allemagne, l’Estonie, la France, la Pologne, la Roumanie et la Slovénie) exigent que l’électeur ait établi son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire électoral, d’autres (comme Chypre, le Danemark, la Grèce, l’Irlande, le Luxembourg, la Slovaquie et la Suède) qu’il y séjourne de manière habituelle, d’autres encore (comme la Belgique et la Tchéquie) qu’il figure au registre de la population. Pour bénéficier du droit de vote dans certains pays (par exemple à Chypre), les citoyens de l’Union doivent également justifier d’une durée minimale de résidence. Dans tous les États membres, les ressortissants d’autres pays de l’Union sont tenus de s’inscrire sur la liste électorale avant le jour du scrutin. Les dates limites d’inscription varient d’un État membre à l’autre8.
En outre les procédures et conditions demeurent différentes selon les États, par exemple en matière d’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. Ainsi, les listes françaises, italiennes, belges et luxembourgeoises doivent être paritaires. En Espagne, au Portugal, en Grèce, en Slovénie et en Croatie, les listes doivent comporter au moins 40 % de candidats de chaque sexe, en Pologne 35 %.
En Roumanie, une loi est censée favoriser une représentation équilibrée des hommes et des femmes sur les listes mais sa formulation, floue et non chiffrée, la rend inefficace. Avec seulement 15 % de femmes, le contingent roumain d’eurodéputés est le moins féminisé du Parlement européen.
Certains de ces pays ont assorti ces quotas de mesures devant assurer la présence de femmes en position éligible, mais les sanctions ne sont pas toujours dissuasives. Dans les faits, sur les trois pays ayant les contingents d’eurodéputés les plus féminisés, deux y parviennent sans quota : la Finlande (57 % de femmes) et la Suède (52 %). Le Luxembourg les devance toutefois, avec 67 % de femmes9.
2 – Les principes inhérents à la citoyenneté européenne devaient favoriser une européanisation du scrutin
Selon l’article 10 du traité sur l’Union européenne, les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen. Les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens. Tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens. Les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union.
C’est ainsi une démocratie encore en construction, avec une présence à renforcer des électeurs et candidats européens non nationaux lors des élections européennes. Le traité conçoit d’ailleurs la démocratie européenne comme se réalisant à plusieurs niveaux et échelons. Ainsi, selon l’article 12 du traité sur l’Union européenne, les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l’Union : en étant informés par les institutions de l’Union et en recevant notification des projets d’actes législatifs de l’Union conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne ; en veillant au respect du principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ; en participant, dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, aux mécanismes d’évaluation de la mise en œuvre des politiques de l’Union dans cet espace, conformément à l’article 70 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et en étant associés au contrôle politique d’Europol et à l’évaluation des activités d’Eurojust, conformément aux articles 88 et 85 dudit traité ; en prenant part aux procédures de révision des traités, conformément à l’article 48 du présent traité ; en étant informés des demandes d’adhésion à l’Union, conformément à l’article 49 du présent traité ; en participant à la coopération interparlementaire entre parlements nationaux et avec le Parlement européen, conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne.
Selon l’article 9 du traité, la citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. Cette formule résume bien cette dualité. Il existe à la fois une citoyenneté nationale et une citoyenneté supranationale. Elles se complètent l’une l’autre et les citoyens européens sont représentés à la fois par leurs chefs d’États et de gouvernements respectifs, siégeant au sein des institutions, le Conseil européen et le Conseil de l’Union, et par les deux instances démocratiques par excellence que sont tant les Parlements nationaux que le Parlement européen.
L’épisode de la dissolution consécutive aux résultats des élections européennes appelle à une réflexion sur la nature même de la vie politique européenne et de l’Union elle-même.
3 – De la nature des élections européennes et de l’Union européenne
L’expérience des élections européennes de 2024 témoignent de leur dualité, elle-même essentielle à la caractérisation de l’Union européenne. Même si plus de 360 millions d’électeurs ont été appelés aux urnes pour désigner 720 eurodéputés, les peuples européens demeurent identifiés avec une forte identité, au sein du peuple européen en devenir.
Si l’on retient quelques États membres, les conjonctures nationales, en même temps que la situation européenne, et peut être même davantage, expliquent les votes. En Allemagne, par exemple, les conservateurs (CDU et CSU)10 sont arrivés très largement en tête avec 29,5-30 % (contre 28,9 % en 2019). L’extrême droite AfD arrive en deuxième place, avec 16,5-16 % des voix, devançant les sociaux-démocrates. Le parti du chef de gouvernement Olaf Scholz a obtenu 14 % des suffrages, soit le score le plus faible enregistré par ce parti pour ce scrutin. Les deux autres partis de la coalition, les Verts et les libéraux (FDP), ont respectivement obtenu entre 12 et 12,5 % pour le premier et 5 % pour le second11.
En Belgique, le parti d’extrême droite Vlaams Belang est arrivé en tête avec près de 14 % des suffrages, devant le parti de centre droit, Mouvement réformateur, à 13,5 %, et l’alliance d’extrême droite néoflamande, à 13,4 %. Les chrétiens-démocrates sont à 8 %, ainsi que les socialistes12.
En Espagne, la droite a remporté les élections européennes, devant le Parti socialiste du Premier ministre Pedro Sánchez, et le scrutin est marqué par une progression de l’extrême droite. Le Parti Populaire (PP), principale formation de l’opposition espagnole, a obtenu environ 34 % des voix et 22 sièges au Parlement européen contre environ 30 % des voix et 20 sièges pour les socialistes. La formation d’extrême droite Vox obtient six sièges contre quatre il y a cinq ans. Enfin, un groupe intitulé, « La fête est finie » (Se acabo la fiesta), une nouvelle formation classée à l’extrême droite et fondée par un youtubeur controversé, a totalisé environ 4,5 % des voix et entre ainsi au Parlement européen avec trois députés13.
En Italie, le parti d’extrême droite de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, est arrivé en tête. Le Parti démocrate (PD, centre gauche), principal parti d’opposition, arrive en deuxième position, suivi du Mouvement 5 Étoiles (populiste) dirigé par l’ancien Premier ministre Giuseppe Conte. Les deux partenaires de coalition de Mme Meloni, la Ligue antimigrants de Matteo Salvini et Forza Italia, le parti conservateur fondé par Silvio Berlusconi et membre du Parti populaire européen (PPE), arrivent ensuite.
Si ces exemples montrent immanquablement une progression de l’extrême droite, d’autres peuples ont eu une autre approche. Ainsi, en Pologne, le parti centriste proeuropéen du Premier ministre polonais Donald Tusk est arrivé devant le parti nationaliste populiste Droit et Justice (PiS), même si celui-ci conserve un score élevé et l’extrême droite de Konfederacja obtient six députés. En Suède, le parti de centre gauche arrive devant le parti de centre droit et les écologistes, devant l’extrême droite, sont à 13,90 %14. En Grèce, le scrutin est marqué par une forte abstention ; la droite Nouvelle-Démocratie (ND) du Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, est en tête devant la gauche Syriza de Stefanos Kasselakis et devant les socialistes Pasok (12,91 %, trois sièges).
De ces quelques exemples, il est possible de déduire la nécessaire approche nationale des élections européennes. Si la décision de dissoudre du président de la République française a surpris et inquiété ses partenaires, elle révèle cette dualité profonde. Ainsi, le journal allemand, Frankfurter Allgemeine Zeitung15, mettait en évidence les risques de l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement français sur la poursuite de la construction européenne.
Elle démontre à la fois la persistance des vies politiques nationales, mais aussi la construction d’un espace public européen, dès lors qu’aucune décision nationale ne reste sans effet sur la situation et les opinions nationales. En cela, la logique européenne est sans doute de nouveau vérifiée.
Notes de bas de pages
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1.
https://lext.so/bWdwGh.
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2.
https://lext.so/bLQJSG.
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3.
PE et Cons. UE, règl. n° 1141/2014, 22 oct. 2014, relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes.
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4.
Règlement (UE, Euratom) n° 1141/2014, 3 mai 2018, relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes, https://lext.so/zRomCr.
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5.
PE, fiche thématique, « Le Parlement européen : organisation et fonctionnement », https://lext.so/T9WgBV.
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6.
PE, fiche thématique, « Le Parlement européen : organisation et fonctionnement », https://lext.so/T9WgBV.
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7.
PE, fiche thématique, « Le Parlement européen : organisation et fonctionnement », https://lext.so/T9WgBV.
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8.
PE, fiche thématique, « Le Parlement européen : procédure électorale », https://lext.so/vkUrBS.
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9.
Ouest France, « Élections européennes : voici six différences entre les pays membres sur les règles du vote », https://lext.so/IukAMP.
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10.
Le parti de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
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11.
Le Télégramme, « Résultats des élections européennes en France, ville par ville [Carte] », https://lext.so/-6OMA5.
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12.
Le Télégramme, « Résultats des élections européennes en France, ville par ville [Carte] », https://lext.so/-6OMA5.
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13.
Le Télégramme, « Résultats des élections européennes en France, ville par ville [Carte] », https://lext.so/-6OMA5.
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14.
Le Télégramme, « Résultats des élections européennes en France, ville par ville [Carte] », https://lext.so/-6OMA5.
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15.
Courrier international, « Vu d’Allemagne. Après la dissolution, la France va-t-elle rester un partenaire économique fiable ? », https://lext.so/fX28om.
Référence : AJU014u5